ARRET N°
du 10 mai 2022
R.G : N° RG 18/02726 - N° Portalis DBVQ-V-B7C-ES76
S.A.R.L. BACCHUS ET CIE
c/
[W]
[W]
[W]
S.A.R.L. GMD
Formule exécutoire le :
à :
la SCP RAHOLA CREUSAT LEFEVRE
la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 10 MAI 2022
APPELANTE :
d'un jugement rendu le 23 novembre 2018 par le Tribunal de Grande Instance de REIMS
SARL BACCHUS ET CIE
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Stanislas CREUSAT de la SCP RAHOLA CREUSAT LEFEVRE, avocat au barreau de REIMS
INTIMES :
Madame [I] [W]
[Adresse 1]
[Localité 10]
Représentée par Me Colette HYONNE de la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT, avocat au barreau de REIMS
Madame [J] [W] épouse [B]
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentée par Me Colette HYONNE de la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT, avocat au barreau de REIMS
Monsieur [C] [W]
[Adresse 8]
[Localité 6]
Représenté par Me Colette HYONNE de la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT, avocat au barreau de REIMS
SARL GMD RCS REIMS
[Adresse 9]
[Localité 6]
Représentée par Me Pascal GUERIN, avocat au barreau de REIMS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
Madame Florence MATHIEU, conseiller, a entendu les plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées ; en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Elisabeth JUNGBLUTH, président de chambre
Madame Florence MATHIEU, conseiller
Madame Véronique MAUSSIRE, conseiller
GREFFIER :
M. Abdel-Ali AIT AKKA, Greffier Placé lors des débats et Monsieur MUFFAT-GENDET greffier lors du prononcé
DEBATS :
A l'audience publique du 28 mars 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 10 mai 2022,
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 10 mai 2022 et signé par Madame Elisabeth JUNGBLUTH, président de chambre, et Monsieur MUFFAT-GENDET greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Le 18 septembre 2013, Mme [I] [W], Mme [J] [B] née [W] et M. [C] [W] ont donné à bail commercial à la Sarl Bacchus & Cie, enseigne « LE CLOS » un ensemble immobilier situé au [Adresse 3].
Souhaitant faire des travaux, la Sarl Bacchus & Cie a déposé un permis de construire auprès de la mairie de [Localité 11], qui a été accordé le 3 juillet 2015.
Le 22 octobre 2015, la Sarl GMD a acquis un immeuble voisin situé au [Adresse 2], lequel fut donné à bail commercial à la Sarl Asie France.
Courant juin 2017, la Sarl Bacchus & Cie a aménagé la cour intérieure en installant une toiture sur le pourtour de la cour.
Informé de ce fait par son locataire, la Sarl ASIE France par courrier recommandé du 26 avril 2017, la Sarl GMD, bailleur du local commercial voisin, a assigné en référé la Sarl Bacchus & Cie le 11 octobre 2017 afin d'obtenir la destruction de l'édifice litigieux aux motifs qu'il empêche l'exercice des servitudes et occasionne un trouble manifestement illicite à ses locaux. Au cours de l'instance la Sarl GMD a mis en cause par assignation du 18 janvier 2018 les consorts [W], bailleurs de la Sarl Bacchus & Cie.
Par ordonnance du 23 mai 2018, le juge des référés a débouté la Sarl GMD de toutes ces demandes. Après signification aux parties, aucun appel n'a été interjeté.
Par ordonnance du 15 juin 2018, la société GMD a été autorisée à assigner à jour fixe la Sarl Bacchus & Cie et ses bailleurs, les consorts [W].
La Sarl GMD a demandé au tribunal au visa des articles 1240 et 544 du code civil, et sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de :
-dire et juger que la construction réalisée par la Sarl Bacchus & Cie en juin 2017, dans sa partie accolée au mur de la société GMD, constitue un trouble illicite pour occulter les fenêtres de la cuisine au rez-de-chaussée et de la montée d'escaliers et pour rendre impossible l'accès à la cave par la porte cochère,
-ordonner la démolition de l'ouvrage litigieux, et pour le moins le repousser à une distance d'au moins 4m de la limite séparative des deux fonds, et ce, sous astreinte de 500 euros par jour passé le délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir et ce, pendant 3 mois, passé lequel délai il sera à nouveau fait droit,
-condamner la Sarl Bacchus & Cie au paiement d'une somme de 10.000 euros en réparation du préjudice occasionné,
-déclarer commun aux bailleurs de la Sarl Bacchus & Cie, l'indivision [W], le jugement à intervenir,
-condamner la Sarl Bacchus & Cie au paiement d'une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-la condamner aux entiers dépens lesquels comprendront le coût du procès-verbal de constat des 4 juillet et 12 septembre 2017.
Par jugement en date du 23 novembre 2018, le tribunal de grande instance de Reims a:
-jugé que l'installation d'un auvent opaque au dessus de trois fenêtres du rez-de-chaussée de l'immeuble cadastré section BE n°[Cadastre 4] ([Adresse 2]) constitue un trouble anormal de voisinage par la privation de luminosité naturelle,
-ordonné à la Sarl Bacchus & Cie de mettre un terme à ce trouble, sous astreinte de 200 euros par jour de retard passé un délai de deux mois après signification du présent jugement, et ce pendant un délai de trois mois, à l'issue duquel il sera de nouveau fait droit si besoin,
-dit que tribunal se réserve la liquidation de l'astreinte provisoire susvisée,
-condamné la Sarl Bacchus & Cie à verser à la Sarl GMD une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-débouté les parties du surplus de leurs demandes,
-condamné la Sarl Bacchus & Cie aux entiers dépens comprenant le coût du procès-verbal de constat des 4 juillet et 12 septembre 2017, avec faculté de recouvrement direct au profit de Me Harant,
-ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Le tribunal a estimé :
- que le propriétaire qui ne réside pas sur son fonds est recevable à demander qu'il soit mis fin aux troubles anormaux de voisinage provenant du fonds voisin, de sorte que en application de l'article 32 du code de procédure civile, la Sarl GMD sera déclarée recevable à agir,
- que l'ilicéité de l'installation alléguée n'est pas démontrée, en ce que les juridictions judiciaires ne sont pas compétentes pour statuer sur la légalité du permis accordé et que par ailleurs les servitudes actées dans le titre de propriété de la Sarl GMD ne sont pas indiquées dans le contrat de bail commercial liant les consorts [W] à la Sarl Bacchus & Cie,
- qu'en revanche est caractérisé un trouble anormal de voisinage par perte totale de luminosité dans la cuisine de l'immeuble appartenant à la Sarl GMD trouble ne s'étendant pas à l'utilisation du droit de passage à la cave, le procès-verbal de constat n'en faisant nullement état et aucune attestation de tiers ne venant corroborer les dires du demandeur sur ce point,
- que la Sarl GMD n'étant pas la victime directe de la perte de luminosité et ne pouvant être indemnisée en lieu et place de son locataire, devait être déboutée de sa demande de dommages et intérêts,
- sur les mesures propres à faire cesser le trouble anormal de voisinage que dans la mesure où d'une part la structure litigieuse est de l'aveu de la société Bacchus amovible et que d'autre part les fenêtres privées de lumière naturelle sont en nombre limité, il appartient à la société Bacchus en conformité avec les règles d'urbanisme applicable, de rétablir le fonds voisin dans son accès antérieur à l'ensoleillement naturel,
-sur les demandes relatives au respect, par la société Asie France, des règles d'hygiène et de sécurité, que cette demande, non fondée en droit, outre le fait qu'elle était étrangère au litige au sens de l'article 70 du code de procédure civile, n'est pas fondée en fait, aucune pièce ne venant confirmer l'illicéité alléguée, et aucune difficulté n'ayant jamais été signalée à ce titre au preneur de la société GMD.
Par déclaration enregistrée le 21 décembre 2018, la Sarl Bacchus et Cie a interjeté appel de ce jugement.
Par un arrêt rendu le 12 mai 2020, cette cour a sursis à statuer dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal de grande instance de Reims par ordonnance du 4 septembre 2019 confirmée par arrêt de la cour d'appel du 11 février 2020.
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 12 mai 2021.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 22 juin 2021, la Sarl Bacchus et Cie demande à la cour de :
Vu les articles 676 et suivants, 1240, 1712, 1726 du code civil,
Vu l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public,
-confirmer le jugement en ce qu'il a :
- jugé que la servitude alléguée n'était pas opposable à la société Bacchus & Cie car absente du contrat de bail commercial la liant aux bailleurs,
- déclaré incompétentes les juridictions judiciaires pour statuer sur la légalité du permis de construire,
- débouté la Sarl GMD de sa demande de dommage et intérêts concernant la perte de luminosité en ce qu'elle n'est pas la victime directe du dommage, et préciser en outre qu'elle ferait doublon avec d'éventuelles mesures de remise en état,
- débouté la Sarl GMD de sa demande de dommages et intérêts concernant l'entrave à son droit de passage pour accéder à la cave, celle-ci n'en rapportant pas la preuve,
Statuant à nouveau,
-débouter la société GMD de ses demandes, fins et conclusions,
-débouter la Sarl GMD de son appel incident,
Subsidiairement, si la Cour devait faire droit aux demandes :
-avant dire droit, ordonner toute mesure d'expertise avec pour mission de :
-constater et mesurer objectivement les troubles allégués
-prendre connaissance des caractéristiques de l'établissement exploité dans les locaux de la société GMD et dire s'il respecte, notamment au regard des ouvertures pratiquées sur le fonds exploité par la Sarl Bacchus & Cie, les règles applicables en matière d'hygiène et d'incendie,
-dans la négative, décrire les mesures propres à mettre l'établissement exploité dans les locaux de la société GMD en conformité avec les règles applicables en matière d'hygiène et d'incendie,
-dire si les troubles allégués par la société GMD trouvent leur source, au moins pour partie, dans le non-respect des règles applicables en matière d'hygiène et d'incendie, ou s'ils seraient atténués ou supprimés dans l'hypothèse où l'exploitant les respecterait,
-décrire les mesures propres à faire cesser, ou plutôt à rendre "normaux" les troubles allégués par la société GMD en tenant compte s'il y a lieu, des mesures nécessaires à la mise en conformité de ses propres locaux au regard des règles applicables en matière d'hygiène et d'incendie,
-sur d'éventuels remèdes, dire qu'un éventuel recul ne saurait excéder la distance de 1,90 mètre depuis le parement extérieur de chacune des ouvertures bénéficiant d'une servitude de vue, si celle-ci devait être reconnue par le juge,
-infirmer le rejet de la demande de garantie de la Sarl Bacchus & Cie, et ainsi dire que les consorts [W], bailleurs de la Sarl Bacchus & Cie, devront la garantir de toutes condamnations éventuelles,
Et en tout état de cause, infirmer le jugement en ce qu'il n'a pas fait droit aux demandes de la société Bacchus & Cie et statuant à nouveau, condamner la Sarl GMD :
-à procéder ou faire procéder par son preneur à une visite des services en charge de l'hygiène et de ceux en charge de la sécurité incendie des locaux occupés par le Palais d'Asie, dans les 3 mois de la signification de la décision à intervenir, et ce sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé ce délai,
-à communiquer à la Sarl Bacchus & Cie les dates des visites et les rapports correspondant à ces visites, au plus tard 15 jours après leur établissement, et ce sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé ce délai,
-à mettre ou à faire mettre ceux-ci en conformité par son preneur avec les résultats des deux rapports de contrôle, et ce dans les 3 mois de la date d'établissement de chacun, et ce sous astreinte de 250 euros par jour de retard passé ce délai,
-se réserver la liquidation desdites astreintes,
-infirmer le jugement sur tous les autres points,
-infirmer le jugement en ce qu'il a fait peser sur la société Bacchus & Cie les dépens de première instance,
Statuant à nouveau,
-débouter la société GMD de son appel incident,
-condamner la société GMD à verser à la société Bacchus & Cie une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner la société GMD aux dépens de première instance et d'appel.
A l'appui de son appel, la Sarl Bacchus et Cie expose :
- qu'elle est recevable et bien fondée à s'opposer aux revendications d'absence de respect de servitudes et droits réels du propriétaire du fonds voisin qui ne sont stipulés dans son bail,
- que les fenêtres à l'étage ont des verres transparents sans que ne soit apporter la preuve de l'acquisition d'une servitude de vue par titre ou prescription trentenaire, que donc non seulement, la Sarl GMD ne bénéficie d'aucun droit à lumière ou à voir qui aurait été violé mais de sucroit est en infraction,
- que les fenêtres du rez de chaussé ont des verres semi opaque et grillagés caractérisant un jour révocable, et qu'elles méconnaissent les règles d'hygiène et de sécurité incendie, qu'aussi contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, cette question de la conformité à la réglementation est au c'ur du sujet, puisque si les évacuations et les fenêtres du Palais d'Asie ne sont pas conformes aux règles d'hygiène, celles-ci devront in fine être supprimées,
-sur l'absence de preuve d'une gêne au passage, d'une part que, dans le bail du 10 janvier 1979, à supposer qu'il s'agisse de celui du Palais d'Asie, il est uniquement fait mention de "l'entrée et de la sortie des fûts de vin", ce qui ne constitue pas un droit de passage, que d'autre part, l'accès n'est aucunement empêché, ni même gêné à quelque titre tel que démontré par les photographies prises le 9 janvier 2018, et que la question est posée à l'expert
-à titre subsidiaire, sur le demande de recul de quatre mètres et sur les "solutions" proposées par la Sarl GMD, que le recul ne peut être que de 1,90 mètre en face de chaque ouverture bénéficiant d'une éventuelle servitude de vue, d'autant plus qu'il existe peut-être des remèdes n'imposant pas une destruction totale, ne serait-ce que parce que l'ouvrage n'est pas dans son entier dans les vues revendiquées, ce qui nécessite la désignation d'un expert,
-sur les relations entre la société Bacchus et ses bailleurs les consorts [W], qu'elle n'a commis aucune faute et a agi conformément aux droits qu'elle détient de son bail,
-sur l'appel incident formulé par la société GMD que la Sarl GMD devra être déboutée de son appel incident, l'entrave à son droit de passage pour accéder à la cave n'étant pas prouvée.
Aux termes de leurs dernières écritures notifiées électroniquement le 28 février 2022, les consorts [W] concluent à l'infirmation de la décision déférée et demandent à la cour de :
-juger que la Sarl GMD échoue à rapporter la preuve de l'existence d'un trouble anormal de voisinage, d'un trouble manifestement illicite, ou surtout d'un quelconque préjudice qui permettrait seule de faire droit à la demande de démolition de l'ouvrage,
-débouter la Sarl GMD de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- juger que seule la société Bacchus & Cie peut être condamnée au titre du trouble anormal de voisinage allégué,
-débouter la société Bacchus & Cie de toute demande de garantie dirigée contre les concluants dans la mesure où il ne s'agit pas ici d'une action venant consacrer un trouble dans l'exercice du droit de jouissance, mais bien une faute commise par le locataire, dont ne sauraient être responsables les propriétaires des murs,
-condamner la partie succombante à régler à Mme [I] [W], Mme [J] [B] née [W] et M. [C] [W], à chacun,une somme de 1.500 euros, une somme de 1.500 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
- que le défaut d'action du locataire du fonds voisin, la société ASIE France, qui aurait été la victime directe du préjudice allégué, suffit à établir qu'il n'existe aucune urgence,
- la société GMD ne prouve pas de manière incontestable le trouble manifestement illicite invoqué et le lien entre ce trouble et les agissements de la société Bacchus & Cie. Il n'est pas davantage justifié de la faute qui aurait été émise par la société Bacchus & Cie,
-les servitudes litigieuses ne sont nullement établies, le caractère manifestement illicite du trouble n'étant pas établi lorsque l'atteinte alléguée à un droit de passage n'est pas démontrée,
-le préjudice subi par la société GMD n'est pas rapporté, pas plus que la violation de règles d'urbanisme alléguée. De plus, la société GMD ne saurait agir à la place de sa locataire,
-les dispositions de l'article 1726 et de l'article 1727 du code civil, qui viennent garantir au locataire la jouissance paisible des lieux loués, ne sauraient trouver à s'appliquer en l'espèce dans la mesure où la société Bacchus & Cie est poursuivie en raison de sa seule action et sur le terrain de sa responsabilité délictuelle, et n'a en rien été troublée dans sa jouissance des lieux,
-seule la société Bacchus & Cie peut être condamnée au titre de ce trouble anormal de voisinage.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 2021, la Sarl GMD demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles 1240 et 544 du code civil
-dire et juger la société Bacchus & Cie mal fondée en son appel, l'en débouter,
-recevoir la société GMD en son appel incident, l'y déclarer fondée,
-infirmer partiellement la décision déférée à la critique de la Cour et statuant à nouveau,
-dire et juger que l'installation d'un haut-vent appuyé sur l'immeuble de la société GMD constitue un trouble anormal de voisinage par privation de la luminosité naturelle, par limitation de l'aération des fenêtres et par limitation des vues auxquelles GMD a droit,
-dire et juger que l'immeuble de la société GMD bénéficie bien d'une servitude de passage
pour permettre l'accès de sa cave en vue des livraisons,
-dire et juger que le fait que cette servitude ne soit pas mentionnée dans le bail consenti à la société Bacchus & Cie n'est pas de nature à l'écarter,
En conséquence,
-dire et juger irrecevable la société Bacchus & Cie à invoquer la distance de 19 dm, visée à l'article 678 du Code civil alors que la construction de son haut-vent ne constitue pas la création d'une ouverture et d'une vue droite ou oblique sur un fond voisin,
-ordonner la démolition pure et simple du haut-vent appuyé sur l'immeuble de la société GMD sur une profondeur de 4 m à compter du mur pignon séparatif des deux fonds, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et ce, pendant 3 mois, passé lequel délai il sera à nouveau fait droit,
-dire et renvoyer les parties devant le juge de l'exécution pour la liquidation de l'astreinte
provisoire,
-condamnerla Sarl Bacchus & Cie et les consorts [W], à lui payer chacun la somme de 8.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
A l'appui de ses prétentions, la Sarl GMD reprend ses moyens selon lesquels les servitudes dont elle se prévaut datent de la construction de l'immeuble et ont été dûment publiées au Service de la publicité foncière, que l'existence des fenêtres implantées dans la façade de l'immeuble de GMD, comme la servitude de passage sont établies, par titre et font partie de l'architecture de l'immeuble, à sa conception, que le fait que les consorts [W], propriétaires bailleurs de la société Bacchus & Cie, aient omis d'en informer la société Bacchus & Cie n'est pas de nature à mettre un terme ou suspendre ces servitudes , qu'en réalisant sa construction, la société Bacchus & Cie a occasionné un préjudice à l'immeuble voisin en occultant les fenêtres du rez-de-chaussée, ainsi que celles de la montée d'escalier, rendant impossible l'accès à sa cave pour les livraisons.
S'agissant de la réparation du préjudice que la démolition de la construction pour mettre un terme au trouble manifestement illicite devra être ordonné laquelle ne pourra qu'être réalisée et implantée à une distance de 4 m de la limite séparative des deux fonds.
Sur la mise en cause des consorts [W] elle soutient que les travaux réalisés par la société Bacchus & Cie n'ont apparemment fait l'objet d'aucune autorisation du bailleur alors que celle-ci est requise dans le bail mais que les consorts [W], propriétaires bailleurs n'ont pris aucune initiative pour faire cesser ce trouble manifestement illicite et qu'en conséquence ils doivent répondre du comportement de leur locataire à l'égard des voisins.
Elle insiste sur le fait que l'expertise judiciaire a mis en évidence l'utilité de la servitude de passage en indiquant "Il y aurait donc à notre avis une réelle utilité à cette servitude, qui n'est pas là pour un simple accès d'égrément du restaurateur Asie France mais bien pour exploiter son outil de travail".
Elle ajoute que les constructions réalisées par la société Bacchus &Cie créent un trouble anormal de voisinage sur l'immeuble voisin lui appartenant consistant en une privation des vues par occulatation des fenêtres, privation de lumière et privation d'accès à la cave pour les livraisons.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mars 2022.
MOTIFS
Sur l'intérêt à agir de la Sarl GMD.
L'intérêt à agir prévu à l'article 32 du code de procédure civile dont le défaut se traduit aux termes de l'article 122 du code de procédure civile par l'irrecevabilité de la demande se définit comme le profit, l'utilité ou l'avantage patrimonial ou extra patrimonial pécuniaire ou simplement moral que l'action est susceptible de procurer aux plaideurs.
L'existence du droit invoqué n'est pas une condition de recevabilité de l'action mais de son succès.
Il doit être apprécié au moment de l'introduction de la demande justice.
En l'espèce la Sarl GMD estime qu'une construction effectuée en limite de sa propriété occulte des fenêtres du rez-de-chaussée de la montée d'escalier et de l'étage de son immeuble et rend impossible l'accès à sa cave par la porte cochère.
Elle a dès lors intérêt à agir en sa qualité de propriétaire, même si elle n'a pas la jouissance des lieux qu'elle a donnés en location, pour réclamer la démolition de cette construction et des dommages et intérêts en réparation du préjudice occasionné par celle-ci.
En conséquence le jugement est confirmé en ce qu'il déclare l'action de la Sarl GMD recevable
Sur le fond
*Sur les demandes principales de la Sarl GMD relatives à la privation de l'ensoleillement et à l'entrave à son droit de passage
Il est constant que la Sarl Bacchus & Cie bénéficiant d'un bail commercial des consorts [W] a aménagé les locaux donnés à bail en installant un auvent opaque sur le pourtour de la cour intérieure de l'immeuble et en limite de propriété du fonds appartenant à la Sarl GMD que celle-ci loue par bail commercial à la Sarl Asie France.
La Sarl GMD estime que cet ouvrage amovible occulte des fenêtres du rez-de-chaussée, de la montée d'escalier et de l'étage de l'immeuble dont elle est propriétaire et nuit à la servitude de passage par titre dont elle bénéficie en rendant impossible l'accès à la cave. Elle réclame la démolition de l'auvent tout au moins sur une distance de 4 m de la limite séparative des deux fonds.
Dans le même temps la Sarl Bacchus qui estime que la Sarl GMD qui se prévaut du déficit lumineux ne justifie pas préalablement d'une part de son droit d'installer des fenêtres à verres transparents à l'étage de son immeuble, et d'autre part de son droit à conserver les ouvertures du rez de chaussée compte tenu de l'absence de conformité de celles-ci à la réglementation et aux règles d'hygiène et de sécurité incendie, a obtenu par une ordonnance rendue le 4 septembre 2019 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Reims confirmée par arrêt de la cour d'appel de Reims du 11 février 2020, l'organisation d'une expertise notamment pour se prononcer sur l'existence et les conséquences des nuisances résultant de la présence des fenêtres et ouvertures et confiée à Monsieur [H] [K].
De même s'agissant de la violation du droit de passage vers la cave dont se prévaut la Sarl GMD, la Sarl Bacchus & Cie qui soutient que le contrat de bail ne mentionnant aucun droit de passage, ledit droit lui est inopossable, insiste sur le fait que le tribunal de Grande instance a estimé que la Sarl GMD ne justifiait pas d'une entrave à son droit de passage pour accéder à la cave et qu'aucune violation ne pouvait lui être reprochée.
Aux termes de l'article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.
Selon la théorie prétorienne des troubles anormaux du voisinage, dans l'usage régulier de son bien, tout propriétaire supporte une obligation de ne pas causer à ses voisins un dommage excédant la mesure des inconvénients ordinaires du voisinage ; que le dommage suffit indépendamment de la faute, de la garde de la chose et même de l'absence de violation des règlements ou autorisations de type administratif.
Il est établi par le procès-verbal de constat dressé les 4 juillet et 12 septembre 2017 par Maître [X], huissier de justice que :
"Cette cuisine possède côté façade arrière de grandes fenêtres PVC avec double vitrage et imposte vitrée et côté droit, c'est-à-dire côté entrée sur la cour exploitée par "Le Clos" une grande fenêtre en bois avec vitrage également translucide. En dépit de trois grandes fenêtres, et alors qu'à l'extérieur le temps est radieux et ensoleillé, j'observe que la cuisine du restaurant le palais d'Asie est particulièrement sombre et nécessite pour pouvoir y travailler d'utiliser l'éclairage artificiel (...). je constate la présence d'une toiture juste au-dessus de ceux des fenêtres(...) Cette avancée de toiture que j'estime d'environ 3 m est totalement opaque (...) Ces deux fenêtres étant ouvertes, je constate que l'avancée de toiture prive de toute lumière naturelle directe à l'intérieur de la pièce et provoque de manière évidente son assombrissement.
J'observe que la toiture nouvelle installée par la Sarl Bacchus est à hauteur de la fenêtre située dans la montée d'escalier, avant le premier étage, dont elle obstrue le tiers inférieur. La planche de rive de la toiture est située immédiatement devant, ce qui est inesthétique pour les utilisateurs de l'escalier".
La cour comme le premier juge relève que le débat relatif à l'existence de servitudes de vue ou de jour initié par la Sarl Bacchus est inopérant dès lors que tel n'est pas le fondement des demandes de la Sarl GMD.
S'agissant de la perte d'ensoleillement, il résulte des pièces communiquées que :
-dans l'acte de vente de l'immeuble actuellement cadastré section BE n°[Cadastre 4] du 24 mai 1984 ([Adresse 2]), il est stipulé que le rez-de-chaussée est constitué "d'une grande salle sur la rue du temple et d'une grande pièce à la suite, éclairée sur chartil et sur cour"; que l'acte de vente de l'immeuble sis [Adresse 3] dressé le 11 décembre 1961 au profit des époux [Z], auteurs des consorts [W], énonce expressément que "les fenêtres du rez-de-chaussée sur chartil et sur cour sont grillagées de façon à n'avoir aucune communication avec ce chartil et cette cour, mais les vendeurs précisent que si ce grillage doit rester fixe et non ouvrant, les fenêtres derrière peuvent être ouvertes pour l'aération"; que l'acte de vente dressée le 13 novembre 1986 au profit des consorts [W] se réfère expressément en page huit aux mitoyennetés et servitudes énoncées dans l'acte du 11 décembre 1961:
-l'existence des grillagées vitres opaques est constatée par le procès-verbal de constat de Me [X], ce dispositif n'étant pas contrairement à ce que soutient la Sarl Bacchus, occultant, dès lors que l'on voit en transparence l'auvent litigieux,
-la Sarl Bacchus ne peut raisonnablement soutenir n'avoir créé aucun préjudice au fonds voisin en installant un dispositif opaque de plus de 3 m au-dessus de trois fenêtres.
Dès lors, est ainsi caractérisée la perte totale de luminosité dans la cuisine de l'immeuble appartenant à la Sarl GMD et constitue un trouble anormal justifiant qu'il y soit mis un terme.
Dans ces conditions, la cour comme les premiers juges, relève que la demande de la société GMD tendant à voir fixer une limite à 4 mètres n'est fondée sur aucune réglementation applicable au litige; aussi il appartiendra à la Sarl Bacchus, laquelle soutient que l'installation est amovible de libérer les fenêtres du rez-de-chaussée de la façade donnant sur la cour de l'immeuble de la Sarl GMD de l'auvent litigieux ou à tout le moins de son effet occultant, afin de rétablir le fonds voisin dans son accès antérieur à l'ensoleillement naturel, sous astreinte, selon des modalités précisées au dispositif du présent arrêt.
S'agissant de l'entrave au droit de passage, l 'expert judiciaire, dans son rapport déposé le 12 mai 2021 indique :
"Administrativement, la servitude de passage est a priori connue par GMD, par ASIE FRANCE, par l'indivision [W], mais pas par BACCHUS.
(...) Techniquement: il y a bien une grande réserve cave au sous-sol de l'établissement ASIE FRANCE et elle est largement utilisée à sa fonction, à savoir stockage de marchandises solides, de boissons, de boîtes de conserves et autres congélateurs ou armoires froides imposantes;
Il est exclu de passer des équipements imposant des stocks importants et réguliers de nourriture et autres consommables autrement que par le large chartil et sa facilité d'accès. La traversée du restaurant est exclue par l'expert.
Alors: il y aurait donc à notre avis une réelle utilité à cette servitude, qui n'est pas là pour un simple accès d'agrément du restaurateur Asie France mais bien pour exploiter son outil de travail (...)".
Le bail commercial signé le 18 septembre 2013 par la Sarl Bacchus prévoit notamment en page 5 que "Le preneur devra jouir des lieux en bon père de famille, et ne rien faire qui puisse en troubler la tranquillité, ou apporter un trouble de jouissance au voisin (...)".
En l'espèce, force est de constater que le passage dans le chartil étant désormais refusé par la Sarl Bacchus, au restaurant exploité dans le local appartenant à la Sarl GMD, cela porte atteinte à l'exploitation même du restaurant et constitue une atteinte indéniable à l'exercice de l'activité commerciale du preneur de la société GMD. Ainsi, sur le fondement de la responsabilité délictuelle prévue à l'article 1240 du code civil, la cour estime que l'entrave au passage dans le chartil par son voisin ( en l'espèce, le locataire de la Sarl GMD) exercée par la Sarl Bacchus constitue un abus de celle-ci de son droit de jouir des locaux en bon père de famille et porte atteinte à l'exploitation du fonds de commerce voisin, étant souligné qu'il est indiqué par l'expert judiciaire que la société Asie France exploite son activité depuis 30 ans.
Toutefois, il y a lieu de relever que la SARL GMD dans le dispositif de ces dernières écritures ne forme aucune demande indemnitaire sur ce point, la cour n'ayant pas à répondre à des demandes de "dire et juger que".
Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a ordonné à la Sarl Bacchus de mettre un terme au trouble d'ensoleillement, sous astreinte de 200 euros par jour de retard et d'ajouter à hauteur de cour une nouvelle astreinte de 200 euros par jour de retard passé un délai d'un mois après signification de cet arrêt, et ce pendant un délai de trois mois, à l'issue duquel il sera à nouveau fait droit si besoin.
*Sur les demandes reconventionnelles de la Sarl Bacchus relatives au respect des règles d'hygiène et de sécurité
L'expert judiciaire dans son rapport daté du 12 mai 2021 indique :
"En ce qui concerne la nuisance olfactive nous avons pu déterminer le présence de:
1) une gaine de hotte de cuisine de la brasserie RDC qui s'évacue dans le chartil.
Une première gaine d'extraction dans le chartil et une seconde dans la cour côté Bacchus, au-dessus de l'auvent translucide.
Il a été confirmé et admis que le chartil est bien propriété de l'indivision [W] et donné à bail à Bacchus.
2) la cuisine secondaire du niveau 1 dédiée au restaurant asiatique, qui présente une seconde gaine qui s'évacue sur la cour au niveau au de la fenêtre première étage.
Notre avis :(...) On ne peut bien sûr exclure que des volutes tournoyantes au gré des courants d'air puissent retomber sur le restaurant Bacchus situé au RDC dans la cour ;
(...) Il apparaît parfaitement possible de procéder à des dévoiements et des aménagements de gaines pour évacuer en partie haute de l'immeuble les deux extractions actuelles des hottes, idéalement contre la grande cheminée existante côté cour.
(...) Après le pré-rapport, GMD fera étudier la possibilité d'un gainage par l'intérieur de l'immeuble et les cuisines de la Sarl Asie France ce qui éviterait une demande de permis de construire ou d'autorisation de travaux.(...) La prise en charge se ferait entre GMD et Asie France dans un partage qui ne nous est pas communiqué. Il appartiendra aux parties d'en informer le tribunal si nécessaire dans la poursuite de la procédure".
Il résulte des débats et notamment du rapport d'expertise judiciaire qu'une gaine émanant du local appartenant à la société GMD et exploité par la société Asie France s'évacue sur la cour donnée à bail commercial à la Sarl Bacchus. Eu égard au contentieux existant entre les parties relatif à des nuisances olfactives, la présence de cette gaine litigieuse justifie la demande de la Sarl Bacchus d'obtenir la production par la Sarl GMD du rapport correspondant à la visite des services en charge de l'hygiène et de la sécurité, sous astreinte, selon des modalités précisées au dispositif de cet arrêt.
Sur les autres demandes
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, la Sarl Bacchus succombant principalement, elle sera tenue aux dépens de première instance et d'appel.
Les circonstances de l'espèce commandent de débouter les parties de leurs demandes respectives en paiement à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement rendu le 23 novembre 2018 tribunal de instance de Reims, en ce qu'il a débouté la Sarl Bacchus et Cie de ses demandes relatives au respect des règles d'hygiène et de sécurité.
Et statuant à nouveau,
Ordonne à la SARL GMD de communiquer à la Sarl Bacchus et Cie :
-les rapports de contrôle des services en charge de l'hygiène et de la sécurité incendie s'agissant des locaux lui appartenant, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai d'un mois après signification de cet arrêt, et ce pendant un délai de trois mois, à l'issue duquel, le cas échéant, il appartiendra aux parties de saisir à nouveau le juge compétent, la liquidation de l'astreinte étant laissée au tribunal,
Le confirme pour le surplus,
Y ajoutant,
S'agissant de l'installation d'un auvent opaque au dessus de l'immeuble appartenant à la SARL GMD, ordonne à la SARL Bacchus et Cie de mettre fin à ce trouble, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, passé un délai d'un mois après signification du présent arrêt, et ce pendant un délai de trois mois, à l'issue duquel, le cas échéant, il appartiendra aux parties de saisir à nouveau le juge compétent, la liquidation de l'astreinte étant laissée au tribunal.
Déboute les parties de leurs demandes respectives à titres d'indemnité pour frais irrépétibles exposés en appel.
Condamne la Sarl Bacchus et Cie aux dépens d'appel et autorise Maître Pascal Guerin, avocat, à les recouvrer directement dans les formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile
Le greffier La présidente