ARRÊT N°264
N° RG 23/02830
N° Portalis DBV5-V-B7H-G6FH
[B]
C/
OFFICE PUBLIC
DE L'HABITAT DE LA VIENNE
Loi n° 77 - 1468 du 30/12/1977
Copie revêtue de la formule exécutoire
Le aux avocats
Copie gratuite délivrée
Le aux avocats
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 02 JUILLET 2024
Décision déférée à la Cour : Ordonnance de référé du 06 décembre 2023 rendue par le Tribunal Judiciaire de POITIERS
APPELANTE :
Madame [V] [W] [X] [B]
née le 01 Mai 1967 à [Localité 13] (86)
[Adresse 6]
[Localité 12]
ayant pour avocat postulant et plaidant Me Isabelle LOUBEYRE de la SCP EQUITALIA, avocat au barreau de POITIERS
INTIMÉ :
OFFICE PUBLIC DE L'HABITAT DE LA VIENNE
[Adresse 7]
[Localité 10]
ayant pour avocat postulant Me Philippe GAND de la SCP GAND-PASCOT, avocat au barreau de POITIERS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 13 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre
Madame Anne VERRIER, Conseiller
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT,
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Madame Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par acte du 11 mai 1992, l'Office public de l'habitat de la Vienne a acquis de [X] [I] et d'[M] [C] un immeuble situé [Adresse 4] à [Localité 12] (Vienne), au prix de 300.000 F (45.734,71 €).
Par acte du 13 février 2004, [V] [B] a acquis l'immeuble contigu situé [Adresse 6].
Une servitude de passage sur le fonds de [V] [B] a été stipulée par acte des 13 et 17 janvier 1966 au profit du fonds dont est désormais propriétaire l'Office public de l'habitat de la Vienne, ' pour avoir accès en tout temps à la grande salle'.
Par courrier officiel en date du 5 avril 2023, le conseil de [V] [B] a demandé à l'Office public de l'habitat de la Vienne de lui communiquer un plan des bâtiments sur lequel serait localisée la grande salle.
Par acte du 13 septembre 2023, [V] [B] a assigné l'Office public de l'habitat de la Vienne devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Poitiers. Elle a demandé :
- au visa de l'article 145 du code de procédure civile, de commettre un expert judiciaire avec une mission portant sur la servitude de passage et son assiette ;
- d'enjoindre sous astreinte à l'Office public de l'habitat de la Vienne de communiquer un plan des bâtiments litigieux, localisant la 'grande salle'.
Elle a exposé que le propriétaire du fonds dominant ne pouvait pas modifier unilatéralement la servitude conventionnelle, que celle-ci était susceptible de s'éteindre et qu'elle avait dès lors, en raison de la modification des lieux, intérêt à solliciter une mesure d'expertise.
L'Office public de l'habitat de la Vienne a conclu au rejet de cette demande, en l'absence selon lui de difficulté tant sur le principe que sur l'assiette de la servitude consentie.
Par ordonnance du 6 décembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Poitiers a statué en ces termes :
'Rejetons les demandes,
Condamnons Madame [V] [B] à payer à l'OFFICE PUBLIC DE L'HABITAT DE LA VIENNE la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamnons Madame [V] [B] aux dépens'.
Il a considéré que :
- la preuve d'une modification de l'état des lieux n'était pas rapportée ;
- la mesure d'expertise sollicitée n'était pas nécessaire pour déterminer si l'appartement existait lors de la constitution de la servitude, ni l'assiette de cette servitude ;
- la demande de communication d'un plan ne reposait pas sur un motif légitime, le passage desservant un logement manifestement enclavé.
Par déclaration reçue au greffe le 22 décembre 2023, [V] [B] a interjeté appel de cette ordonnance.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 25 janvier 2024, elle a demandé de :
'Statuant sur l'appel interjeté le 22 décembre 2023 par Madame [B] et enregistré sous le numéro de rôle 23/02666 le 22 décembre 2023,
Voir la Cour, statuant par application des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile :
- Déclarer la présente instance recevable et bien fondée.
- Réformer l'ordonnance rendue le 6 décembre 2023 par Monsieur le Président du Tribunal judiciaire de POITIERS statuant en référé en ce qu'il a débouté Madame [B] de sa demande d'organisation d'une mesure d'expertise sur le fondement des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile, ainsi que de sa demande de communication de pièces.
- Recevoir Madame [B] en ses demandes et les dire bien fondées.
- Ordonner une mesure d'expertise confiée à tel expert qu'il plaira à la Cour de nommer, avec la mission ci-dessus indiquée, au contradictoire de l'Office public de l'HABITAT DE LA VIENNE.
- Enjoindre à l'Office public de l'HABITAT DE LA VIENNE de communiquer un plan des bâtiments avec la localisation exacte de la « grande salle » dont l'accès est prévu par la servitude de passage et mentionné par les actes notariés des 13 et 17 janvier 1966 et du 11 mai 1992, dans un délai de quinze jours à compter de la date de l'arrêt à venir et passé ce délai, sous astreinte comminatoire de 100 € par jour de retard.
- Réserver les dépens en fin de cause'.
Elle a exposé à l'appui de sa demande d'expertise que :
- le précédent locataire de l'office avait dégradé la serrure du porche ;
- des passages en voiture ou en scooter sur son fonds étaient à l'origine de troubles ;
- l'office avait réalisé des travaux ayant modifié les lieux ;
- la servitude n'avait été consentie que pour desservir une 'grande salle' qui n'est plus et que les locaux de l'office étaient accessibles par la rue.
Elle a pour ces motifs soutenu avoir intérêt à voir ordonner une mesure d'expertise.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 16 février 2024, l'Office public de l'habitat de la Vienne a demandé de :
'Débouter Madame [V] [B] de son appel, le jugeant mal fondé.
Confirmer en toutes ses dispositions l'Ordonnance de référé du Président du Tribunal Judiciaire de POITIERS du 6 décembre 2023.
Y ajoutant,
Condamner Madame [V] [B] à payer à l'Office Public de l'HABITAT de la Vienne une indemnité de 3 000 Euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, au titre des frais irrépétibles exposés devant la Cour.
Condamner Madame [V] [B] aux entiers dépens de première instance et d'appel'.
Il a exposé que :
- l'assiette de son droit de passage était déterminée ;
- la grande salle avait été depuis longtemps transformée en bureau ;
- la servitude conventionnelle stipulée ne donnait pas lieu au versement d'une indemnité.
Il a ajouté avoir déféré à la demande de l'appelante de communication de documents permettant de localiser la 'grande salle'.
L'ordonnance de clôture est du 22 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR L'EXPERTISE
L'article 145 du code de procédure civile dispose que : 'S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé'.
L'acte du 11 mai 1992 de vente par [X] [I] à l'Office public d'aménagement et de construction de la vienne (Opac 86) décrit comme suit le bien vendu :
'Sur la commune de [Localité 12] (Vienne)
Un immeuble sis [Adresse 4], comprenant :
[...]
- Au rez de chaussée : une pièce en façade, une cuisine, une grande pièce sur 1'arrière, dégagement, autre petite pièce avec douche et WC ;
- Cave sur 1'arrière avec petite dépendance.
- Cour.
Droit de passage par le porche et la cour de la partie d'immeuble cadastré section AE, n°[Cadastre 3], ( anciennement section n°[Cadastre 8]), pour avoir accès en tout temps à la grande salle par la cour'.
L'acte du 13 février 2004 de vente par les époux [D] [R] et [Z] [E] à [V] [B] de la parcelle cadastrée section AE n° [Cadastre 3] comporte en page 3 un paragraphe 'rappel de servitudes antérieures' aux termes duquel :
'Dans l'acte des 13 et 7 JANVIER 1966 ci-après analysé, il a été indiqué ce qui suit littéralement rapporté :
"A ce sujet, le vendeur déclare que suivant acte reçu par Maitre [K] [L] notaire à [Localité 12] le 24 FEVRIER 1964 - publié au bureau des Hypothèques de POITIERS le 9 MARS suivant vol. 3429 n° 3, il a vendu à M. [X] [A] [I], commerçant demeurant à [Localité 12] divers immeubles contigüs à ceux aujourd 'hui vendus à M. et Mme [R] lui provenant de l'acquisition de Mademoiselle [U] sus analysée.
"Et qu'aux termes de cet acte,
[...]
Il a également été indiqué que la portion de cour vendue à M. [I] était dans l'alignement de la cuisine aux toits de servitudes.
Et qu'il était également cédé à M. [I] le droit de passage par le porche et la cour restant la propriété du vendeur pour accèder en tous temps à la grande salle par la cour.
M. et Mme [R] devront spécialement faire leur affaire personnelle de ses servitudes, de manière qu'aucun recours ne puisse être exercé contre le vendeur".
La servitude de passage grevant le fonds de l'appelante est limité à l'accès à une 'grande saller'.
L'intimé a produit un plan cadastral non daté, comportant pour un motif ignoré le sceau de la mairie de [Localité 12], mentionnant en vert un portillon, en rouge l'accès à la grande salle, en bleu l'accès à l'appartement situé à l'étage.
Aucun plan figurant de manière incontestable et incontestée l'emplacement de la grande salle n'a été produit aux débats.
L'intimé a produit aux débats des photographies selon lui de la grande salle aménagée.
Les photographies produites aux débats par l'appelante de cet espace à usage de bureaux établissent que le local de l'Office de l'habitat de la Vienne a un accès direct sur la [Adresse 14], constitué d'une porte vitrée et d'une vitrine sur laquelle sont affichées des offres locatives.
L'appartement situé à l'étage n'est pas mentionné aux actes rappelant la servitude de passage.
Si cet appartement ne bénéficiait pas d'un passage et était enclavé, l'intimé serait susceptible de solliciter la fixation à son profit d'une servitude de passage, à charge pour lui d'indemniser l'appelante.
Le droit de passage consenti étant destiné à permettre l'accès à la grande salle, les locaux de l'Office de l'habitat de la Vienne ayant un accès à la voie publique, l'appartement dont les occupants empruntent la cour pour y accéder n'ayant pas été mentionné aux titres précités, [V] [B] a intérêt, au sens de l'article 145 précité, à voir ordonner une mesure d'expertise ayant pour objet le passage litigieux, à ses frais avancés.
L'ordonnance sera pour ces motifs infirmée.
SUR LA COMMUNICATION D'UN PLAN
L'intimé a produit aux débats le plan cadastral précité, sur lequel a été situé l'accès à la grande salle.
Ayant ainsi satisfait à la demande de l'appelante, il n'y pas lieu d'ordonner sous astreinte la production d'un tel plan.
SUR LES DÉPENS
La charge des dépens de première instance et d'appel incombe provisoirement à l'appelante.
SUR LES DEMANDES PRÉSENTÉES SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
L'ordonnance sera pour les motifs qui précèdent infirmée en ce qu'elle a condamné l'appelante sur ce fondement.
Les circonstances de l'espèce ne justifient pas de faire droit aux demandes présentées de ce chef devant la cour.
PAR CES MOTIFS,
statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME l'ordonnance du 6 décembre 2023 du juge des référés du tribunal judiciaire de Poitiers, sauf en ce qu'elle a condamné [V] [B] aux dépens ;
et statuant à nouveau de ces chefs d'infirmation,
ORDONNE une mesure d'expertise ;
COMMET pour y procéder :
[G] [Y]
[Adresse 5]
[Localité 9]
Tél : [XXXXXXXX01]
Port. : [XXXXXXXX02]
Mèl : [Courriel 11]
avec mission de :
- se rendre sur les lieux, [Adresse 4] et [Adresse 6] à [Localité 12] (Vienne) ;
- recueillir les doléances des parties ;
- se faire communiquer tout document qu'il jugera utile à l'accomplissement de sa mission ;
- décrire les lieux ;
- situer la 'grande salle' au profit de laquelle une servitude de passage a été convenue ;
- décrire la servitude de passage ;
- en préciser l'assiette ;
- décrire les travaux réalisés ayant pu modifier cette 'grande salle' ;
- dire si cette 'grande salle' disposait dès l'origine d'un accès à la voie publique ou si des travaux réalisés ont pu créer cet accès ;
- décrire l'appartement situé à l'étage donnant sur la cour propriété de [V] [B] ;
- préciser la date de construction ou d'aménagement de cet appartement ;
- décrire l'accès à ce logement ;
- dire s'il dispose d'un accès direct à la voie publique ;
- donner son avis sur son enclavement ;
- décrire les travaux d'aménagement éventuellement nécessaires ;
- en chiffrer le coût ;
- évaluer l'indemnité qui pourrait être due par l'Office public de l'habitat de la Vienne à [V] [B] sur le fondement de l'article 682 du code civil si une servitude de passage devait grever le fonds de cette dernière pour permettre l'accès à l'appartement propriété de l'Office ;
- faire toute remarque utile en lien avec la présente mission d'expertise ;
DIT que l'expert devra faire connaître sans délai son acceptation au juge chargé du contrôle de l'expertise, et devra commencer ses opérations dès sa saisine ;
DIT qu'en cas d'empêchement ou de refus de l'expert, il sera procédé à son remplacement par ordonnance du magistrat de la cour chargé du contrôle de l'expertise ;
DIT que l'expert devra accomplir sa mission conformément aux articles 232 et suivants du code de procédure civile, notamment en ce qui concerne le caractère contradictoire des opérations ;
DIT que l'expert devra tenir le magistrat chargé du contrôle de l'expertise informé du déroulement de ses opérations et des difficultés rencontrées dans l'accomplissement de sa mission.
DIT que l'expert est autorisé à s'adjoindre tout spécialiste de son choix sous réserve d'en informer le magistrat chargé du contrôle de l'expertise.
DIT que l'expert établira un pré-rapport qu'il adressera aux parties ;
RAPPELLE aux parties qu'à réception de ce pré-rapport :
- le délai (3 semaines minimum) pour adresser les dires fixé par l'expert est un délai impératif ;
- les dires doivent concerner les appréciations techniques et que l'expert ne peut être saisi de questions de nature purement juridique ;
DIT que l'expert devra déposer son rapport définitif (accompagné des documents annexés ayant servi à son établissement, ceux qui le complètent ou contribuent à sa compréhension et restituera les autres contre récépissé aux personnes les ayant fournis ) et sa demande de rémunération au greffe de la cour, dans le délai de rigueur de 6 mois à compter de sa saisine (sauf prorogation dûment autorisée) et communiquer ces deux documents aux parties ;
DIT que les parties disposeront d'un délai de QUINZE JOURS à compter de sa réception pour adresser au greffe ( service des expertises ) leurs observations sur la demande de rémunération ;
DIT que les frais d'expertise seront provisoirement avancés par [V] [B] qui devra consigner la somme de 2.500 € à valoir sur la rémunération de l'expert auprès du régisseur d'avances et de recettes de la cour d'appel de Poitiers avant le 13 septembre 2024, étant précisé que :
- la charge définitive de la rémunération de l'expert sera déterminée par le juge du fond s'il est saisi ;
- l'intimé est autorisé à procéder à la consignation de la somme mise à la charge de l'appelante en cas de carence ou de refus ;
REJETTE les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE provisoirement [V] [B] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,