GB/LD
ARRÊT N° 316
N° RG 22/00728
N° Portalis DBV5-V-B7G-GP6L
[L]
C/
S.A.S. TESSON [S]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 11 JUILLET 2024
Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 mars 2022 rendu par le Conseil de Prud'hommes des SABLES D'OLONNE
APPELANT :
Monsieur [I] [L]
Né le 28 octobre 1962 à [Localité 6] (58)
[Adresse 1]
[Localité 3]
Ayant pour avocat plaidant Me Alexis MOISAND de l'AARPI CONSTELLATION Avocats, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
S.A.S. TESSON [S]
N° SIRET : 384 714 655
[Adresse 9]
[Localité 2]
Ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LX POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me Séverine LANDAIS de la société d'Avocats FIDAL, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 03 avril 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Monsieur Nicolas DUCHATEL, Conseiller
Madame Ghislaine BALZANO, Conseillère, qui a présenté son rapport
Et qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIERE
GREFFIER, lors de la mise à disposition : Monsieur Lionel DUCASSE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile que l'arrêt serait rendu le 6 juin 2024. A cette date, le délibéré a été prorogé au 11 juillet 2024.
- Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par contrat à durée indéterminée à effet au 2 novembre 2005, M. [I] [L] a été embauché par la société Safiag-Odass au poste de responsable risques industriels classe F catégorie cadre.
Suite à une fusion-absorption réalisée en juillet 2017, les contrats de travail des salariés de la société Safiag-Odass ont été transférés à la société Tesson [S].
Le contrat de travail de M. [L] a, à cette occasion, été modifié s'agissant de la qualification de son poste de travail qui est devenue « chargé de clientèle » par avenant du 1er juillet 2017 qu'il n'a pas signé.
Une journée de convivialité a été organisée par l'employeur le 28 septembre 2019.
Le 30 septembre 2019, M. [L] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 24 octobre 2019 avec une mise à pied conservatoire immédiate.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 30 octobre 2019, il a été licencié pour faute grave caractérisée par « une attitude générale inadaptée [...] incompatible avec la poursuite normale de [ses] missions », les éléments rapportés à l'employeur « passant des plaisanteries grivoises aux actes imposés aux salariés ».
Par courrier du 13 novembre 2019, M. [L] a sollicité des précisions quant aux motifs de son licenciement, lesquelles ne lui ont pas été apportées.
Par jugement du 2 mars 2022, le conseil de prud'hommes des Sables d'Olonne a :
- débouté M. [L] de l'intégralité de ses demandes à titre principal et subsidiaire ;
- dit et jugé que le licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de M. [L] est parfaitement justifié et n'est pas intervenu dans des conditions brutales et vexatoires ;
- dit et jugé que la société Tesson [S] s'est livrée à une exécution loyale du contrat ;
- débouté la société Tesson [S] de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [L] aux entiers dépens ;
- déchargé la société Tesson [S] de toute condamnation pécuniaire.
M. [L] a interjeté appel de cette décision par déclaration électronique en date du 17 mars 2022.
* * *
Dans ses dernières conclusions du 9 août 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des faits, prétentions et moyens, M. [L] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a :
- débouté M. [L] de l'intégralité de ses demandes à titre principal et subsidiaire ;
- dit et jugé que le licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de M. [L] est parfaitement justifié et n'est pas intervenu dans des conditions brutales et vexatoires ;
- dit et jugé que la société Tesson [S] s'est livrée à une exécution loyale du contrat ;
- condamné M. [L] aux entiers dépens ;
- déchargé la société Tesson [S] de toute condamnation pécuniaire ;
Et statuant à nouveau :
Sur l'exécution déloyale du contrat de travail :
- juger que la société Tesson [S] a modifié unilatéralement le contrat de travail de M. [L] ;
- condamner la société Tesson [S] à payer à M. [L] 32.190 € au titre l'exécution déloyale du contrat de travail (6 mois x 5.365 €) ;
Sur la rupture du contrat de travail :
A titre principal en raison de la nullité de son licenciement :
- de juger que la société Tesson [S] a violé les dispositions des articles L.1233-1 du code du travail rendant le licenciement de M. [L] nul et de nul effet ;
- de condamner la société Tesson [S] à lui payer la somme de 32.190 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul (6 mois x 5.365 €)
- ou, en cas de refus de la réintégration par la société Tesson [S], de la condamner à payer à M. [L] la somme de 268.250 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et calculée jusqu'au 30 janvier 2023 ;
A titre subsidiaire en raison de l'absence de réunion du conseil de discipline en application des dispositions de l'article 16 de la convention collective nationale des entreprises de courtage d'assurances :
- de juger qu'en l'absence de réunion du conseil de discipline, la société Tesson [S] a violé les dispositions de l'article 16 de ladite convention ;
- de juger le licenciement de M. [L] sans cause réelle ni sérieuse ;
- de condamner la société Tesson [S] à payer à M. [L] les sommes suivantes :
¿ 16.095 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (3 mois x 5.365 €) ;
¿ 1.609 € au titre des congés payés afférents ;
¿ 37.534 € à titre d'indemnité de licenciement conventionnelle ;
¿ 32.190 € à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire du contrat de travail (6 mois x 5.365 €) ;
¿ 64.380 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (12 mois selon barème de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 x 5.365 €) ;
A titre infiniment subsidiaire en raison du défaut de cause réelle et sérieuse :
- de juger le licenciement de M. [L] sans cause réelle ni sérieuse ;
- de condamner la société Tesson [S] à payer à M. [L] les sommes suivantes :
¿ 16.095 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (3 mois x 5.365 €) ;
¿ 1.609 € au titre des congés payés afférents ;
¿ 37.534 € à titre d'indemnité de licenciement conventionnelle ;
¿ 32.190 € à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire du contrat de travail (6 mois x 5.365 €) ;
¿ 64.380 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (12 mois selon barème de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 x 5.365 €) ;
En tout état de cause :
- d'ordonner à la société Tesson [S] la remise des documents conformes au jugement sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir (bulletin de paie, attestation pôle emploi) et la capitalisation des intérêts ;
- de condamner la société Tesson [S] au paiement des intérêts légaux et capitalisation des intérêts par année civile (anatocisme, article 1343-2 du code civil) à compter de la saisine du conseil de prud'hommes ;
- de condamner la société Tesson [S] aux dépens ;
- de condamner la société Tesson [S] à verser à M. [L] une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de fixer le salaire de référence de M. [L] à hauteur de 5.365 €.
* * *
Dans ses dernières conclusions du 17 novembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des faits, prétentions et moyens, la société Tesson [S] demande à la cour :
- de déclarer M. [L] non fondé en son appel et l'en débouter ;
A titre principal :
- de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes des Sables d'Olonne notamment en ce qu'il a :
** débouté M. [L] de l'intégralité de ses demandes à titre principal et subsidiaire ;
** dit et jugé que le licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de M. [L] est parfaitement justifié et n'est pas intervenu dans des conditions brutales et vexatoires ;
** dit et jugé que la société Tesson [S] s'est livrée à une exécution loyale du contrat ;
** condamné M. [L] aux entiers dépens ;
** déchargé la société Tesson [S] de toute condamnation pécuniaire ;
- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes des Sables d'Olonne en ce qu'il a débouté la société Tesson [S] de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- de débouter M. [L] de l'intégralité de ses demandes à titre principal, subsidiaire et infiniment subsidiaire, aussi bien sur l'exécution déloyale du contrat que sur la rupture du contrat (en particulier la demande de nullité et de réintégration formulée sans aucun fondement) ;
A titre subsidiaire :
- d'apprécier dans de plus justes proportions les prétentions indemnitaires de M. [L] ;
- de rejeter toute prétention contraire comme non recevable et dans tous les cas non fondée ;
En tout état de cause :
- de débouter M. [L] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- de décharger la société Tesson [S] de toute condamnation pécuniaire ;
- de condamner M. [L] aux entiers dépens d'appel ;
- de condamner M. [L] à régler à la société Tesson [S] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en appel.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 11 décembre 2023.
SUR QUOI
I ' SUR L'EXECUTION DELOYALE DU CONTRAT DE TRAVAIL
M. [L] invoque les dispositions de l'article L.1222-1 du code du travail et il expose :
- que suite à la fusion-absorption, son contrat de travail a été transféré le 1er juillet 2017 en raison de la suppression de son poste de Responsable des risques industriels et qu'il lui a été proposé un poste de « chargé de clientèle » par avenant au contrat de travail ;
- qu'il s'est en réalité vu imposer des fonctions différentes de celles qu'il exerçait auparavant et qu'il a subi de manière concomitante une forte dégradation de ses relations de travail au sein de l'établissement composant le Pôle IARD de [Localité 7], cet établissement voyant son effectif réduire entre janvier 2017 et juillet 2019 et perdre en compétence avec le départ du responsable du service « Responsabilité Civile » et le départ du responsable du service « Flotte Automobile » ;
- que les départs successifs des collaborateurs n'ont pas fait l'objet de recrutements pour remplacements ;
- qu'en réalité, le pôle IARD de [Localité 7] a été totalement démantelé et qu'au cours du mois de juin 2019, M. [L] a été rattaché au « Service Commercial » de la société pour exercer une fonction préventionniste ;
- que cette restructuration a été source de stress important pour lui et pour les autres salariés ;
- que malgré de nombreuses alertes, la société Tesson [S] n'a pas pris les mesures nécessaires pour faire cesser les troubles subis par les salariés de l'établissement où M. [L] exerçait ses fonctions ;
- que son licenciement fondé sur des faits dénués d'un caractère réel et sérieux lui a été notifié dans ce contexte ;
- qu'en modifiant unilatéralement son contrat de travail, l'employeur a non seulement violé ses obligations contractuelles mais qu'il s'est également prêté à une exécution déloyale du contrat de travail ;
- que M. [L] est donc fondé à solliciter 6 mois de salaire, soit 32.190 €, à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail.
En réponse, la société Tesson [S] fait valoir :
- que le changement de dénomination de l'emploi occupé par M. [L] était purement lexical et destiné à harmoniser les contrats au sein de la société mais qu'il a conservé les mêmes fonctions et le même portefeuille clients ;
- que M. [L] ne s'est jamais plaint d'une dégradation de ses conditions de travail avant son licenciement ;
- qu'il produit un courriel d'une salariée en 2017, dont il a été destinataire en sa qualité de responsable, alors qu'il ne s'est pas joint à sa démarche.
Sur ce, il résulte des dispositions de l'article L.1222-1 du code du travail que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
La bonne foi contractuelle est présumée et il appartient au salarié de rapporter la preuve que l'employeur exécute de mauvaise foi le contrat de travail (Soc., 23 février 2005, pourvoi n° 04-45.463).
En l'espèce, s'agissant des fonctions exercées par M. [L], la cour observe que ce dernier n'a, entre le 1er juillet 2017 et la contestation en justice des motifs de son licenciement, à aucun moment remis en cause les modifications inhérentes :
- à la dénomination de ses fonctions, étant par ailleurs observé qu'aucune des pièces versées aux débats ne permet d'établir que ce changement de dénomination a été suivi d'une modification dans les tâches qui lui étaient matériellement confiées, d'une remise en cause de sa classification en catégorie cadre classe F ou d'un changement dans le montant de sa rémunération ;
- à son lieu de travail qui a été transféré de [Localité 10] à [Localité 7].
M. [L] ne rapporte donc pas la preuve que la société Tesson [S] lui a imposé une modification unilatérale de son contrat de travail.
S'agissant de la dégradation de ses conditions de travail, suite au transfert de son contrat au 1er juillet 2017, dans l'objectif d'acculer les salariés du site de [Localité 7] à démissionner, M. [L] verse aux débats :
- un document qu'il semble avoir lui-même établi relatif à l'effectif du site de [Localité 7] au 1er juillet 2017 puis entre le 1er juillet 2017 et le 30 octobre 2019 selon lequel, au cours de cette période, l'effectif du site est passé de 12 personnes à 3 le 26 septembre 2019 tandis que les 5 autres sites de la société ont recruté, à la même période, une vingtaine de collaborateurs ;
- un mail au nom de [H] [ER] en date du 15 novembre 2017 intitulé « une salariée presqu'en détresse » qui a été transmis en copie jointe à [I] [L] dans lequel il est notamment indiqué :
** « je n'arrive toujours pas à comprendre comment la Direction peut nous laisser gérer le pôle IARD en étant si peu nombreux. Tout le stress que cela génère' »
** « [I] et moi, totipotents tels des cellules embryonnaires, nous nous dédoublons jour après jour afin de satisfaire à toutes les demandes de toutes sortes (téléphone, mails, courriers, plus rare mais également l'accueil physique des assurés') L'objectif final de cette situation ' Voir combien de temps nous allons tenir ' Voir si nous tenons la pression ' Que nous partions ' Je ne sais pas » ;
- une attestation établie par Mme [IF] [V], faisant état d'une réduction progressive des effectifs du site de [Localité 7] entre le 1er juillet 2017 et le 30 août 2019 et indiquant qu'il n'y avait plus que 2 salariés sur ce site, parmi lesquels M. [L], à partir du mois de mars 2019 jusqu'au 30 juillet 2019 (date de la rupture conventionnelle de la seconde salariée) ;
- des attestations établies par Mme [K] [J] et Mme [M] [Y] selon lesquelles les conditions de travail sur le site de [Localité 7] se sont dégradées après le 1er juillet 2017, Mme [Y] faisant état de son attestation de « désorganisation, incertitude de l'avenir professionnel, mal-être au travail, qui s'est pour ma part traduit par une rupture conventionnelle et mon départ de la société Tesson [S] le 14 août 2019 ».
Or, ces éléments ne suffisent pas à démontrer que la société Tesson [S] a manqué de loyauté à l'égard de M. [L] en procédant volontairement à une dégradation de ses conditions de travail pour l'amener à démissionner et la cour observe notamment à cet égard :
- que M. [L] ne justifie pas s'être associé aux doléances émises par Mme [ER] lorsqu'elle s'est plainte de leurs conditions de travail ;
- que les attestations établies par Mme [V] et Mme [T] [ZM] (également salariée de la société Tesson [S]) ne font pas état d'une dégradation particulière de leurs conditions de travail après le 1er juillet 2017 ni d'un sentiment d'avoir été acculées à la démission dans la perspective d'une fermeture du site et il apparaît au contraire :
** que Mme [V] a travaillé pour le compte de cette société dans le cadre d'un contrat de stage jusqu'au 30 novembre 2017, puis d'un contrat à durée déterminée de janvier jusqu'au 30 avril 2018 suivi d'un contrat à durée indéterminée du 1er mai 2018 au 14 août 2019, date à laquelle le dernier contrat a fait l'objet d'une rupture conventionnelle que la salariée n'impute pas un comportement fautif de l'employeur ;
**que si Mme [ZM] indique avoir été embauchée par la société dans le cadre d'un contrat d'alternance modifié en contrat à durée indéterminée le 1er juillet 2011 en tant que « gestionnaire sinistres » du pôle IARD de la société Sofiag, puis s'être vue imposer un poste gestionnaire production « polyvalent » dans le même pôle à compter de juillet 2017 du fait de la décision de la société Tesson [S] de transférer la totalité de l'activité « sinistres » du site de [Localité 7] à un autre de ses établissements, cette salariée ne fait état d'aucune dégradation de ses conditions de travail après le 1er juillet 2017 ni d'un comportement de l'employeur qui l'aurait conduite à une démission ou à une rupture conventionnelle de son contrat de travail.
De son côté, la société Tesson [S] verse aux débats :
- une attestation établie le 26 mars 2021 par M. [YZ] [W], responsable commercial au sein du cabinet Tesson [S] à partir du 1er janvier 2019, selon laquelle M. [L], qui était « spécialiste de la branche dommages aux biens et avait en charge un portefeuille important » a rapidement été identifié comme ayant « des qualités importantes lui permettant aussi bien de mettre en 'uvre la gestion du risque dommages aux biens de ses clients que de réaliser des visites de risque seul ou en accompagnement des compagnies d'assurances », qu'il devait d'un commun accord accéder à compter du 1er juin 2019 « à un poste de chargé de compte au sein de l'équipe commerciale » et qu'il lui avait été commandé à cette fin un véhicule de fonction pour faciliter ses déplacements ;
- un mail de M. [W] adressé le 28 juin 2019 à M. [L] lui demandant de transmettre très rapidement une pièce justificative de la détention de son permis de conduire pour négocier une offre de véhicule.
Ces éléments démontrent que la société Tesson [S] n'a pas volontairement dégradé les conditions de travail de M. [L] pour l'acculer à une rupture de son contrat de travail et qu'elle était au contraire dans une perspective de le maintenir dans son effectif lorsqu'elle a procédé à son licenciement pour faute grave avec mise à pied conservatoire.
Dès lors, à défaut pour M. [L] de rapporter la preuve du manquement de la société Tesson [S] à son obligation de loyauté, celui-ci doit être débouté de ses demandes sur ce fondement.
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé de chef.
II - SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL
A- SUR LE RESPECT DE LA PROCEDURE DE LICENCIEMENT
M. [L] reproche à la société Tesson [S] d'avoir violé l'article 16 de la convention collective nationale des entreprises de courtage d'assurances en procédant à son licenciement pour faute grave sans convoquer au préalable un conseil de discipline, cette irrégularité ayant selon lui pour effet d'emporter la requalification du licenciement en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que la société Tesson [S] ne peut pas s'exonérer de cette obligation en prétendant que son effectif était inférieur à 50 salariés au jour de l'engagement de la procédure de licenciement aux motifs :
- qu'elle communique régulièrement sur le nombre élevé de ses salariés qu'elle évalue à 76 ;
- qu'elle se déclare auprès du tribunal de commerce d'Angers comme une société dont l'effectif se situe « entre 50 et 99 salariés » ;
- que plus de 60 personnes étaient invitées lors de la « journée de convivialité » de septembre 2019 dédiée à l'ensemble des collaborateurs de la société Tesson [S] ;
- que dans ses écritures en réplique devant le conseil de prud'hommes des Sables d'Olonne, elle a reconnu que son effectif était supérieur à 50 salariés et que l'équivalent temps plein de cet effectif était supérieur à 50 entre les mois de septembre et de décembre 2018 ;
- qu'elle ne peut pas prétendre que la hausse temporaire de l'effectif constatée d'octobre à décembre 2018 s'explique par la constitution, au sein du groupe, d'un centre de gestion de frais de santé et prévoyance ;
- qu'elle ne peut pas non plus prétendre que les salariés recrutés ont été, après leur formation transférés au 1er janvier 2019 sur la société Tesson [S] Services spécialement créée pour ce nouveau service puisque l'analyse des statuts de la société Tesson [S] Services fait apparaître que cette société a été constituée en 1984 avec le même objet social que celui de la société Tesson [S], soit « exploitation d'un portefeuille de courtage d'assurances de toute nature, conseil en assurances ['] » ;
- que la société Tesson [S] s'est en réalité livrée à une dissociation artificielle de ses effectifs à travers deux entités pour tenter d'échapper à ses obligation légales et conventionnelles ;
- que la société Tesson [S] Services n'est pas un « établissement distinct » de la société Tesson [S] dans la mesure où elle ne dispose pas de délégations de compétence, de l'autonomie de gestion du personnel et de l'exécution du service ;
- qu'il convient en conséquence de cumuler les effectifs de deux sociétés au jour du licenciement pour apprécier l'obligation relative à la tenue d'un conseil de discipline ;
- que les effectifs de la société Tesson [S] n'étant pas inférieurs à 50 salariés lorsque la procédure de licenciement a été engagée, elle s'est soustraite à son obligation conventionnelle privant le licenciement de M. [L] de cause réelle et sérieuse.
En réponse, la société Tesson [S] invoque les dispositions des articles L.2311-2 et L.2312-2 du code du travail et elle fait valoir :
- que l'effectif requis pour la mise en place des institutions représentatives du personnel doit être atteint pendant 12 mois consécutifs et que les entreprises dont l'effectif n'atteint pas 50 salariés (équivalents temps plein) pendant 12 mois consécutifs ne sont concernées ni par l'obligation de mettre en place un conseil de discipline ni par l'information sur la possibilité de le réunir préalablement à un licenciement pour faute ;
- qu'en l'espèce, elle n'a pas employé 50 salariés équivalents temps plein pendant 12 mois consécutifs ;
- que la hausse temporaire de l'effectif constatée entre les mois d'octobre et de décembre 2018 s'explique par la constitution, au sein du groupe, d'un centre de gestion de frais de santé et prévoyance qui a nécessité des recrutements supplémentaires sur cette période mais que les salariés recrutés ont été, après leur formation, transférés au 1er janvier 2019 sur la société Tesson [S] Services dédiée à cette nouvelle activité ;
- que dans le cadre de la création du service de liquidation des prestations santé et prévoyance, les dirigeants ont utilisé un support existant plutôt que de créer une nouvelle société à cet effet mais qu'il n'en demeure pas moins que la gestion et la liquidation des prestations santé et prévoyance est une activité créée et nouvellement exercée à compter du 1er janvier 2019 ;
- que la société Tesson [S] ne peut donc pas produire le livre de paie et le registre du personnel de la société Tesson [S] Services sur les années 2017 et 2018 car elle n'a employé aucun salarié avant le 1er janvier 2019 comme le démontrent les bilans des années 2017 et 2018 ;
- que le livre de paie et le registre du personnel de la société Tesson [S] sur l'année 2017 sont en revanche produits ;
- qu'il faut comprendre que le groupe se compose de deux sociétés :
** la société Tesson [S] qui a pour activité la négociation et la souscription des contrats auprès des compagnies d'assurances ;
** la société Tesson [S] Services qui a pour activité la liquidation des prestations santé et prévoyance ainsi que la gestion de sinistres ;
- qu'il s'agit de deux activités différentes exploitées par deux sociétés différentes ;
- que si le site internet du « groupe » fait état du nombre de collaborateurs employés au total sur ces deux entités (76), il n'en demeure pas moins que la société Tesson [S] à elle seule n'emploie pas, et n'employait pas 50 salariés équivalents temps plein au moment du licenciement de M. [L] ;
- que les pièces adverses ont pour seul objectif de créer une confusion, qu'elles ne proviennent pas de sites internet officiels ni de déclarations faites par la société auprès du tribunal de commerce d'Angers mais seulement de sources qui ne présentent aucune garantie de véracité ni de fiabilité ;
- que la société Tesson [S] n'était pas donc concernée par l'obligation de mettre en place un conseil de discipline et qu'elle ne cherche pas à dissocier artificiellement son effectif.
Sur ce, l'article 16 de la convention collective nationale des entreprises de courtage d'assurances prévoit :
- que dans chaque entreprise dont l'effectif est au moins égal à 50 salariés, au sens des règles légales de mise en place des institutions représentatives du personnel, il est constitué un conseil de discipline doté d'un rôle consultatif qui peut être réuni à la demande soit de l'employeur, soit du salarié concerné, préalablement à la mise en 'uvre de tout projet de licenciement pour faute ;
- que la saisine du conseil peut intervenir à compter de l'envoi de la lettre de convocation à l'entretien préalable de licenciement et, au plus tard, jusqu'au jour franc ouvré succédant à la date d'entretien préalable.
Il résulte par ailleurs des dispositions combinées des articles L.2311-2, L.2312-2 et L.1111-2 du code du travail que, pour la mise en 'uvre des dispositions du code du travail, les effectifs de l'entreprise sont calculés au prorata de leur temps de travail pendant 12 mois consécutifs.
L'effectif de la société Tesson [S] doit donc être quantifié au regard du nombre d'emplois en équivalent temps plein dans les 12 mois précédant le licenciement de M. [L] et non pas du nombre de personnes qu'elle indiquait employer.
Par ailleurs, la notion d'établissement distinct correspond à une unité d'exploitation ou de production localisée géographiquement, individualisée mais dépendant juridiquement d'une entreprise.
Or, il ressort des pièces versées aux débats que la S.A.S. Tesson [S], immatriculée au registre du commerce et des sociétés de La Roche-sur-Yon sous le n° 817 722 481, est une société distincte de la S.A.S. Tesson [S] Services, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de La Roche-sur-Yon sous le n° 328 768 858, et aucune des pièces produites ne permet d'établir que la société Tesson [S] Services, qui a une personnalité morale propre, devrait être considérée comme étant un établissement distinct de la société Tesson [S].
L'effectif de ces deux sociétés n'a donc pas à être cumulé pour déterminer l'effectif de la société Tesson [S] dans les 12 mois consécutifs précédant le licenciement de M. [L] et les pièces soumises à la cour ne démontrent pas que cet effectif était au moins égal à 50 salariés en équivalent temps plein entre les mois d'octobre 2018 et d'octobre 2019.
En outre, et contrairement à ce que soutient M. [L], la sanction de l'absence de convocation d'un conseil de discipline avant le licenciement d'un salarié ne prive pas celui-ci de cause réelle et sérieuse puisqu'il résulte des dispositions de l'article L.1235-2 du code du travail que lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d'un salarié intervient sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.
Or, M. [L] n'a pas sollicité cette indemnité.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la demande de M. [L] tendant à ce que son licenciement pour faute grave soit requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse du fait de la violation de l'article 16 de la convention collective nationale des entreprises de courtage d'assurances ne peut pas prospérer.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [L] de cette demande.
B- SUR LES MOTIFS DU LICENCIEMENT
La lettre de licenciement du 30 octobre 2019 est ainsi libellée :
« Le samedi 28 septembre dernier, le Cabinet a proposé aux salariés de participer à une journée, de convivialité. Après une série d'ateliers le matin, l'après-midi était consacrée à un rallye historique dans les rues d'[Localité 4], en équipe, afin de permettre aux salariés issus de différents établissements de se rencontrer.
Au nombre des épreuves se trouvait la réalisation de trois mini-films de quelques secondes. Juste avant la projection, au retour des équipes, une de vos coéquipières s'est approchée de moi manifestement très gênée ; alors que je lui en demandais la raison, elle n'a pas réussi à s'en expliquer autrement qu'en répétant : « vous verrez ! ».
Effectivement, à la diffusion, l'assistance a pu constater que vous l'embrassiez par surprise et sur la bouche...
Dès le lundi 30 septembre, plusieurs collaboratrices issues de différents établissements ont pris contact avec moi pour m'expliquer le malaise qu'elles éprouvaient face à votre attitude souvent déplacée, vos propos grivois, votre humour qu'elles qualifient de lourdement insistant même lorsqu'elles vous éconduisaient poliment... Elles estimaient que vous aviez dépassé les bornes et me rappelaient fermement mes obligations d'employeur.
A ma grande surprise, j'ai découvert à ce moment-là que des salariées du Cabinet avaient mis en place des stratégies entre elles afin d'éviter de se retrouver en tête â tête avec vous. D'autres salariées m'ont indiqué qu'elles refuseraient dorénavant tout trajet professionnel en votre compagnie.
Ces témoignages, m'ont été faits alors que vous deviez assister à une réunion sur le site de [Localité 8] dès le lendemain avec certaines de ces personnes, aussi nous avons décidé de vous mettre à pied à titre conservatoire, qui vous a été signifié par courrier recommandé avec avis de réception ainsi que par mail dès le lundi 30 septembre 2019 au soir.
Lors de notre entretien du 24 octobre je vous ai présenté l'ensemble des éléments en ma possession, recueillis au cours de l'instruction de ce dossier.
Votre statut, vos 14 années d'ancienneté et votre rémunération vous placent parmi les cadres les plus importants de la société. L'évolution de votre poste est également un axe stratégique pour nous, puisque vous êtes le seul préventionniste du Cabinet, ce qui signifie que vous avez en charge des dossiers majeurs confiés à la gestion des différents sites. Cette position implique une tenue exemplaire, et, à tout le moins, le souci de l'image que vous renvoyez aux autres salariés et à nos clients et correspondants auprès desquels vous nous représentez. Alors même que la séquence dans laquelle vous embrassiez par surprise et sur la bouche une collègue subalterne était filmée et destinée à être diffusée devant l'ensemble des collaborateurs présents, vous n'avez cependant pas essayé de limiter ou d'empêcher cette diffusion, ni-même, ensuite, cherché à présenter d'excuse ou d'explication à la salariée concernée, aux membres de votre équipe ou à votre direction.
Les salariées qui m'ont demandé d'intervenir le lundi suivant ont attiré mon attention sur le fait qu'en l'absence d'intervention ferme de notre part, cela laisserait croire qu'un cadre de votre niveau pouvait abuser de son autorité et de son statut.
Nous avons ainsi appris au cours de l'instruction que, depuis plusieurs mois, vous avez peu à peu adopté une attitude générale inadaptée que je vous ai détaillée lors de notre entretien (« il me reluquait », « il m'a suivi aux toilettes », « il ne comprend pas quand on l'envoie balader » ...), qui nous parait incompatible avec la conduite normale de vos missions.
Lors de notre entretien, vous m'avez indiqué qu'au regard de ces éléments, vous estimiez vous-même inconcevable un retour à votre poste.
En ce qui nous concerne, les éléments qui nous ont été rapportés, d'autant qu'ils progressent en fréquence et en gravité, passant des plaisanteries grivoises aux actes imposés envers des salariées, nous obligent à garantir incontinent (sic) la sécurité de l'ensemble de vos collègues.
Dès lors que nous constatons l'un comme l'autre que la situation que vous avez occasionnée rend impossible l'exécution de votre contrat. Nous n'avons pas d'autre solution que de mettre fin à la relation contractuelle qui nous lie pour faute grave ».
1- Sur la substitution de motifs
M. [L] affirme que, sous couvert d'un licenciement pour motif personnel, la société Tesson [S] l'a en réalité licencié pour des motifs économiques et l'a privé des dispositions de l'article L.1233-1 du code du travail de sorte que ce licenciement est nul.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir qu'en cas de coexistence d'un motif économique et d'un motif personnel à l'appui d'un licenciement, il appartient au juge de rechercher celui qui a été la cause première et déterminante du licenciement et d'apprécier le bien-fondé du licenciement au regard de cette seule cause et il expose :
- que son licenciement était en réalité fondé sur un motif économique caractérisé par une réorganisation des activités de la société entraînant un transfert des activités de l'établissement de [Localité 7] sur les autres établissements et la suppression de l'ensemble des postes de l'établissement de [Localité 7], dont celui occupé par M. [L] ;
- qu'en janvier 2017, avant l'opération de fusion-absorption de la société Safiag-Odass par la société Tesson [S], l'établissement de [Localité 7], dans lequel il travaillait, employait 18 salariés dont 12 au sein du pôle IARD ;
- qu'au 1er juillet 2017, après l'opération de fusion, le site de [Localité 7] comprenait 13 salariés provenant de la société Safiag-Odass ;
- qu'entre juillet 2017 et septembre 2019, la société Tesson [S] a supprimé 11 des 14 postes de [Localité 7] au bénéfice des salariés de ses autres établissements, ce qui est démontré par une analyse des causes de rupture des contrats de travail des salariés ;
- qu'au cours de la même période, les locaux de l'établissement de [Localité 7] sont passés de 350 m² à 50 m², ce qui démontre la baisse de l'effectif ;
- qu'aucune procédure de licenciement pour motif économique sur le périmètre constitué par l'ensemble des établissements de la société Tesson [S] n'a pas pour autant été engagée.
En réponse, la société Tesson [S] fait valoir que lorsque l'employeur peut procéder à un licenciement pour un motif personnel ou pour un motif économique, le juge doit, en cas de litige, rechercher celui qui a été la cause première et déterminante du licenciement et apprécier le bien-fondé de la rupture au regard de cette seule cause et elle expose :
- que M. [L] n'a pas été licencié pour des motifs économiques mais qu'il a été licencié le 30 octobre 2019, soit 2 ans et 4 mois après la fusion des sociétés Tesson [S] et Safiag, pour des motifs personnels ;
- que les départs des responsables du service « Responsabilité Civile » et du service « Flotte automobile » résultent, pour le premier, d'une démission préalable à la fusion pour un poste négocié de longue date et, pour le second, d'un départ à la retraite ;
- qu'elle n'a pas volontairement supprimé 11 postes de l'établissement de [Localité 7] puisqu'elle n'a procédé qu'à 4 licenciements pour des motifs disciplinaires mais qu'elle s'est heurtée aux difficultés de recrutement sur la région parisienne et a dû, pour maintenir l'activité, répartir en interne les missions des salariés sortants et adapter des locaux de [Localité 7] au volume de l'effectif ;
- que les missions de M. [L] ont évolué en 2019, soit plus de deux ans après la fusion, pour lui donner plus d'importance au sein de la société puisqu'il était le seul salarié à disposer de compétences particulières en matière de « dommages » et donc un élément clef de la société ;
- que l'intérêt de l'entreprise était de le maintenir à son poste et de lui faire prendre de l'envergure en proposant son expertise en assurance dommages à plus de clients que ceux de son seul portefeuille initial ;
- qu'il était en outre, depuis la démission de M. [HL] [F] le 31 août 2019, le seul salarié de la société, à être titulaire de l'agrément INSSI conférant la qualité de préventionniste et permettant d'effectuer des visites de risques chez les clients ;
- que son maintien dans la société était donc d'autant plus nécessaire ;
- que son départ précipité a désorganisé le service commercial car il disposait de compétences spécifiques, notamment en matière de « prévention du risque incendie » et que la société Tesson [S] a été contrainte, pour pourvoir à son remplacement sans délai :
** de publier pour ce faire une offre d'emploi ;
** de former parallèlement deux membres de l'équipe commerciale pour leur permettre d'avoir la qualification d'expert en analyse et gestion de risque ;
** de transférer en janvier 2020, un salarié « gestionnaire sinistres » à [Localité 11] comme « chargé de comptes » à [Localité 7] pour reprendre une partie des minoteries gérées par M. [L] ;
- que les seuls éléments à l'origine de la rupture du contrat de travail de M. [L] sont ceux dont il est responsable et que le motif de son licenciement est bien personnel.
Sur ce, il résulte des dispositions de l'article L.1233-3 du code du travail que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
- à des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés ;
- à des mutations technologiques ;
- à une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;
- à la cessation d'activité de l'entreprise.
En l'espèce, la lettre de licenciement notifiée à M. [L] ne vise que des faits caractérisant un licenciement pour motif personnel de sorte qu'il appartient à ce dernier de démontrer que son licenciement était en réalité fondé sur un motif économique.
Or, aucune des pièces versées aux débats ne permet d'établir que le licenciement de M. [L] était en réalité motivé par la volonté de l'employeur, suite à l'opération de cession fusion devenue effective en juillet 2017, de supprimer son poste dans le cadre d'une réorganisation des activités de la société entraînant un transfert des activités de l'établissement de [Localité 7] sur les autres établissements.
En effet, la cour a déjà indiqué dans le cadre de l'examen des demandes de M. [L] au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, qui sont fondées sur une argumentation similaire à celle développée par le salarié du chef de la substitution de motif :
- qu'il n'est pas démontré que la société Tesson [S] a volontairement dégradé les conditions de travail des salariés du site de [Localité 7] pour les acculer à démissionner ni qu'elle a procédé à des licenciements injustifiés pour réduire délibérément l'activité de ce site et le transférer sur ses autres établissements ;
- que la société était dans une perspective de maintien de M. [L] dans son effectif, et non pas dans une perspective de licenciement pour motif économique, dans les 4 mois qui ont précédé son licenciement puisqu'elle lui a proposé un véhicule de fonction.
En outre, la procédure de licenciement de M. [L] a été déclenchée plus de 2 ans après les opérations de fusion absorption entrées en vigueur le 1er juillet 2017 mais dans les 48 heures suivants la journée de convivialité du samedi 28 septembre 2019, la convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement lui ayant été adressée dès le lundi 30 septembre 2019.
Ces éléments démontrent que le licenciement de M. [L] n'était pas fondé sur un motif économique mais reposait sur un motif personnel lié à des faits survenus lors de la journée de convivialité du 28 septembre 2019.
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. [L] de sa demande de requalification du licenciement pour motif personnel en licenciement pour motif économique et de ses demandes indemnitaires subséquentes.
2- Sur le licenciement pour motif personnel
M. [L] soutient qu'il n'a pas commis d'agissements constitutifs d'agression ou de harcèlement sexuel en ce que :
- le harcèlement sexuel se définit en tenant compte de la nature des actes commis, de leur fréquence, de leurs effets sur la victime et de l'objectif de l'auteur ;
- l'article L.1153-1 1° du code du travail prévoit qu'il est constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à la dignité de la victime en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
- l'article L.1153 2° du code du travail indique qu'est assimilé à un harcèlement sexuel le fait, même non répété, d'user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou d'un tiers ;
- en l'espèce, les faits invoqués au soutien de la faute grave se sont déroulés à l'issue d'une journée de convivialité au cours de laquelle plusieurs équipes ont été constituées avec un tournoi organisé entre elles, une des épreuves consistant à réaliser des vidéos insolites sur des thèmes imposés ;
- s'agissant du thème « vous êtes amoureux », il n'a pas embrassé Mme [FK] sur les lèvres mais qu'il « s'agit d'avantage d'un simulacre de baiser, lequel est mimé, qu'un véritable baiser appuyé » de sorte que la matérialité de l'agression sexuelle n'est pas démontrée ;
- aucun membre de son équipe n'a mal pris ce geste de même qu'il n'y a eu aucune réaction négative dans la salle lorsque la vidéo a été projetée ;
- Mme [FK] n'a pas déposé plainte pour ces faits qu'elle n'a pas mal interprétés lorsqu'ils se sont produits ;
- la vidéo versée aux débats est tronquée en ce qu'elle ne dure que 7 secondes sur 30 et est fortement ralentie pour donner à ce geste une importance qu'il n'avait pas ;
- il n'y a harcèlement sexuel que si les propos ou agissements portent atteinte à la dignité de la victime ou créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque Mme [FK] a ri après les faits et qu'elle « paraissait manifestement amusée par l'imitation de ce baiser » ;
- il s'agit d'un fait isolé de sorte qu'aucune situation de harcèlement sexuel n'est caractérisée ;
- ces faits se sont déroulés dans le cadre d'une journée de convivialité pendant laquelle l'ambiance était légère et le ton amical et parfois grivois ;
- l'employeur, qui avait choisi le thème « Vous êtes amoureux » aurait dû prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés du fait des comportements orientés qu'un tel thème pouvait générer ;
- pour le surplus, il n'a pas eu de comportements inappropriés avec les autres salariés ;
- ces allégations ne reposent que sur l'attestation de Mme [A] qui se réfère uniquement au « baiser volé » et sur une attestation confuse établie par l'épouse de son employeur ;
- il résulte des pièces qu'il verse aux débats qu'il avait des relations cordiales avec ses collègues et se comportait avec elles de manière parfaitement professionnelle ;
- la société Tesson [S] n'a pas procédé à une enquête interne après les faits de harcèlement et qu'elle a ainsi manqué à son obligation de prévention des risques professionnels, même si les faits dénoncés ne sont pas établis ;
- il n'a jamais été entendu sauf pendant son entretien préalable, acte au cours duquel il a fermement contesté les accusations portées contre lui et que, malgré ses demandes, l'employeur n'a jamais accepté de lui fournir des précisions.
En réponse, la société Tesson [S] fait valoir :
- que les comportements sexistes ou l'attitude indécente d'un salarié envers ses collègues, dont le fait d'embrasser une collègue sur le lieu de travail, sont constitutifs d'une faute grave ;
- que les faits sont encore plus graves lorsque la position hiérarchique du salarié lui impose de montrer l'exemple à ses subordonnés ;
- que M. [L] était un des cadres les plus importants de la société, qu'il avait 14 ans d'ancienneté et qu'il a profité d'une vidéo, pendant laquelle il était initialement convenu que les femmes de l'équipe l'embrassent sur la joue, pour imposer un baiser sur les lèvres de Mme [FK], ce qu'il a reconnu en première instance devant le conseil de prud'hommes ;
- qu'il n'a ni présenté ses excuses à l'intéressée ni tenté d'empêcher la diffusion de la vidéo alors que Mme [FK] a confié sa gêne à son employeur ;
- que plusieurs femmes se sont ensuite plaintes de son comportement déplacé à leur égard ;
- que dans ce contexte, l'employeur ne pouvait pas maintenir M. [L] dans ses fonctions et ce d'autant qu'il était amené à se déplacer sur tous les sites de la société ;
- que son retour dans l'entreprise était impossible et qu'il aurait été reproché à l'employeur son inertie s'il n'avait pas réagi et ce d'autant que les salariées ont demandé à l'employeur d'être protégées de M. [L] notamment en voiture ;
- que l'employeur n'a jamais évoqué la notion de harcèlement sexuel mais un « baiser volé » que le contexte festif d'une journée de convivialité ne justifie pas et une attitude inappropriée avec les collègues féminines ;
- que l'employeur a refusé de communiquer à M. [L] le nom des collègues se plaignant de lui car il était animé par une volonté de règlement de comptes ;
- que le thème choisi lors de la journée de convivialité ne justifie pas le comportement de M. [L].
Sur ce, il résulte des dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Quand le licenciement est prononcé pour faute grave, l'employeur est non seulement tenu d'énoncer le ou les motifs du licenciement dans la lettre de notification, sous peine de voir reconnu un licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais il lui incombe alors également, conformément aux dispositions des articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile, de rapporter la preuve :
- de la réalité de la faute grave, qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié personnellement entraînant une violation des obligations découlant du contrat ;
- de la teneur de la faute, qui doit être telle qu'elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis.
Pour apprécier la gravité de la faute, les juges doivent tenir compte des circonstances qui l'ont entourée et qui peuvent atténuer la faute et la transformer en faute légère, ou qui peuvent l'aggraver.
En cas de contestation de la sanction disciplinaire, l'employeur est en droit d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier du motif énoncé dans la lettre de licenciement, même si ces circonstances de fait ne sont pas mentionnées dans celle-ci (Cass. Soc. 15 octobre 2013, n° 11- 18.977).
En l'espèce, la cour observe que dans la lettre de licenciement pour faute grave, qui fixe les limites du litige, l'employeur ne reproche pas à M. [L] des faits de harcèlement sexuel mais qu'il lui fait grief :
- d'une part, d'avoir embrassé « par surprise et sur la bouche une collègue subalterne » dans le cadre d'un mini-film de quelques secondes réalisé lors de la journée de convivialité du 28 septembre 2019 ;
- d'autre part, d'avoir adopté une « attitude générale inadaptée » à l'égard d'autres salariées.
Dès lors, s'agissant des faits qui se sont déroulés pendant la journée du 28 septembre 2019, l'employeur verse aux débats :
- une attestation établie par Mme [N] [FK] qui indique : « En début d'après-midi j'ai participé avec l'ensemble de mes collègues à une activité de « course au trésor » dans le centre historique d'[Localité 4], les équipes ont été appelées par les organisateurs. Lors d'une épreuve chronométrée, une vidéo était demandée sur le thème « vous êtes amoureux ». Chacune notre tour nous allons faire une bise sur la joue du seul homme présent dans notre équipe, [I] [L]. Au démarrage de la vidéo je me suis avancée vers [I] afin de lui faire une bise sur la joue, celui-ci s'est retourné et m'a embrassé par surprise sur les lèvres. Je lui ai mis une tape dans le dos en lui disant « mais ça va pas ». J'avoue avoir été surprise et surtout très gênée sur le fait que cette vidéo serait projetée en fin de journée devant mes autres collègues et la direction. Je suis allée voir rapidement Mr [S] afin de l'informer de ce qui venait de se passer » ;
- une attestation établie par Mme [E] [A] selon laquelle : « Lors de la dernière réunion annuelle, le 28 septembre 2019, nous devions enregistrer une vidéo sur le thème « vous êtes amoureux ». L'idée collective était de faire la bise à [I] chacune son tour, [I] étant le seul homme du groupe. [N] [FK] était la première elle s'est donc rapprochée de [I] pour lui faire la bise mais, subitement, il a tourné la tête et a embrassé [N] sur la bouche. Elle a été très surprise et je pense gênée, moi également. Je lui ai d'ailleurs demandé de ne pas me faire ça. Je n'en ai pas forcément parlé avec le reste du groupe par la suite mais à mon sens, son geste était déplacé vis-à-vis de [N] » ;
- une attestation établie par Mme [X] [TX] qui relate : « lorsque nous sommes arrivés devant le porche de la cathédrale d'[Localité 4], l'intitulé de l'épreuve « réalisez une vidéo » est apparu sur notre tablette guide avec le thème imposé : « vous êtes amoureux ». Nous avons alors décidé rapidement que nous filmerions [I] [L] et que chacune d'entre nous viendrait, à tour de rôle, lui faire la bise. Nous nous sommes ensuite alignées derrière la tablette et [I] [L] a pris place devant. La première, ma collègue [N] s'est avancée pour lui faire la bise, mais celui-ci s'est retourné brusquement pour l'embrasser sur les lèvres. Surprise, [N] a mis la main sur sa bouche et s'est détournée en disant quelque chose comme « mais ça va pas ! ». Sur le coup et dans la confusion je n'ai pas réagi, c'est en entendant [N] protester que j'ai réalisé ce qui venait de se passer. La fin du rallye s'est déroulée dans une ambiance particulière et tendue » ;
- une photographie compatible avec les déclarations faites par Mme [FK] et les 2 témoins selon lesquelles M. [L] a embrassé sa collègue sur les lèvres et qu'il ne s'est pas contenté d'un « simulacre de baiser » ;
- la note d'audience du conseil de prud'hommes des Sables d'Olonne du 6 octobre 2021 au cours de laquelle M. [L] a reconnu « le baiser volé », tout en précisant qu'il avait décidé de faire le pitre, que le geste avait été fugace, que « la bise était un peu amiable et qu'il n'avait pas voulu porter atteinte à la personne de Mme [FK] ».
Il résulte de ce qui précède que M. [L], qui conteste de nouveau la matérialité du baiser en cause d'appel, est la seule personne à affirmer :
- qu'il n'y a pas eu de contact physique entre ses lèvres et celles de Mme [FK], ce que cette dernière et ses 2 autres collègues témoins des faits contestent ;
- que ces faits n'ont pas été mal vécus par Mme [FK], qui en a ri, alors qu'il apparaît qu'elle lui a immédiatement déclaré « ça va pas la tête ! » et que ses 2 collègues confirment qu'elle était gênée, Mme [A] précisant avoir demandé à M. [L] de ne pas se comporter de la sorte avec elle ;
- que Mme [FK] s'est sentie suffisamment mal à l'aise pour alerter son employeur avant même la diffusion de la vidéo.
Le grief fondé sur le fait d'avoir embrassé Mme [FK] sur les lèvres par surprise est donc établi, étant observé :
- d'une part, que la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, ne reproche à aucun moment à M. [L] de s'être livré à des faits de harcèlement sexuel sur elle ;
- d'autre part, qu'un baiser constitue une atteinte sexuelle et donc une agression sexuelle s'il est imposé avec violence, contrainte, menace ou surprise (Cass. Crim., 2 déc. 2015, n° 14-87298, Cass. Crim., 19 juin 2019, n° 18-83523), ce qui est le cas en l'espèce ;
- que le thème de mini-vidéo choisi n'est pas de nature à exonérer M. [L] de la responsabilité de son comportement et qu'il lui appartenait, s'il entendait illustrer ce thème en embrassant une collègue sur les lèvres, de l'en aviser au préalable pour lui permettre si elle le souhaitait de refuser et non pas de lui imposer un geste de cette nature.
S'agissant de l'attitude inadaptée de M. [L] à l'égard de salariées autres que Mme [FK], l'employeur verse aux débats :
- une attestation établie par Mme [Z] [BC] selon laquelle :
« - Lors de la réunion annuelle du 6/2/18 plusieurs collègues m'ont informé qu'il aurait passé sa journée à me reluquer,
- Lors de l'un de ses déplacement [Localité 5] nous étions plusieurs filles à être en salle de pause mais il n'est venu faire « la bise » à moi seule.
- Lors d'un autre de ses déplacements [Localité 5] au moment où j'étais aux toilettes et en train de me laver les mains il est entré dans l'espace réservé aux femmes,
Il ne s'est strictement rien passé d'autre plus « physique » mais c'est une personne qui avec son comportement me mets très mal à l'aise et me gêne beaucoup et s'il m'arrivait d'être seule dans un endroit ou dans une pièce je ne pouvait que partir » ;
- une attestation établie par Mme [D] [G] épouse [S] selon laquelle : 'Quelques salariées, confirme mon idée de quelqu'un qui se croit tout permis, ou presque. En effet, j'ai appris que certaine salariée redoutaient de se trouver seules avec lui, (en allant le chercher à la gare, par exemple, lors de ses visites, dans les autres sites) à cause de son attitude pour le moins équivoque' ;
- une attestation établie par [X] [TX] qui a constitué les équipes de la journée de convivialité qui indique : « certaines de mes collègues, dans des conversations informelles, m'avaient fait part de leurs réticences à être dans la même équipe que [I] [L] qu'elles trouvaient souvent « lourd » avec des attitudes déplacées. J'ai donc choisi de prendre [I] dans mon équipe et de nous adjoindre uniquement des collègues ayant dépassé la trentaine. Le contexte démographique du cabinet et de rencontre entre les différents établissements ne me permettait pas de constituer une équipe uniquement masculine ».
M. [L] verse pour sa part aux débats plusieurs attestations émanant d'anciennes collègues ou connaissances professionnelles qui indiquent qu'il n'a jamais eu d'attitudes déplacées à leur égard même s'il pouvait se retrouver seul avec elles (attestations de Mme [IF] [V], Mme [M] [Y], Mme [K] [J], Mme [U] [P], Mme [K] [O], Mme [T] [ZM], Mme [C] [IZ], Mme [B] [R]).
Or, si les attestations versées aux débats par M. [L] permettent d'établir que celui-ci s'est comporté de manière correcte avec ces personnes, il n'en demeure pas moins que les attestations produites par l'employeur démontrent que d'autres collègues évitaient de se retrouver seules avec lui dans une pièce et étaient même réticentes à être en équipe avec lui même lors d'une simple journée de convivialité.
Et force est de constater que les faits survenus lors de la journée de convivialité du 28 septembre 2019 ne font qu'illustrer le malaise évoqué par certaines de ses collègues de travail à l'idée d'être seules avec lui du fait des attitudes qu'il pouvait adopter à leur égard.
Le grief fondé sur « une attitude générale déplacée » à l'égard de collègues féminines est donc également établi.
S'agissant de la sanction disciplinaire prononcée par l'employeur, la cour observe que M. [L] n'a à aucun moment de la procédure jugé utile de présenter ses excuses à sa collègue et qu'il ne semble toujours pas avoir compris que le fait d'embrasser sur les lèvres par surprise une personne avec laquelle il n'avait aucun lien personnel, voire intime, constitue une agression sexuelle.
Dans ce contexte, et compte tenu des doléances exprimées à son égard par d'autres salariées, le comportement de M. [L] était suffisamment grave pour rendre impossible son maintien dans l'entreprise, l'employeur observant à cet égard à juste titre qu'il était lui-même tenu envers les autres salariés, parmi lesquels Mme [FK], à une obligation de sécurité lui imposant de réagir rapidement et de veiller immédiatement à ce que M. [L] ne soit plus au contact de collègues féminines.
Le licenciement de M. [L] pour faute grave avec mise à pied conservatoire était donc justifié de sorte que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [L] de sa demande tendant à voir requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes indemnitaires subséquentes (indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, indemnité de licenciement conventionnelle et dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse).
C- SUR LES DOMMAGES ET INTERETS POUR RUPTURE BRUTALE ET VEXATOIRE
M. [L] soutient qu'il a été licencié d'une manière extrêmement violente et brutale aux motifs :
- que la mise à pied conservatoire lui a été notifiée par courriel le lundi 30 septembre 2019 sans qu'aucun signe ne laisse présager l'engagement de la moindre sanction suite à la journée de convivialité ;
- qu'il a été violemment exclu de la société à compter de cette date sans pouvoir fournir la moindre explication alors, d'une part, qu'il justifiait d'un engagement sans faille pendant plus de quatorze ans et, d'autre part, que de tels faits ne lui avait jamais été reprochés auparavant dans l'exercice de ses fonctions et responsabilités ;
- que la société Tesson [S] l'a licencié sans prendre la peine de détailler des griefs précis ni de répondre à ses demandes d'explication ;
- que ce procédé d'une rare brutalité l'a placé dans un état de détresse psychologique.
La société Tesson [S] conclut au débouté de cette demande aux motifs :
- que M. [L] ne s'est à aucun moment demandé si son propre comportement à l'égard de Mme [FK] pouvait être brutal et vexatoire ;
- que sa mise à pied conservatoire a été prononcée 48 heures après les faits du 28 septembre 2019 car plusieurs salariées ont exprimé leur malaise face à l'attitude souvent déplacée de M. [L] et ses propos grivois, ;
- qu'il a appris le même jour que certaines d'entre elles avaient mis en place des stratégies pour ne pas se retrouver seules avec lui ;
- que le lendemain (1er octobre 2019), M. [L] devait assister à une réunion sur le site de [Localité 8] avec certaines de ces personnes ;
- que l'enchaînement de ces événements n'a rien de brutal ni vexatoire mais que l'employeur a seulement assuré la sécurité de ses salariés qui doivent pouvoir travailler en toute sécurité et en confiance avec leurs collègues masculins ;
- que les premiers juges ont à juste titre considéré que le licenciement de M. [L] n'était ni brutal ni vexatoire mais qu'il était au contraire fondé sur un acte nécessitant une réponse rapide de la part de l'employeur ;
- que M. [L] ne démontre pas la réalité de son préjudice et ne justifie absolument pas, par des éléments chiffrés et factuels, le montant de ses demandes à concurrence de 32.190 €.
Sur ce, l'indemnité pour rupture brutale et vexatoire a pour objet d'indemniser, non pas la rupture elle-même, mais les conditions de cette rupture lorsque ces conditions se sont avérées fautives et préjudiciables.
En l'espèce, la cour a déjà indiqué que le licenciement pour faute grave avec mise à pied conservatoire prononcé à l'encontre de M. [L] était justifié de sorte qu'il ne peut pas être reproché à l'employeur d'être rapidement intervenu lorsqu'il a eu connaissance des deux séries de faits invoqués au soutien du licenciement et d'avoir fait le nécessaire pour que le salarié ne se présente plus à l'entreprise.
Par ailleurs, contrairement à ce que soutient M. [L], les motifs de son licenciement pour faute grave avec mise à pied conservatoire lui ont été exposés :
- dans le cadre de l'entretien préalable qui a eu lieu le 24 octobre 2019 ;
- dans la lettre de licenciement qui vise expressément le fait d'avoir embrassé Mme [FK] sur les lèvres par surprise le 28 septembre 2019 et une attitude générale déplacée à l'égard de collègues féminines, ce qui constitue des motifs précis au sens de l'article L.1232-6 du code du travail.
Compte tenu de ces éléments, il apparaît que le licenciement de M. [L] n'est pas survenu dans des conditions brutales et vexatoires de sorte que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté l'intéressé de ses demandes de ce chef.
III- SUR LES DEPENS ET LES AUTRES DEMANDES
Compte tenu de ce qui précède, M. [L] sera débouté de ses demandes au titre de la remise sous astreinte des documents de fin de contrat et de fixation de son salaire de référence de sorte que le jugement déféré sera confirmé de ces chefs.
Par ailleurs, M. [L], qui succombe, sera condamné aux entiers dépens d'appel, les dépens de première instance restant répartis conformément à la décision déférée, et débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
En revanche, la nature du litige ne justifie pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à l'égard de la société Tesson [S].
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Condamne M. [I] [L] aux dépens d'appel ;
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,