ARRET No
du 15 octobre 2007
R.G : 06/00252
DALLENCOURT
c/
E.A.R.L. DES MAZINS
Société GROUPAMA ASSURANCES -CRAMA DU NORD EST
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES
AH
Formule exécutoire le :
à :COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1o SECTION
ARRET DU 15 OCTOBRE 2007
APPELANTE :
d'un jugement rendu le 30 Décembre 2005 par le Tribunal de Grande Instance de CHARLEVILLE-MEZIERES,
Madame Jocelyne Y... épouse Z...
...
08400 BLAISE
COMPARANT, concluant par la SCP SIX - GUILLAUME - SIX avoués à la Cour, et ayant pour conseil la SCP BRISSART - LECHESNE Avocats au barreau de REIMS
INTIMEES :
E.A.R.L. DES MAZINS
08310 PAUVRES
Société GROUPAMA ASSURANCES -CRAMA DU NORD EST
...
51100 REIMS
Comparant, concluant par la SCP THOMA - LE RUNIGO - DELAVEAU - GAUDEAUX, avoués à la Cour, et ayant pour conseil la SCP LEDOUX FERRI YAHIAOUI RIOU-JACQUES, avocats au barreau de CHARLEVILLE MEZIERES.
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES ARDENNES
...
08000 CHARLEVILLE MEZIERES
Comparant, concluant par la SCP DELVINCOURT A... CAULER-RICHARD, avoués à la Cour,
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :
Monsieur MAUNAND, Président de Chambre
Monsieur MANSION, Conseiller
Madame HUSSENET, Conseiller
GREFFIER :
Madame Maryline THOMAS, Greffier lors des débats et Madame Francine COLLARD adjoint administratif faisant fonction de greffier lors du prononcé,
DEBATS :
A l'audience publique du 17 Septembre 2007, où l'affaire a été mise en délibéré au 15 Octobre 2007,
ARRET :
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 15 Octobre 2007 et signé par Monsieur Yves MAUNAND, Président de Chambre, et Madame COLLARD adjoint administratif faisant fonction de greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Le 19 janvier 2001, vers 19h50, Madame Jocelyne Y... épouse Z... a été victime d'une accident de la circulation, alors qu'elle se trouvait au volant du véhicule CITROEN appartenant à la société ARGONNE HOTEL, route départementale 43, en direction de PAUVRES.
Après avoir dérapé, en effet, sa voiture venait percuter la barrière de sécurité située sur sa gauche, puis s'immobilisait contre le talus quelques mètres plus loin. En sortant de l'habitacle, Madame Z... se cassait tibia et péroné de la jambe gauche.
Elle saisissait le juge des référés du tribunal de grande instance de Charleville-Mézières, lequel ordonnait le 13 juin 2002 une expertise judiciaire, confiée au docteur C..., qui rendait son rapport le 4 septembre 2002, concluant à l'absence de consolidation.
Un nouveau rapport était déposé le 17 décembre 2003.
C'est dans ces conditions que, par actes d'huissier en date des 23 et 24 septembre 2004, Madame Z..., au visa des dispositions de l'article 1382 du code civil, a saisi la juridiction du fond, à l'effet de voir liquider l'ensemble de ses préjudices, dont elle rendait responsable l'EARL DES MAZINS, accusée d'avoir laissé d'importantes traînées de boues sur la chaussée, et d'être ainsi directement à l'origine du dérapage de la requérante.
Par jugement rendu le 6 mai 2005, le tribunal de grande instance de Charleville-Mézières, avant dire droit, soulevant d'office le moyen tiré de l'application des dispositions de la loi No 85-677 du 5 juillet 1985, a ordonné la réouverture des débats et le rabat de l'ordonnance de clôture, invitant les parties à fournir toutes observations et explication sur l'implication d'un ensemble routier (tracteur-benne) de l'EARL DES MAZINS dans l'accident litigieux.
Au terme de ses écritures du 20 juin 2005, Madame Z... a présenté les réclamations suivantes:
- ITT et ITP: 39 156,16 €
- IPP(5%): 7 500,00 €
- Gêne dans les actes de la vie courante: 16 650,00 €
- Frais divers restés à charge: 212,51 €
- Pretium doloris: 12 200,00 €
- Préjudice esthétique: 5 000,00 €
- Préjudice d'agrément: 5 000,00 €
- Préjudice matériel: 365,00 €
L'EARL DES MAZINS et GROUPAMA se sont opposés à la demande en faisant valoir d'une part, que Madame Z... roulait à vitesse excessive, que les blessures invoquées étaient d'autre part sans lien avec l'accident, n'étant que la conséquence d'une chute fortuite.
Par jugement rendu le 30 décembre 2005, le tribunal, retenant que l'ensemble routier constitué par le tracteur et la benne de L'EARL DES MAZINS était impliqué dans l'accident, de sorte que les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 étaient applicables, qu'eu égard au fait que les conditions de circulation n'étaient pas optimales, Mme Z... circulait à une vitesse excessive, ce qui a constitué la cause unique dudit accident, a débouté cette dernière de l'ensemble de ses demandes, refusé le bénéfice de l'exécution provisoire, déclaré le jugement commun à la CPAM des ARDENNES, et condamné Mme Z... aux dépens.
Jocelyne Z... a relevé appel de cette décision le 24 janvier 2006.
Dans ses dernières conclusions, notifiées le 7 août 2007, elle poursuit l'infirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré, et demande à la cour, statuant à nouveau, de constater qu'elle n'a commis aucune faute de nature à exclure ou réduire son droit à indemnisation, de dire que l'entière responsabilité de l'accident incombe à L'EARL DES MAZINS, de condamner en conséquence cette EARL, et son assureur, la compagnie GROUPAMA, à l'indemniser dans les proportions suivantes :
- 24 462,51€ au titre du préjudice soumis à recours, après imputation du relevé de la CPAM, poste par poste,
- 22 200€ au titre du préjudice personnel,
- 365€ en réparation du préjudice matériel,
le tout avec intérêts au taux légal à compter de la signification de l'arrêt.
Elle sollicite encore que cet arrêt soit déclaré commun à la CPAM des ARDENNES, et que l'EARL et GROUPAMA se voient tenus des entiers dépens, avec pour ceux d'appel, droit de recouvrement direct accordé à la SCP SIX GUILLAUME D..., ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 4 000 € au titre des frais irrépétibles.
Elle fait valoir au soutien de ses prétentions qu'il résulte des constatations effectuées par les gendarmes, que la route était couverte de boue sur 185 mètres, que l'EARL avait reconnu sa responsabilité dans le déversement, et qu'un témoin a attesté qu'il n'existait aucune signalisation avertissant les automobilistes du danger.
Elle rappelle qu'aux termes de la loi du 5 juillet 1985, un véhicule est impliqué chaque fois qu'il a joué un rôle dans le dommage, et estime que tel est bien le cas en l'espèce, le fait de répandre sur la chaussée des substances susceptibles de nuire à la sécurité publique constituant de surcroît une infraction réprimée par l'article R 116-2 du code de la route.
Elle ajoute que rien ne démontre qu'elle roulait à une vitesse excessive, et qu'il ne saurait lui être fait grief de n'avoir pas vu les plaques de boues, alors même qu'il faisait nuit et qu'aucun éclairage public n'était implanté à l'endroit de l'accident.
Elle explicite ensuite les différents montants réclamés en indemnisation de son préjudice, par référence aux conclusions expertales.
L'EARL DES MAZINS et GROUPAMA, de leur côté, dans leurs dernières écritures, notifiées le 27 août 2007, concluent à la confirmation du jugement dont appel, en ce qu'il a débouté Madame Z... de toutes ses demandes, au besoin par substitution de motifs.
Subsidiairement, ils sollicitent la révision à la baisse des indemnités allouées au titre du préjudice corporel.
Ils demandent enfin la condamnation de la partie adverse aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP THOMA LE RUNIGO DELAVEAU GAUDEAUX.
Les intimés soutiennent qu'aucun véhicule n'a été identifié comme impliqué dans l'accident litigieux, seules des hypothèses ayant pu être évoquées.
Ils ajoutent qu'en tout état de cause, un véhicule ayant laissé de la boue sur la chaussée ne peut être considéré comme impliqué au sens de la loi du 5 juillet 1985, de sorte que tout au plus pourrait - on, sur le fondement des articles 1382 et 1384 du code civil, reprocher à L'EARL DES MAZINS de n'avoir pas retiré les dépôts en cause. Or ils font valoir que Madame Z... est sortie indemne de l'accident, que la chute qui a produit ses blessures a eu lieu hors le véhicule, et ne présente dès lors aucun lien de causalité avec la perte de contrôle de l'engin.
Ils estiment en tout état de cause, à supposer retenue l'applicabilité de la loi du 5 juillet 1985, que la faute de la victime, qui circulait trop vite compte tenu de l'absence de visibilité, exonère l'autre conducteur de toute responsabilité, ainsi qu'il a été jugé en première instance.
La CPAM des ARDENNES, enfin, dans ses écritures notifiées le 25 janvier 2007, demande à la Cour de céans d'infirmer le jugement entrepris, et, statuant à nouveau, de dire que l'entière responsabilité de l'accident dont a été victime Madame Z... incombe à L'EARL DES MAZINS, de condamner en conséquence ladite EARL in solidum avec GROUPAMA, à lui rembourser le montant de ses débours, élevé à 53 357,87€ selon décompte en date du 20 juillet 2004, de les condamner au surplus en tous les dépens, avec, pour ceux d'appel, faculté de recouvrement direct accordée à la SCP DELVINCOURT A... CAULIER - RICHARD.
Si elle acquiesce au jugement de première instance en ce qu'il a considéré que la loi du 5 juillet 1985 était applicable en l'espèce, et l'ensemble routier appartenant à L'EARL DES MAZINS , impliqué, au sens de ce texte, elle lui fait en revanche grief d'avoir retenu une faute exclusive de la victime, en l'absence d'élément objectif en ce sens.
SUR CE, LA COUR
Sur le droit applicable:
Attendu que par application de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985,ladite loi, relative à l'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation, s'impose dès lors qu'est impliqué un véhicule terrestre à moteur, ainsi que ses remorques ou semi-remorques ;
Que la notion d'implication s'entend très largement ;
Qu'en particulier l'absence de heurt ne fait pas échec à la mise en cause de la responsabilité du véhicule incriminé, pas plus que le fait que ledit véhicule ait été à l'arrêt au moment de l'accident ;
Qu'il est enfin admis que des dépôts de matières dangereuses, ne serait-ce que parce que constituant un obstacle à la circulation des autres usagers, suffisent, le cas échéant, à considérer comme impliqué le véhicule dépositaire, eût-il agi à son insu ;
Attendu que dès lors que Madame Y... épouse Z... demande réparation pour les blessures occasionnées par la chute dont elle a été victime au moment de s'extraire de sa voiture, accidentée selon elle par la faute du revêtement boueux ayant gêné sa progression et finalement conduit le véhicule hors de sa route, dans un fossé situé en contrebas, ce sont bien les dispositions sus visées qui trouvaient à s'appliquer, ainsi que l'a justement retenu le tribunal de première instance ;
Sur la responsabilité de l'EARL DES MAZINS
Attendu qu'il résulte du rapport de gendarmerie dressé immédiatement après les faits, que la chaussée sur laquelle Madame Z... a perdu le contrôle de son véhicule était effectivement maculée de boues, laissées, du propre aveu des dirigeants de l'EARL DES MAZINS, au fur et à mesure des différents passages entrepris par leur ouvrier chargé de conduire des chargements de fumier à proximité des lieux litigieux ;
Que la responsabilité de l'EARL est pleinement engagée dans ces conditions, sans qu'aucune faute inexcusable, au sens de l'article 4 de la loi précitée ne puisse être reprochée à Mme Z..., dont il n'est pas démontré qu'elle circulait à une vitesse excessive, alors même que l'obscurité l'empêchait d'apercevoir les traces de boues jonchant la chaussée.
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que le jugement dont appel sera infirmé sur ce point, et le droit à indemnisation de Madame Z... reconnu sans réserve.
Sur l'indemnisation des préjudices:
Attendu que par application de la loi du 21 décembre 2006, l'évaluation des préjudices et des sommes devant en conséquence revenir à la victime, doit s'apprécier poste par poste, soit :
Le préjudice soumis à recours :
- ITT, c'est à dire pertes de salaires, y compris au titre du mi-temps thérapeutique, et gênes dans la vie quotidienne :
* pris en charge par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE : 39 156,16€
* restés à charge : néant
* gêne dans la vie courante durant trois ans à 100% et deux mois à 50%, établie tant par les conclusions expertales que les attestations produites, sur une base mensuelle de 450 € à taux plein 16 650€
* l'assiette du recours est donc de 55806,16 €, soit, en l'absence de partage de responsabilité, 39 156,16 € à revenir à la caisse, et 16 650 € à la victime ;
- frais médicaux :
* réglés par la caisse : 14 201,71€,
* restés à charge : 212,51€,
* l'assiette du recours est donc de 14 413,71€, en l'absence de partage de responsabilité, chacun se verra remboursé des frais avancés;
- IPP ou préjudice fonctionnel :
* l'expert retient un taux de 5%, avec incidence professionnelle, (boiterie, station debout pénible chez une victime travaillant dans la restauration) ce qui permet de retenir une valeur du point de 1300€, soit un total de 6 500€, à revenir entièrement à la victime;
Le préjudice personnel :
L'expert a chiffré les souffrances endurées à 4/7, étant rappelé que Madame Z... a été victime d'une fracture déplacée de l'extrémité inférieure des deux os de la jambe gauche ayant nécessité une ostéosynthèse puis trois interventions chirurgicales, dont l'une avec greffe ; que la pose d'attelle a duré deux mois, suivie de multiples séances de rééducation, les douleurs persistant encore à ce jour. Il n'est pas exagéré dans ces conditions d'indemniser son préjudice à hauteur de 8 000 €.
Le préjudice esthétique a ensuite été évalué à 1/7, pour tenir compte de la cicatrice sur la face antérieure du pied gauche et de l'extrémité inférieure de la jambe gauche, sur 16 cm environ. Il sera alloué à ce titre une indemnité de 2 000 €.
Enfin, Madame Z... sollicite une somme de 5 000 € au titre du préjudice d'agrément, dont la réalité n'est pas sérieusement contestable au vu des attestations produites, faisant toutes état des activités de loisir à caractère sportif anciennement pratiquées par l'intéressée (marche, course à pied, danse), et qui lui sont désormais sinon impossible, du moins fortement déconseillées. Le montant réclamé en conséquence est parfaitement justifié.
Attendu qu'en résumé, il reviendra à la CPAM des ARDENNES un total de :
39 156,16 € + 14 201,71€ = 53 357,87€, et à Madame Z..., la somme globale de : 16 650 €+212,51 € + 6 500 € + 8 000 € + 2 000 € + 5 000 € = 38 212,51€ ;
Attendu que le montant de la réparation sollicitée au titre des dommages matériels n'est en revanche pas justifié, et que la demande sera rejetée de ce chef ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser supporter par Madame Z... les frais irrépétibles engendrés par la procédure, et qu'une somme de 3 000 € doit lui être accordée à ce titre; que l'EARL DES MAZINS et son assureur GROUPAMA seront en outre tenus des entiers dépens de première instance comme d'appel ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré applicables à l'espèce les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 ;
L'infirme pour le surplus, et, statuant à nouveau,
Déclare L'EARL DES MAZINS entièrement responsable du préjudice subi par Madame Jocelyne Z... ;
Condamne l'EARL DES MAZINS in solidum avec la compagnie GROUPAMA à payer à Madame Z... la somme de 38 212,51€, et à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE des ARDENNES, celle de 53 357,87€ ;
Déboute Madame Z... de ses plus amples demandes ;
Condamne L'EARL DES MAZINS in solidum avec la compagnie GROUPAMA à lui verser la somme de 3 000€ en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile;
Les condamne sous la même solidarité aux entiers dépens, avec pour ceux d'appel, droit de recouvrement direct accordé aux SCP SIX GUILLAUME D..., avoués, d'une part, DELVINCOURT A... E... RICHARD, avoués, d'autre part.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,