ARRET No
du 03 décembre 2007
R.G : 07/00874
X...
c/
MONSIEUR LE DIRECTEUR DES SERVICES FISCAUX DE L'AUBE
YM
Formule exécutoire le :
à :COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1o SECTION
ARRET DU 03 DECEMBRE 2007
APPELANTE :
d'un jugement rendu le 21 Février 2007 par le Tribunal de Grande Instance de TROYES,
Madame Béatrice X...
...
10270 COURTERANGES
COMPARANT, concluant par la SCP GENET - BRAIBANT avoués à la Cour, et ayant pour conseil Me Alain Z..., avocat au barreau de TROYES
INTIMEE :
Monsieur LE DIRECTEUR DES SERVICES FISCAUX DE L'AUBE
17 boulevard du 1er RAM
10026 TROYES CEDEX
Comparant, concluant par la SCP THOMA - LE RUNIGO - DELAVEAU - GAUDEAUX, avoués à la Cour
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur MAUNAND, Président de Chambre
Madame SOUCIET, Conseiller
Monsieur MANSION, Conseiller
GREFFIER :
Madame Nicole A..., Adjoint Administratif faisant fonction de Greffier lors des débats et Madame Maryline THOMAS, Greffier lors du prononcé,
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée
DEBATS :
A l'audience publique du 06 Novembre 2007, où l'affaire a été mise en délibéré au 03 Décembre 2007,
ARRET :
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 03 Décembre 2007 et signé par Monsieur Yves MAUNAND, Président de Chambre, et Madame THOMAS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire
Gustave B... est décédé le 14 novembre 1998 en laissant pour lui succéder ses deux frères, Fernand et Edmond, avec qui il vivait à Moussey (10).
Avant que sa succession ne fût réglée, Fernand B... est décédé à son tour le 20 avril 1999. Il avait institué légataire universelle Mme Béatrice X... par testament authentique du 14 janvier 1999.
Mme X... a déposé le 3 janvier 2001 une déclaration de succession à la recette des impôts de Troyes-Sud-Ouest et une déclaration rectificative le 7 octobre 2002.
Le 13 novembre 2002, l'administration fiscale a notifié à Mme X... un redressement sur le fondement de l'article 750 ter du code général des impôts en raison d'omissions dans la déclaration de succession d'éléments d'actifs portant notamment sur des bons au porteur souscrits par Fernand B... dans le cadre d'un contrat de capitalisation du 12 janvier 1999 pour un montant de 720.000 francs et sur des retraits d'espèces non employés et restés en la possession du défunt pour la somme de 720.000 francs (retraits effectués sur les comptes bancaires les 8, 30 janvier 1997 et 23 octobre 1997).
Un avis de mise en recouvrement a été émis le 30 janvier 2004 pour un montant de 167.453 euros de droits en principal et de 46.468 euros en intérêts de retard.
Sur réclamation du contribuable du 17 mars 2004, l'administration fiscale a, le 23 septembre 2004, prononcé le dégrèvement de ces redressements qui étaient mal ou insuffisamment motivés.
Une demande d'éclaircissements et de justifications concernant les bons anonymes a été formulée le 13 octobre 2004 en application de l'article 752 du code général des impôts et une proposition de rectification a été adressée à Mme X... le 4 mars 2005 pour un montant de 131.716 euros au titre des droits rappelés et de 64.212 euros au titre des intérêts de retard.
Le 27 mai 2005, l'administration fiscale a répondu aux observations du contribuable du 7 avril 2005 et maintenu l'imposition.
Elle a notifié le 26 juillet 2005 à Mme X... un avis de mise en recouvrement pour les montants portés dans la proposition de rectification, soit 131.716 euros de droits en principal et 64.212 euros en intérêts de retard.
La réclamation contentieuse de Mme X... du 23 août 2005 a été rejetée le 21 février 2006 par le directeur des services fiscaux.
C'est dans ces conditions que par acte du 24 avril 2006, Mme X... a fait assigner le directeur des services fiscaux de l'Aube devant le Tribunal de grande instance de Troyes afin d'obtenir la décharge de l'avis de mise en recouvrement.
Par jugement du 21 février 2007, le Tribunal de grande instance de Troyes a :
- dit que la prescription applicable était de dix ans et que la procédure de redressement n'était pas atteinte par la prescription ;
- débouté Mme X... de sa demande de dégrèvement des droits et pénalités relatifs à l'omission des bons anonymes souscrits auprès de la compagnie Legal et General pour la somme de 720.000 Francs ;
- dit que la preuve du maintien dans le patrimoine de Fernand B... de la somme de 720.000 francs retirée le 8 janvier 1997 pour 160.000 francs, le 30 janvier 1997 pour 500.000 francs et le 23 octobre 1997 pour 60.000 francs est rapportée ;
- débouté Mme X... de sa demande de dégrèvement pour les droits et pénalités relatifs à cette somme ;
- condamné Mme X... aux dépens.
Mme X... a relevé appel de ce jugement le 30 mars 2007.
Par dernières conclusions notifiées le 27 juillet 2007, Madame X... poursuit l'infirmation du jugement déféré et demande à la Cour de :
- dire que la procédure de redressement est atteinte par la prescription ;
- la dire bien fondée en sa demande de dégrèvement des droits et pénalités relatifs à la somme de 720.000 francs au titre de l'assurance-vie et à celle de 720.000 francs au titre des retraits d'espèces ;
- y faisant droit, débouter le directeur des services fiscaux de l'Aube de ses prétentions et le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions notifiées le 27 août 2007, le directeur des services fiscaux de l'Aube poursuit la confirmation du jugement déféré et la condamnation de Mme X... aux entiers dépens de première instance et d'appel.
SUR CE, LA COUR,
Attendu qu'aux termes de l'article L. 180 du livre des procédures fiscales, pour les droits d'enregistrement, la taxe de publicité foncière, les droits de timbre, ainsi que les taxes, redevances et autres impositions assimilées, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle de l'enregistrement d'un acte ou d'une déclaration ou de l'accomplissement de la formalité fusionnée définie à l'article 647 du code général des impôts ; que, toutefois, ce délai n'est opposable à l'administration que si l'exigibilité des droits et taxes a été suffisamment révélée par le document enregistré ou présenté à la formalité, sans qu'il soit nécessaire de procéder à des recherches ultérieures ;
Attendu qu'au soutien de ses prétentions tendant à voir appliquer la prescription abrégée, Mme X... fait valoir que l'administration fiscale disposait de tous les éléments de taxation de sorte qu'elle n'avait aucune recherche supplémentaire à faire ; qu'elle en conclut que lorsqu'elle a effectué une proposition de rectification le 4 mars 2005, l'administration disposait à cette date de tous les éléments nécessaires et que c'est avant le 31 décembre 2004 qu'elle devait procéder à cette nouvelle proposition ;
Mais attendu que l'intimé est bien fondé à faire observer que l'exigibilité des droits n'apparaissait pas de manière directe et certaine au vu des énonciations de la déclaration de succession de Fernand B..., qui ne mentionnait ni les bons au porteur ni les retraits en espèces, et que l'administration fiscale a dû procéder à des investigations supplémentaires ; qu'elle a notamment dû s'adresser au notaire, établir un recoupement avec la succession de Gustave B... et mettre en œuvre son droit de communication à l'égard de la compagnie Legal et General auprès de qui les bons litigieux avaient été souscrits ; qu'elle a, par ailleurs, dû procéder à l'examen des comptes bancaires du défunt, de son train de vie et de ses déclarations fiscales afin de rechercher s'il avait pu utiliser les fonds retirés en espèces ;
Qu'il s'ensuit que c'est par une juste application des dispositions sus-mentionnées que le tribunal a jugé que la prescription décennale de l'article L. 186 du livre des procédures fiscales devait s'appliquer en l'espèce ;
Attendu que Mme X... soutient que, l'administration fiscale ne prouvant pas que Fernand B... était propriétaire des titres au porteur, la somme de 720.000 francs n'avait pas à être rapportée à la succession ; qu'au soutien de ses prétentions, elle dénie toute pertinence aux indications fournies par la compagnie Legal et General aux services fiscaux en faisant valoir que les bons au porteur n'ont, par définition, pas de titulaire ;
Mais attendu qu'en réponse à une demande des services fiscaux de l'Aube, la compagnie Legal et General écrivait le 11 février 2002 que "les fonds provenant des contrats d'assurance-vie souscrits par M. Gustave B..., revenant à son frère Fernand, ont été investis, à la demande de ce dernier, pour un montant de 755.280,00 francs en contrat de capitalisation avec émission de bons au porteur pour un montant nominal total de 720.000 francs. Ces bons ont été remis à M. Fernand B... le 12 janvier 1999, ainsi qu'un chèque complémentaire de 7.457,50 francs pour le solde." ; que la compagnie Legal et General précisait "qu'à ce jour, aucun des certificats au porteur n'a été présenté au paiement" ; qu'elle confirmait cette information par courrier du 5 mai 2003 ;
Que l''article 752 du code général des impôts présume faire partie de la succession, pour le paiement et la liquidation des droits de mutation par décès, toutes créances dont le défunt a eu la propriété moins d'un an avant son décès ; que Mme X..., auprès de qui une demande de justification a été formulée en application des articles L. 19 et R. 19-1 du livre des procédures fiscales, ne combat pas utilement cette présomption dès lors qu'elle ne démontre pas que les bons litigieux seraient sortis du patrimoine du défunt avant son décès ;
Que c'est en vain que l'appelante conteste la pertinence des informations fournies par la compagnie Legal et General sur l'acquisition par Fernand B... de bons au porteur dans l'année précédant son décès alors que cet établissement est le plus à même de savoir au profit de qui les bons ont été émis ; qu'elle ne peut pas davantage s'opposer utilement à l'application des dispositions de l'article 752 du code général des impôts alors que les bons au porteur, qui constituent une créance sur l'établissement qui les a émis, entrent dans les prévisions de cet article, étant, de surcroît, observé que les bons n'ont pas été présentés au remboursement avant le décès de Fernand B... ;
Qu'il s'ensuit que c'est à juste titre que le tribunal a rejeté la demande de dégrèvement formée par Mme X... portant sur les bons au porteur ;
Attendu qu'au soutien de sa demande de dégrèvement formée au titre des retraits d'espèces, Mme X... fait valoir que l'article 750 ter du code général des impôts est hors de sujet au motif qu'il ne viserait que la territorialité de l'impôt, que seul l'article 752 dudit code est applicable et qu'il ne permet pas à l'administration fiscale de remonter à plus d'un an de la date du décès pour rechercher la trace de l'emploi des sommes prélevées par le défunt ;
Mais attendu que l'article 750 ter du code général des impôts soumet aux droits de mutation à titre gratuit les biens meubles ou immeubles situés en France ou hors de France à la date de la transmission par succession ou libéralité ; que, contrairement à ce que soutient l'appelante, cet article ne vise pas seulement la territorialité de l'impôt, mais définit les biens entrant dans le champ des droits de mutation à titre gratuit en fonction de leur nature et de leur localisation géographique ; qu'en outre, l'application de l'article 752 du code général des impôts est exclue en cas de retraits d'espèces dès lors qu'ils ont pour effet de mettre fin à la créance sur l'établissement bancaire ; qu'il appartient donc à l'administration fiscale de rapporter la preuve que les fonds retirés en janvier et octobre 1997 par Fernand B... se trouvaient toujours dans son patrimoine au jour de son décès ; qu'il importe peu, à cet égard, que les fonds aient été retirés plus d'un an avant le décès ;
Attendu qu'il ressort des productions que Fernand B..., qui avait réalisé des bons au porteur pour 1.397.533 francs, a employé cette somme dans divers placements à hauteur de 677.533 francs et a retiré en espèces 160.000 francs le 8 janvier 1997, 500.000 francs le 30 janvier 1997 et 60.000 francs le 23 octobre 1997 ; que les sommes retirées en espèces n'ont pas été utilisées pour la souscription de nouveaux placements ni déposées sur un autre compte bancaire ; qu'elles n'ont pas été utilisées pour financer des acquisitions immobilières ; que le train de vie de Fernand B... ne justifie pas de l'emploi des fonds litigieux alors que les relevés bancaires font apparaître des prélèvements réguliers de 3.000 à 5.000 francs et des paiements par chèques pour les dépenses courantes ; que l'administration fiscale fait, par ailleurs, justement observer que le train de vie de l'intéressé était modeste alors qu'il ne disposait pas d'automobile et n'avait pas souscrit d'assurance pour des objets de valeur ; qu'il n'avait pas procédé à l'acquisition d'objets de cette nature alors que, dans la déclaration de succession, les meubles meublants qu'il laissait à sa mort ont été évalués à la somme de 5.066 francs ; que Fernand B... n'a, enfin, jamais déclaré au cours des dix années précédant son décès de dons faits à des œuvres ; qu'il résulte de ce qui précède un faisceau de circonstances concordantes faisant ressortir que Fernand B... n'a ni réinvesti ni employé les fonds qu'il avait retirés en espèces et que ces fonds faisaient partie de son patrimoine au jour de l'ouverture de sa succession et entraient dans le champ d'application des droits de mutation à titre gratuit ;
Qu'il s'ensuit que c'est à juste titre que le tribunal a débouté Mme X... de sa demande de dégrèvement portant sur les retraits d'espèces ;
Attendu que Mme X..., qui succombe dans ses prétentions devant la Cour, sera condamnée aux dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
Condamne Mme Béatrice X... aux dépens d'appel et admet la SCP Thoma Le Runigo Delaveaux Gaudeaux, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
Le Greffier Le Président