La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/09/2022 | FRANCE | N°21/00436

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ère chambre section inst, 13 septembre 2022, 21/00436


ARRET N°

du 13 septembre 2022



R.G : N° RG 21/00436 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-E6XL





[J]





c/



S.A. ENEDIS

S.A. ENGIE

S.A. ELECTRICITE DE FRANCE











BP







Formule exécutoire le :

à :



la SCP HERMINE AVOCATS ASSOCIES



la SCP PLOTTON-VANGHEESDAELE-FARINE-YERNAUX



Me Gérard CHEMLA



Me Dominique ROUSSEL

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE- SECTION INSTANC

E



ARRET DU 13 SEPTEMBRE 2022



APPELANT :

d'un jugement rendu le 30 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Troyes



Monsieur [N] [J]

[Adresse 5]

[Localité 2]



Représenté par Me Florence SIX de la SCP HERMINE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barrea...

ARRET N°

du 13 septembre 2022

R.G : N° RG 21/00436 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-E6XL

[J]

c/

S.A. ENEDIS

S.A. ENGIE

S.A. ELECTRICITE DE FRANCE

BP

Formule exécutoire le :

à :

la SCP HERMINE AVOCATS ASSOCIES

la SCP PLOTTON-VANGHEESDAELE-FARINE-YERNAUX

Me Gérard CHEMLA

Me Dominique ROUSSEL

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE- SECTION INSTANCE

ARRET DU 13 SEPTEMBRE 2022

APPELANT :

d'un jugement rendu le 30 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Troyes

Monsieur [N] [J]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Représenté par Me Florence SIX de la SCP HERMINE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS

INTIMEES :

S.A. ENEDIS

[Adresse 4]

[Localité 8]

Représentée par Me Claire VANGHEESDAELE de la SCP PLOTTON-VANGHEESDAELE-FARINE-YERNAUX, avocat au barreau de l'AUBE, et Me François TRECOURT, avocat au barreau de PARIS

S.A. ENGIE Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés de droit audit siège

[Adresse 1]

[Localité 8]

Représentée par Me Gérard CHEMLA de la SCP SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS

S.A. ELECTRICITE DE FRANCE Société Anonyme au capital de 1.549.961.789,50 €, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié au siège social.

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Dominique ROUSSEL, avocat au barreau de REIMS, et Me Norman THIRIET, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

M. Benoît PETY, président de chambre

Mme Anne LEFEVRE, conseiller

Mme Christel MAGNARD, conseiller

GREFFIER :

Madame Lucie NICLOT, greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 14 juin 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 13 septembre 2022,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 13 septembre 2022 et signé par M. Benoît PETY, président de chambre, et Madame Lucie NICLOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Exposé du litige, de la procédure et des prétentions des parties:

M. [N] [J] a souscrit en 1991 auprès d'EDF un contrat EJP (effacement jour de pointe) pour la fourniture d'électricité à son logement de [Adresse 5].

Le 2 septembre 2018, son fournisseur d'énergie lui a adressé une facture de résiliation à dater du 29 août 2018 de son abonnement sur la base des relevés opérés par ENEDIS pour y substituer un abonnement 'heures pleines-heures creuses-heures week-end' auprès d'ENGIE.

Contestant cette résiliation unilatérale de son abonnement initial EJP, M. [J] a adressé par courriers diverses réclamations à EDF, ENGIE et ENEDIS ainsi qu'au médiateur de l'énergie afin de faire rétablir les conditions commerciales de son contrat initial. Celui-ci a été rétabli le 6 novembre 2018.

Faute d'indemnisation amiable à concurrence de ses prétentions, M. [J], par acte d'huissier du 12 avril 2019, a fait assigner la SA ENEDIS (anciennement ERDF) devant le tribunal d'instance de Troyes aux fins d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire et au visa des articles 1101 à 1104 du code civil, la condamnation du défendeur à lui payer les sommes de:

* 5 178,77 euros en réparation de son préjudice matériel,

* 3 000 euros en réparation de son préjudice moral et

* 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Par actes d'huissier des 2 et 3 septembre 2019, M. [J] a fait assigner les sociétés ENGIE et EDF en intervention forcée.

Devant la juridiction, M. [J] a maintenu l'intégralité de ses demandes. A titre additionnel, il poursuivait également la condamnation in solidum des trois personnes morales assignées à réparer l'ensemble de ses préjudices.

La SA ENGIE a conclu au débouté de M. [J] de toutes ses demandes. A titre subsidiaire, elle demandait à la juridiction de ramener son taux de responsabilité au plus strict minimum, de reconnaître la responsabilité solidaire des sociétés EDF et ENEDIS, de ramener le préjudice matériel du demandeur à de plus justes proportions et de le débouter du surplus de ses demandes, la partie défenderesse présentant contre M. [J] une demande d'indemnisation de ses frais irrépétibles à concurrence de 1 500 euros, sans préjudice des entiers dépens.

La SA ENEDIS, pour sa part, concluait à titre liminaire à l'irrecevabilité des demandes de M. [J], en tout état de cause au débouté de toutes ses prétentions, à sa condamnation à lui verser une indemnité de procédure de 2 500 euros ainsi qu'aux entiers dépens.

La SA EDF, bien que régulièrement assignée, n'a pas comparu.

Par jugement réputé contradictoire du 30 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Troyes a notamment:

-déclaré irrecevables les écritures en défense transmises par la SA EDF,

-rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la SA ENEDIS,

-débouté M. [J] de l'intégralité de ses prétentions,

-condamné M. [J] à verser à la société ENEDIS la somme de 1 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile,

-débouté la société ENGIE de sa demande au titre de ses frais non répétibles,

-condamné M. [J] aux entiers dépens de l'instance.

M. [J] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 2 mars 2021, son recours portant sur le rejet de l'intégralité de ses demandes, sa condamnation en faveur de la SA ENEDIS sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

En l'état de ses conclusions n°3 signifiées le 30 mai 2022, M. [J] demande à la cour de:

-Déclarer d'office irrecevables à son égard les écritures de la société EDF du 24 mai 2022 ainsi que ses pièces n°2 à 6 communiquées le même jour,

Par voie d'infirmation,

-Condamner solidairement les sociétés EDF, ENEDIS et ENGIE à lui verser la somme de 8 178,77 euros à titre de dommages et intérêts,

-Débouter ces personnes morales de leurs demandes,

-Les condamner in solidum à lui verser la somme de 3 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.

Au soutien de ses prétentions, l'appelant énonce que l'installation en mai 2018 d'un compteur Linky à son domicile a provoqué, à son insu, la résiliation du contrat EJP dont il était titulaire auprès d'EDF depuis 1991, le faisant ainsi bénéficier du meilleur tarif en fourniture d'électricité. Bien qu'ENEDIS le conteste, M. [J] allègue un lien de causalité entre l'installation de ce compteur et la résiliation intempestive de son contrat de fourniture d'énergie électrique, laquelle a conduit à la coupure d'énergie. L'intéressé ajoute qu'il a été victime d'une erreur de PDL (point de livraison) de la part d'ENGIE, ce qui a provoqué la résiliation de son abonnement initial avec EDF.

Ainsi, pour M. [J], la société ENGIE est à l'origine de l'inversion des PDL avec une certaine Mme [I] et donc de la résiliation abusive de son contrat d'abonnement EJP avec EDF. Cette dernière est fautive pour son inertie alors qu'il lui fallait prendre attache avec ENGIE pour remédier à l'erreur de PDL et à la résiliation intempestive de l'abonnement initial. Quant à ENEDIS, elle se devait, dès l'information donnée sur la difficulté, de mettre en oeuvre la procédure de PDL 'protégé' prévue en cas d'inversion de PDL, procédure dont la mise en oeuvre interdit toute coupure de courant.

Relativement à son préjudice, M. [J] entend être indemnisé du temps qu'il a investi pour voir rétablir ses droits. La somme de 5 178,77 euros qu'il invoque au titre de son préjudice matériel correspond au coût d'utilisation d'un groupe électrogène pour alimenter son logement de 160 m2, outre des dépendances de 120 m2. Il y ajoute des frais de constitution de dossier, d'affranchissement de multiples courriers qu'il a été contraint d'expédier et du temps considérable qu'il a consacré à la tentative de dénouement amiable de cette affaire auprès de trois sociétés et du médiateur national de l'énergie. Exerçant une activité libérale, il aurait pu mobiliser tout ce temps pour sa profession. Il chiffre ainsi son préjudice matériel à la somme de 5 178,77 euros, à laquelle il ajoute la somme de 3 000 euros pour son préjudice moral.

* * * *

Par des écritures signifiées le 5 novembre 2021, la société ENEDIS conclut à la confirmation du jugement déféré, en tout état de cause au débouté de M. [J] de toutes ses demandes à son encontre, au débouté de la SA ENGIE de sa demande subsidiaire en responsabilité solidaire avec elle du préjudice matériel de M. [J]. Elle demande à la cour de condamner ce dernier, ou toute partie qui succombe, à lui verser une indemnité de procédure de 3 000 euros, sans préjudice des entiers dépens.

La société ENEDIS rappelle qu'elle n'est que concessionnaire du service public de distribution d'électricité sur le territoire national et ne peut en cette qualité procéder à aucune modification du contrat de fourniture d'électricité conclu entre M. [J] et EDF.

La société de distribution d'énergie estime qu'elle n'a commis aucune faute dans ce dossier. La pose en 2018 d'un compteur Linky sur la propriété de M. [J] n'a jusqu'à l'heure engendré aucune défaillance. Aucune responsabilité n'est en cela encourue par ENEDIS. Si M. [J] entend mettre en jeu la responsabilité délictuelle d'ENEDIS, il se limite toutefois à invoquer la notion de 'PDL protégé', notion qui n'existe pas et qui demeure donc inopposable au distributeur. Le médiateur national de l'énergie ne l'évoque d'ailleurs pas dans ses recommandations.

La société ENEDIS maintient que c'est la SA ENGIE qui, s'apercevant d'une inversion de PDL entre M. [J] et Mme [I], se devait de prendre attache avec EDF et le distributeur d'énergie pour corriger la situation. Elle s'est contentée de résilier le contrat. C'est donc une double faute qu'ENGIE a commise: saisie erronée du numéro de PDL puis non-respect de la procédure de rectification. Il est donc inconcevable pour la société ENEDIS de lire dans les écritures d'ENGIE qu'elle serait responsable solidairement avec EDF du préjudice matériel de M. [J].

En toute hypothèse, sur ce préjudice, la société ENEDIS rappelle que M. [J] a subi une réduction de puissance électrique limitée à 11 heures 30 et bénéficié d'un nouveau contrat EJP de la part d'EDF, outre l'électricité qui lui a bien été fournie du 28 août au 16 septembre 2018 sans bourse déliée, celle-ci ayant été facturée à Mme [I] sans récupération sur le demandeur. Les désagréments et perturbations avancés par ce dernier ne peuvent suffire à établir la réalité de son droit à indemnisation. De surcroît, il se réfère à un taux horaire qu'il pratique dans le cadre de ses expertises, ce qu'il ne peut invoquer à l'appui de la présente procédure. Il n'y a pas davantage lieu d'indemniser la location d'un groupe électrogène qui lui appartient depuis 2017. La somme réclamée au titre du carburant nécessaire pour faire fonctionner ce groupe est aussi discutable, ne serait-ce qu'au titre du nombre d'heures d'utilisation de cet équipement (6 ou 11 heures 30). Enfin, elle n'entend pas indemniser les frais de dossier allégués par M. [J] ni son préjudice moral, les courriers produits concernant les fournisseurs.

* * * * *

La SA ENGIE, par conclusions signifiées le 27 mai 2022, demande à titre principal à la juridiction du second degré de confirmer la décision dont appel en ce qu'elle déboute M. [J] de toutes ses demandes et le condamne à la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. A titre subsidiaire, elle sollicite que les trois personnes morales intimées soient déclarées responsables in solidum des préjudices subis par M. [J], le préjudice matériel en question devant être ramené à la somme de 212,27 euros, l'appelant étant débouté de sa prétention au titre du préjudice moral. En tout état de cause, la société ENGIE demande la condamnation de M. [J] à lui verser une indemnité de procédure de 2 000 euros, sans préjudice des entiers dépens de première instance et d'appel. Elle sollicite aussi le débouté de l'ensemble des parties de leurs prétentions dirigées contre elle.

Si la société ENGIE reconnaît qu'une erreur par inversion de PDL a bien été commise, elle ne s'explique pas la raison pour laquelle ENEDIS n'a pas réagi à la non-correspondance entre le PDL fourni et le client identifié. Le médiateur national de l'énergie signale lui-même qu'il y a des procédures en pareil cas mais qu'elles ne sont pas appliquées. La société ENGIE estime qu'elle n'est en rien responsable de la baisse de tension du 15 septembre 2018. C'est EDF qui aurait dû se mettre en relation avec elle et ENEDIS se devait de mettre en place le PDL 'en mode protégé'. ENGIE n'est pas davantage responsable des modifications de tarifs pratiqués par EDF sous prétexte que les conditions initiales de l'abonnement de M. [J] n'étaient plus commercialisées. ENGIE s'est mise en relation avec M. [J] pour trouver une solution. Elle a résilié le nouveau contrat dès qu'elle a réalisé l'erreur de PDL, laquelle est sans conséquence en ce qui la concerne.

Sur le préjudice matériel allégué par l'appelant, la société ENGIE expose que M. [J] ne peut en aucun cas prétendre à une réparation sur la base d'un taux horaire qu'il pratique en qualité d'ingénieur conseil, aucune corrélation n'étant établie entre sa qualification professionnelle et le temps passé à résoudre le problème d'alimentation de son logement en électricité. Il a par ailleurs utilisé son propre groupe électrogène. Le médiateur n'a du reste retenu qu'une dépense au titre des frais de courriers et de photocopies et une dépense de carburant pour son groupe électrogène, soit au total 212,67 euros.

Au titre de son préjudice moral, M. [J] évoque un stress professionnel consécutif au risque de coupure électrique pendant deux semaines outre un stress à la coupure du 15 septembre 2018. ENGIE rappelle qu'il s'agissait de fait non pas d'une coupure mais d'une baisse de tension survenue en pleine nuit, pendant onze heures et demi. Il a rapidement activé son groupe électrogène. Il n'a subi aucun dysfonctionnement de ses appareils électriques. La peur d'une panne n'est pas fondée car ENGIE est constamment restée à ses côtés. Aucune consommation ne lui a été facturée entre les 29 août et 16 septembre 2018.

* * * *

Par conclusions signifiées le 24 mai 2022, la SA EDF demande à la cour de:

-Débouter la SA ENGIE de son appel en garantie dirigé à son encontre,

-Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a écarté sa responsabilité contractuelle,

-Condamner la société ENGIE à lui verser la somme de 3 000 euros conformément à l'article 700 du code de procédure civile,

-Condamner la SA ENGIE aux entiers dépens d'appel.

Le fournisseur d'électricité maintient qu'il n'est pas à l'origine de l'inversion des PDL ni à l'origine de la résiliation fautive provisoire du contrat de fourniture qui le lie à M. [J]. La réduction de puissance électrique au domicile de ce dernier durant une nuit n'est pas davantage de son fait. ENGIE ne précise pas le fondement juridique de sa demande en responsabilité solidaire contre elle et ENEDIS. ENGIE a au contraire reconnu sa pleine et entière responsabilité dans un e-mail du 14 septembre 2018. En cela, l'appréciation des faits par le premier juge est exacte. L'inertie que M. [J] lui reproche n'est pas davantage justifiée. EDF rappelle à ce titre que lorsqu'un contrat de fourniture d'électricité sort comme en l'espèce du périmètre d'un fournisseur pour entrer dans celui d'un concurrent, le contrat est automatiquement résilié. En l'occurrence, EDF ne pouvait s'opposer au changement de fournisseur opéré. C'est ainsi que le premier juge a à bon droit écarté toute faute contractuelle d'EDF. C'est bien la SA ENGIE qui a commis l'erreur initiale en inversant le PDL de Mme [I] avec celui de M. [J], et qui, par surcroît, s'est montrée défaillante dans la mise en oeuvre de la procédure de correction en se contentant de résilier le contrat nouvellement souscrit au nom de M. [J] et en laissant ce dernier sans fourniture d'électricité pendant une journée, ou plutôt dans un état de fourniture d'énergie réduite à 1 000 Watts.

EDF ajoute qu'elle est parvenue à rétablir l'abonnement initial de M. [J] qui n'a subi aucun préjudice en terme de facturation. L'appel de M. [J] n'est donc pas fondé et la mise en cause d'EDF par ENGIE ne l'est pas davantage.

Par ordonnance du 25 janvier 2022, le conseiller de la mise en état a dit irrecevables à l'égard de M. [J] les conclusions notifiées le 8 novembre 2021 par la société EDF ainsi que sa pièce n°1.

L'instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 31 mai 2022.

* * * *

Motifs de la décision:

-Sur la recevabilité contestée des conclusions d'EDF envers M. [J]:

Attendu qu'il doit être rappelé que, par ordonnance du 25 janvier 2022, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables comme tardives les écritures signifiées le 8 novembre 2021 par la SA EDF en ce qu'elles étaient dirigées contre M. [J];

Qu'il s'en suit que ses conclusions n°3 signifiées le 24 mai 2022 ne le sont pas davantage ainsi que les pièces jointes en ce qu'elles sont dirigées contre l'appelant, de telles écritures et pièces étant toutefois sauves et donc recevables en ce qu'elles répondent à l'appel en garantie exercé par la SA ENGIE contre EDF;

-Sur les responsabilités encourues:

Attendu, sur les fautes reprochées par M. [J] à la société ENGIE, qu'il n'est pas contestable que cette dernière, qui le reconnaît au demeurant, a commis une 'inversion de PDL' en utilisant celui de M. [J] alors qu'elle était en négociation avec Mme [I] pour la faire bénéficier d'un contrat d'abonnement en énergie électrique, ces deux usagers demeurant sur le territoire de la même commune de [Localité 2], M. [J] au [Adresse 5], Mme [I] au [Adresse 6];

Qu'il s'agit-là d'une négligence de la part de ce fournisseur d'électricité qui a eu pour conséquence immédiate de provoquer la résiliation non demandée par M. [J] de son contrat de fourniture d'énergie électrique qu'il avait conclu en 1991 avec EDF, un usager du réseau électrique ne pouvant être en relation contractuelle qu'avec un seul fournisseur de sorte que toute négociation fructueuse d'une relation contractuelle avec un fournisseur provoque obligatoirement la résiliation automatique de tout contrat déjà noué avec un précédent;

Que M. [J] entend par ailleurs dénoncer à raison une seconde faute de la part de la société ENGIE, qui, informée de l'inversion de PDL, a unilatéralement résilié le contrat établi avec M. [J] sans manifestement se soucier des conséquences de cette résiliation;

Que ces fautes d'ENGIE sont donc caractérisées et engagent la responsabilité de cette personne morale envers M. [J] sur le fondement délictuel, les articles 1240 et 1241 étant bien visés par l'appelant dans ses écritures;

Attendu, sur le comportement fautif reproché par M. [J] à la société EDF au titre de sa responsabilité contractuelle, qu'il n'est pas discutable que ce fournisseur n'est en rien à l'origine de l'inversion de PDL ni moins encore de la conséquence automatique de cette inversion en termes de résiliation immédiate de son contrat de fourniture d'électricité;

Que si l'appelant entend aussi dénoncer l'inertie d'EDF pour rétablir l'abonnement initial préférentiel (contrat dit 'EJP'), il ne peut être négligé que ce contrat, résilié le 29 août 2018 dans les circonstances déjà précisées précédemment a été rétabli le 5 novembre 2018 selon des conditions similaires à celles négociées en 1991, le fournisseur d'électricité ayant entre-temps fait bénéficier son client d'un abonnement 'heures pleines-heures creuses-heures week-end' sans que ce dernier ait in fine à supporter des majorations tarifaires, la tardiveté reprochée à EDF quant au rétablissement du contrat initial EJP tenant à ce que ce type d'abonnement n'était plus commercialisé et proposé à la clientèle en 2018, point que M. [J] n'a pas réellement discuté bien que sollicitant le rétablissement à l'identique de son contrat initial;

Qu'il ne peut dans ces conditions être retenu de faute contre la société EDF, M. [J] étant débouté de son action en responsabilité à l'égard de ce fournisseur d'électricité;

Attendu, sur le comportement fautif reproché par M. [J] au distributeur d'électricité, que l'appelant fait valoir que la société ENEDIS aurait dû signaler à la société ENGIE l'inversion de PDL, s'abstenir de toute coupure électrique le 15 septembre 2018, l'intéressé alléguant par surcroît que le distributeur porte une responsabilité dans les ordres donnés à distance puisqu'il est l'instigateur de la pose chez les particuliers du compteur Linky qui rend possible et sans que l'usager s'en rende compte toute modification contractuelle intempestive;

Qu'il importe, sur ce dernier point, de relever que le lien causal entre la pose des compteurs de marque Linky et la méprise dont M. [J] a subi les conséquences fâcheuses n'est qu'indirect, l'origine du litige coïncidant manifestement avec la négligence de la société ENGIE, l'usage de cette nouvelle génération d'équipements facilitant seulement les commandes à distance et rendant de fait moins explicites les erreurs;

Que la société ENEDIS précise du reste sur ce point que le compteur Linky installé au domicile de M. [J] n'est aucunement défectueux et aucun dysfonctionnement n'est en cela imputable à l'installation électrique;

Que si M. [J] entend reprocher au distributeur d'électricité le défaut de mise en oeuvre de la procédure dite de 'PDL protégé', il ne communique à ce propos sous sa pièce n°4 (pages 87, 88 et 89) qu'un 'logigramme de traitement d'une correction de résiliation en cas de saisie d'un PDL erroné' sans que la cour parvienne à identifier de quelle source documentaire de telles informations peuvent provenir ni moins encore déterminer dans quelle mesure ces informations engageraient juridiquement la société ENEDIS;

Qu'en toute hypothèse, à suivre les indications de ce logigramme, il apparaît que toute ré-alimentation du PDL fait suite à une demande du fournisseur aux fins de correction de la résiliation suite à une erreur de PDL;

Qu'il est acquis en l'occurrence que non seulement la société ENGIE s'est trompée de numéro de PDL mais qu'une fois cette erreur explicitée et dénoncée par M. [J], elle s'est contentée de résilier le contrat conclu de manière erronée avec ce dernier, ce qui a été à l'origine de la baisse de puissance électrique (réduction à 1000 W) dans la nuit du 14 au 15 septembre 2018, pendant très exactement 11 heures 30, ce qui constitue une durée particulièrement courte;

Qu'il n'est pas démontré par la société ENGIE qu'avant même de résilier ce contrat, elle ait averti le distributeur d'électricité, ni M. [J] de ses intentions exactes;

Qu'en d'autres termes, la faute d'ENEDIS reprochée par M. [J] n'est pas utilement caractérisée et l'appelant doit être débouté de son action engagée contre ce distributeur d'énergie;

Qu'en définitive, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il déboute M. [J] de ses demandes dirigées contre les sociétés ENEDIS et EDF, la décision entreprise étant infirmée en ce qu'elle déboute également le demandeur de son action contre la société ENGIE;

-Sur le préjudice indemnisable de M. [J]:

Attendu que M. [J] fait état de deux types de préjudice dont il entend être indemnisé, l'un matériel, l'autre immatériel, ce qu'il développe aux termes de sa pièce n°5 en indiquant à titre liminaire qu'il a bien été victime le 15 septembre 2018 d'une coupure complète d'électricité puisque, bénéficiant d'un automate de gestion de puissance, il ne lui a pas été possible en pleine nuit de déterminer celui de ses équipements à domicile qui provoquait le dépassement de la puissance alors réduite à 1 kW, ce qui l'a contraint à avoir recours à son propre groupe électrogène d'une puissance de 10 kW;

Attendu, pour ce qui a trait au préjudice matériel, qu'il invoque les postes suivants:

-opérations pratiquées de nuit pour brancher le groupe électrogène et assurer par ce biais le complément de fourniture d'énergie: 5,8 heures, soit 696 euros sur la base d'un taux horaire de 120 euros,

-multiples appels téléphoniques: 3,81 heures, soit 457,20 euros sur la base du même taux horaire,

-rédaction de courriels, lettres et télécopies: 18,16 heures, soit 2 179,20 euros sur la base du même taux horaire,

-location et carburant du groupe électrogène: 647,02 euros,

-photocopies réalisées pour construire les dossiers: 73,50 euros,

-coût d'affranchissement des courriers recommandés: 45,85 euros

-temps pour terminer l'affaire: 9 heures, soit 1 080 euros sur la base du taux horaire de 120 euros,

c'est-à-dire au total 5 178,77 euros;

Que M. [J] expose, sur la question du taux horaire, qu'il exerce dans le secteur libéral au sein d'un cabinet d'ingénieur conseil et d'expertise qu'il a créé, cabinet qui facture ses prestations en secteur privé mais aussi au titre de ses missions d'expert judiciaire au taux horaire de 120 euros, considérant qu'il est légitime qu'il reprenne présentement ce taux puisqu'il a passé le temps indiqué plus haut à gérer le litige, temps qu'il aurait normalement dû consacrer à son activité professionnelle;

Que la société ENGIE conteste cette présentation dans la mesure où l'appelant n'établit aucun appauvrissement ni gain manqué, le taux horaire requis n'étant pas davantage justifié en ce qu'il intègre des coûts et des marges, le fournisseur précisant que le groupe électrogène utilisé par M. [J] est bien sa propriété, ce qui s'avère incompatible avec des frais de location de cet équipement;

Que la cour rappelle, sur la question du taux horaire, que la victime d'un fait dommageable doit établir la réalité du préjudice directement lié à la négligence fautive, ce qui signifie en l'occurrence que M. [J] ne peut se limiter à procéder à un comptage d'heures qu'il a consacrées à la gestion du litige sans démontrer concomitamment une perte de gains professionnels, ce qu'il n'établit guère;

Que le lien ainsi établi entre le temps passé à gérer le présent litige et d'éventuelles conséquences pour son activité professionnelle n'étant pas établi, il n'y a pas lieu d'envisager une indemnisation sur la base du taux horaire annoncé ni même d'envisager un principe indemnitaire à ce titre, la réalité du préjudice n'étant pas justifiée;

Que M. [J] est assurément fondé à obtenir l'indemnisation du préjudice matériel inhérent aux frais de dossiers et d'affranchissement, soit 73,50 et 45,85 euros, outre les frais de carburant pour la somme de 93,32 euros, l'intéressé ne pouvant sans se contredire affirmer qu'il est propriétaire du groupe électrogène utilisé le 15 septembre 2018 pour compenser la baisse de puissance électrique subie à son domicile et faire état d'une location de cet équipement;

Qu'en définitive, le préjudice matériel du demandeur sera indemnisé à concurrence d'une somme totale de 212,67 euros;

Attendu, pour ce qui relève du préjudice immatériel, qu'il n'est pas discutable que M. [J] a été contraint de passer de multiples appels téléphoniques, d'adresser de nombreux courriers et courriels afin de tenter de se faire comprendre et d'obtenir de ses interlocuteurs un commencement de prise en compte de ses demandes, les nombreuses correspondances qu'il verse aux débats démontrant de manière suffisamment explicite qu'il faut, à l'égard des prestataires d'énergie, faire preuve d'une réelle constance avant d'entrevoir un début de solution à toute problématique exposée, ce qui est indéniablement source de contrariété et de stress qui doivent être réparés à leur exacte mesure;

Qu'une somme de 2 500 euros de dommages et intérêts sera de nature à indemniser le préjudice moral de M. [J];

-Sur la prétendue responsabilité in solidum des deux fournisseurs et du distributeur d'énergie:

Attendu que la société ENGIE sollicite la condamnation in solidum des trois personnes morales chargées de la fourniture et de la distribution d'électricité, exposant qu'EDF n'a pas su rétablir rapidement le contrat d'abonnement initial de M. [J], cette absence de réactivation ayant été à l'origine de la coupure d'électricité le 15 septembre 2018, ENEDIS ayant par surcroît négligé de vérifier les coordonnées relatives aux PDL, sa propre négligence ayant permis l'inversion des PDL;

Qu'autant EDF qu'ENEDIS réfutent catégoriquement une telle présentation de la part de la société ENGIE qui, à leurs yeux, demeure la seule responsable de l'inversion de PDL et doit ainsi en supporter seule toutes les conséquences, à commencer par celles dommageables pour M. [J];

Que la cour entend rappeler qu'il a été précédemment précisé que la conclusion du contrat entre un client et un fournisseur avait pour conséquence obligatoire de rompre toute relation contractuelle de ce client avec un précédent fournisseur concurrent;

Qu'il est au surplus acquis qu'ENEDIS, en sa qualité de concessionnaire du service public de distribution d'électricité sur le territoire national, n'exerce aucune prérogative relevant de la fourniture d'énergie, seul M. [J], qui s'est vu notifier par EDF la résiliation de son abonnement d'électricité, ayant été à même d'alerter son fournisseur puis celui concurrent à l'origine de l'inversion des PDL;

Qu'il est en cela surprenant de lire dans les écritures de la société ENGIE qu'ENEDIS serait à l'origine de l'inversion des PDL, ce qui manifestement demeure du seul fait de ce fournisseur qui ne l'a pas contesté du reste;

Que le retard dans le rétablissement du contrat initial conclu avec M. [J] tel que reproché par la société ENGIE à EDF s'explique par le fait que l'abonnement EJP dont le client a pu bénéficier depuis 1991 n'était plus commercialisé en 2018, circonstance qui ne peut éluder la négligence d'ENGIE dans la saisie des numéros de PDL et leur inversion, faute qui est directement à l'origine de la résiliation intempestive du contrat de M. [J], à laquelle s'ajoute la résiliation par ENGIE du contrat substitué à celui conclu entre le client et EDF, résiliation qui est la cause directe de la baisse de puissance électrique constatée au domicile de l'appelant, ENEDIS ayant pour obligation de maintenir en pareil cas une puissance minimale de 1 kW, ce qu'elle a respecté sans que cela cependant satisfasse le client comme il a aussi été précédemment développé;

Qu'en conséquence, la société ENGIE sera déboutée de son action dirigée tant contre la société EDF qu'à l'égard de la société ENEDIS;

-Sur les dépens et les frais non répétibles:

Attendu que le sens du présent arrêt conduit à laisser à l'entière charge de la société ENGIE les dépens d'appel, ceux de première instance devant suivre le même sort si bien que le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il condamne M. [J] aux dépens;

Que l'équité commande d'arrêter au profit de ce dernier une indemnité de 2 500 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile, la décision entreprise étant infirmée en ce qu'elle condamne sur ce fondement M. [J] à verser la somme de 1 000 euros à la société ENEDIS qui est ainsi déboutée de sa prétention indemnitaire dirigée contre M. [J] en première instance mais aussi en cause d'appel;

Que la société ENGIE, qui est débitrice de l'indemnité de procédure due à M. [J], doit être déboutée de sa propre prétention formée au visa de l'article 700 contre le demandeur initial;

Qu'enfin, cette même considération d'équité commande d'arrêter à 1 500 euros l'indemnité pour frais irrépétibles que la société ENGIE devra verser à EDF;

* * * *

Par ces motifs,

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, dans la limite de l'appel,

-Dit irrecevables les conclusions de la SA EDF signifiées le 24 mai 2022 en ce qu'elles sont dirigées contre M. [N] [J], ainsi que ses pièces n°2 à 6;

-Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions querellées sauf en ce qu'il déboute M. [N] [J] de son action en responsabilité à l'encontre de la SA ENGIE, ainsi qu'en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure mise à la charge de ce dernier;

Infirmant et prononçant à nouveau,

-Condamne la SA ENGIE à payer à titre de dommages et intérêts M. [N] [J] la somme de 212,67 euros en réparation de son préjudice matériel suite à l'inversion de PDL commise par ce fournisseur d'électricité et celle de 2 500 euros en réparation de son préjudice moral;

-Déboute la SA ENGIE de son action en responsabilité in solidum dirigée contre les sociétés EDF et ENEDIS;

-Condamne la SA ENGIE aux entiers dépens d'appel comme de première instance ainsi qu'à verser à M. [N] [J] une indemnité pour frais irrépétibles de 2 500 euros;

-Condamne la SA ENGIE à verser à la société EDF une indemnité pour frais irrépétibles de 1 500 euros;

-Déboute les sociétés ENGIE et ENEDIS de leurs prétentions indemnitaires dirigées contre M. [J] au visa des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;

-Dit que la SCP Inter-Barreaux Hermine Avocats Associés, conseils de M. [N] [J], pourra directement recouvrer contre la SA ENGIE les dépens d'appel dont elle aura assuré l'avance sans avoir préalablement perçu de provision, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier. Le Président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ère chambre section inst
Numéro d'arrêt : 21/00436
Date de la décision : 13/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-13;21.00436 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award