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21/06/2022 | FRANCE | N°21/00640

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ere chambre sect.civile, 21 juin 2022, 21/00640


ARRET N°

du 21 juin 2022



R.G : N° RG 21/00640 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-E7H5





Ste Coopérative banque Pop. BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE





c/



[Z]

[T]











CL







Formule exécutoire le :

à :



la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT



la SCP SCP AUBERSON DESINGLY

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 21 JUIN 2022



APPELAN

TE :

d'un jugement rendu le 15 mars 2021 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHARLEVILLE MEZIERES



Ste Coopérative banque Pop. BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE

3 bis rue francois de curel

57000 METZ



Représentée par Me...

ARRET N°

du 21 juin 2022

R.G : N° RG 21/00640 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-E7H5

Ste Coopérative banque Pop. BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE

c/

[Z]

[T]

CL

Formule exécutoire le :

à :

la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT

la SCP SCP AUBERSON DESINGLY

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 21 JUIN 2022

APPELANTE :

d'un jugement rendu le 15 mars 2021 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CHARLEVILLE MEZIERES

Ste Coopérative banque Pop. BANQUE POPULAIRE ALSACE LORRAINE CHAMPAGNE

3 bis rue francois de curel

57000 METZ

Représentée par Me Jean-baptiste DENIS de la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT, avocat au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE

INTIMES :

Monsieur [E] [Z]

16, chemin des remparts

08310 AUSSONCE

Représenté par Me Florian AUBERSON de la SCP SCP AUBERSON DESINGLY, avocat au barreau des ARDENNES

Madame [I] [T]

16, chemin des des remparts

08310 AUSSONCE

Représentée par Me Florian AUBERSON de la SCP SCP AUBERSON DESINGLY, avocat au barreau des ARDENNES

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, président de chambre

Monsieur Cédric LECLER, conseiller

Mme Sandrine PILON, conseiller

GREFFIER :

Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 10 mai 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 21 juin 2022,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 21 juin 2022 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, président de chambre, et Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Par acte authentique en date du 17 novembre 2004, la société anonyme de banque coopérative à capital variable Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne (la banque) a consenti à Monsieur [E] [Z] et à Madame [I] [T] (les consorts [N]) un prêt relai de 186'000 euros remboursables en 175 mois dont 174 mois de franchise, au taux de 4,2 %, destiné à financer en partie l'achat d'un terrain et la construction de leur résidence principale.

Les conditions spécifiques du contrat ont précisé que ce contrat de prêt s'inscrivait dans le cadre d'un contrat général dit contrat d'épargne construction, composé d'une phase d'épargne et d'une phase de crédit, le contrat d'épargne construction n° 1732 991 étant passé par acte séparé entre la Bausparkasse Schwabisch Hall (la Bsh) et les consorts [N], l'accord sur le contrat de prêt étant conditionné par l'accord sur les deux phases du contrat d'épargne construction de la Bsh.

Par acte authentique en date du 14 novembre 2005, la banque a consenti aux consorts [N] un prêt de trésorerie de 46'000 euros remboursable sur 18 mois au taux de 5,5 %.

Le 21 mai 2014, la banque a adressé aux consorts [N] un courrier leur rappelant leur obligation de rembourser la somme de 450 euros par mois au titre du contrat d'épargne construction.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 21 octobre 2014, la banque a mis en demeure les consorts [N] de régler la somme de 41'271,49 euros, motif pris que ces derniers n'avaient pas respecté leur engagement de constituer l'épargne au titre du contrat d'épargne construction.

Par lettre recommandée avec accusée réception en date du 28 novembre 2014, la banque a accordé aux consorts [N] un ultime délai de 8 jours pour régulariser le retard accumulé au titre de la constitution de l'épargne, à l'issue duquel la déchéance du terme serait prononcée.

Par courrier du 9 février 2015, la banque a indiqué aux emprunteurs qu'un accord avait été trouvé au sujet du contrat d'épargne construction, mais que ceux-ci restaient lui devoir la somme de 1999,50 euros au titre des deux prêts de 46'000 euros et 186'000 euros.

Le 1er juillet 2015, la commission de surendettement des particuliers des Ardennes a sollicité l'accord de la banque et de la Bsh sur les mesures de réaménagement des dettes des consorts [N] qu'elle envisageait.

Par courrier du 15 juillet 2015, la banque a fait part de son accord à la commission, et le plan de surendettement est entré en application le 31 octobre 2015.

Par courrier du 26 mai 2015, la Bsh a indiqué la commission de surendettement qu'elle n'avait aucune créance à l'encontre des débiteurs, lesquels avaient constitué une épargne de 11'389,48 euros, somme qui devait être affectée au remboursement du prêt souscrit auprès de la banque.

Les consorts [N] ont bénéficié d'un moratoire de 24 mois afin de leur permettre de vendre leur bien immobilier; à cette occasion il a été constaté que la somme de 11'389,48 euros, épargnée dans le cadre du contrat épargne construction, n'était pas disponible, car nantie au profit de la banque.

À l'issue du plan, par courrier du 18 octobre 2017, les consorts [N] ont indiqué à la banque que le délai de 24 mois avait permis à Monsieur [Z] de retrouver un emploi, de sorte qu'ils étaient désormais en mesure de rembourser le prêt immobilier consenti par la banque, exposant souhaiter conserver leur maison, et non plus de la vendre.

Par courrier en date du 13 novembre 1017, la banque a informé les consorts [N] que la déchéance du terme était intervenue, et qu'ils lui étaient redevables de la somme de 233'624,29 euros.

Le 6 juin 2019, les consorts [N] ont assigné la banque devant le tribunal de grande instance de Charleville-Mézières.

En dernier lieu, les consorts [N] ont demandé de:

- condamner la banque au paiement d'une somme de 233'634,29 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel résultant des man'uvres dolosives commises par cette dernière;

- condamner la banque à leur verser une somme de 5000 euros en réparation de leur préjudice moral;

- dire que ces condamnations seraient assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de signification de la présente assignation;

- ordonner la capitalisation des intérêts;

- ordonner, en tant que de besoin la compensation entre les créances réciproques des parties;

- condamner la banque aux entiers dépens avec distraction profit leur conseil, et à leur payer la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles.

En dernier lieu, la banque a demandé de débouter les consorts [N] de leurs demandes et de les condamner à lui payer la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles.

Par jugement contradictoire en date du 15 mars 2021, le tribunal judiciaire de Charleville-Mézières a:

- condamné la banque à payer aux consorts [N] la somme de 230'506,61 euros de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision;

- débouté les consorts [N] de leurs demandes au titre de la capitalisation des intérêts;

- débouté les consorts [N] de leur demande de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral;

- condamné la banque à payer aux consorts [N] la somme de 1500 euros titre des frais irrépétibles ;

- débouté la banque de sa demande au titre des frais irrépétibles.

Le 26 mars 2021, la banque a relevé appel de ce jugement.

Le 12 avril 2022, a été rendue l'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:

Pour plus ample exposé, il sera expressément renvoyé aux écritures déposées:

- le 25 juin 2021 par la banque, appelante;

- le 23 septembre 2021 par les consorts [N], intimés.

Par voie d'infirmation, et à titre principal, la banque demande de débouter les consorts [N] de toutes leurs demandes.

A titre infiniment subsidiaire, elle demande de fixer le montant des condamnations prononcées à son encontre au montant du préjudice de la perte de chance de ne pas contracter qui ne pourrait être supérieure au montant de l'opération financière, déduction faite de la valeur actuelle du bien immobilier dont ils sont propriétaires et de l'apport de trésorerie pour un montant de 46'500 euros.

Elle demande d'ordonner la compensation entre le montant des condamnations prononcées à son encontre avec la somme de 233'634,29 euros, outre intérêts postérieurs dus par les consorts [N].

En tout état de cause, la banque demande la condamnation in solidum des consorts [N] à lui payer la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles des deux instances.

Les consorts [N] demandent la confirmation intégrale du jugement, de voir dire que les condamnations prononcées seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement, et de condamner la banque aux dépens d'appel avec distraction au profit de son conseil, et à lui payer la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

MOTIVATION:

Observations préliminaires.

En première instance, les consorts [N] ont réclamé la condamnation de la banque à leur payer la somme de 233 634,29 euros à titre de dommages-intérêts.

Cette somme correspond exactement à celle que leur réclame la banque par lettres recommandées en date du 13 novembre 2017.

Et cette somme correspond à la créance de la banque après déchéance du terme non seulement du prêt relais d'un principal de 186 000 euros (pour un total de 206 319,78 euros), mais encore du prêt de trésorerie d'un montant de 46 000 euros (pour un total de 27 314,51 euros)

Or, l'essentiel de leur argumentation porte sur les manquements prétendus de la banque à l'occasion de la souscription du prêt relais, mais non pas du prêt de trésorerie.

En effet, s'il apparaît que le prêt relai entretient des liens étroits avec le contrat d'épargne construction, ainsi qu'il le sera développé plus bas, le prêt de trésorerie n'a strictement aucun rapport avec ce contrat d'épargne construction.

Sur le contrat:

Sur son économie générale:

Il ressort de l'acte notarié et de ses annexes que la banque a consenti aux consorts [N] un prêt de 186'000 euros remboursable en 175 mois dont 174 mois de franchise, au taux de 4,2 %, destiné à financer en partie l'achat d'un terrain de construction de la résidence principale des emprunteurs.

Il ressort des conditions spécifiques du contrat de prêt que celui-ci s'inscrivait dans le cadre d'un contrat général dit "contrat d'épargne construction", composé d'une phase d'épargne et d'une phase de crédit, passé par acte séparé entre la Bsh et l'emprunteur, et que l'accord sur le présent prêt était conditionné par l'accord sur les deux phases du contrat d'épargne construction de la Bsh.

Ce contrat d'épargne se décompose en deux phases :

- dans un premier temps, d'une phase d'épargne pendant laquelle l'emprunteur constitue progressivement une épargne égale à un pourcentage du montant du contrat d'épargne construction dans les livres de la Bsh; pendant cette phase d'épargne, la banque consent à l'emprunteur un prêt relai objet des présentes; ce prêt est assorti d'une franchise en capital pendant laquelle seront prélevées des échéances comprenant les intérêts et, le cas échéant, les commissions;

- dans un second temps, lorsque le contrat épargne construction est attribué, la Bsh accorde à l'emprunteur un crédit d'épargne construction amortissable mensuellement ; ce crédit ainsi que l'épargne constituée seront affectés au remboursement du prêt relais consenti par la banque;

- outre les clauses d'exigibilité prévues aux conditions générales liant la banque aux emprunteurs au titre de ce prêt relai, ce denier deviendra immédiatement et de plein droit exigible si bon semble à la banque, en cas de non-respect par l'emprunteur de ses obligations nées de son contrat d'épargne construction.

Sur l'absence prétendue par les emprunteurs de toute relation contractuelle de leur part avec la Bsh:

Il ressort de leur demande de souscription du 24 août 2004 et des courriers en date des 12, 13 et 14 octobre 2004 adressés par la Bsh aux consorts [N], annexés à l'acte notarié, la démonstration que ces derniers ont sollicité auprès de cet établissement bancaire un contrat d'épargne construction, que la banque allemande leur a confirmé la souscription d'un tel contrat, en leur fournissant la fiche européenne standardisée d'information, et les échéanciers y afférents.

Et la banque produit un formulaire de modification de la surveillance de l'alimentation du contrat d'épargne construction de la Bsh, rempli et signé par les emprunteurs le 6 octobre 2010.

Dès lors, les consorts [N] sont malvenus à soutenir ne pas avoir signé de contrat d'épargne construction avec la Bsh.

Sur leur ignorance prétendue ce qu'ils souscrivaient un prêt relai, dont l'entier capital serait remboursable in fine:

L'acte notarié (page 5 et 8) qualifie le prêt consenti par la banque de prêt relai, et vient préciser qu'il est assorti d'une période de franchise en capital, pendant laquelle seront prélevées des échéances comprenant notamment les intérêts.

De même, les conditions particulières annexées à l'acte stipulent que ce prêt de 186 000 euros est consenti sur 175 mois, dont 174 de franchise en capital.

Et le courrier de la Bsh du 14 octobre 2004 énonce que la demande de prêt de 186 000 euros auprès de la banque est un prêt in fine.

De même, l'échéancier relatif au contrat d'épargne construction indique que le prêt relais est remboursable en une seule fois à son terme.

Dès lors, les consorts [N] ne peuvent pas raisonnablement soutenir ne pas avoir compris qu'ils avaient souscrit auprès de la banque un prêt relai, dont le capital était remboursable en son entier lors de la dernière échéance.

Sur les manquements de la banque à ses obligations légales pré-contractuelles:

Il ressort des articles L. 313-1 à L. 313-6, dans leur version applicable au jour de la signature du contrat, résultant de la loi n°1993-949 du 27 juillet 1993, l'obligation pour l'établissement de crédit d'informer les emprunteurs du taux effectif global, du taux d'usure, et du coût des assurances conditionnant la conclusion du prêt.

Les articles 6 et 7 des offres de prêts respectives ne mentionnent aucun coût d'assurance et renvoient, pour l'article 6, aux conditions générales et particulières des polices concernées.

Si les emprunteurs reconnaissent avoir reçu un exemplaire des dites notices, ces dernières ne sont pas communiquées.

Au surplus, l'obligation faite à l'établissement de crédit de consulter le fichier des incidents de paiement pour vérifier la solvabilité de l'emprunteur n'a été instituée que par une loi du 1er juillet 2010.

Il ressort des offres de prêt et de l'acte notarié la mention expresse de ce que l'assurance est facultative.

Alors que l'assurance ne conditionnait ainsi pas l'accès au crédit, la banque n'avait aucune obligation légale pré-contractuelle d'information à fournir à cet égard.

Au surplus, les manquements de l'établissement de crédit à ses obligations légales d'information pré-contractuelle, à les supposer établis, ne sont sanctionnés que par la déchéance du droit aux intérêts contractuels, et non par une condamnation à des dommages-intérêts.

En outre, le lien de causalité entre ces divers manquements de l'établissement de crédit, et le préjudice des emprunteurs, généré par leur endettement excessif, est inexistant.

Les prétentions indemnitaires des consorts [N] ne peuvent pas être fondées sur les manquements de la banque à ses obligations légales d'information pré-contractuelle, et d'ailleurs ceux-ci ne viennent pas le soutenir à hauteur d'appel.

Sur le manquement de la banque à son devoir de conseil:

Sauf disposition légale ou stipulation contractuelle contraire, la banque n'est pas tenue à une obligation de conseil à l'égard de son client.

Le banquier dispensateur de crédit n'a pas de devoir de conseil au nom du principe de non-ingérence.

L'établissement de crédit n'a pas à conseiller à l'emprunteur de souscrire une assurance pour garantir le prêt lorsque celle-ci est facultative.

Au regard des éléments susdits, le banquier n'était tenu à aucune obligation légale ou contractuelle de conseil.

Au surplus, il ressort de l'examen tant de l'offre du prêt relai que du prêt de trésorerie l'indication expresse que l'assurance est facultative.

Dès lors, la banque n'était pas tenue de conseiller aux consorts [N] de souscrire une assurance garantissant ces prêts respectifs.

L'action indemnitaire des consorts [N] ne peut pas prospérer sur le fondement du devoir de conseil.

Sur le manquement à l'obligation de mise en garde:

La banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'un emprunteur non averti lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution, ou qu'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

Quelle que soit la qualité de l'emprunteur, la banque n'est pas tenue à un devoir de mise en garde en l'absence de risque.

Cette inadaptation ou ce risque doivent s'apprécier à la date de l'engagement de l'emprunteur.

La charge de la preuve de cette inadaptation ou de ce risque appartient à l'emprunteur qui l'invoque.

En l'espèce, la banque ne soutient pas que les consorts [N] auraient la qualité d'emprunteurs avertis.

Mais ceux-ci n'apportent strictement aucun élément quant à la consistance de leur patrimoine et de leurs revenus au jour de l'emprunt litigieux le 17 novembre 2004 (prêt relai) mais aussi au jour de l'emprunt du 14 novembre 2005 (prêt de trésorerie), tandis qu'il ne ressort ni de l'acte authentique, ni des pièces y annexées, ni d'aucun autre élément du dossier que les emprunteurs auraient communiqué de quelconques éléments à ces titres à l'établissement de crédit.

Par là même, ils échouent dans l'administration de la preuve qui leur incombe tendant à l'inadaptation du prêt à leurs capacités financières ou à l'existence d'un risque d'endettement.

Et il n'apparaît pas en quoi la banque aurait disposé d'élément sur la situation des emprunteurs que ces derniers auraient ignorés.

Leur action ne peut donc pas prospérer sur la base d'un manquement de la banque à son obligation de mise en garde.

Sur le manquement de la banque à son devoir d'information:

S'agissant du prêt relai d'un principal de 186 000 euros:

L'établissement bancaire dispensant un crédit est tenu à une obligation d'information à l'égard de l'emprunteur.

Il ressort du courrier adressé par la banque le 21 mai 2014 aux consorts [N]:

- le rappel fait aux emprunteurs de ce qu'ils ne respectent plus leur obligation de constituer leur épargne à hauteur de 450 euros par mois auprès de la Bsh, devant être affecté à la couverture partielle du prêt in fine qu'elle-même leur avait consenti;

- l'avertissement que ce manquement est susceptible non seulement de compromettre l'attribution du prêt susceptible d'être consenti par la Bsh à l'issue de la phase d'épargne, mais encore de provoquer l'exigibilité immédiate du prêt relai, tel que prévu à l'article 4 des conditions générales de la banque.

Et les courriers des 21 octobre 2014 et 28 novembre 2014 adressés aux emprunteurs leur rappellent la poursuite de la cessation de leurs versements mensuels, et les mettent en demeure de payer l'arriéré y afférent, à défaut de déchéance du concours qu'elle leur a consenti.

Les courriers du 28 novembre 2014, dont les accusés de réceptions ont été signés par chacun des deux emprunteurs, leur impartissent de régler le retard accumulé dans le cadre d'épargne construction à hauteur de 41 271,49 euros (au 21 octobre 2014) sous 8 jours, à défaut de quoi la déchéance du terme interviendrait de plein droit sans nouvel avis de la part de la banque.

Et il ressort des courriers du 9 février 2015, dont les accusés de réception sont signés par les emprunteurs, que ceux-ci sont redevables à la banque des échéances du prêt relai à hauteur de 1999 euros, représentant 3 échéances de décembre 2014 à février 2015, et qu'elle les met en demeure de payer sous huitaine, à défaut de quoi la déchéance du terme interviendrait de plein droit sans nouvel avis de sa part.

Il ressort de ces éléments que la banque a prononcé la déchéance du terme en se fondant sur les manquements des emprunteurs à l'égard du contrat d'épargne construction.

Cependant, les conditions spécifiques de la banque, annexées à l'acte notarié, ne précisent pas le pourcentage du montant contrat d'épargne construction auquel elle a adossé son propre prêt relai, ni ne le quantifient, temporellement et numériquement.

En outre, il ressort des échanges des emprunteurs avec la Bsh des 12, 13 et 14 octobre 2014 ainsi que du tableau des échéances y annexés qu'eu égard au montant de 186 000 euros objet du prêt relai souscrit auprès de la banque, une attribution par choix de 43 % du montant du contrat a été retenu, aboutissant à une mensualité d'épargne de 450 euros à compter du 1er avril 2005 jusqu'au 30 mars 2019, durée à l'issue de laquelle les emprunteurs s'engageaient à constituer une épargne d'un montant de 80 732,57 euros, et à l'issue de laquelle la banque allemande consentirait un crédit immobilier destiné notamment à couvrir le paiement du crédit relai consenti par la banque.

Mais si les conditions spécifiques du prêt relai précisent que le prêt consenti par la banque devient immédiatement et de plein droit exigible en cas de non-respect par l'emprunteur de ses obligations nées de son contrat d'épargne construction, les conditions générales de ce contrat d'épargne construction n'ont pas été produites par les parties, et en tout état de cause n'ont pas été annexées à l'acte notarié par lequel la banque a consenti le prêt relai.

Plus spécialement, aucune mention de l'acte notarié et de ses annexes ne vient rappeler à l'emprunteur qu'en cas de cessation de ses versements mensuels au titre du contrat d'épargne construction, non seulement l'octroi par la banque allemande du crédit au terme de phase d'épargne se trouve compromis, mais encore que le prêt relai que lui a consenti la banque deviendrait immédiatement exigible.

Alors que la banque avait ainsi fait de l'irrespect des conditions du contrat d'épargne construction une condition de déchéance du terme de son propre prêt relai, elle a ainsi manqué à son obligation d'information.

Et le défaut d'information de la banque, fautif, entretient un lien de causalité avec le préjudice des emprunteurs, résultant du prononcé par la banque de l'exigibilité des sommes dues en vertu du prêt relai.

Le préjudice des [N], résultant de la déchéance du terme du prêt de trésorerie, et de l'exigibilité immédiate du solde et des ses accessoires, sera évalué à 206 319,78 euros selon courrier de la banque du 13 novembre 2017.

S'agissant du prêt de trésorerie:

Il ressort de l'article 9 des conditions générales du prêt y afférent que la déchéance du terme est encourue en cas de défaut de paiement d'une seule échéance à bonne date.

La clause à cet égard, claire, expresse et non équivoque, est exclusive de toute obligation d'information par la banque.

Or, les courriers du 9 février 2015 adressés [N] dont ils ont signé l'accusé de réception, les mettent en demeure sous huitaine de régler les échéances impayées de ce prêt de trésorerie de décembre 2014 à février 2012 inclus, à défaut de quoi la déchéance du terme serait prononcée de plein droit sans nouvel avis.

Dès lors, le préjudice des [N], résultant de la déchéance du terme du contrat de trésorerie, et de l'exigibilité immédiate du solde et de ses accessoires, évalués à 27 314,51 euros par courrier du 13 novembre 2017, n'est en rapport avec aucune faute de la banque.

Sur la réparation du préjudice:

Le manquement d'un établissement de crédit à son obligation d'information s'analyse en une perte de chance de ne pas contracter, laquelle ne peut être mesurée qu'à la chance perdue, et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

Il ressort des éléments sus analysés, notamment ceux afférents à la souscription du contrat d'épargne construction auprès de la banque allemande, que dès le mois d'août 2014 les consorts [N], avaient déjà sollicité la banque allemande en vue de la souscription auprès de la Banque populaire d'un crédit en principal de 186 000 euros, tandis que l'acte notarié vient rappeler que le crédit relai avait pour objet l'achat d'un terrain et la construction de la résidence principale des emprunteurs.

Au vu de ses éléments, il sera retenu que si les consorts [N] avaient été plus exactement informés par la banque, ils auraient cependant souscrit l'emprunt au titre du crédit relai selon une probabilité estimée par la cour à 70 %.

Les intimés ont ainsi perdu une chance de ne pas souscrire l'emprunt litigieux dans une proportion de 30 %.

Et l'usage que les emprunteurs ont fait de ce crédit est indifférent à la consommation de leur préjudice, de telle sorte que la banque est mal venue à soutenir qu'il y aurait lieu de procéder, pour évaluer leur perte de chance de ne pas souscrire, à la déduction de la valeur actuelle de leur bien immobilier.

Il conviendra donc de condamner la banque à payer aux consorts [N] la somme de 61 895,93 euros (206 319,78 x 30 %), avec intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2021, jour du jugement, et le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la compensation:

Selon l'article 1347 du Code civil,

La compensation est l'extinction simultanée d'obligations réciproques entre deux personnes.

Elle s'opère, sous réserve d'être invoquée, à due concurrence, à la date où ces conditions se trouvent réunies.

Selon l'article 1347-1 du Code civil,

Sous réserve des dispositions prévues à la sous-section suivante, la compensation n'a lieu qu'entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles.

Selon l'article 1348 du même code,

La compensation peut être prononcée en justice, même si l'une des obligations, quoique certaines, n'est pas encore liquide ou exigible. À moins qu'il n'en soit décidé autrement, la compensation produit alors ses effets à la date de la décision.

Selon l'article 1348 du même code,

Le juge ne peut refuser la compensation de dettes connexes au seul motif que l'une des obligations ne serait pas liquide ou exigible.

Dans ce cas, la compensation est réputée s'être produite au jour de l'exigibilité de la première d'entre elles.

Dans le même cas, l'acquisition de droits par un tiers sur l'une des obligations n'empêche pas son débiteur d'opposer la compensation.

Il ressort des éléments susdits que le caractère certain, liquide, exigible de la créance de la banque à hauteur de 233 634,29 euros, outre intérêts postérieurs, résultant de la déchéance du terme des deux prêts litigieux, est suffisamment établi, et se trouve encore renforcé par la reconnaissance à cet égard par les consorts [N], qui fondent le principe et le quantum de leur demande indemnitaire sur la demande de paiement de la banque.

Il conviendra donc d'ordonner la compensation de la condamnation à hauteur de 61 895,93 euros prononcée à l'encontre de la banque au profit des consorts [N] avec la somme de 233 634,29 outre intérêts postérieurs dus à celle-là par ceux-ci.

*****

A la demande des consorts [N], le jugement sera confirmé en ce qu'il les a déboutés de leur demande indemnitaire pour préjudice moral, et de leur demande au titre de la capitalisation des intérêts.

Il sera rappelé que le présent arrêt vaudra titre de restitution des sommes versées en exécution du jugement déféré.

La banque sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance, et sera condamnée aux entiers dépens de première instance et à payer aux consorts [N] la somme de 1500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance: le jugement sera confirmé de ces chefs.

L'issue du litige à hauteur d'appel conduira à débouter les parties de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles d'appel.

La banque sera condamnée aux entiers dépens d'appel.

Il sera ordonné distraction au profit du conseil des consorts [N] des dépens des deux instances.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société anonyme de banque coopérative à capital variable Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne à payer à Monsieur [E] [Z] et à Madame [I] [T] la somme de 230 506,61 euros euros de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant:

Condamne la société anonyme de banque coopérative à capital variable Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne à payer à Monsieur [E] [Z] et à Madame [I] [T] la somme de 61 895,93 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2021;

Rappelle que le présent arrêt vaudra titre de restitution des sommes versées en exécution du jugement déféré;

Ordonne compensation de la somme de 61 895,93 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2021 due par la banque coopérative à capital variable Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne à Monsieur [E] [Z] et à Madame [I] [T] avec la somme de 233 634,29 euros outre intérêts postérieurs dus à la banque coopérative à capital variable Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne par Monsieur [E] [Z] et Madame [I] [T];

Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel;

Condamne la société anonyme de banque coopérative à capital variable Banque Populaire Alsace Lorraine Champagne aux entiers d'appel;

Ordonne distraction au profit de la Scp Auberson et Desingly, conseil de Monsieur [E] [Z] et Madame [I] [T], de ceux des dépens de première instance et d'appel dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Le greffier La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ere chambre sect.civile
Numéro d'arrêt : 21/00640
Date de la décision : 21/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-21;21.00640 ?
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