R.G : 08/00575
ARRET No
du : 11 septembre 2008
JB/AL
FRESNEAU
Francine
C/
X...
Gérard
Formule exécutoire le :
à :
COUR D'APPEL
CHAMBRE CIVILE - SECTION FAMILLE
ARRET DU 11 SEPTEMBRE 2008
PARTIES EN CAUSE :
ENTRE :
Madame Francine Y... épouse X...
...
COMPARANT, concluant par la SCP DELVINCOURT - JACQUEMET - CAULIER-RICHARD avoués à la Cour, et ayant pour conseil la Z... ANTOINE - BENNEZON - ROGER, avocats au Barreau de REIMS
DEMANDERESSE en première instance.
Appelant devant la Cour d'Appel de REIMS d'une décision rendue par le Tribunal de Grande Instance de CHALONS EN CHAMPAGNE le2 Février 2000.
DEMANDERESSE devant la Cour d'Appel de REIMS, Cour de Renvoi.
ET :
Monsieur Gérard X...
...
51190 LE MESNIL SUR OGER
Comparant, concluant par la SCP THOMA - LE RUNIGO - DELAVEAU - GAUDEAUX, avoués à la Cour, et ayant pour conseil le cabinet ACG associés, avocats au barreau de CHALONS EN CHAMPAGNE.
DEFENDEUR en première instance.
INTIME devant la Cour d'Appel de REIMS d'un jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de CHALONS EN CHAMPAGNE le 2 février 2000.
DEFENDEUR devant la Cour d'Appel de REIMS, Cour de renvoi.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
PRESIDENT : Madame LEFEVRE Anne
CONSEILLER : Madame MATHIEU Florence
CONSEILLER : Monsieur GRESSOT Yannick
GREFFIER D'AUDIENCE :
Madame Jacqueline BALDI, Greffier lors des débats et du prononcé.
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DEBATS :
En chambre du Conseil du 12 Juin 2008, où l'affaire a été mise en délibéré à l'audience du 11 septembre 2008.
ARRET :
Prononcé en chambre du Conseil par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Anne LEFEVRE, et par Madame Jacqueline BALDI, Greffier, auquel la minute de la décision lui a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Mme Francine Y... et M. Gérard X... se sont mariés le 1er juin 1974, sans contrat préalable. Deux enfants sont issus de cette union, en 1975 et 1978.
M. X... a déposé une requête en divorce le 4 février 1998. Il a fait délivrer assignation en divorce à Mme Y... le 1er octobre 1998.
L'épouse a sollicité le prononcé du divorce aux torts du mari et a demandé paiement d'une prestation compensatoire sous forme d'un bail de 9 années sur les vignes appartenant à M. X... moyennant le versement d'un fermage correspondant à 1.200 kg par ha, outre la poursuite de l'exploitation des 28 a 79 ca de vignes appartenant à M. A.... Mme Y... a également proposé, si son mari le préférait, qu'il lui abandonne l'usufruit de ses vignes pendant 9 années, demandant qu'à l'issue des 9 années de bail ou d'abandon en usufruit, M. X... soit condamné à lui verser une rente mensuelle de 6.500 F sans limitation de durée. Subsidiairement, elle a réclamé le règlement d'une rente mensuelle de 6.500 F sans limitation de durée.
M. X... s'est opposé aux prétentions de Mme Y... relatives à la prestation compensatoire, et a offert un bail de 9 ans et demi sur les 69 a 07 ca lui appartenant, sur la base du tiers franc. Il a proposé de maintenir le mandat de gestion jusqu'à ce que l'épouse ait atteint l'âge de la retraite, refusant toute prestation compensatoire en cas de refus.
Par jugement du 2 février 2000, le Juge aux affaires familiales du Tribunal de Grande Instance de Châlons-en-Champagne a notamment prononcé le divorce des époux B... aux torts du mari, et condamné M. X... à payer à Mme Y... une contribution aux frais d'entretien et d'éducation de l'enfant majeur de 800 F par mois, et une prestation compensatoire sous forme de rente mensuelle indexée de 3.500 F pendant quatre années.
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Mme Y... ayant formé appel du montant de la prestation compensatoire, la Cour de céans, par arrêt avant dire droit du 12 septembre 2002, a donné acte à M. X... de ce qu'il reconnaissait à Mme Y... un droit à prestation compensatoire et a sursis à statuer jusqu'à décision définitive sur le pourvoi formé contre l'arrêt de la Cour Administrative d'Appel de Nancy du 19 avril 2001 (intéressant une procédure de licenciement, puis réintégration de M. X...).
Par arrêt du 16 octobre 2002, le Conseil d'Etat a rejeté ledit pourvoi.
Par arrêt du 12 février 2004, suivi d'un arrêt rectificatif du 27 mai 2004, la Cour de céans a condamné M. X... à payer à Mme Y... à titre de prestation compensatoire une rente viagère indexée de 1.500 euros par mois à compter du 17 mai 2002, date à laquelle le jugement de divorce est devenu définitif, et a accordé à Mme Y... une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur pourvoi de M. X..., la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation, selon arrêt du 7 juin 2006, a cassé l'arrêt du 12 février 2004, remis la cause et les parties dans l'état antérieur au dit arrêt, et renvoyé les parties devant la Cour d'Appel de Reims autrement composée. L'arrêt vise les art. 270 et 271 du Code civil en leur rédaction antérieure à la loi du 26 mai 2004, et reproche à la Cour d'Appel d'avoir violé lesdits textes, en se plaçant à la date à laquelle elle statuait et non à la date à laquelle le divorce a pris force de chose jugée, pour fixer le montant de la prestation compensatoire.
Le 21 juin 2006, Mme Y... a saisi la Cour de renvoi.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 février 2008.
L'affaire a été appelée à l'audience du 21 février 2008, au cours de laquelle les avoués des parties ont demandé par écrit son retrait du rôle de la Cour en vertu de l'art. 382 du code de procédure civile.
Elle a été réinscrite au rôle le 11 mars 2008 et appelée à l'audience du 12 juin 2008.
Aux termes de conclusions déposées le 25 septembre 2007, auxquelles il est fait ici expressément référence, Mme Y... demande à la Cour :
- de constater que le jugement de divorce est devenu définitif le 17 mai 2002, date de l'ordonnance de clôture précédant l'arrêt avant dire droit du 12 septembre 2002, et que la prestation compensatoire sera due à compter de cette date,
- de condamner M. X... au paiement d'une prestation compensatoire sous forme de rente mensuelle indexée de 3.000 euros, sans limitation de durée, conformément aux art. 270 et suivants dans leur rédaction issue de la loi du 30 juin 2000,
- de condamner M. X... à payer une indemnité de 3.050 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de le débouter de toutes autres demandes.
Selon écritures déposées le 27 juin 2007, expressément visées ici, M. X... propose de verser une prestation compensatoire sous forme d'un capital de 45.000 euros, selon le principe de l'art. 274 du Code civil, cette somme s'imputant sur la part de communauté du mari, soit par compensation, soit par attribution directe, M. X... acceptant d'abandonner une partie de ses droits sur la créance de la communauté à l'égard de Mme Y... à l'issue de la liquidation des droits afférents à l'immeuble ayant servi de
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domicile conjugal. Dans le cadre de la liquidation de la communauté, il se réserve de solliciter auprès de Mme Y... une indemnité d'occupation au titre de la jouissance provisoire du domicile conjugal, ainsi que le remboursement par Mme Y... de la moitié de l'indemnité de licenciement par lui perçue et dont elle s'est emparée. Il conclut au rejet de toutes autres prétentions adverses.
Il fait valoir que le divorce a pris force de chose jugée le 10 octobre 2001, date à laquelle M. X... a renoncé expressément par ses conclusions à remettre en cause le prononcé du divorce, et que le montant et la forme de la prestation compensatoire doivent donc être appréciés en octobre 2001, tous éléments justifiant de situations postérieures étant écartés.
SUR CE :
Selon les art. 271 et 272 du Code civil en leur rédaction antérieure à la loi du 26 mai 2004, "la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible." Le juge prend en considération notamment :
- l'âge et l'état de santé des époux,
- la durée du mariage,
- le temps déjà consacré ou qu'il faudra consacrer à l'éducation des enfants,
- leur qualification et leur situation professionnelles au regard du marché du travail,
- leurs droits existants et prévisibles,
- leur situation respective en matière de pensions de retraite,
- leur patrimoine, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial.
Par ailleurs, selon l'ancien art. 276 du Code civil, à titre exceptionnel, le juge peut, par décision spécialement motivée, en raison de l'âge ou de l'état de santé du créancier ne lui permettant pas de subvenir à ses besoins, fixer la prestation compensatoire sous forme de rente viagère.
Il convient d'examiner les conditions de vie respectives des parties au moment du divorce et leur évolution alors prévisible, étant précisé que le divorce est devenu définitif le 17 mai 2002, date de l'ordonnance de clôture précédant l'arrêt avant dire droit du 12 septembre 2002. En effet, jusqu'à cette date, M. X... était susceptible de déposer des écritures remettant en cause le prononcé du divorce à ses torts.
M. X..., né le 30 mai 1949, a été licencié par la SA Champagne POMMERY en juillet 1996. Il a été réintégré dans son entreprise en juin 2001, l'arrêt du Conseil d'Etat du 16 octobre 2002 a ensuite rejeté le pourvoi formé par l'employeur. Un rappel net des salaires d'août 1996 à juin 2001 lui a été réglé pour un montant de 129.697,89 euros.
M. X... a perçu en 2002 un salaire mensuel moyen de 3.352 euros, selon cumul net du bulletin de paye de décembre 2002. Il bénéficie d'une prime d'intéressement annuelle prévue par la convention collective nationale, qui a atteint 687 euros pour l'année 2002. Il exploite personnellement 69 a 39 ca de vignes qui lui appartiennent en propre, outre 30 a de vignes qu'il loue au tiers franc. Cette exploitation lui a rapporté 45.000 euros en 2002, soit 3.750 euros par mois, selon la déclaration sur l'honneur qu'il a signée le 15 décembre 2003. Ses revenus mensuels atteignent ainsi 7.159 euros en moyenne en 2002. M. X... a également précisé, en sa déclaration sus-citée, bénéficier de capitaux mobiliers pour 120.000 euros (CODEVI, CEL, LET).
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M. X... ne fait pas état de charges particulières ; il réglait fin 2001 un loyer mensuel de 311,65 euros.
Mme Y... est née le 12 juillet 1944. La Caisse de Mutualité Sociale Agricole lui a reconnu la qualité d'exploitant invalide à 100 % à compter du 1er janvier 2001. En effet, elle était exploitante des vignes de son époux depuis novembre 1985, après avoir participé à tous les travaux de la vigne comme conjoint d'exploitant depuis son mariage en 1974. Elle a ainsi perçu en 2001 une pension d'invalidité de 1.828 euros, soit 152,33 euros par mois, réduite en 2002 à 1.592 euros, soit 132,66 euros par mois, étant précisé que le droit à pension d'invalidité s'éteint au jour des 60 ans du bénéficiaire, remplacé par un droit à retraite. Mme Y... exerçait par ailleurs depuis 1992 un emploi salarié d'aide fleuriste, lui ayant rapporté en moyenne 114 euros par mois en 2002 (cumul net de 1.376 euros en décembre 2002).
Mme Y... souffre d'une polyarthrose grave et douloureuse, qui limite ses gestes et rend impossible la recherche d'un quelconque emploi. Les postes de travail qu'elle a successivement occupés ne lui permettent d'envisager que des droits à retraite fort modestes.
Elle est propriétaire du domicile conjugal, pour lequel une récompense importante sera due à la communauté. En sa déclaration sur l'honneur de novembre 2003, elle a indiqué posséder 10.000 euros de capitaux mobiliers (CODEVI, PEL, LEL, LA).
S'agissant d'un héritage maternel invoqué par M. X..., il est rappelé que la vocation successorale ne constitue pas un droit prévisible au sens des articles 270,271 et 272 du Code civil. Au surplus, Mme Y... ne pourra disposer des fonds lui revenant qu'au décès de son beau-père.
Les éléments sus-exposés démontrent que la rupture du mariage crée un déséquilibre certain et considérable, au détriment de l'épouse, dans les conditions de vie respectives des parties. Eu égard à la durée du mariage (28 années), à l'âge des époux, à l'état de santé déficient de Mme Y..., à la faiblesse de ses ressources au jour du divorce et dans un proche avenir, alors qu'elle a travaillé dans les vignes de son conjoint pendant leur vie commune, il convient de faire application de l'ancien art. 276 du Code civil, déjà cité, et de fixer la prestation compensatoire sous forme de rente viagère.
Compte tenu des éléments d'appréciation sus-énoncés, le montant mensuel de la rente mise à la charge de M. X... sera estimé à la somme de 1.200 euros et assorti de l'indexation.
M. X... formule plusieurs demandes de donner acte relatives aux réclamations qu'il envisage dans le cadre de la liquidation de la communauté. Un donner acte n'est pas constitutif de droit. Au surplus, les opérations de liquidation de la communauté commencent à peine, d'après les courriers adressés par Mme Y... au notaire. M. X... sera, par suite, débouté de ses prétentions sur ces points.
M. X... succombe pour l'essentiel en ses positions et sera condamné aux dépens d'appel. L'équité commande de le condamner à payer à Mme Y... une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant contradictoirement, après débats en chambre du conseil,
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Vu l'arrêt de la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation du 7 juin 2006,
Infirme le jugement du 2 février 2000 en ses dispositions relatives à la prestation compensatoire,
Statuant à nouveau,
Condamne M. X... à payer à Mme Y..., à titre de prestation compensatoire, une rente viagère de MILLE DEUX CENTS EUROS (1.200 euros) par mois, à compter du 17 mai 2002, date à laquelle le prononcé du divorce est devenu définitif,
Dit que le montant de cette rente est indexé sur l'indice des prix à la consommation publié mensuellement par l'I.N.S.E.E., l'indice de base étant celui connu et applicable à la date du présent arrêt et la première révision devant intervenir à sa date anniversaire et ensuite chaque année aux mêmes jour et mois, en fonction de l'évolution de l'indice,
Déboute M. X... de ses demandes de donner acte,
Condamne M. X... à payer à Mme Y... une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. X... aux dépens d'appel avec possibilité de recouvrement direct au profit de la SCP DELVINCOURT JACQUEMET CAULIER-RICHARD conformément aux dispositions de l'art. 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT