MHD/PR
ARRET N° 438
N° RG 22/01831
N° Portalis DBV5-V-B7G-GS6M
[F]
C/
S.A.S. COLAS FRANCE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre sociale
ARRÊT DU 04 SEPTEMBRE 2024
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 juin 2022 rendu par le Conseil de Prud'hommes de LA ROCHE-SUR-YON
APPELANT :
Monsieur [W] [F]
né le 15 août 1979 à [Localité 3] (85)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Ayant pour avocat Me Suzanne LAPERSONNE de la SARL BIDEAUD- LAPERSONNE, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
INTIMÉE :
S.A.S. COLAS FRANCE
Venant aux droits de la SAS SYOTRA
N° SIRET : 329 338 883
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Ayant pour avocat Me François-Xavier CHEDANEAU de la SELARL TEN FRANCE, avocat au barreau de POITIERS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 907 et 805 du code de procédure civile, les conseils des parties ne s'y étant pas opposé, l'affaire a été débattue le 29 mai 2024, en audience publique, devant :
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Ghislaine BALZANO, Conseillère
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Ghislaine BALZANO, Conseillère
Monsieur Nicolas DUCHATEL, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIERE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- Signé par Madame Ghislaine BALZANO, conseillère en remplacement de Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente, légitimement empêchée et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [W] [F] a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 5 novembre 2001 en qualité d'ouvrier d'exécution poseur par la société Syotra, aux droits de laquelle vient la société Colas France (SAS).
Le 23 juin 2021, la société Colas a demandé au salarié de procéder à un test d'alcoolémie qui s'est avéré positif.
Par courrier daté du 23 juin 2021, la société Colas a convoqué M. [F] à un entretien préalable fixé au 2 juillet 2021 et lui a notifié une mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 7 juillet 2021, la société Colas a notifié au salarié son licenciement pour faute grave.
Le 30 juillet 2021, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de La Roche-sur-Yon qui a, par jugement du 28 juin 2022 :
débouté M. [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
débouté la société Colas de sa demande de condamnation de la partie demanderesse à 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
laissé les dépens à la charge de la partie demanderesse.
M. [W] [F] a interjeté appel de cette décision le 19 juillet 2022.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 2 mai 2024.
Dans ses dernières conclusions datées du 18 octobre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, M. [F] demande à la cour de :
réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et a laissé les dépens à sa charge,
statuant à nouveau, dire et juger que le licenciement pour faute grave prononcé le 7 juillet 2021 par la société Colas est dépourvu de cause réelle et sérieuse, avec toutes ses conséquences de droit,
condamner la société Colas à lui verser les sommes suivantes :
1 076 euros brut au titre de la mise à pied couvrant la période du 23 juin 2021 au 7 juillet 2021, et 107,60 euros brut au titre des congés pays y afférents,
5 015,23 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, et 501,52 euros brut au titre des congés payés y afférents,
15 129,25 euros net au titre de l'indemnité légale de licenciement,
37 600 euros brut de CSG CRDS au titre de l'indemnité prévue par l'article L.1235-3 du code du travail,
2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la société Colas aux entiers dépens de l'instance,
ordonner que les condamnations produiront intérêts aux taux légal à compter du dépôt de la requête, ainsi que la capitalisation des intérêts dus depuis au moins une année entière conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil,
rejeter l'ensemble des demandes de la société Colas.
Dans ses dernières conclusions datées du 16 janvier 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, la société Colas demande à la cour de :
confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de La Roche-sur-Yon,
débouter M. [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
condamner M. [F] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
MOTIVATION
I. Sur la rupture du contrat de travail
La faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d'une importance telle qu'ils rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis.
Le licenciement pour faute grave implique une réaction immédiate de l'employeur, la procédure de licenciement devant être engagée dans des délais restreints et le licenciement devant intervenir rapidement.
La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe exclusivement à l'employeur et il appartient à la juridiction saisie d'apprécier, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat de travail, et d'une gravité suffisante pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise.
Si elle ne retient pas la faute grave, il appartient à la juridiction saisie d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, conformément aux dispositions de l'article L1232-1 du code du travail.
En l'espèce, au soutien de son appel, M. [F] expose que :
le règlement intérieur de la société n'interdit pas la consommation d'alcool mais l'état d'ébriété au temps et au lieu de travail, et il n'est pas établi ni soutenu qu'il se trouvait dans un tel état d'ébriété au moment du contrôle survenu au milieu de l'après-midi,
les modalités du contrôle sont contestables et ne garantissent pas la fiabilité des résultats obtenus car la date d'étalonnage est absente sur le premier test et le 2ème test n'est plus valide depuis 7 années au moment de son utilisation, les résultats seront donc écartés comme manquant de fiabilité,
son traitement médicamenteux de substitution pouvait fausser le résultat du test,
les modalités prévues par le règlement intérieur et par la loi en matière de contrôle d'alcoolémie n'ont pas été respectées,
le témoignage de M. [O] illustre la dureté de la sanction infligée au regard de celles plus clémentes appliquées à des salariés dont le comportement éthylique a eu des conséquences matérielles dommageables pour l'entreprise et cette sévérité est à rapprocher du fait qu'il était le seul salarié visé par le contrôle et qu'il a reconnu le jour des faits avoir consommé une bière et un verre de vin au cours de la pause méridienne sur l'invitation insistante de deux de ses responsables,
les conditions particulières de travail impliquent une tolérance avérée de l'employeur par rapport à la consommation d'alcool des salariés,
la faute reprochée ne caractérise pas l'existence d'une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
En réponse, la société Colas objecte pour l'essentiel que :
le salarié a repris son poste après la pause du midi dans un état d'alcoolisation établi par les contrôles opérés, et le 3ème alinéa de l'article 13.1.1 du règlement intérieur trouve pleinement application,
la fiche de constat du 23 juin 2021 confirme que le contrôle d'alcoolémie a été réalisé dans des conditions conformes au règlement intérieur,
seul l'éthylomètre doit être étalonné alors que ce sont des éthylotests qui ont été utilisés, dont la validité expirait en janvier 2022,
il n'existe aucune obligation de conservation des éthylotests, ce qui explique que la règle posée est celle du compte-rendu du contrôle en temps réel, en présence de témoins et signé par tous,
la référence à un traitement médicamenteux est inopérante, la pièce adverse 7 démontrant à ce titre que « la faible quantité d'alcool dans le médicament n'est pas susceptible d'entraîner d'effet notable »,
l'employeur dispose d'un pouvoir d'individualisation des sanctions, lui permettant de traiter différemment deux salariés dès lors qu'ils ne sont pas placés dans une situation identique, tant au regard de leur passé par rapport au reproche qui leur est fait qu'au regard de la prise de conscience des fautes commises,
le règlement intérieur ne prévoit pas de test sanguin, mais simplement une contre-expertise.
Sur ce,
Il résulte de la lettre de licenciement que M. M. [F] a été licencié pour faute grave en ces termes :
' (...) Les faits qui vous sont reprochés sont les suivants :
Le 23 juin 2021, sur le chantier de la RD948, nous avons procédé à un test d'alcoolémie à 15h30 en présence de témoins. Ce test s'est avéré positif et bien au-delà des seuils autorisés.
A votre demande, nous avons organisé une contre-expertise en réalisant un second test, qui s'est avéré lui aussi positif.
Lors de l'entretien du 02 juillet 2021, vous avez finalement reconnu les résultats des tests sans fournir d'explications valables sur les raisons de votre état.
Or notre règlement intérieur prévoit en son article 13.1.1 "qu'il est interdit à tout salarié d'être en état d'ébriété au temps et au lieu de travail. Il est interdit de pénétrer dans l'entreprise {...} en état d'ivresse. Le non-respect de cette disposition peut entraîner une sanction disciplinaire telle que prévue à l'article 16 du chapitre VI du même règlement'.
Dans ces conditions, votre comportement constitue un manquement grave à vos obligations contractuelles qui empêche votre maintien dans l'entreprise et nous amène à prononcer votre licenciement pour faute grave'.
Au titre de la charge de la preuve qui lui incombe, la société Colas produit en premier lieu le règlement intérieur de l'entreprise.
A titre liminaire, la cour relève que les parties ne discutent pas l'existence de ce règlement intérieur ni son opposabilité, seulement le respect des dispositions qu'il contient.
Il ressort de l'article 13.2 du règlement intérieur qu'en cas de présomption d'ébriété d'un salarié le responsable hiérarchique peut le soumettre à un éthylotest au moyen d'un éthylotest conforme à un type homologué, et que lorsque le contrôle est positif, il est demandé au salarié s'il souhaite ou non contester le résultat dudit contrôle, auquel cas il est procédé immédiatement à un second dépistage réalisé dans les mêmes conditions que le premier. La procédure requiert que le salarié soit averti de son droit de s'y opposer et d'exiger un témoin de son choix.
Ce règlement intérieur prévoit également 'qu'en raison de l'obligation faite à l'entreprise d'assurer la sécurité de ses salarié (...) le responsable hiérarchie peut imposer, de manière aléatoire, un contrôle aux salariés affectés à l'un des postes visés en annexe 2 et ce quand bien même leur comportement ne laisserait pas présumer qu'ils sont en état d'ébriété et/ou sous l'emprise de stupéfiants', l'annexe 2 du règlement intérieur visant l'ensemble des postes présents ou occupés sur les chantiers.
Le règlement intérieur prévoit en outre 'qu'en cas de résultat positif à l'un de ces tests, et sous réserve du respect des modalités de contrôle et de contestation précisées ci-après, le salarié s'expose à une sanction disciplinaire telle que prévue à l'article 16 du Chapitre VI du présent règlement'.
L'argumentation du salarié s'agissant du fait que l'employeur ne démontrerait pas l'existence d'un état d'ébriété à l'origine du contrôle d'alcoolémie est inopérante, dès lors que l'employeur pouvait décider de procéder à un tel contrôle dans le cadre des dispositions de l'article L. 4121-1 du code du travail, qui lui imposent de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en dehors de tout constat préalable d'un état d'ébriété.
L'employeur produit également les témoignages de M. [C], responsable exploitation, qui atteste 'avoir contrôlé le 23 juin 2021 [W] [F] avec deux éthylotests' et que 'les deux contrôles étaient positifs' et de MM. [G], chef de chantier, et [K], chauffeur polyvalent, qui confirment tous deux que les deux contrôles d'alcoolémie du 23 juin 2021étaient positifs.
Il est également produit une "fiche de constat" dressée par M. [C] et signée par MM. [C], [K] et [F], dont il ressort que le premier contrôle s'est avéré positif ainsi que le second réalisé à la demande du salarié.
S'agissant du dispositif d'éthylotest utilisé, l'employeur justifie du fait que les éthylotests étaient issus d'un lot dont la date de validité expirait au mois de janvier 2022, étant précisé que ce dispositif de contrôle ne nécessite aucun étalonnage.
Enfin, aucun élément ne permet de retenir que le traitement médicamenteux de substitution du salarié aurait pu fausser les résultats des tests réalisés.
Il s'en déduit que le contrôle effectué est conforme au règlement intérieur de l'entreprise et que la matérialité de l'état d'imprégnation alcoolique du salarié le 23 juin 2021 sur le chantier de l'entreprise, pendant les heures d'exécution de son contrat de travail, est établie.
Il doit par ailleurs être relevé que le salarié a admis qu'il avait informé son employeur de son addiction à l'alcool, et n'a pas contredit ce dernier lorsqu'il indique dans ses écritures qu'il avait récemment été alerté par son responsable hiérarchique, avant le contrôle litigieux.
Au regard des fonctions assumées par le salarié de poseur de canalisations, et de la pathologie éthylique ancienne dont il souffrait son alcoolisation constatée sur son lieu de travail le 23 juin 2021 rendait dangereux, et même impossible, son maintien à son poste de travail, et constituait une faute grave empêchant l'exécution de tout travail, même pendant la durée du préavis, de sorte que le licenciement pour faute grave notifié à M. [F] est proportionné à la faute commise et justifié, par confirmation du jugement déféré.
Le salarié doit par conséquent être débouté de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement illégitime ainsi que de ses prétentions relatives aux indemnités de rupture et au rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire.
II. Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera confirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens d'appel seront mis à la charge de M. [F].
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la société Colas France la charge de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de La Roche-sur-Yon du 28 juin 2022 en toutes ses dispositions,
Déboute M. [W] [F] de l'ensemble de ses demandes,
Condamne M. [W] [F] aux dépens d'appel,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Colas France.
LE GREFFIER, P°/ LA PRÉSIDENTE,