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05/07/2022 | FRANCE | N°20/01477

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ere chambre sect.civile, 05 juillet 2022, 20/01477


ARRET N°

du 05 juillet 2022



R.G : N° RG 20/01477 - N° Portalis DBVQ-V-B7E-E4YG





[N]





c/



COMPTABLE DU POLE DE RECOUVREMENT SPECIALISE DE LA MARNE











FM







Formule exécutoire le :

à :



la SELARL DUTERME-MOITTIE-ROLLAND



la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 05 JUILLET 2022



APPELANT :

d'un jugement rendu le

25 septembre 2020 par le Tribunal de Grande Instance de REIMS



Monsieur [W] [N]

4 avenue de l'Olympe

83120 SAINTE MAXIME



Représenté par Me Damien MOITTIE de la SELARL DUTERME-MOITTIE-ROLLAND, avocat au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE



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ARRET N°

du 05 juillet 2022

R.G : N° RG 20/01477 - N° Portalis DBVQ-V-B7E-E4YG

[N]

c/

COMPTABLE DU POLE DE RECOUVREMENT SPECIALISE DE LA MARNE

FM

Formule exécutoire le :

à :

la SELARL DUTERME-MOITTIE-ROLLAND

la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 05 JUILLET 2022

APPELANT :

d'un jugement rendu le 25 septembre 2020 par le Tribunal de Grande Instance de REIMS

Monsieur [W] [N]

4 avenue de l'Olympe

83120 SAINTE MAXIME

Représenté par Me Damien MOITTIE de la SELARL DUTERME-MOITTIE-ROLLAND, avocat au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE

INTIME :

COMPTABLE DU POLE DE RECOUVREMENT SPECIALISE DE LA MARNE

Cité Administrative Tirlet - 5 rue de la Charrière

51036 CHALONS EN CHAMPAGNE CEDEX

Représenté par Me Aurore OPYRCHAL de la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST, avocat au barreau de REIMS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, président de chambre

Madame Véronique MAUSSIRE, conseiller

Madame Florence MATHIEU, conseiller

GREFFIER :

Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 30 mai 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 05 juillet 2022,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 05 juillet 2022 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, président de chambre, et Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

EXPOSE DU LITIGE

La Sarl Curtayn Holding (ci-après désignée société mère), créée selon des statuts du 5 janvier 2005 et enregistrée au RCS de Reims sous le n° 480 282 482, avait pour activité principale les «'fonds de placement et entités financières similaires'». Son siège social était situé 7 boulevard du général Leclerc à Reims.

Monsieur [W] [N], détenteur à 90% des parts de cette société mère, a été désigné en qualité de gérant à la création de celle-ci.

Cette société était l'unique associée de la Sas Brigit's Club (la filiale), société créée sous la forme d'une Sarl selon statuts du 1er mars 1993 et immatriculée au RCS de Reims sous le n° 390883130, puis transformée en Sas par décision d'assemblée générale extraordinaire du 29 décembre 2004.

La filiale, ayant la même adresse et le même dirigeant que la société, exerçait l'activité de «'bar, discothèque, sous l'enseigne commerciale «'Le Curtayn'».

La Sas Brigit's Club a fait l'objet d'une vérification de compabilité du 24 août 2011 au 14 décembre 2011 concernant les exercices clos le 30 septembre 2008, le 30 septembre 2009 et le 30 septembre 2010.

Une proposition de rectification à l'encontre de la filiale a été émise le 15 décembre 2011.Par lettre d'information du 6 mai 2013, la société mère a été dûment informée des réhaussements proposés et maintenus partiellement, conformément à l'avis de la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires rendu à la suite de la séance du 29 janvier 2013.

Cette information lui a été notifiée en sa qualité de société mère du groupe constitué avec sa filiale et dont elle s'est constituée seule redevable de l'impôt sur les sociétés (IS) sur le fondement de l'article 233 A du code général des impôts.

Un avis de recouvrement émis le 31 mai 2013, réceptionné le 13 juin suivant, a été édité pour la somme de 912.594 euros, dont 223.003 euros au titre des droits et impôts sur les sociétés et 689.591 euros au titre du total des pénalités.

Un second avis de mise en recouvrement a été émis le 21 novembre 2013 pour la somme de 471 euros, dont 392 euros au titre des droits sur les sociétés et 79 euros au titre du total des pénalités.

Une mise en demeure de payer datée du 28 juin 2013 a été émise pour la somme de 331.800 euros.

Une seconde mise en demeure de payer réceptionnée le 29 novembre 2013 a été émise pour la somme de 471 euros.

Le 18 juin 2013, la saisie des droits d'associés et de valeurs mobilières a été dénoncée à la société mère.

Par jugement rendu le 11 février 2014, le tribunal de commerce de Reims a prononcé la liquidation judiciaire de la Sarl Curtayn Holding et désigné la Scp Tirmant [Z] (Maître [Z]) en qualité de liquidateur.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 mars 2014, l'administration fiscale déclarait au mandataire liquidateur deux créances privilégiées, à savoir de 312.901,48 euros à titre définitif et 140.000 euros à titre provisionnel.

Par jugement rendu le 14 décembre 2016, le tribunal de commerce de Reims a prononcé la clôture de cette procédure de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actifs.

Par acte d'huissier en date du 18 novembre 2019, Monsieur le comptable du Pôle de recouvrement spécialisé de la Marne a fait assigner Monsieur [W] [N] devant le tribunal de grande instance de Reims, sur le fondement de l'article L 267 du livre des procédures fiscales (LPF) aux fins d'obtenir la condamnation solidaire de ce dernier avec la Sarl Curtayn Holding au paiement de la somme de 312.901,48 euros.

Par jugement en date du 25 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Reims, a, avec le bénéfice de l'exécution provisoire:

-débouté Monsieur [N] de sa demande d'annulation de l'assignation délivrée le 18 novembre 2019,

-déclaré Monsieur [W] [N] solidairement responsable avec la Sarl Curtayn Holding au paiement de la somme de 312.901,48 euros au titre des impositions dues par celle-ci,

-condamné Monsieur [W] [N] à payer au comptable du Pôle de recouvrement spécialisé de la Marne la somme de 312.901,48 euros et de 2.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

Par un acte en date du 30 octobre 2020, Monsieur [W] [N] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 29 juillet 2021, Monsieur [W] [N] conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour de condamner l'administration fiscale à lui payer la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Il expose qu'il a été assigné en qualité de dirigeant de la Sarl Curtayn Holding tandis que la proposition de rectification fiscale à l'origine de cette procédure le visait en sa qualité de dirigeant de la Sas Brigit's Club.

Sur le délai raisonnable de mise en cause rappelé aux termes de l'instruction du 6 septembre 1998, il rappelle que la cession de la filiale a été enregistrée auprès des services de l'administration fiscale et qu'à partir de ce moment, celle-ci savait que le prix de cession convenu ne lui aurait pas permis de satisfaire sa dette fiscale.

Il soutient que le principe et l'assiette de la dette ont été déterminés aux termes de la procédure de rectification diligentée par la DIRCOFI EST, 9ème brigade de vérification, en date du 15 décembre 2011 pour les exercices clos au 30 septembre 2008,2009 et 2010. Il précise que celle-ci a abouti à l'émission de deux recouvrement les 15 juin et 21 novembre 2013 à l'encontre de la Sarl Curtayn Holding au titre du redressement d'impôt sur les sociétés dû à titre principal par sa filiale et par l'effet de la convention d'intégration fiscale par ladie holding. Il affirme que c'est à cette période qu'ont été déterminés le principe et le montant de la dette fiscale d'impôt sur les sociétés et qu'ont pu être mesurés l'existence ou non de manquements graves et répétés du dirigeant.

Il fait valoir que l'administration fiscale savait pertinemment dès la liquidation judiciaire prononcée le 26 novembre 2013 que le prix de vente du fonds de commerce ne lui permettrait pas d'être remboursée de sa créance fiscale.

Il soutient que l'administration fiscale devait déclarer sa créance au passif de la société Brigit's Club en application de l'article 223 A dernier alinéa du code général des impôts, et ce peu important que la Sarl Curtayn Holding se soit constituée redevable de l'impôt dans le cadre de l'intégration fiscale. Il estime que l'administration fiscale se devait d'agir à son encontre dès que celle-ci a pu se convaincre que la société Brigit's Club solidairement tenu au paiement de cet impôt avec la Sarl Curtayn Holding ne pourrait pas y faire face.

Il ajoute s'agissant des manquements graves et répétés que la preuve de la faute incombe à l'administration fiscale. Selon lui, aucune caractérisation n'est rapportée en ce que le défaut de paiement de TVA d'août 2013 et de la CFE exigible au 15 octobre 2013 ne constitue pas une inobservation grave compte tenu de leurs montants respectifs, et ne peut être davantage qualifié de manquements répétés en raison de leur quasi-simultanéité.

Il fait valoir que l'action en responsabilité solidaire fondée sur l'article L 267 du LPF suppose que les manquements aient été commis par le dirigeant de la société qui se trouve dans l'impossibilité d'acquitter sa dette envers l'administration fiscale et qu'en l'espèce les seuls manquements commis l'ont été en qualité de président de la société Brigit's Club (dissimulation des recettes) et non pas en qualité de gérant de la Sarl Curtayn Holding.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 20 août 2021, le comptable du Pôle de recouvrement spécialisé de la Marne conclut à la confirmation du jugement entrepris et sollicite la somme supplémentaire de 2.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Sur la tardiveté de la mise en 'uvre de la procédure, il fait valoir que l'information tardive de la société mère s'explique notamment par la saisine de la commission des impôts et taxes sur le chiffre d'affaires, dont l'avis n'a été émis que le 29 janvier 2013. Il soutient que contrairement à l'argumentaire développé par Monsieur [N], lorsqu'en application de l'article 233 A du CGI, la société mère est amenée à supporter les droits et pénalités résultant d'une procédure de rectification suivie à l'égard d'une ou de plusieurs sociétés du groupe, l'administration fiscale doit adresser préalablement à la société mère la notification de l'avis de recouvrement correspondant.

Il précise que la Sarl Curtayn Holding était seule débitrice à l'égard de l'administration fiscale.

Sur la condition tenant à l'existence de manquements graves et répétés aux obligations fiscales de la société ou de man'uvres frauduleuses, le comptable fait valoir que si dans leur montant les manquements ne sont pas graves, toutefois leur répétition est caractérisée et que ces derniers ne peuvent pas être isolés des manquements constatés en matière d'impôts sur les sociétés.

Il ajoute que la qualification d'inobservations graves et répétées des obligations fiscales a été retenue par la jurisprudence pour des agissements ayant contraint l'administration à régulariser la situation fiscale de la société redevable par la voie de rappels d'impôts opérés par taxation d'office ou selon la procédure de rectification contradictoire, ce qui est le cas en l'espèce.

Il ajoute encore que le caractère répété des manquements en matière d'impôt sur les sociétés est établi dès lors que les rappels portaient sur trois exercices comptables consécutifs.

Il soutient que la gravité des manquements apparaît avérée au vu de la proposition de rectification du 15 décembre 2011, mentionnant un rejet de la comptabilité pour irrégularité de fond et de forme ayant contraint l'administration fiscale à procéder par reconstitution de recettes et à appliquer des pénalités pour manquements délibérés.

Il ajoute que les manquements constatés lors de la vérification de la comptabilité de la société Brigit's Club (filiale) impliquent que les conséquences des infractions commises par cette dernières sont supportées par la société mère au titre de l'article 233 A du CGI.

Il précise que la Sarl Curtayn Holding était l'associée unique de la société Brigit's Club, de sorte que Monsieur [N] est responsable des manquements aux obligations fiscales de la société Brigit's Club au sens des dispositions de l'article 267 du LPF.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 1er février 2022.

'

MOTIFS DE LA DECISION

1)Sur les demandes en paiement formées par l'administration fiscale contre Monsieur [W] [N]

Aux termes de l'article L 267 du livres des procédures fiscales (LPF), lorsqu'un dirigeant d'une société, d'une personne morale ou de tout autre groupement, est responsable des man'uvres frauduleuses ou de l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s'il n'est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d'une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal judiciaire. A cette fin, le comptable public compétent assigne le dirigeant devant le président du tribunal judiciaire du lieu du siège social. Cette disposition est applicable à toute personne exerçant en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la société, de la personne morale ou du groupement.

Les voies de recours qui peuvent être exercées contre la décision du président du tribunal judiciaire ne font pas obstacle à ce que le comptable prenne à leur encontre des mesures conservatoires en vue de préserver le recouvrement de la créance du trésor.

Ce texte permet de déclarer le ou les dirigeants personnellement et solidairement tenus au paiement des impositions et pénalités dues par la société, lorsque ceux-ci, par des man'uvres frauduleuses ou une inobservation grave et répétée des diverses obligations fiscales ont fait obstacle au recouvrement des sommes dont la société était normalement redevable. Ces dispositions sont alternatives, de sorte qu'en cas d'inobservation grave et répétée des obligations fiscales, il n'est pas nécessaire de démontrer en plus l'existence de man'uvres frauduleuses.

En l'espèce, il est constant que Monsieur [W] [N] ne fait l'objet d'aucune condamnation au paiement des dettes sociales en vertu d'une autre disposition.

*Sur la régularité de la procédure

-Sur la déclaration de créance entre les mains du liquidateur judiciaire

Monsieur [N] soutient que l'administration fiscale n'aurait pas déclaré sa créance auprès du représentant des créanciers lors des diverses procédures collectives de la société Brigit's Club.

Il résulte des débats que la Sarl Curtayn Holding est la société tête de groupe d'un groupe intégré au sens de l'article 233 A et suivants du CGI, tel que cela est mis en évidence dans la lettre d'information du 6 mai 2013. Il y a également lieu de rappeler que la Sarl Curtayn Holding avait elle-même fait l'objet d'une procédure collective (liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d'actif le 14 décembre 2016), au passif de laquelle le comptable du pôle de recouvrement spécialisé de la Marne avait régulièrement déclaré le 24 mars 2014 les créances en cause d'un montant de 312.901,48 euros.

Aux termes de l'article 233 A du CGI, (') Les sociétés du groupe restent soumises'à l'obligation de déclarer leurs résultats qui peuvent être vérifiés dans les conditions prévues par les articles L13, L47 et L57 du LPF. La société mère supporte, au regard des droits et des pénalités visées à l'article 2 de la loi du 8 juillet 1987 modifiant les procédures fiscales et douanières, les conséquences des infractions commises par les sociétés du groupe (')

Chaque société du groupe est tenue solidairement au paiement de l'impôt sur les sociétés et, le cas échéant, des intérêts de retard, majorations et amendes fiscales correspondantes, dont la société mère est redevable, à hauteur de l'impôt et des pénalités qui seraient dus par la société si celle-ci n'était pas membre du groupe.

Il ressort des dispositions susvisées que la société tête de groupe, à savoir la Sarl Curtayn Holding, est l'unique redevable de l'impôt du groupe mais également des droits et pénalités et des conséquences des infractions commises par les autres membres de son groupe intégré, en l'espèce la société Brigit's Club.

Contrairement à l'argumentaire développé par Monsieur [N] selon lequel la dette essentiellement en cause (redressement d'impôt sur les sociétés) avait trait à la société Brigit's Club, société filiale et que dès lors c'est à cette période qu'ont été déterminés le principe et le montant de la dette fiscale et que doivent être appréciée l'existence ou non de manquements graves et répétés du dirigeant, il convient de se référer à la position adoptée par la juridiction administrative.

Ainsi, le Conseil d'Etat a précisé que': «'du fait de l'intégration, la société tête de groupe supporte seule, au regard des droits et pénalités, les conséquences des rectifications apportées aux résultats de ses filiales au titre des exercices au cours desquels celles-ci ont été membres du groupe. Ainsi, la proposition de rectification adressée à la filiale interrompt la prescription à l'égard de la société mère du groupe'».

La cour, comme le tribunal, constate que la Sarl Curtayn Holding était seule débitrice envers l'administration fiscale des conséquences de la vérification de la comptabilité issue de la proposition de rectification du 15 décembre 2011 émise à l'encontre de la société Brigit's Club.

Par conséquent, l'administration fiscale n'avait pas à procéder à la déclaration de sa créance au passif de la procédure collective ouverte le 21 mai 2013 à l'encontre de la société Brigit's Club.

-Sur le respect du délai satisfaisant

Il ressort de l'instruction 12C-20-88 du 6 septembre 1988 relative à l'action des créanciers contre les dirigeants et liquidateurs des sociétés commerciales, conditions de mise en 'uvre des actions prévues par les articles L 266 et L 267 du LPF que «'L'action doit être engagée dans des délais satisfaisants. Selon la jurisprudence de la Cour des comptes, il appartient aux comptables d'accomplir en vue du recouvrement les diligences adéquates, complètes et rapides'».

Ce même texte précise':'«'L'ouverture d'une procédure collective et notamment de la procédure de redressement judiciaire ne fait pas obstacle à l'engagement de la responsabilité, lorsque celle-ci est justifiée et que le règlement du passif ne peut être envisagé dans un délai raisonnable. Mais en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, le comptable reste tenu de déclarer la créance qui a défaut, d'admission se trouverait frappée d'extinction. De plus, l'action déjà engagée ou susceptible de l'être contre ce dirigeant, doit amener le comptable à refuser les délais proposés par l'administrateur'».

Contrairement à ce que soutient Monsieur [N], il est jugé de manière constante que le délai «'satisfaisant'», non défini par l'instruction du 6 septembre 1988, peut s'apprécier «'à titre indicatif'» au regard de la durée et de l'écoulement du délai de prescription prévu à l'article L 275 du LPF.

En l'espèce, il ressort des débats que le comptable du pôle de recouvrement a dans un premier temps tenté d'obtenir le paiement de cette créance par tous moyens avant d'engager subsidiairement la procédure d'action en responsabilité solidaire de Monsieur [W] [N], en sa qualité de gérant de la Sarl Curtayn Holding. Cela résulte également des mises en demeure de payer des 15 juin et 29 novembre 2013. Ensuite, la saisie des droits d'associés et valeurs mobilières a été effectuée le 16 décembre 2013 et dénoncée le 18 décembre suivant.

Par un jugement du 11 février 2014, le tribunal de commerce de Reims a prononcé la liquidation judiciaire de la Sarl Curtayn Holding et l'administration fiscale a déclaré deux créances privilégiées de 312.901,48 euros à titre définitif et de 140.000 euros à titre provisionnel.

Cette procédure n'a été clôturée pour insuffisance d'actifs que par jugement du 14 décembre 2016.

Aux termes de l'article L274 du LPF, les comptables publics et administrations fiscales qui n'ont fait aucune poursuite contre un redevable pendant quatre années consécutives à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle ou de l'envoi de l'avis de mise en recouvrement sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable.

La cour comme le tribunal considère qu'il existe un délai de prescription quadriennal courant à compter de l'avis de mise en recouvrement, à savoir le 12 juin 2013 et le 21 novembre 2013. Dans la mesure où l'article L 622-25-1 du code de commerce énonce que «'La déclaration de créance interrompt la prescription jusqu'à la clôture de la procédure'; elle dispense toute mise en demeure et vaut acte de poursuite'», il convient de constater qu'au cas présent, le délai de prescription quadriennal a commencé à courir à compter du jugement de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actifs, soit le 14 décembre 2016, le terme de ce délai s'achevant le 14 décembre 2020.

Relevant que l'action en recouvrement fondée sur l'article L 267 du LPF à l'encontre de Monsieur [N] a été engagée suivant l'assignation délivrée par acte d'huissier en date du 18 novembre 2019, soit plus d'un an avant l'expiration du délai de prescription quadriennale, il convient de considérer au vu des éléments de la cause, ce délai comme satisfaisant.

2)Sur le fond

Sur le fondement de l'article L 267 du LPF, il convient d'examiner si la condition liée à «'l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement'» est caractérisée. Il appartient ainsi aux juridictions d'apprécier au cas par cas la nature et la fréquence des inobservations relevées. Ces manquements concernent toutes les obligations fiscales dont le respect est exigé des redevables, et en particulier':

-le défaut de déclaration d'existence, de début d'activité, de modification des conditions d'exploitation et de localisation de la société,

-la comptabilité irrégulière ou non sincère,

-en matière d'impositions auto-liquidées': minoration des bases imposables, déclarations non déposées, déductions abusives,

-mention abusive de la TVA sur les factures.

Et s'y ajoutent, au stade du recouvrement les déclarations effectuées dans les délais mais dépourvues de paiement à l'échéance.

En l'espèce, il résulte des pièces produites aux débats et de la jurisprudence que':

-la qualification d'inobservation grave et répétée des obligations fiscales doit être retenue s'agissant d'agissements ayant contraint l'administration à régulariser la situation fiscale de la société redevable par voie de rappels d'impôts opérés par taxation d'office ou selon la procédure de rectification contradictoire, comme cela a été le cas en l'espèce,

-le caractère répété des manquements relevés en matière d'impôt sur les sociétés est établi, dès lors que les rappels en cause portent sur trois exercices successifs,

-la gravité de ces manquements est également démontrée au vu de la proposition de rectification du 15 novembre 2011 laquelle a conduit à un rejet de la comptabilité pour irrégularité en la forme et au fond, et donc jugée ni sincère ni probante, à l'obligation pour l'administration fiscale de procéder en conséquence à la reconstitution des recettes et à l'application de pénalités pour manquements délibérés,

-si ces manquements ont été constatés lors de la vérification de la comptabilité de la société Brigit's Club, les conséquences des infractions commises par la société filiale doivent bien être supportées par la société mère, la Sarl Curtayn Holding, tel que cela lui a été clairement rappelé suivant courrier du 6 mai 2013 dans les termes suivants «'Conformément aux dispositions de l'article susvisé (article 233 et suivants du CGI), la société mère supporte, au regard des droits et des pénalités les conséquences des infractions commises par les sociétés membres du groupe'».

En effet, il ressort de la proposition de rectification fiscale du 15 décembre 2011 que la SAS Brigit's Club a commis des écarts notoires entre les achats consommés et les ventes déclarées, et omis des taux dans les quotités suivantes':

-au titre de l'exercice clos en 2008':

31,08% des bouteilles d'alcool achetées (hors grande contenance)

91,93% des bières vendues (en bouteilles et en pression)

-au titre de l'exercice clos en 2009':

41,50% des bouteilles d'alcool achetées (hors grande contenance)

93,21% des bières vendues (en bouteilles et en pression)

-au titre de l'exercice clos en 2010':

40,60% des bouteilles d'alcool achetées (hors grande contenance)

71,81% des bières vendues (en bouteilles et en pression).

L'administration fiscale démontre également que les ventes de bouteilles et magnums de champagne d'un prix supérieur ou égal à 110 euros (sauf 120 euros) n'ont pas été non plus intégrées car ne figurant pas distinctement dans les justificatifs de ventes transmis. Cela concerne toutes les quantités manquantes suivantes':

-300 magnums et 168 bouteilles au titre de 2008,

-241 magnums et 172 bouteilles au titre de 2009,

-2 jéroboams, 320 magnums et 135 bouteilles au titre de 2010.

Cette proposition de rectification a également mis en évidence le fait que la SAS Brigit's Club a facturé la vente de boissons alcoolisées en y pratiquant le taux de TVA de 5,5% alors que celles-ci devaient se voir appliquer le taux de TVA normal de 19,6% de sorte que le service a adressé les rappels de TVA suivants':

-673 euros au titre de la période du 1 er juillet au 30 septembre 2009,

-2.878 euros au titre de la période du 1er octobre 2009 au 30 septembre 2010,

-2.531 euros au titre de la période du 1er octobre 2010 au 31 mai 2011,

Etant précisé que ce manquement au paiement régulier de la TVA au taux de 19,6% constitue à lui seul une inobservation grave d'une obligation fiscale.

De plus, sur ce même document il apparaît que l'avantage dont a bénéficié l'entreprise au détriment du Trésor en omettant de reverser la TVA sur les recettes comptabilisées constitue un profit qui doit être réintégré dans le résultat imposable, lorsque ce profit ne se trouve pas dans les résultats déclarés du seul fait du jeu des écritures comptables'; de sorte que les rehaussements d'impôts sur les sociétés proposés, le sont comme suit':

-48.892 euros au titre de l'exercice 2008

-57.999 euros au titre de l'exercice 2009

-61.648 euros au titre de l'exercice 2010,

Etant souligné que cette proposition de rectification a expressément indiqué que les omissions de recettes réalisées et non déclarées ne pouvaient pas être ignorées par la société, de sorte que l'élément intentionnel est parfaitement caractérisé.

En outre, à ces indéniables constatations, s'ajoutent les défauts de paiements de la TVA d'août 2013 et de la CFE due au titre de l'année 2013.

Enfin, si les fonctions de président de la SAS Brigit's Club et de gérant de la Sarl Curtyan Holding ne se confondent pas, y compris lorsqu'elles sont exercées par la même personne (comme en l'espèce par Monsieur [W] [N]), il est important de souligner que la seconde était l'associée unique de la première, de sorte que son dirigeant ne pouvait pas sérieusement ignorer les manquements susvisés.

Dans ces conditions, les manquements ci-dessus relatés, constituent des inobservations graves, tant par leurs montants que par leurs fréquences, et répétées, de différentes obligations fiscales, justifiant la condamnation solidaire de Monsieur [W] [N], gérant de la société holding, la Sarl Curtayn Holding la somme de 312.901,48 euros à l'administration fiscale.

Par conséquent, il convient de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.

3)Sur les autres demandes

Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, Monsieur [W] [N] succombant, il sera tenu aux dépens d'appel.

Les circonstances de l'espèce, commandent de condamner Monsieur [W] [N] à payer au comptable du pôle de recouvrement spécialisé de la Marne la somme de 1.500 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles et de le débouter de sa demande en paiement sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par un arrêt contradictoire,

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CONFIRME le jugement rendu le 25 septembre 2020 par 'le tribunal judiciaire de Reims, en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

CONDAMNE Monsieur [W] [N] à payer à Monsieur le comptable du pôle de recouvrement spécialisé de la Marne la somme de 1.500 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Le déboute de sa demande en paiement sur ce même fondement.

Condamne Monsieur [W] [N] aux dépens d'appel et autorise la Selas Devarenne Grand Est, avocat, à les recouvrer directement dans les formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le greffier La présidente

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'

'

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Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ere chambre sect.civile
Numéro d'arrêt : 20/01477
Date de la décision : 05/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-05;20.01477 ?
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