La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/10/2022 | FRANCE | N°21/01557

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ere chambre sect.civile, 25 octobre 2022, 21/01557


ARRET N°

du 25 octobre 2022



N° RG 21/01557 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-FBK2





Société DOOSAN INFRACORE EUROPE S.R.O.





c/



S.A.R.L. VALENZISI

S.A. GENERALI IARD

S.A.S. VIGNEAU MATERIELS FORESTIERS

SAS SOCIETE NOUVELLE FCE TP



















Formule exécutoire le :

à :



La SELARL JACQUEMET SEGOLENE



Me Aurore ARTAUD



La SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIESr>
COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 25 OCTOBRE 2022



APPELANTE :

d'un jugement rendu le 10 juin 2021 par le Tribunal de Commerce de Châlons-en- Champagne



Société DOOSAN INFRACORE EUROPE S.R.O

[Adresse 4]

[Adre...

ARRET N°

du 25 octobre 2022

N° RG 21/01557 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-FBK2

Société DOOSAN INFRACORE EUROPE S.R.O.

c/

S.A.R.L. VALENZISI

S.A. GENERALI IARD

S.A.S. VIGNEAU MATERIELS FORESTIERS

SAS SOCIETE NOUVELLE FCE TP

Formule exécutoire le :

à :

La SELARL JACQUEMET SEGOLENE

Me Aurore ARTAUD

La SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 25 OCTOBRE 2022

APPELANTE :

d'un jugement rendu le 10 juin 2021 par le Tribunal de Commerce de Châlons-en- Champagne

Société DOOSAN INFRACORE EUROPE S.R.O

[Adresse 4]

[Adresse 4] - REPUBLIQUE TCHEQUE

Représentée par Me Ségolène JACQUEMET-POMMERON de la SELARL JACQUEMET SEGOLENE, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant et Me Rémi KLEIMAN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

INTIMEES :

S.A.R.L. VALENZISI prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualité audit siège agissant poursuite et diligences

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Aurore ARTAUD, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant et Me Philippe RAVAYROL, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

S.A. GENERALI IARD prise en la personne de son Président du Conseil d'Administration domicilié de droit audit siège, agissant poursuites et diligences

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Aurore ARTAUD, avocat au barreau de REIMS, avocat postulant et Me Philippe RAVAYROL, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

S.A.S. VIGNEAU MATERIELS FORESTIERS

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Non comparante, non representée bien que régulièrement assignée

SAS SOCIETE NOUVELLE FCE TP au capital de 500 000 €, inscrite au RCS DE CHALONS EN CHAMPAGNE sous le n° 534 911 953, prise en la personne de son représentant légal domicilié de droit audit siège

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représentée par Me Mélanie CAULIER-RICHARD de la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre

Monsieur Cédric LECLER, conseiller

Mme Sandrine PILON, conseillère

GREFFIER :

Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier lors des débats et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière lors du prononcé

DEBATS :

A l'audience publique du 20 septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 octobre 2022,

ARRET :

Réputé contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 25 octobre 2022 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Yelena MOHAMED-DALLAS, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Suivant deux factures du 23 juillet 2014, la société Doosan Infracore Europe SA a vendu à la société Nouvelle FCE TP deux pelles de modèle DX140 LCR-3 (pelles n°1374 et 1378).

Il n'est pas contesté que la société Doosan Benelux SA a ensuite repris à son actif le patrimoine de la société Doosan Infracore Europe SA, ni que la société Doosan Infracore Europe SRO vient aux droits de la société Doosan Benelux SA.

La société Nouvelle FCE TP a vendu les pelles à la société Vigneau Matériels Forestiers, qui a vendu à son tour deux pelles, après les avoir équipées pour un usage forestier, respectivement aux sociétés Lixxbail (pelle n°1374) et Natexis Lease, qui les ont données à bail à la société Valenzisi.

Le 29 octobre 2015, la pelle 1374 a pris feu.

La pelle 1378 a également pris feu, le 5 novembre 2015.

La société Valenzisi et la société Generali IARD, qui assuraient les pelles, ont sollicité une expertise en référé. La mesure a été confiée à M [C] [B], par deux ordonnances du 28 juillet 2016 et l'expert a établi un rapport d'expertise pour chacune des deux pelles.

Par acte des 5et 8 février 2019, les sociétés Valenzisi et Generali IARD ont ensuite fait assigner, devant le tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne, les sociétés Doosan Benelux, Vigneau Matériels Forestiers et FCE TP afin d'obtenir la résolution des contrats de vente conclus entre la société Valenzisi et les sociétés de crédit-bail et d'être indemnisées.

Les défendeurs se sont, à titre principal, opposés à ces demandes.

Par jugement du 10 juin 2021, le tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne a :

- dit que la société Valenzisi et son assureur, la société Valenzisi ont intérêt à agir pour les actions liées au litige sur la pelle 1378 et qu'elles sont recevables en leurs actions,

- acté que la société Doosan Infracore Europe SRO vient aux droits des sociétés Doosan Benelux SA et Doosan Infracore Europe SA,

- dit le droit français est seul applicable au litige à l'exclusion de tout autre,

- dit que les sociétés Nouvelle FCE TP, Vigneau Matériels Forestiers et Doosan Infracore Europe SRO ont engagé leur garantie au titre des vices cachés sur les pelles vendues,

- dit que les mêmes ont manqué à leur obligation de délivrance d'un bien conforme,

- dit que la société Doosan Infracore Europe SRO a manqué à son obligation d'information liée aux produits vendus,

- déclaré les clauses contractuelles évoquées par la société Doosan Infracore Europe SRO non opposables aux parties adverses,

- condamné la société Doosan Infracore Europe SRO à indemniser la société Generali IARD pour un montant de 137 625 euros,

- condamné les sociétés Vigneau Matériels Forestiers et Nouvelle FCE TP à indemniser la société Generali IARD pour un montant chacune de 68 812,50 euros,

- condamné la société Doosan Infracore Europe SRO à indemniser la société Valenzisi pour un montant de 8 287,44 euros,

- condamné les sociétés Vigneau Matériels Forestiers et Nouvelle FCE TP à indemniser la société Valenzisi pour un montant chacune de 4 143,72 euros et ce, avec intérêt au taux légal à compter de la date de l'assignation en référé signifiée le 17 juin 2016,

- débouté les parties de leurs autres demandes et prétentions,

- condamné solidairement les sociétés Doosan Infracore Europe SRO, Nouvelle FCE TP et Vigneau Matériels Forestiers à payer à la société Generali IARD la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné solidairement les sociétés Doosan Infracore Europe SRO, Nouvelle FCE TP et Vigneau Matériels Forestiers aux entiers dépens de l'instance liquidés à la somme de 147,84 euros,

- ordonné l'exécution provisoire.

S'agissant de l'intérêt à agir des sociétés Valenzisi et Generali, le tribunal a retenu que :

- la société Valenzisi avait indemnisé la société Lixxbail et conclu avec celle-ci une transaction qui stipule la cession de la pelle 1374 à la société Valenzisi,

- le contrat de crédit bail conclu entre les sociétés Valenzisi et Natexis Lease pour la pelle 1378 prévoit expressément le droit d'agir du locataire pour le compte du crédit-bailleur.

S'agissant de la loi applicable, il a relevé que :

- l'action des sociétés Valenzisi et Generali était dirigée notamment contre des sociétés de droit français, lesquelles ne soutenaient pas qu'elles auraient soumis leurs contrats de vente au droit belge,

- le litige ne portait pas sur le contrat de distribution liant les sociétés Doosan et Nouvelle FCE TP,

- la société Doosan ne démontrait pas que la loi belge aurait été plus favorable à ses intérêts en matière d'obligation de délivrance conforme et de garantie des vices cachés.

Le tribunal a estimé que les pelles présentaient un défaut de conception des machines à un usage forestier, depuis leur fabrication et caché pour les acquéreurs.

Les sociétés Doosan, Vigneau et FCE TP ont manqué à leur obligation de délivrance conforme alors qu'elles ne pouvaient ignorer la destination réelle des engins, en milieu forestier et que le fabricant n'a jamais exclu cet usage de manière explicite.

La société Doosan a manqué à son obligation d'information en n'avertissant pas la société FCE des modifications portées à la nouvelle génération de pelle et de ses conséquences sur un usage en milieu forestier.

Quant aux clauses élusives et limitatives de responsabilité, il a considéré qu'elles ne répondent pas à la condition, nécessaire à leur validité, d'être apparentes, claires, précises et expressément acceptées par les parties.

Le tribunal a procédé à un partage de responsabilité en répartissant entre les sociétés défenderesses la charge des indemnités dues aux demanderesses.

La société Doosan Infracore Europe SRO a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 27 juillet 2021 visant expressément l'ensemble des chefs de décision, à l'exception de celui actant que la société Doosan Infracore Europe SRO vient aux droits des sociétés Doosan Benelux SA et Doosan Infracore Europe SA.

Par conclusions notifiées le 4 juillet 2022, la société Doosan Infracore Europe SRO demande à la cour d'appel de :

- juger son appel recevable,

- juger irrecevable l'appel incident des sociétés Valenzisi et Generali,

- confirmer le jugement en ce qu'il a acté qu'elle vient aux droits des sociétés Doosan Benelux SA et Doosan Infracore Europe SA,

- réformer le jugement en toutes ses autres dispositions,

en conséquence et statuant de nouveau,

- débouter les sociétés Valenzisi et Generali de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions formées à son encontre,

- débouter les sociétés Nouvelle FCE TP et Vigneau Matériels Forestiers de l'ensemble de leurs demandes reconventionnelles et/ou en garantie, fins et conclusions formées à son encontre,

- à titre très subsidiaire, juger que la clause limitative de garantie conclue avec la société Nouvelle FCE TP est valide et opposable à l'ensemble des parties, excluant l'engagement de la garantie du constructeur,

en toutes hypothèses,

- juger valide et opposable à l'ensemble des parties la clause limitative de responsabilité conclue avec la société Nouvelle FCE TP et juger par conséquent que sa garantie est limitée à l'égard de l'ensemble des parties à la somme maximale de 165 000 euros au titre des deux pelles objet du litige,

juger que les frais de location d'une pelle de remplacement son injustifiés,

- condamner solidairement les sociétés Valenzisi et Generali IARD ou tout succombant à lui verser la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- mettre les dépens et les frais irrépétibles de la première instance comme de la présente instance à la charge des sociétés Valenzisi et Generali IARD ou tout succombant.

Elle conclut au rejet des demandes de condamnations formulées contre elle par les autres parties :

- en invoquant, à titre principal, l'application du droit belge et l'absence de démonstration par les sociétés Valenzisi et Generali du bienfondé de leurs demandes au regard de ces dispositions,

- à titre subsidiaire, sur l'absence de vice caché (absence de vice car les pelles sont propres à leur destination; si un vice existe, il n'était pas caché dès lors que les acquéreurs finaux ne pouvaient ignorer de que les pelles n'étaient pas conçues pour un usage exclusivement forestier ; le vice n'était pas antérieur à la vente des pelles à la société Nouvelle FCE TP), de défaut de conformité et de manquement au devoir de conseil.

A titre très subsidiaire, la société Doosan Infracore Europe SRO invoque les clauses élusive et limitative de garantie insérées dans le contrat de distribution conclu avec la société Nouvelle FCE TP, qu'elle estime opposables à celle-ci et à tout sous-acquéreur de la chaîne de contrats en cause.

Par conclusions du 8 août 2022, la SA Generali IARD et la SARL Valenzisi sollicitent de la cour d'appel de :

- confirmer le jugement en ce qu'il :

- dire le droit français seul applicable au litige à l'exclusion de tout autre,

- dire que les sociétés Nouvelle FCE TP, Vigneau Matériels Forestiers et Dossan Infracore Europe SRO ont engagé leur garantie au titre des vices cachés sur les pelles vendues,

- dire que ces sociétés ont manqué à leur obligation de délivrance d'un bien conforme,

- déclarer les clauses contractuelles évoquées par la société Doosan Infracore Europe SRO non opposables aux parties adverses,

- les recevoir en leur appel incident,

- réformer le jugement en ce qu'il :

- condamne la seule société Doosan Infracore Europe SRO, à l'exception des sociétés Nouvelle FCE TP et Vigneau Matériels Forestiers à indemniser la société Generali IARD pour un montant de 137 625 euros,

- condamne les seules sociétés Nouvelle FCE TP et Vigneau Matériels Forestiers, à l'exception de la société Doosan Infracore Europe SRO à indemniser la société Generali IARD pour un montant chacune de 68 812,50 euros,

- condamne la seule société Doosan Infracore Europe SRO, à l'exception des sociétés Nouvelle FCE TP et Vigneau Matériels Forestiers à indemniser la société Valenzisi pour un montant de 8'287,44 euros,

- condamne les seules sociétés Nouvelle FCE TP et Vigneau Matériels Forestiers, à l'exception de la société Doosan Infracore Europe SRO à indemniser la société Valenzisi pour un montant chacune de 4 143,72 euros et ce, avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation en référé signifiée le 17 juin 2016,

statuant à nouveau,

- juger qu'elles justifient de leur subrogation dans les droits et actions des crédit-bailleurs,

- juger que seule la loi française est applicable à l'action en garantie légale des vices cachés, y compris à l'égard de la société Doosan Infracore SRO,

- prononcer la résolution des ventes des deux pelles au titre de la garantie des vices cachés,

- condamner in solidum les sociétés Nouvelle FCE TP, Vigneau Matériels Forestiers et Doosan Infracore Europe SRO à payer à la société Generali la somme de 140 500 euros au titre de l'incendie de la pelle n°1374 et ce, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en référé signifiée le 17 juin 2016 ;

- condamner in solidum les sociétés Nouvelle FCE TP, Vigneau Matériels Forestiers et Doosan Infracore Europe SRO à payer à la société Generali la somme de 134 750 euros au titre de l'incendie de la pelle n°1378 et ce, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en référé signifiée le 17 juin 2016 ;

- condamner in solidum les sociétés Nouvelle FCE TP, Vigneau Matériels Forestiers et Doosan Infracore Europe SRO à payer à la société Valenzisi la somme de 16 574,88 euros au titre de la location du matériel de remplacement,

subsidiairement,

- condamner in solidum les sociétés Nouvelle FCE TP, Vigneau Matériels Forestiers et Doosan Infracore Europe SRO à payer à la société Generali la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner in solidum les sociétés Nouvelle FCE TP, Vigneau Matériels Forestiers et Doosan Infracore Europe SRO aux entiers dépens de l'instance.

Les sociétés Generali et Valenzisi affirment qu'elles sont subrogées dans les droits et actions des crédits-bailleurs et fondent leur action, à titre principal, sur la garantie des vices cachés, subsidiairement, sur un manquement des sociétés Nouvelle FCE TP, Vigneau Matériels Forestiers et Doosan Infracore Europe SRO à l'obligation de délivrance conforme et plus subsidiairement, sur un manquement de la société Vigneau Matériels Forestiers à son devoir de conseil en sa qualité de vendeur professionnel à l'égard des sociétés Lixxbail et Natixis Lease

S'agissant de la garantie des vices cachés, elles invoquent un défaut de conception des pelles qui les rend impropres à l'usage auquel celles-ci étaient destinées, soit un usage forestier, dès lors qu'elles ont été vendues comme telles aux crédits-bailleurs. Elles contestent que les conditions d'entretien des machines soient en cause.

Au soutien de leur moyen subsidiaire pris d'un manquement à l'obligation de délivrance conforme, les sociétés Valenzisi et Generali affirment que les machines livrées ne sont pas conformes aux caractéristiques convenues notamment pour une possible utilisation en milieu forestier, laquelle était connue de toutes les parties s'agissant d'un usage non prohibé.

Elles reprochent également un manquement de la société Vigneau Matériels Forestiers, vendeur professionnel, à son devoir de conseil envers les deux sociétés de crédit-bail, qui ne sont pas des professionnels de même spécialité, faute de les avoir mises en garde à propos d'un risque d'incendie accru des pelles de nouvelle génération.

Par conclusions notifiées le 6 mai 2022, la SAS Société Nouvelle FCE TP demande à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement en ce qu'il :

- donne acte à la société Doosan Infracore Europe SRO de son intervention volontaire aux droits des sociétés Dossan Benelux SA et de Doosan Infracore Europe SA,

- dit la loi française seule applicable au litige,

- déclare les clauses contractuelles évoquées par Doosan Infracore SRO non opposables aux parties adverses,

- déclarer Dossan Infracore Europe SRO partiellement fondée en son appel,

- si par impossible, la cour estimait les clauses de désignation de la loi belge inopposable à son égard sans pour autant retenir la loi française, ordonner la réouverture des débats et inviter les parties à conclure au visa de la convention de Vienne de 1980 relative aux contrats de vente internationale de marchandises,

- déclarer FCE TP bien fondée en son appel incident,

- infirmer le jugement en ce qu'il :

- dit que la société Nouvelle FCE TP a engagé sa garantie au titre des vices cachés sur les pelles vendues,

- 'dit que les sociétés Doosan Nouvelle FCE TP a manqué à son obligation de délivrance d'un bien conforme'

- la condamne à indemniser la société Valenzisi pour un montant de 4 143,72 euros et ce avec intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation en référé signifiée le 17 juin 2016,

- la déboute de ses autres demandes et prétentions,

la condamne solidairement avec les sociétés Doosan Infracore Europe SRO et Vigneau Matériels Forestiers à payer à la société Generali IARD la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance,

statuant à nouveau, de :

- déclarer les sociétés Valenzisi et Generali irrecevables en leurs demandes,

- subsidiairement, les déclarer mal fondées en leurs demandes dirigées contre elle,

- plus subsidiairement, dire que sa part de responsabilité ne peut être que résiduelle et minime et la fixer dans de très faibles proportions en sa qualité de vendeur intermédiaire sans lien direct avec les acheteurs et utilisateurs finaux,

- la dire bien-fondée à opposer à la société Vigneau Matériels Forestiers les clauses de limitation de garantie contractuelles ainsi qu'aux sous-acquéreurs dont la société Valenzisi et Generali IARD subrogée,

- déclarer la société Valenzisi mal fondée en sa demande d'indemnisation de son préjudice de jouissance et de location d'une machine de remplacement pour la somme de 16 574,88 euros liée à l'immobilisation des machines,

- dire et juger que le montant des dommages intérêts devra alors être limité à la somme de 188 200 euros HT correspondant aux matériels qu'elle a vendus, à l'exclusion du coût des ajouts effectués par la société Vigneau,

en tout été de cause, si par impossible, le jugement était confirmé sur sa responsabilité,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la société Doosan Infracore Europe SRO a manqué à son obligation d'information liée aux produits vendus et en ce que les clauses élusives et limitatives de garantie invoquées par la société Doosan ne lui sont pas opposables,

- l'infirmer pour le surplus et condamner les sociétés Doosan et Vigneau à la garantir intégralement de l'ensemble des sommes mises à sa charge en leur qualité de constructeur fabricant d'une part, et d'acheteur professionnel et installateur de matériels ajoutés aux deux machines litigieuses, d'autre part,

- condamner in solidum les sociétés Generali et Valenzisi ou tout succombant aux dépens et à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeter toute demande adverse au titre de l'article 700 du code de procédure civile et dommages intérêts,

- déclarer les sociétés Generali et Valenzisi mal fondées en leur appel incident,

- débouter les sociétés Generali, Valenzisi, Vigneau et Doosan de toutes autres demandes, fins ou conclusions plus amples ou contraires,

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté l'appel en garantie de la société Vigneau dirigé contre elle,

- les condamner également in solidum aux dépens.

La SAS Vigneau Matériels Forestiers n'a pas constitué avocat.

La déclaration d'appel lui a été signifiée le 4 octobre 2021 à personne. L'arrêt est donc réputé contradictoire par application de l'article 473 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur l'objet de l'appel

Aucune partie ne demande l'infirmation du chef du jugement prenant acte de ce que la société Doosan Infracore Europe SRO vient aux droits des sociétés Doosan Benelux SA et Doosan Infracore Europe SA.

La demande de confirmation de ce chef est donc sans objet.

Sur la recevabilité de l'appel incident des sociétés Valenzisi et Generali

La société Doosan invoque l'article 551 du code de procédure civile et l'article 954 en ce qu'il prévoit que les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune des ces prétentions est fondée et que la partie qui conclut à l'infirmation du jugement, doit expressément énoncer les moyens qu'elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance.

Elle soutient que les conclusions par lesquelles les sociétés Valenzisi et Generali ont formé leur appel incident ne sont pas conformes en ce qu'elles ne comportent pas de moyens à l'appui de leur demande d'infirmation des condamnations prononcées séparément contre elles, d'une part et contre les sociétés Nouvelle FCE TP et Vigneau, d'autre part.

Elle en conclut que la cour d'appel n'est pas valablement saisie de cet appel incident.

La circonstance éventuelle que les appelants incidents ne développeraient pas de moyens à l'appui de leur contestation n'est pas de nature à invalider la saisine de la cour des chefs contestés, mais simplement de ne saisir la juridiction d'aucun moyen.

En conséquence, la fin de non-recevoir invoquée par la société Doosan Infracore Europe SRO doit être rejetée.

Sur le droit applicable

La société Doosan invoque les conditions générales des contrats de vente et du contrat de distribution qu'elle a conclus avec la société Nouvelle FCE TP pour conclure que seul le droit belge est applicable aux demandes et actions dérivant de la vente des pelles.

Le contrat de distribution conclu entre la société Doosan et la société Nouvelle FCE TP est libellé en anglais et la société Doosan, qui l'invoque, n'en propose pas de traduction libre. Or, si le document intitulé «'schedule H'» qui figure en annexe 17, est en partie similaire à l'article 19 des conditions générales des contrats de vente dont la société Doosan propose une traduction libre, qui tend à désigner la loi belge, le contrat en lui-même comporte un article 19 qui paraît désigner la loi irlandaise.

Dans ces conditions, l'absence de production d'une traduction en langue française impose d'écarter cette pièce, dont les termes paraissent contradictoires, puisqu'il est impossible de procéder à son interprétation.

Les factures d'achat des deux pelles portent, quant à elles, la mention, au pied du recto et du verso, 'les conditions générales reprises au verso (ci-après) sont applicables au contrat' et la société Doosan joint un document intitulé 'schedule H', qu'aucun élément ne permet cependant de relier intellectuellement ou matériellement aux factures.

Il est donc impossible de vérifier que ces conditions sont bien celles qui ont fait l'objet d'un accord entre les parties et qu'elles régissent les ventes des pelles en cause.

En conséquence, il ne saurait être fait application de la clause de choix incluse dans ces conditions générales et il sera fait application de la loi française, sur le fondement de laquelle la société Doosan conclut à titre subsidiaire. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur la recevabilité des demandes des sociétés Valenzisi et Generali IARD

- Demandes relatives à la pelle n°1374

La SA Lixxbail et la société Valenzisi ont conclu une transaction, le 22 janvier 2018, aux termes de laquelle la pelle n°1374 a été cédée par la première à la seconde. La société Valenzisi a donc qualité d'acquéreur final de la pelle.

La machine ayant été au préalable vendue par la société Doosan, à la société FCE TP, puis successivement à la société Vigneau et à la société Lixxbail, il apparaît ainsi que les parties sont liées par une chaîne de contrats translative de propriété pour ce qui concerne la pelle n°1374.

Suivant quittance subrogative du 5 février 2016, la société Valenzisi reconnaît avoir reçu de la société Generali IARD la somme de 140 500 euros à titre d'indemnité définitive à la suite du sinistre ayant atteint la pelle n°1374 et déclare l'assureur subrogé dans ses droits et actions contre tout responsable du sinistre en application de l'article L121-12 du code des assurances.

Il est constant que, dans les chaînes de contrats acquisitives de propriété, le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartenait à son auteur (Ass. plén., 7 février 1986, pourvoi n° 83-14.631).

En conséquence, la société Valenzisi et la société Generali, en partie subrogée dans les droits de celle-ci, sont recevables à exercer les actions contractuelles attachées à la pelle n°1374. Le jugement sera confirmé de ce chef.

- Demandes relatives à la pelle n°1378

Les sociétés Valenzisi et Generali produisent la facture de vente de la pelle n°1378 par la société FCE TP à la société Vigneau.

La facture de vente entre la société Vigneau et la société Natixis Lease mentionne en revanche une pelle portant le numéro de série 5116 et le contrat conclu entre la société Natixis Lease et la société Valenzisi n'indique aucun numéro de série qui permette d'identifier le bien donné en location.

L'expert a bien constaté que la pelle utilisée par la société Valenzisi, qui a pris feu le 5 novembre 2015 et sur laquelle ses opérations ont porté, est la pelle n°1378.

Cependant, les conditions dans lesquelles la société Valenzizi est entrée en possession de cette pelle sont incertaines, compte tenu des mentions de la facture de vente entre les sociétés Vigneau et Natexis Lease et du contrat de crédit bail mobilier produits.

Dans ces conditions, la société Valenzisi ne démontre pas qu'elle a acquis la propriété de la pelle n°1378 et, ainsi, qu'elle dispose, en tant que sous-acquéreur final, de tous les droits et actions attachés à la chose.

Elle n'est donc pas recevable à agir, tant au titre de la garantie des vices cachés, que de l'obligation de délivrance conforme et du devoir de conseil du vendeur professionnel à l'égard de l'acquéreur, qui supposent l'existence d'une succession de contrats de vente.

La société Valenzisi et la société Generali, qui invoque une subrogation dans les droits de cette dernière, doivent donc être déclarées irrecevables en leurs demandes relatives à la pelle n°1378 et le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les désordres et leur cause

L'expert judiciaire indique que la pelle n°1374 a été partiellement détruite par l'incendie du 29 octobre 2015 et qu'elle est irréparable.

Il précise que les modifications apportées par la société Vigneau ont consisté en :

- pose de plaques en tôle épaisse le long de la flèche afin de protéger les canalisations hydrauliques,

- renforcement de la protection de la cabine face aux chutes d'arbres,

- mise en place de pièces empêchant la perte des chenilles de traction en terrain difficile,

- remplacement des capots de protection du moteur, des échangeurs et des distributeurs par des éléments métalliques plus résistants que les protections plastiques d'origine et grillagés pour limiter l'introduction de débris végétaux.

Il estime que le blindage recouvrant le compartiment moteur n'affecte pas la circulation de l'air dans cette partie de la machine et a relevé des températures similaires sur des pelles modifiées par la société Vigneau et sur des pelles non modifiées par celle-ci.

Il ressort de ses travaux que :

- l'origine du sinistre est localisée au niveau des points chauds du moteur, principalement le turbo compresseur et le catalyseur,

- ces points chauds sont très facilement atteints par quelques débris végétaux étant donné l'environnement de travail forestier ; ces débris sont amenés par le flux d'air nécessaire au refroidissement du compartiment moteur et constituent le premier combustible nécessaire à l'incendie ; une fois le feu initié, les câbles électriques et tuyaux de gasoil s'embrasent et propagent les flammes ; le risque d'incendie augmente très rapidement avec la quantité de ces débris végétaux, selon une loi plus proche de l'exponentielle que de la simple proportionnalité,

- le nettoyage est donc un facteur extrêmement important ; sur la machine n°1374, des débris végétaux partiellement calcinés ont été retrouvés, mais en quantité réduite pouvant résulter d'une journée de travail ; l'expert en conclut à l'absence de manquement de l'entreprise Valenzisi au regard de l'obligation de nettoyage mentionnée dans le livret d'utilisation de la machine,

- le second point extrêmement important est la température atteinte par les points chauds du moteur ; l'expert a relevé en utilisation normale des températures jusqu'à 250 degrés celsius au niveau de l'échappement et jusqu'à 350 degrés en pointe, ces valeurs s'entendent pour des machines parfaitement propres et elles sont sensiblement les mêmes pour une machine Doosan non modifiée et pour une machine adaptée par les établissements Vigneau,

- les statistiques sur les machines utilisées en milieu forestier montrent une différence extrêmement nette entre le modèle LCR140 de première génération et le modèle suivant, LCR140-3 ; les établissements Vigneau ont constaté 45 % de machines forestières brûlées après 2 200 heures de fonctionnement pour le modèle LCR140-3, tandis que le modèle LCR140 de première génération présente un taux d'incendie inférieur à 6% après 6 400 heures de fonctionnement ; cette différence s'explique par les modifications suivantes :

- la présence d'un catalyseur d'oxydation dans la partie échappement du moteur LCR140-3, qui n'est pas présent sur la première génération ; elle ne peut être reprochée au constructeur puisque cela découle de la législation sur les émissions polluantes des moteurs diesel, mais cette technologie amène forcément une température plus élevée à cet endroit,

- la modification de l'entrée d'air du moteur et de la configuration des échangeurs qui induisent une sensibilité beaucoup plus grande à la pollution par les débris végétaux, à la fois par engorgement plus rapide du filtre à air et par le piégeage des débris autour du refroidisseur d'air de suralimentation ; le manque d'efficacité de refroidissement de l'air entrant dans le moteur augmente alors très fortement la température au niveau de l'échappement et du catalyseur ; ces modifications n'ont pas de justification technologique et elles entraînent une augmentation supplémentaire importante de la température, le risque d'inflammation de tout débris combustible entrainé par l'air de refroidissement à cet endroit devient alors extrêmement grand ; cette conception ne pose pas de problème pour des applications de type terrassement ou travaux routiers, mais elle n'apparaît pas compatible avec un travail dans un environnement forestier où les risques d'incendies sont bien plus élevés.

Sur la garantie des vices cachés

Selon l'article 1641 du code civil : « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, on n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ».

Il est constant que la garantie des vices cachés est un accessoire juridique de la chose vendue, qui se transmet avec celle-ci aux sous-acquéreurs.

Dans un courrier du 11 janvier 2013 destiné à la société Vigneau, la société Doosan écrit : «'suite à nos entretiens avec la société FCE TP concernant la garantie des matériels de la marque Doosan modifiés par vos soins pour les revendre en application forestière, nous vous confirmons que toutes les parties des matériels qui n'ont pas été modifiées seront garanties selon les termes de garanties standard'».

Il en ressort que la société Doosan avait connaissance de l'usage de ses pelles pour des travaux forestiers et qu'elle n'a pas interdit, ni même déconseillé un tel usage au motif qu'il ne s'agirait pas d'un usage auquel ces machines sont destinées.

La société Dossan fait valoir que ce courrier a été émis alors que les pelles en cause étaient du modèle DX140LCR, mais force est de constater que le fascicule de présentation des pelles de modèle DX140LCR-3 et le manuel de fonctionnement et de maintenance ne comportent pas de mention faisant interdiction d'un usage en milieu forestier ou limitant l'usage normal aux travaux de type terrassement ou travaux routiers, alors même qu'elle savait que certaines de ses machines étaient utilisées en milieu forestier.

Il est donc tenu pour établi que l'usage des pelles en milieu forestier est conforme à leur destination normale.

L'origine de l'incendie a été identifiée par l'expert comme l'inflammation de débris végétaux sur les points chauds du moteur, ce qui n'est pas contesté par les parties.

Le manuel de fonctionnement et de maintenance préconise le retrait régulier des débris inflammables (feuilles, paille, notamment), ainsi que la vérification et le nettoyage du compartiment moteur chaque jour afin d'éviter les risques d'incendie.

Les preuves que la société Doosan invoque de la présence de débris en grande quantité concernent d'autres pelles que la numéro 1374, sur laquelle l'expert dit au contraire avoir relevé des débris en quantité réduite. Il n'est donc pas établi que la société Valenzisi aurait été défaillante dans l'entretien de la machine.

En outre, M. [B] indique que la température atteinte est un élément fondamental et qu'une faible quantité de débris végétaux suffit, dans un environnement bien chaud et riche en graisse, élastomère et fluide d'hydrocarbures, à amorcer un incendie. Il ajoute même que les mises en garde du manuel d'utilisation et la préconisation d'un nettoyage régulier sont insuffisants au vu de la très grande vitesse de dépôt des débris végétaux en milieu forestier et de la grande susceptibilité à l'incendie du modèle DX140LCR-3.

Dans ces conditions, la société Doosan ne peut valablement soutenir que l'incendie n'aurait pu survenir si les préconisations d'entretien avaient été respectées.

Le risque d'inflammation, qualifié d'extrêmement grand par l'expert, de tout débris combustible entraîné par l'air de refroidissement en raison des modifications apportées sur le nouveau modèle, DX140LCR-3 au point de rendre la machine incompatible avec un travail dans un environnement forestier dans des conditions de sécurité acceptables et que même un nettoyage régulier ne permet pas de prévenir, caractérise un défaut de la machine la rendant impropre à l'usage auquel on la destine et non pas seulement une diminution d'agrément ou une augmentation des contraintes d'utilisation.

Ce vice, lié à la conception du nouveau modèle et non aux modifications apportées par la société Vigneau, était nécessairement antérieur à la première vente constituant la chaîne de contrats portant sur la pelle.

La société Valenzisi, dont la société Doosan indique elle-même qu'elle est spécialisée dans les travaux sylvicoles et forestiers, ne peut être considérée comme professionnel de même qualité que cette dernière, fabricant de pelles sur chenilles, quand bien même ces pelles peuvent être utilisées en milieu forestier. La présomption de connaissance du vice par le vendeur professionnel ne trouve donc pas à s'appliquer à la société Valenzisi.

La grande susceptibilité de la pelle à l'incendie en raison de sa nouvelle conception, qui rend la chose impropre à sa destination, n'a été révélée que par l'expertise et se trouvait donc cachée lors de la vente initiale et la société Doosan ne peut invoquer les avertissements du manuel de fonctionnement sur les risques d'incendie à défaut d'un nettoyage régulier pour établir le contraire, alors que l'expert conclut que même ces préconisations sont insuffisantes à prévenir un tel risque.

Les conditions de la garantie des vices cachées sont donc réunies au profit de la société Valenzisi, au titre des contrats de vente intervenus successivement entre les sociétés Doosan, FCE TP, Vigneau et Lixxbail.

Sur les effets de la garantie des vices cachés

- Les clauses exclusives et limitatives de garantie

L'article 1643 du code civil prévoit que le vendeur est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.

Le vendeur qui, ayant connaissance d'un vice lors de la conclusion du contrat, stipule qu'il ne le garantira pas, est tenu à garantie, nonobstant cette clause (civ 3ème, 16 décembre 2009).

Le vendeur professionnel, qui est présumé connaître les vices, ne peut donc se prévaloir d'une clause de non garantie des vices cachés, à moins que l'acheteur soit de même spécialité et que le vice ne soit pas indécelable (Com, 3 février 1998, Bull civ 1998, IV n°60 ' Civ 3ème, 28 février 2012 n°11-10.705).

La société FCE TP se prévaut de l'article 17 de ses conditions générales de vente, notamment en ce qu'il stipule que l'acheteur perdra le bénéfice des garanties légales et conventionnelles en cas d'utilisation anormale ou abusive du matériel, de réparations ou de toutes interventions exécutées par des personnes étrangères au vendeur ou non agréées par lui ou par le constructeur et de détérioration ou d'accidents résultant d'un défaut de surveillance ou d'entretien.

La société Valenzisi tient de la société Vigneau son droit à agir en garantie des vices cachés contre la société FCE TP.

Ces deux sociétés ne sont pas de même spécialité, puisque la société FCE TP revend en France le matériel fabriqué par la société Doosan, tandis que la société Vigneau est spécialisée dans la transformation et la vente de pelle à destination forestière.

En outre, le vice résultant du défaut de conception du nouveau modèle de pelle, révélé par l'expertise, était indécelable lors de la vente de la machine à la société Vigneau dès lors qu'il résulte de modifications apportées à l'ancien modèle, qui ne sont pas mises en lumière dans le manuel d'utilisation.

La société FCE TP ne peut donc opposer à la société Valenzisi la clause d'exclusion de garantie qu'elle ne pourrait opposer à la société Vigneau.

La société Doosan invoque, pour sa part, une clause élusive de garantie et une clause limitative de responsabilité stipulées respectivement aux articles 13 et 14 des conditions générales de vente, dont il a été précédemment établi qu'il n'était pas démontré qu'elles s'appliquaient bien à ladite vente et qu'elles étaient donc entrées dans le champ contractuel. Il n'y a donc pas lieu d'en faire application.

- La résolution et les dommages intérêts

Il résulte de l'article 1644 du code civil que l'acheteur a la choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.

L'article 1645 prévoit que si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages intérêts envers l'acheteur.

La recevabilité de l'action en réparation du préjudice éventuellement subi du fait d'un vice caché n'est pas subordonnée à l'exercice d'une action rédhibitoire, de sorte que cette action peut être engagée de manière autonome.

La société Valenzisi demande le remboursement des frais de location qu'elle a exposés pour remplacer la pelle. Elle produit, sans distinguer suivant la pelle dont le remplacement est en cause, d'une part, des factures établis par la société EMS, pour la période du 1er novembre 2015 au 29 février 2016 et d'autre part, des factures sans en-tête, pour la période du 27 novembre 2015 au 15 février 2016. Elle demande ainsi réparation pour la période antérieure au versement de l'indemnité par la société Generali IARD

Les factures de la société EMS ne peuvent être retenues dans la mesure où elles font état d'un bon de sortie du 28 octobre 2015, soit une date antérieure à l'incendie de la pelle n°1374 qu'il s'agissait de remplacer et qui a pris feu le 29 octobre 2015, de sorte qu'elles ne peuvent être justifiées par la nécessité de remplacer cette machine.

L'autre série de factures ne peut être écartée au seul motif que celles-ci ne portent pas d'en-tête. Les deux premières portent la mention «'remise accordée suite arrêt machine pelle n°1374'». Elles permettent donc de justifier du coût de location d'une pelle de remplacement pour la machine sinistrée, lequel est en l'espèce de 7 590 euros. Les sociétés Doosan et FCE TP ne produisent pas d'éléments de nature à contredire cette évaluation, qu'il convient donc de retenir.

Il a été précédemment établi que le vice caché affectant la pelle n°1374, qui a conduit la société Valenzisi à exposer des frais pour remplacer ladite pelle, est antérieur à la première vente, passée entre la société Doosan et la société FCE TP.

La société Doosan, fabricant, et les sociétés FCE TP et Vigneau, vendeurs professionnels, sont tenues de connaître les vices affectant la chose vendue. Elles sont donc tenues de tout dommage résultant de ce que la chose viciée n'a pas pu rendre les services escomptés, sans pouvoir opposer un partage de responsabilité à l'acquéreur dès lors qu'elles sont toutes tenues à la garantie des vices cachés de la pelle.

En conséquence, les sociétés Doosan, FCE TP et Vigneau seront condamnées in solidum à payer à la société Valenzisi la somme de 7 590 euros et le jugement sera infirmé de ce chef.

La Generali IARD et la société Valenzisi sollicitent la résolution de la vente intervenue entre la société Vigneau et son auteur, la société Lixxbail et la société Generali IARD demande le remboursement de l'indemnité qu'elle a versée à la société Valenzisi au titre de la valeur de la pelle.

Le vice caché du bien vendu entre ces parties justifie qu'il soit fait droit à la demande de résolution de la vente conclue entre les sociétés Vigneau et Lixxbail.

La société Generali IARD produit une quittance subrogative du 5 février 2016 aux termes de laquelle elle a versé à la société Valenzisi la somme de 140 500 euros, correspondant à la valeur de la pelle avant sinistre, à dire d'expert.

Si la société Generali IARD, subrogée dans les droits de la société Valenzisi, est fondée à obtenir le paiement de cette somme en conséquence de la résolution du contrat de vente, elle ne le peut que contre le vendeur au contrat résolu, donc la société Vigneau, à l'exception des autres parties, dont les sociétés Valenzisi et Generali IARD ne demandent pas la résolution des contrats.

Le prix de la vente passée'entre les société Vigneau et Lixxbail est de 190 800 euros. Il convient donc de faire droit à la demande de la société Generali en lui allouant la somme de 140 500 euros, que la société Vigneau seule sera donc condamnée à lui payer, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation délivrée le 8 février 2019, équivalant à la sommation de payer prévue par l'article 1231-6 du code civil. Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les appels en garantie

Il n'a été établi aucun manquement de la société Valenzisi dans l'entretien et l'utilisation de la pelle n°1374.

Les modifications apportées par la société Vigneau n'ont pas contribué à la survenue de l'incendie.

En conséquence, la société FCE TP n'est pas fondée à obtenir un partage de responsabilité avec ces deux sociétés.

La société Doosan est seule à l'origine du vice en cause, qui résulte d'un défaut de conception et aucun manquement n'est relevé à l'encontre de la société FCE TP. Celle-ci est donc fondée à solliciter sa condamnation à la relever et garantir des sommes mises à sa charge.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les sociétés Doosan, FCE TP et Vigneau, parties condamnées, doivent supporter les dépens de première instance et d'appel et leurs demandes en paiement fondées sur l'article 700 du code de procédure civile doivent être rejetées.

Le jugement sera donc confirmé de ces chefs.

Il est équitable d'allouer à la société Generali IARD la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à la charge in solidum des sociétés Doosan, FCE TP et Vigneau.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par la société Doosan Infracore Europe SRO,

Infirme le jugement rendu le 10 juin 2021 par le tribunal de commerce de Châlons-en-Champagne en ce qu'il :

- dit que la société Valenzisi et son assureur, la société Generali IARD, ont intérêt à agir pour les actions liées à la pelle 1378 et qu'elles sont recevables en leurs actions,

- condamne la société Doosan Infracore Europe SRO à indemniser la société Generali IARD pour un montant de 137 625 euros,

- condamne les sociétés Vigneau Matériels Forestiers et Nouvelle FCE TP à indemniser la société Generali IARD pour un montant chacune de 68 812,50 euros,

- condamne la société Doosan Infracore Europe SRO à indemniser la société Valenzisi pour un montant de 8 287,44 euros,

- condamne les société Vigneau Matériels Forestiers et Nouvelle FCE TP à indemniser la société Valenzisi pour un montant chacune de 4 143,72 euros et ce, avec intérêt au taux légal à compter de la date de l'assignation en référé signifiée le 17 juin 2016,

Statuant à nouveau sur ces seuls chefs,

Déclare la SARL Valenzisi et la SA Generali IARD irrecevables en leurs demandes relatives à la pelle n°1378,

Condamne in solidum la société Doosan Infracore Europe SRO, la SAS Société Nouvelle FCE TP et la SAS Vigneau Matériels Forestiers à payer à la SARL Valenzisi la somme de 7 590 euros au titre du coût de location d'une pelle de remplacement,

Condamne la SAS Vigneau Matériels Forestiers à payer à la SA Generali IARD la somme de 140'500 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 8 février 2019,

Condamne la société Doosan Infracore Europe SRO à garantir la SAS Société Nouvelle FCE TP des sommes mises à sa charge au titre du coût de location d'une pelle de remplacement,

Y ajoutant,

Condamne in solidum la société Doosan Infracore Europe SRO, la SAS Société Nouvelle FCE TP et la SAS Vigneau Matériels Forestiers à payer à la SA Generali IARD la somme de 3 000 euros pour ses frais irrépétibles d'appel,

Déboute la société Doosan Infracore Europe SRO et la SAS Société Nouvelle FCE TP de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum la société Doosan Infracore Europe SRO, la SAS Société Nouvelle FCE TP et la SAS Vigneau Matériels Forestiers aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ere chambre sect.civile
Numéro d'arrêt : 21/01557
Date de la décision : 25/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-25;21.01557 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award