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19/10/2022 | FRANCE | N°21/01485

France | France, Cour d'appel de Reims, Chambre sociale, 19 octobre 2022, 21/01485


Arrêt n°

du 19/10/2022





N° RG 21/01485





MLS/FJ









Formule exécutoire le :







à :



COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 19 octobre 2022





APPELANT :

d'un jugement rendu le 8 juillet 2021 par le Conseil de Prud'hommes de TROYES, section Industrie (n° F 20/00027)



Monsieur [V] [U]

[Adresse 3]

[Localité 1]



Représenté par la SELARL CORINNE LINVAL, avocats au barreau d

e l'AUBE





INTIMÉE :



SAS ARIES PACKAGING

[Adresse 4]

[Localité 2]



Représentée par Me Mehdi LEFEVRE-MAALEM, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS :



En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 d...

Arrêt n°

du 19/10/2022

N° RG 21/01485

MLS/FJ

Formule exécutoire le :

à :

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 19 octobre 2022

APPELANT :

d'un jugement rendu le 8 juillet 2021 par le Conseil de Prud'hommes de TROYES, section Industrie (n° F 20/00027)

Monsieur [V] [U]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par la SELARL CORINNE LINVAL, avocats au barreau de l'AUBE

INTIMÉE :

SAS ARIES PACKAGING

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Mehdi LEFEVRE-MAALEM, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 7 septembre 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Christine ROBERT-WARNET, président de chambre, chargé du rapport, qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 19 octobre 2022.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Madame Christine ROBERT-WARNET, président

Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller

Mme Isabelle FALEUR, conseiller

GREFFIER lors des débats :

Monsieur Francis JOLLY, greffier

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Exposé des faits :

Monsieur [H] [U], salarié de la SAS ARIES PACKAGING depuis le 1er mars 2015 en qualité d'automaticien, a été licencié pour cause réelle et sérieuse le 3 septembre 2018.

Le 14 février 2020, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Troyes de demandes tendant à :

- faire déclarer recevable son action,

- faire dire nul son licenciement,

- faire condamner l'employeur à lui payer les sommes suivantes :

. 8 998,40 euros au titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2017,

. 899,84 euros à titre de congés payés afférents,

. 5 598,62 euros de contrepartie obligatoire en repos pour l'année 2017,

. 4 637,96 euros de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2018,

. 463,79 euros de congés payés afférents,

. 790,06 euros de contrepartie obligatoire en repos pour l'année 2018,

. 408,51 euros de rappels indemnité de licenciement,

. 4 292,88 euros d'indemnité compensatrice de préavis,

. 20'000,00 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés de la déloyauté contractuelle,

. 10'000,00 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du manquement de l'employeur à l'obligation de formation,

. 30'000,00 euros de dommages-intérêts en réparation de préjudices économiques,

. 23'433,06 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du travail dissimulé,

. 3 000,00 euros sur le fondement l'article 700 du code de procédure civile.

En réplique, la société employeur a demandé au conseil de prud'hommes de déclarer irrecevable l'action du salarié en contestation de son licenciement et en paiement de l'indemnité pour travail dissimulé, de le débouter de l'ensemble de ses demandes et de le condamner au paiement d'une somme de 5 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 8 juillet 2021, le conseil de prud'hommes a déclaré le salarié irrecevable en sa demande de contestation de la rupture du contrat de travail, recevable en ses demandes au titre du travail dissimulé, du harcèlement managérial et de la déloyauté contractuelle, a débouté le salarié de ses demandes, a débouté la société employeur de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 19 juillet 2021, le salarié a régulièrement interjeté appel du jugement, sauf en ce qu'il a déclaré recevables certaines de ses demandes.

Dans ses dernières écritures en date du 27 juin 2022, l'appelant demande à la cour :

- de déclarer son appel recevable,

- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement en ce qu'il l'a débouté de l'intégralité de ses demandes et déclarées irrecevables ses demandes au titre de la rupture du contrat,

- de condamner l'employeur à lui payer les sommes suivantes :

. 30'000,00 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement nul,

. 10'000,00 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

. 10'355,23 euros de rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2017,

. 1 035,32 euros de congés payés afférents,

. 5 590,62 euros de contrepartie obligatoire en repos pour l'année 2017,

. 559,00 euros de congés payés afférents,

. 4 486,52 euros d'heures supplémentaires pour l'année 2018,

. 448,65 euros de congés payés afférents,

. 749,28 euros de contrepartie obligatoire en repos pour l'année 2018,

. 670,04 euros de rappel d'indemnité de licenciement,

. 6 842,25 de rappel d'indemnité compensatrice de préavis,

. 684,22 euros de congés payés afférents,

. 10'000,00 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du manquement de l'employeur à l'obligation de formation,

. 20'000,00 euros de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du manquement à l'obligation de sécurité,

. 23'888,00 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- d'assortir les condamnations d'intérêts légaux à compter de la saisine du conseil de prud'hommes pour les créances salariales et à compter de la décision pour les créances indemnitaires,

- d'ordonner la capitalisation des intérêts,

- de condamner la société employeur à lui verser la somme de 4 200,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- de condamner l'employeur aux dépens de première instance et d'appel incluant expressément les honoraires de l'article 10 de l'huissier au titre des diligences facturables au créancier dans le cas d'une procédure d'exécution forcée.

Dans ses dernières écritures du 26 août 2022, l'employeur intimé demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions déboutant ou déclarant irrecevables le salarié en ses demandes, de l'infirmer en ce qu'il a déclaré recevable sa demande en paiement d'indemnité pour travail dissimulé, de harcèlement managérial et de déloyauté contractuelle.

Il demande à la cour de déclarer les demandes en paiement de d'indemnité pour travail dissimulé irrecevable, de débouter le salarié, de le condamner aux dépens et au paiement d'une somme de 5 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 août 2022.

Motifs de la décision :

1 - la recevabilité des demandes

Au préalable, il importe de rappeler que le fondement juridique de la prescription, et par conséquent son délai, dépend de la nature de la créance.

En l'espèce, la prescription est opposée au salarié concernant sa demande d'indemnité forfaitaire de travail dissimulé et concernant ses demandes liées à la rupture du contrat de travail. Les demandes, qui ont toutes un caractère indemnitaire, portent, pour ce qui concerne le travail dissimulé sur l'exécution du contrat de travail, et pour ce qui concerne le licenciement et ses conséquences sur la rupture du contrat de travail. La prescription est donc régie par les dispositions de l'article L 1471-1 du code du travail.

- la recevabilité des demandes liées au travail dissimulé

Les actions portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrivent, selon le texte précité par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

La demande est liée à la dissimulation des heures supplémentaires de sorte que la connaissance que le salarié a pu en avoir est concomitante à la date de paiement du salaire. Dans la mesure où la réclamation concernant les heures supplémentaires porte sur une période allant jusqu'au 3 septembre 2018, la prescription ne peut être acquise avant le 3 septembre 2020.

Par conséquent, la saisine du conseil de prud'hommes le 14 février 2020 n'apparaît pas tardive, excluant ainsi la prescription.

La demande est donc recevable de sorte que le jugement, qui n'a pas motivé sur ce point, sera confirmé.

- les demandes liées à la rupture du contrat de travail

Les actions portant sur la rupture du contrat de travail se prescrivent par 12 mois à compter de la notification de la rupture. Bien que l'accusé de réception de la lettre de licenciement ne figure pas aux dossiers, la lettre de contestation du licenciement adressée le 20 novembre 2018 par le salarié à l'employeur démontre qu'à cette date, il en avait reçu notification. Par conséquent, il avait jusqu'au 20 novembre 2019 pour agir. La saisine du conseil de prud'hommes le 14 février 2020 apparaît donc tardive, la prescription étant acquise.

C'est donc à bon droit le conseil de prud'hommes, se fondant sur le texte précité, a constaté la prescription de l'action en contestation du licenciement et en paiement des indemnités de rupture, peu importe que le motif de la contestation, lié au harcèlement moral, ne soit pas prescrit.

2 - le fond

- le rappel d'heures supplémentaires

Le salarié appelant soutient que le conseil de prud'hommes a confondu temps de trajet dépassant le trajet normal entre le domicile et le lieu de travail et exercice d'une prestation de travail en déplacement qui est un temps de travail effectif.

Il explique qu'en plus des heures de travail à l'usine qui faisaient l'objet d'une traçabilité par pointage, il était amené à se déplacer sur des sites client situés en France et à l'étranger, selon un horaire repris dans les documents tenus par l'employeur et qui distinguent les heures de voyage, les heures de travail réalisées chez le client. Il explique que l'employeur rémunérait des heures de travail réalisées chez des clients sous la forme de prime et a assimilé pendant de nombreuses années des heures de voyage en temps de travail effectif, en les rémunérant sur la même base et en les incluant dans une prime dite 'indemnité SAV' laquelle relève d'un usage dans l'entreprise. Il explique qu'au final, seule une partie de ces heures supplémentaires a été payée.

L'employeur soutient que le salarié ne démontre pas l'usage dont il prétend se prévaloir ; que le fait que l'indemnité SAV était effectivement versée indépendamment de la loi et de toute obligation conventionnelle résulte d'un engagement unilatéral de l'entreprise, qu'elle regroupe la contrepartie versée au titre des temps de déplacement excédentaires et des sujétions liées aux déplacements professionnels, que cet engagement ne peut permettre de décréter l'existence d'un usage assimilant temps de déplacement et temps de travail effectif ; qu'en réalité cette indemnité intègre des compensations financières liées aux déplacements professionnels versées en plus de la rémunération des heures de travail affectif effectuées indépendamment des heures supplémentaires ainsi que les contreparties financières versées au titre des temps de déplacement excédentaires ; que le fait que les heures de déplacement fassent l'objet d'une compensation calculée sur la base du taux horaire ne permet pas de conclure que ces heures sont assimilées au temps de travail effectif. Il soutient que les demandes du salarié au titre des heures supplémentaires concernent en réalité les seules heures de trajet effectuées dans le cadre de ses interventions chez le client lesquelles ne sont pas du temps de travail effectif et ne peuvent être comptabilisées comme des heures supplémentaires ; que le décompte est fantaisiste.

Le contrat de travail prévoyait un temps de présence de 40 heures par semaine, dont 35 heures légales, 2 heures majorées de 25 %, 2 heures récupérées au moyen de RTT et 1 heure de pause.

Il est acquis que les temps de déplacement ne sont pas considérés comme du temps de travail effectif et ne peuvent être rémunérés comme tel. Par ailleurs, les heures de travail ne peuvent être payées sous forme d'indemnités diverses.

Le salarié produit les relevés d'heures qui comptabilisent les heures passées en usine, celles passées en trajet et celles passées en intervention avec une distinction entre les heures de nuit et de fin de semaine.

Ce document est suffisamment précis pour permettre à l'employeur de justifier des heures qu'il estime réellement avoir été effectuées. L'employeur ne produit pas d'autres décomptes et se contente d'affirmer, à tort, que les heures réclamées sont des heures de trajet indemnisées.

Les relevés d'heures fournis par le salarié comptabilisent des heures de trajet qu'il faut certes exclure du décompte des heures supplémentaires. Ces heures de trajet faisaient l'objet effectivement d'une indemnisation.

Le débat sur l'existence d'un usage consistant à rémunérer le temps de trajet comme un temps de travail effectif est sans effet sur les heures supplémentaires dans la mesure où le régime des heures de trajet est un régime d'indemnisation et non un régime de paiement majoré des heures de travail à titre d'heures supplémentaires.

En effet, l'usage, à supposer qu'il existe, n'a pu avoir pour effet de changer la nature des temps de trajet. D'ailleurs, l'employeur dans un procès verbal du CSE du 25 février 2019 indique que ces temps de trajet sont bien rémunérés dans le contingent de travail effectif et le CSE fait observer que ces heures ne génèrent pas de repos compensateur, ce qui est cohérent s'agissant d'heures de trajet et non d'heures supplémentaires.

Au total, il ressort des décomptes d'heures produits par le salarié à partir du relevé d'heures en vigueur dans l'entreprise ainsi que des fiches de paie, que la totalité des heures supplémentaires n'a pas été payée.

Ainsi, le salarié a effectué, hors les heures de trajet :

- en 2017 : 305,44 heures supplémentaires dont seules 148,15 heures ont été payées et 7 heures compensées par des RTT,

- en 2018 : 204,33 heures supplémentaires dont 81,40 heures ont été payées et 13 heures compensées par des RTT.

En tenant compte des heures réellement effectuées, des compensations, des paiements d'heures supplémentaires déjà réalisés, le salarié peut prétendre :

- au titre de l'année 2017 :

* 103,23 heures supplémentaires à majoration de 25 % sur la base d'un taux horaire initial de 16,20 euros soit un salaire majoré de 20,25 euros. C'est donc une somme de 2090,40 euros qui est due.

* 47,06 heures supplémentaires à majoration de 50 % sur la base d'un taux horaire initial de 16,20 euros soit un salaire majoré de 24,30 euros. C'est donc une somme de 1 143,55 euros qui est due.

- au titre de l'année 2018 :

* 42,76 heures supplémentaires à majoration de 25 % sur la base d'un taux horaire initial de 16,20 euros soit un salaire majoré de 20,25 euros. C'est donc une somme de 865,89 euros qui est due,

* 8,61 heures supplémentaires à majoration de 50 % sur la base d'un taux horaire initial de 16,20 euros soit un salaire majoré de 24,30 euros. C'est donc une somme de 209,22 euros qui est due,

* 26,30 heures supplémentaires à majoration de 25 % sur la base d'un taux horaire initial de 16,31 euros soit un salaire majoré de 20,38 euros. C'est donc une somme de 535,50 euros qui est due,

* 32,03 heures supplémentaires à majoration de 50 % sur la base d'un taux horaire initial de 16,31 euros soit un salaire majoré de 24,46 euros. C'est donc une somme de 783,45 euros qui est due.

Au total c'est la somme de 5 628,01 euros qui est due par l'employeur au titre des heures supplémentaire dont 3 233,95 euros pour l'année 2017 et 2 394,06 euros pour l'année 2018.

S'y ajoutent les sommes dues au titre des congés payés afférents soit au total la somme de 562,80 euros.

Le jugement doit donc être infirmé.

- la contrepartie obligatoire en repos

Dès lors que le contingent d'heures supplémentaires, fixé à 220 heures a été dépassé en 2017, la contrepartie obligatoire en repos est due au salarié. Il n'est pas soutenu qu'il y a eu droit, ni qu'il a été informé de son droit de les prendre, de sorte qu'il est dû au salarié une indemnité égale aux heures correspondant à cette contrepartie et aux congés payés afférents s'agissant d'une entreprise dont il n'est pas justifié que l'effectif fût inférieur à 20 salariés, soit au final la somme de 1 522,53 euros.

Il sera fait droit à la demande, dans cette limite, de sorte que le jugement sera infirmé.

- le travail dissimulé

Le salarié soutient que la société employeur avait connaissance de la situation, qu'elle avait été interpellée par les représentants du personnel mais avait maintenu sa position caractérisant ainsi sa volonté d'échapper aux règles relatives à la durée du travail et au droit au repos et, par conséquent, s'est rendue coupable de travail dissimulé

L'employeur conteste l'élément intentionnel qu'il estime non prouvé par le salarié. Or, à la lecture des relevés d'heures, il apparaît qu'au-delà des heures de trajet, toutes les heures supplémentaires n'étaient pas payées.

Cette situation était nécessairement connue de l'employeur qui disposait des relevés d'heures et émettait les bulletins de paie sans retracer fidèlement la réalité des heures effectuées.

Il est donc établi que l'employeur n'a volontairement pas payé toutes les heures supplémentaires dues au salarié, manifestant ainsi sa volonté de dissimuler partie de l'activité salariée.

Le travail dissimulé ainsi caractérisé, il est dû au salarié l'indemnité forfaitaire de l'article L 8223-1 du Code du travail. Sur la base d'un salaire comprenant les heures supplémentaires, l'indemnité réclamée apparaît justifiée de sorte qu'il y sera fait droit, par infirmation du jugement.

-l'obligation de formation

Le salarié appelant soutient que l'employeur, faute de personnel qualifié, l'a fait travailler en autonomie sans formation préalable et sans expérience, alors que dans son entretien professionnel d'octobre 2017, il a sollicité la possibilité d'être formé à d'autres systèmes. Il soutient que cette situation l'a placé dans une situation d'échec potentiel, l'a exposé au mécontentement des clients et au stress et a constitué un frein à son évolution professionnelle et à son employabilité.

L'employeur soutient avoir systématiquement apporté au salarié l'assistance nécessaire lorsqu'il rencontrait des difficultés sur le chantier, en faisant observer que le salarié avait trois ans d'ancienneté lorsqu'il a été amené à intervenir sur le dernier chantier, qu'il avait procédé en interne au premier démarrage de la machine, qu'il était titulaire de diplômes et qu'il avait la formation appropriée au poste occupé, qu'il a bénéficié de plusieurs mois de formation initiale en interne lors de sa prise de poste et a été bénéficiaire par la suite de plusieurs formations nécessaires à l'exécution de ses fonctions.

Le conseil de prud'hommes a retenu que la faute n'était pas démontrée ni le préjudice avéré.

Or, l'employeur ne justifie pas avoir respecté son obligation d'adaptation du salarié au poste de travail et de formation. En effet, si le salarié était titulaire d'un DUT en automatisme, avait trois ans d'expérience et avait été formé au logiciel SISTEMA, il apparaît à la lecture même de la lettre de licenciement que ses compétences n'étaient pas adaptées à son poste. D'ailleurs, dans la lettre de licenciement, l'employeur note que ses défaillances avaient été repérées en 2017 sur la chantier DANONE. En dépit de ce constat, et sans autre formation, le salarié a été affecté au chantier MATERNE, trop complexe pour son niveau d'expérience, selon son collègue qui avait 23 ans d'ancienneté. A partir du moment où la défaillance du salarié a été en partie à l'origine de son licenciement, le conseil de prud'hommes ne pouvait affirmer que le préjudice n'était pas justifié.

Aussi, il sera fait droit à la demande, par infirmation du jugement.

-l'obligation de sécurité

Le salarié appelant soutient que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en s'abstenant de mesurer sa charge exacte de travail alors qu'il a été alerté lors de l'entretien professionnel sur le déséquilibre porté à sa vie familiale pendant les longues périodes de déplacement.

L'employeur conteste le manquement à l'obligation de sécurité, en affirmant que le temps de travail est toujours demeuré conforme aux prescriptions légales et conventionnelles, et que la fréquence des déplacements était inhérente à la fonction occupée par le salarié. Il ajoute que la hiérarchie a fait les efforts nécessaires pour articuler vie professionnelle et personnelle de sorte qu'au final les allégations du salarié sont sans fondement.

Or, les relevés d'heures produits par le salarié montrent un nombre d'heures supplémentaires dépassant le contingent en 2017, des amplitudes importantes si on intègre les heures de trajet. Ainsi, à plusieurs reprises, le salarié a totalisé plus de 14 heures journalières en incluant temps de travail et temps de trajet, amputant nécessairement le temps légal de repos obligatoire.

Le manquement est avéré dans la mesure où l'employeur, qui avait connaissance des horaires du salarié au travers du relevé d'heures, n'a pas mis en oeuvre de mesures propres à y remédier.

Ces amplitudes ont causé préjudice au salarié qui avait demandé à l'employeur d'adapter son temps de travail à son temps familial en raison de l'arrivée d'un deuxième enfant. Le préjudice moral et de santé lié à la fatigue générée sera réparé par l'allocation d'une somme de 5 000,00 euros.

- le harcèlement moral

Le salarié appelant soutient qu'il était victime de harcèlement moral caractérisé par une organisation de travail impliquant des heures supplémentaires nombreuses impayées, par le non-respect du repos hebdomadaire, par le dépassement systématique du contingent des heures supplémentaires sans contreparties en repos, par des amplitudes de temps de travail dépassant 44 heures de manière récurrente, par l'absence de formation professionnelle conforme, par l'absence d'outils sollicités lors de l'entretien professionnel, par l'inertie de l'employeur face à sa demande de limiter les déplacements, par l'envoi sur les chantiers complexes sans soutien d'une personne expérimentée.

Tous ces griefs ont été retenus plus haut. Ils font supposer l'existence d'un harcèlement moral, lequel est défini par l'article L 1152-1 du Code du travail comme tous agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Au vu de ces éléments, il incombe alors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'employeur qui conteste vainement la matérialité des faits ne justifie pas que les décisions étaient étrangères au harcèlement moral puisque que c'est le fonctionnement même de l'entreprise voulu par l'employeur qui a placé le salarié dans cette situation préjudiciable.

Aussi, le jugement doit être infirmé en ce qu'il a rejeté le harcèlement moral.

- le préjudice moral lié au harcèlement moral et aux circonstances entourant le licenciement

Le harcèlement ainsi retenu sur une période d'au moins deux années a causé un préjudice moral au salarié de sorte que la somme de 4 000,00 euros lui sera allouée.

3 - les autres demandes

- les intérêts au taux légal

Les condamnations salariales porteront intérêts à compter du 20 février 2020, date de convocation devant le bureau de conciliation et les condamnations indemnitaires porteront intérêts à compter du présent arrêt.

- les frais irrépétibles et les dépens

Succombant au sens de l'article 696 du Code de procédure civile, l'employeur sera condamné aux dépens et frais irrépétibles de première instance par infirmation du jugement.

En appel, il sera débouté à ce titre et condamné à payer au salarié la somme de 2 000,00 euros.

Les dépens ne comprendront pas les frais de l'article 10 d'huissier au titre des diligences facturables au créancier dans le cas d'une procédure d'exécution forcée.

Par ces motifs :

La cour statuant publiquement, par décision contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement rendu le 8 juillet 20214 par le conseil de prud'hommes de Troyes en ce qu'il :

- a déclaré irrecevables les demandes liées à la rupture du contrat de travail,

- a déclaré recevables les demandes liées au travail dissimulé, au harcèlement managérial, et à la déloyauté contractuelle,

- a débouté l'employeur de sa demande en remboursement de ses frais irrépétibles,

Infirme le surplus,

statuant à nouveau et dans cette limite,

Condamne la S.A.S. ARIES PACKAGING à payer à Monsieur [V] [U] les sommes suivantes :

- 5 628,01 euros (cinq mille six cent vingt huit euros et un centime) au titre des heures supplémentaires pour les années 2017 et 2018,

- 562,80 euros (cinq cent soixante deux euros et quatre vingt centimes) de congés payés afférents,

-1 522,53 euros (mille cinq cent vingt deux euros et cinquante trois centimes) au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour l'année 2017,

- 23 888,00 euros (vingt trois mille huit cent quatre vingt huit euros) au titre de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé,

- 10 000,00 euros (dix mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du manquement de l'employeur à son obligation de formation,

- 5 000,00 euros (cinq mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- 4 000,00 euros (quatre mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices nés du harcèlement moral,

Dit que porteront intérêts au taux légal :

- à compter du 20 février 2020, les condamnations au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents, et au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

- à compter du présent arrêt, les condamnations au titre de l'indemnité de travail dissimulé, de la réparation des préjudices nés du manquement de l'employeur à son obligation de formation et de sécurité ainsi que la condamnation au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral né du harcèlement moral,

y ajoutant,

Dit que les condamnations sont prononcées sous réserve d'y déduire le cas échéant, les charges sociales et salariales,

Déboute la S.A.S. ARIES PACKAGING de sa demande de remboursement de ses frais irrépétibles d'appel,

Condamne la S.A.S. ARIES PACKAGING à payer à Monsieur [V] [U] la somme de 2 000,00 euros (deux mille euros) en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel,

Condamne la S.A.S. ARIES PACKAGING aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01485
Date de la décision : 19/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-19;21.01485 ?
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