ARRET N°234
CP/KP
N° RG 22/02062 - N° Portalis DBV5-V-B7G-GTQS
[I]
[I]
C/
[L]
[B]
EARL BEAUMUR
EARL [I]
Loi n° 77-1468 du30/12/1977
Copie revêtue de la formule exécutoire
Le à
Le à
Le à
Copie gratuite délivrée
Le à
Le à
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
2ème Chambre Civile
ARRÊT DU 02 JUILLET 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/02062 - N° Portalis DBV5-V-B7G-GTQS
Décision déférée à la Cour : jugement du 24 juin 2022 rendu par le Tribunal Judiciaire de SAINTES.
APPELANTS :
Monsieur [U] [I]
né le [Date naissance 8] 1949 à [Localité 14]
[Adresse 13]
[Localité 3]
Ayant pour avocat plaidant Me François MIDY de la SELARL OPTIMA AVOCATS, avocat au barreau de SAINTES
Monsieur [Y] [I]
né le [Date naissance 5] 1983 à [Localité 15]
[Adresse 6]
[Localité 2]
Ayant pour avocat plaidant Me François MIDY de la SELARL OPTIMA AVOCATS, avocat au barreau de SAINTES.
INTIMES :
Monsieur [C] [L]
né le [Date naissance 7] 1973 à [Localité 16]
[Adresse 10]
[Localité 4]
Ayant pour avocat postulant Me Henri-Noël GALLET de la SCP GALLET-ALLERIT-WAGNER, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me François LEROY, avocat au barreau de SAINTES.
Madame [V] [B] épouse [L]
née le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 14]
[Adresse 10]
[Localité 4]
Ayant pour avocat postulant Me Henri-Noël GALLET de la SCP GALLET-ALLERIT-WAGNER, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me François LEROY, avocat au barreau de SAINTES.
EARL BEAUMUR EARL prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualité au siége social sis.
[Adresse 10]
[Localité 4]
Ayant pour avocat postulant Me Henri-Noël GALLET de la SCP GALLET-ALLERIT-WAGNER, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me François LEROY, avocat au barreau de SAINTES.
EARL [I] EARL , prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualité au siége.
[Adresse 12]
[Localité 3]
Ayant pour avocat postulant Me Henri-Noël GALLET de la SCP GALLET-ALLERIT-WAGNER, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me François LEROY, avocat au barreau de SAINTES.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 Mai 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Claude PASCOT, Président
Monsieur Fabrice VETU, Conseiller
Monsieur Cédric LECLER, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur Claude PASCOT, Président et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Selon statuts établis le 1er mars 1995 et déposés le 3 avril suivant au greffe du tribunal de commerce de Marennes, Monsieur [U] [I] a constitué seul l'EARL [I] ayant pour objet l'exercice d'activités réputées agricoles, dont il a été nommé gérant ; à cette fin, Monsieur [U] [I] a fait un apport de biens communs en numéraire pour la somme de 50.000 francs, en représentation duquel lui ont été attribuées 500 parts d'un montant unitaire de 100 francs.
Par acte sous seing privé en date du 15 décembre 2008 auquel a consenti Madame [W] [X] épouse commune en biens de Monsieur [U] [I], ce dernier a cédé à leur fils Monsieur [Y] [I] 240 parts de 15 euros chacune sur les 500 parts lui appartenant dans la société.
Cette cession a été entérinée par l'assemblée générale extraordinaire tenue le même jour, et les statuts ont été modifiés en ce sens.
Par acte sous seing privé en date du 15 décembre 2009, auquel a également consenti son épouse, Monsieur [U] [I] a cédé 15 parts supplémentaires à Monsieur [Y] [I].
Une assemblée générale extraordinaire tenue le même jour a entériné cette cession et a nommé Monsieur [Y] [I] aux fonctions de gérant en remplacement de Monsieur [U] [I] aux fonctions de gérant en remplacement de Monsieur [U] [I], démissionnaire partant en retraite. Les statuts ont été corrélativement mis à jour le 15 décembre 2009.
Madame [W] [X] épouse [I] est décédée le [Date décès 9] 2011.
Une assemblée générale extraordinaire tenue le 18 octobre 2017 a entériné la cession de la totalité des parts de Monsieur [Y] [I] à Monsieur [U] [I] et la nomination de ce dernier aux fonctions de gérant, en remplacement de Monsieur [Y] [I], démissionnaire. L'acte de cession des parts sociales a été établi le 3 novembre 2017.
Par acte sous seing privé en date du 28 décembre 2017, entériné par une assemblée générale extraordinaire tenue le même jour, Monsieur [U] [I] a cédé à Monsieur [C] [L] et Madame [V] [B] épouse [L] 175 parts chacun au prix unitaire de 15 euros et il a été convenu que les époux [L] auraient la qualité de co-gérants, associés exploitants, et que Monsieur [U] [I], démissionnaire de ses fonctions, serait associé non exploitant. Les statuts ont été modifiés en conséquence les 18 octobre et 28 décembre 2017.
Les époux [L] sont également associés co-gérants de l'EARL Beaumur immatriculée le 30 juillet 2001 et ayant pour objet l'exercice d'activités réputées agricoles.
Par courriers recommandés en date du 3 décembre 2019, le conseil de Monsieur [U] [I] a :
-reproché aux époux [L] :
-le défaut de paiement du prix d'achat des parts sociales et des fermages dus à Monsieur [I] par l'EARL [I],
-le transfert à l'EARL Beaumur des droits à paiement de base (DPB) et des aides attribuées au titre des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC),
-évoqué la nullité de la cession des parts sociales intervenue le 28 décembre 2017 faute d'assentiment des ayants droits de Madame [W] [X] épouse [I],
- mis les intéressés en demeure de confirmer l'annulation de cette cession, de restituer à l'EARL [I] les DPB et MAEC indûment transférés et de reverser les sommes perçues à ce titre.
Les discussions engagées entre les parties sont restées vaines.
*****
Par acte introductif d'instance du 29 juin 2020, Messieurs [U] et [Y] [I] ont attrait les époux [L] et l'EARL Beaumur devant le tribunal judiciaire de Saintes aux fins de voir :
- prononcer l'annulation et subsidiairement la résolution de l'acte du 28 décembre 2017 enregistré le 26 janvier 2018 portant cession par Monsieur [U] [I] aux époux [L] de 175 parts chacun,
- en tout état de cause condamner les époux [L] à régulariser les actes découlant de l'anéantissement de l'acte du 28 décembe 2017, afin de mettre les statuts de l'EARL [I] en conformité, dans le mois de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai,
- condamner in solidum les époux [L] et l'EARL Beaumur à restituer à l'EARL [I] la somme totale de 111.962,38 euros indûment perçue,
- ordonner une expertise aux fins de déterminer le montant des indemnités et subventions perçues à compter du mois de janvier 2018 par l'EARL Beaumur aux lieu et place de l'EARL [I],
- condamner in solidum les époux [L] et l'EARL Beaumur aux dépens et au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions notifiées par RPVA le 15 novembre 2021, l'EARL [I] est volontairement intervenue à l'instance aux côtés des époux [L] et de l'EARL Beaumur.
Dans le dernier état de leurs demandes, les époux [L], l'EARL Beaumur et l'EARL [I] ont demandé de :
- déclarer les consorts [I] irrecevables et en tous cas mal fondés en leurs demandes,
- en conséquence les en débouter,
- condamner l'EARL [I] à payer à l'EARL Beaumur la facture n°60 du 15 octobre 2019 d'un montant de 44.995,33 euros TTC,
- condamner in solidum les consorts [I] à payer aux époux [L] et à l'EARL Beaumur une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Les consorts [I] ont maintenu leurs demandes initiales et sollicité, en outre le rejet des demandes présentées par les époux [L], l'EARL Beaumur et l'EARL [I].
Par jugement contradictoire en date du 24 juin 2022, le tribunal judiciaire de Saintes a statué ainsi :
- Déboute les parties de l'ensemble de leurs demandes,
- Dit que chacune des parties conservera ses dépens,
- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration en date du 5 août 2022, les consorts [I] ont relevé appel de cette décision en visant les chefs expressément critiqués en intimant les époux [L], les EARL Beaumur et [I].
Par conclusions d'incident transmises le 12 septembre 2024, les consorts [I] ont notamment demandé au conseiller de la mise en état d'ordonner le sursis à statuer dans l'attente du résultat de la plainte avec constitution de partie civile adressée le 5 décembre 2022 par Monsieur [U] [I] à Madame le Doyen des juges d'instruction du tribunal judiciaire de La Rochelle concernant les faits de faux et usage de faux dont il a été victime.
Par ordonnance en date du 13 novembre 2023, le conseiller de la mise en état a notamment déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer au motif qu'elle a été formulée après qu'il a été conclu au fond alors que s'agissant d'une exception de procédure, elle aurait dû être présentée in limine litis.
Les consorts [I] ont, par dernières conclusions transmises le 12 septembre 2023, demandé à la cour de :
In limine litis,
- Ordonner le sursis à statuer dans l'attente du résultat de la plainte avec constitution de partie civile adressée le 5 décembre 2022 par Monsieur [U] [I] à Madame le Doyen des juges d'instruction du tribunal judiciaire de La Rochelle concernant les faits de faux et usage de faux dont il a été victime ;
- Réserver les dépens ainsi que les frais irrépétibles ;
- Dire et juger Messieurs [U] [I] et [Y] [I] recevables et bien fondés en l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;
- Confirmer le jugement rendu le 24 juin 2022 par le tribunal judiciaire de Saintes en ce qu'il a débouté l'EARL Beaumur de sa demande tendant à la condamnation de l'EARL [I] à lui verser une somme de 44.995,33 euros ;
- Réformer le jugement rendu le 24 juin 2022 par le tribunal judiciaire de Saintes en ce qu'il a :
' débouté les parties de l'ensemble de leurs demandes,
' dit que chacune des parties conservera ses dépens,
' dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
' débouté Monsieur [U] [I] et Monsieur [Y] [I] de leurs prétentions,
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
- Dire et juger Monsieur [Y] [I] recevable et bien fondé en l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- Annuler en conséquence l'acte en date à [Localité 11] (17) du 28 décembre 2017, enregistré le 26 janvier 2018, portant cession par Monsieur [U] [I] à Madame [V] [B] épouse [L] et à Monsieur [C] [L] de 175 parts chacun.
A titre subsidiaire,
- Dire et juger Monsieur [U] [I] recevable et bien fondé en l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- Prononcer en conséquence la résolution de l'acte en date à [Localité 11] (17) du 28 décembre 2017, enregistré le 26 janvier 2018, portant cession par Monsieur [U] [I] à Madame [V] [B] épouse [L] et à Monsieur [C] [L] de 175 parts chacun ;
En tout état de cause ;
- Débouter les époux [L]-[B], l'EARL Beaumur et l'EARL [I] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;
- Condamner les époux [L]-[B] à régulariser les actes découlant de l'anéantissement de l'acte en date à [Localité 11] (17) du 28 décembre 2017, afin de mettre les statuts de l'EARL [I] en conformité, dans le mois de la décision à intervenir et, passé ce délai, sous astreinte de 100 € par jour de retard ;
- Condamner in solidum les époux [L] et l'EARL Beaumur à restituer à l'EARL [I] la somme totale de 111.962,38 € indûment perçue ;
- Ordonner une expertise et désigner tel homme de l'art pour y procéder afin de déterminer le montant des indemnités et subventions perçues à compter du mois de janvier 2018 par l'EARL Beaumur aux lieu et place de l'EARL [I] ;
- Condamner in solidum Madame [V] [B] épouse [L], Monsieur [C] [L] et l'EARL Beaumur à verser à Monsieur [Y] [I] et à Monsieur [U] [I] une somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner in solidum Madame [V] [B] épouse [L], Monsieur [C] [L] et l'EARL Beaumur aux entiers dépens.
Les époux [L] et les EARL Beaumur et [I] ont, par dernières conclusions transmises le 28 août 2023, demandé à la cour de :
- Déclarer Messieurs [U] et [Y] [I] irrecevables et en tout cas mal fondés en leurs demandes, fins et conclusions ;
- En conséquences, les en débouter purement et simplement ;
- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Saintes en date du 24 juin 2022 dont appel,
- Débouter Messieurs [U] et [Y] [I] de leurs demandes aux fins d'anéantissement de l'acte de cession du 28 décembre 2017 et de celles relatives aux conséquences de cet anéantissement,
- Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Saintes du 24 juin 2022, en ce qu'il a notamment débouté l'EARL Beaumur de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 44.995,33 euros, correspondant à la facture n° 60 du 15 octobre 2019 (pièce n° 16) ;
- Condamner en conséquence l'EARL [I] à payer à l'EARL Beaumur, pour les motifs qui précèdent, la facture (pièce n°16), facture n° 60 du 15 octobre 2019 de l'EARL Beaumur à l'EARL [I] pour 44.995,33 euros TTC (campagne 2018/2019),
- Condamner in solidum Messieurs [U] et [Y] [I] à régler aux époux [C] [L] et à l'EARL Beaumur, une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner in solidum Messieurs [U] et [Y] [I] en tous les dépens.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
Par message RPVA en date du 22 mai 2024, la cour a soumis au contradictoire les deux questions suivantes :
1) L'ordonnance du conseiller de la mise en état en date 13 novembre 2023 n'a-t-elle pas autorité de la chose jugée en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer alors qu'aucun déféré na été formé contre cette ordonnance '
2) Au soutien de la résolution du contrat de cession de parts sociales du 28 décembre 2017, MM [U] et [Y] [I] ont-ils qualité à se prévaloir des deux griefs suivants :
-les travaux facturés par l'EARL Beaumur à l'EARL [I] '
-le détournement de subventions au profit de l'EARL Beaumur et au détriment de l'EARL [I] '
Par message RPVA du 29 mai 2024, les appelants ont fait valoir :
-qu'ils s'en remettaient à l'appréciation de la cour sur la portée du l'ordonnance du 13 novembre 2023,
-que l'anéantissement de la cession de parts sociales au profit des époux [L] permettra à M. [U] [I] de recouvrer sa qualité de gérant de l'EARL [I] et donc qualité à agir pour son compte, tant au titre des travaux facturés par l'EARL Beaumur que des détournements de subventions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 07 mai 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la demande de sursis à statuer,
Les consorts [I] demandent à la cour in limine litis d'ordonner le sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la plainte avec constitution de partie civile adressée le 5 décembre 2022 par Monsieur [U] [I] à Madame la doyenne des juges d'instruction du tribunal judiciaire de La Rochelle concernant les faits de faux et usage de faux dont il a été victime.
Par ordonnance en date du 13 novembre 2023, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer présentée par Monsieur [U] [I] et Monsieur [Y] [I] au motif qu'elle constitue une exception et qu'elle a été formulée alors que les appelants avaient déjà conclu au fond.
L'article 794 du code de procédure civile, applicable par renvoi de l'article 907 de ce même code, dispose : ' Les ordonnances du juge de la mise en état n'ont pas, au principal, l'autorité de la chose jugée à l'exception de celles statuant sur les exceptions de procédure, sur les fins de non-recevoir, sur les incidents mettant fin à l'instance et sur la question de fond tranchée en application des dispositions du 6° de l'article 789.'
Alors qu'en application de l'article 916 al 2 du code de procédure civile, l'ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 13 novembre 2023 statuant sur une exception de procédure pouvait faire l'objet d'un déféré devant la cour, elle n'a pas fait l'objet d'un tel recours et il y a donc lieu de considérer que ladite ordonnance a l'autorité de la chose jugée.
Par conséquent, la demande de sursis à statuer présentée par les consorts [I] sera déclarée irrecevable.
I Sur la demande d'anéantissement de la cession des parts sociales intervenue le 28 décembre 2017 :
A) Sur le moyen tiré de la nullité du contrat :
Les consorts [I] font valoir :
-que l'acte de cession est nul en ce qu'il a porté sur des parts sociales qui figuraient à l'actif successoral d'[W] [X] épouse [I],
-qu'il convenait en application de l'article 815-14 du code civil de notifier la cession projetée aux autres indivisaires : M. [Y] [I] et son frère,
-que le défaut d'une telle notification est sanctionné selon l'article 815-16 du code civil, par la nullité,
-que les intimés se prévalent certes d'un arrêt de la Cour de cassation (Civ 1° 12 juin 2014 n° 13-16309) qui a consacré la théorie du titre et de la finance, selon laquelle seuls les attributs patrimoniaux dépendent de la communauté, contrairement aux attributs personnels (le titre restant au nom du seul époux acquéreur ou souscripteur des parts sociales),
-que pour autant, cet arrêt ne peut être transposé à la présente affaire en ce qu'il concernait une cession de parts sociales dont le conjoint survivant était titulaire et non celles de son époux décédé dépendant de l'actif successoral.
Les intimés concluent à la validité de cette cession de parts en faisant valoir :
-les termes d'une correspondance d'un conseiller en droit fiscal (Pièce n° 23 des appelants) selon lequel la cession des 350 parts sociales opérée par M. [U] [I] le 28 décembre 2017 a porté sur les 408 parts qui lui revenaient en propre,
-la théorie du titre et de la finance telle qu'évoquée ci-dessus, dont il convient de déduire en l'espèce, que M. [U] [I] a conservé la qualité d'associé attachée aux parts sociales litigieuses et pouvait seul en disposer, à titre gratuit ou onéreux, sans avoir besoin de l'accord de ses coïndivisaires.
Ces moyens appellent les observations suivantes de la cour.
Les appelants produisent en pièce n° 21 la déclaration de succession de Mme [W] [X] épouse [I] sur laquelle figurent en page 8 au 4°, les 240 parts sociales litigieuses, dont les numéros ne sont pas précisés. Compte tenu de ce que les époux [I] étaient mariés sous le régime de la communauté légale, M. [U] [I] est propriétaire de 120 parts au titre de sa part sur la communauté. Sur les 120 autres parts, en sa qualité de conjoint survivant, il recueille, en application de l'article 757 du code civil :
-soit le quart en pleine propriété, à savoir 30 parts,
-soit l'usufruit sur les 120 parts.
Aux termes des règles de dévolution, il est donc pleinement propriétaire en son nom personnel, selon l'option choisie, soit de 150 parts, soit de 120 parts sur les 240 figurant à l'actif successoral.
M. [U] [I] s'est vu en outre transmettre par son fils [Y], 255 parts sociales par acte de cession du 18 octobre 2017.
Dès lors, à la date de la cession critiquée il était titulaire à titre personnel, selon l'option choisie : -soit de 150 + 255 = 405 parts sociales,
-soit de 120 + 255 = 375 parts sociales.
Or, la cession litigieuse a porté sur 350 parts (175 parts au profit de chacun des époux [L]) et il n'est pas démontré qu'elles n'auraient pas été prises sur les 405 ou 375 parts que M. [U] [I] détenait personnellement et dont il pouvait librement disposer, sans avoir à solliciter l'accord de quiconque.
Il n'est donc pas établi que M. [U] [I] aurait cédé des parts indivises. Il ne saurait donc lui être reproché de ne pas avoir soumis l'acte de cession du 28 décembre 2017 à l'approbation de coïndivisaires.
Le débat sur la théorie du titre et de la finance devient donc sans objet.
Au vu de l'ensemble de ces observations, le moyen tiré de la nullité pour défaut d'approbation de la cession de parts sociales du 28 décembre 2017 par des coïndivisaires est inopérant.
B) Sur le moyen tiré de la résolution du contrat :
Les consorts [I] reprochent aux époux [L] d'avoir commis quatre manquements en termes d'exécution du contrat de cession de parts, suffisamment graves pour justifier la résolution de cette cession :
1) le paiement du prix n'est intervenu que le 26 février 2020, soit plus de deux ans après la cession,
2) l'EARL [I] s'est vue facturer des travaux pour 110.000 euros par l'EARL Beaumur dont les époux [I] sont les seuls associés et gérants,
3) par le biais de l'EARL Beaumur, les époux [L] ont détourné des subventions qui auraient dû profiter à l'EARL [I],
4) les époux [I] n'ont pas procédé au règlement de fermages dus à M. [U] [I].
Les intimés répliquent :
1) que si le paiement des parts sociales a tardé, c'est en raison du non paiement de factures au profit de l'EARL Beaumur par l'EARL [I] dont M. [U] [I] était redevenu le gérant ; qu'en toute hypothèse, le paiement est intervenu par chèque et si celui-ci n'a pas été encaissé, c'est du fait même de M. [U] [I],
2) que si l'EARL Beaumur a facturé des travaux à l'EARL [I], c'est par simple nécessité dans la mesure où le peu de matériel dont l'EARL [I] disposait était obsolète,
3) qu'il n'y a pas eu détournement de subventions mais rupture du contrat MAEC (Mesures Agro Environnementales et Climatiques) car M. [U] [I] s'est séparé de son cheptel bovin et que pour éviter des remboursements, il a été décidé de transférer des MAEC vers trois structures dont l'EARL Beaumur,
4) que les fermages ou indemnités de mise à disposition de terres ont bien été réglés à M. [U] [I] via son crédit de compte-courant d'associé comme en atteste l'expert-comptable.
Ces moyens appellent les observations suivantes de la cour.
En ce qui concerne les griefs n° 2 et 3, les appelants n'ont pas qualité pour s'en prévaloir dans la mesure où les intérêts menacés ne sont pas les leurs mais ceux de l'EARL [I]. Or, M. [U] [I] n'est plus en mesure de la représenter puisque la cession de parts sociales intervenue le 28 décembre2017 au terme de laquelle les époux [L] sont devenus co-gérants de l'EARL [I] n'a pas été annulée : M. [U] [I] n'a pas recouvré sa qualité de représentant légal de l'EARL [I].
En ce qui concerne le grief relatif au retard de paiement du prix des parts sociales acquises le 28 décembre 2017 par les époux [L], la cour constate que le paiement est intervenu par chèque en date du 10 février 2020 (pièce n° 25 des appelants) . En ce qui concerne la période comprise entre l'acte de cession et l'émission du chèque, il y a lieu d'observer que le contrat de vente de parts sociales (pièce n° 11 des appelants) ne prévoyait pas de délai dans lequel le paiement devait intervenir, et M. [U] [I] ne produit aucun élément attestant qu'il aurait réclamé le prix en vain. En ce qui concerne la période postérieure à l'émission du chèque, le refus de le mettre à l'encaissement relève de la seule volonté de son bénéficiaire et ne saurait être reproché à son émetteur.
Le grief tenant au fait que les fermages dus à M. [U] [I] n'auraient pas été payés, appelle deux observations. D'une part, la cour s'étonne que l'appelant se prévale d'un tel moyen alors qu'il prétend que sa signature aurait été imitée sur le bail à ferme sous seings privés du 1er janvier 2018 consenti à M [C] [L]. D'autre part, les intimés produisent en pièce n° 17 une attestation d'un expert-comptable ainsi libellée : 'Atteste que les sommes dues au titre des mises à disposition de terres des années 2018 et 2019 de M. [I] [U], associé de la société EARL [I], auprès de cette même société, ont été comptabilisées au crédit de son compte courant d'associé en date respectivement du 30 septembre 2018 et du 30 septembre 2019". Or, si les appelants allèguent une complaisance coupable de la part de l'auteur de cette attestation, ils ne versent aucune pièce qui viendrait contredire les affirmations de ce professionnel du chiffre qui exerce ses fonctions d'expert-comptable en toute indépendance.
Il en résulte que les moyens des appelants pour tenter de résoudre le contrat de cession de parts sociales sont inopérants.
Au vu de ce qui précède, la demande tendant à régulariser sous astreinte l'anéantissement de l'acte de cession de parts sociales devient sans objet.
***
En outre, la cour ne faisant pas droit à la demande d'anéantissement du contrat de cession de parts sociales intervenu le 28 décembre 2017, M. [U] [I] ne recouvre pas sa qualité de gérant de l'EARL [I] et n'est pas recevable à demander à la cour :
-de condamner in solidum les époux [L] et l'EARL Beaumur à restituer à l'EARL [I] la somme totale de 111.962,38 € indûment perçue ;
-d'ordonner une expertise et désigner tel homme de l'art pour y procéder afin de déterminer le montant des indemnités et subventions perçues à compter du mois de janvier 2018 par l'EARL Beaumur aux lieu et place de l'EARL [I].
Ces demandes sont irrecevables et le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il les a rejetées.
II Sur la somme réclamée par l'EARL Beaumur au titre de travaux facturés à l'EURL [I] :
L'EARL Beaumur demande à la cour d'infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Saintes du 24 juin 2022, en ce qu'il l'a notamment déboutée de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 44.995,33 euros, correspondant à la facture n° 60 du 15 octobre 2019 (pièce n° 16), correspondant à la campagne 2018/2019.
Certes, l'EARL [I] - qui au demeurant intervient sous la même constitution que l'EARL Beaumur - n'oppose aucun moyen à cette prétention. Il n'en reste pas moins qu'en application de l'article 9 du code de procédure civile, 'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention'. Or, pour prétendre au paiement de la somme de 44.995,33 euros, l'EARL Beaumur se contente de produire une facture en pièce n° 16 décrivant des travaux et des données chiffrées en termes de superficies, de personnel intervenu et de tarif horaire. Aucune référence n'est fournie permettant :
-d'une part, d'identifier les terres traitées comme étant celles exploitées par l'EARL [I],
-d'autre part d'attester de l'accord donné par l'EARL [I] pour la réalisation des travaux facturés ; notamment aucun bon de commande ou devis accepté n'est produit.
C'est pourquoi le tribunal sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
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S'agissant des dépens et condamnations au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que chaque partie supporterait ses propres frais et dépens. Devant la cour, dans la mesure où appelants et intimés succombent partiellement en leurs demandes respectives, il en sera de même.
PAR CES MOTIF,
La Cour,
Déclare irrecevable la demande de sursis à statuer dans l'attente du résultat de la plainte avec constitution de partie civile adressée le 5 décembre 2022 par Monsieur [U] [I] à Madame le Doyen des juges d'instruction du tribunal judiciaire de La Rochelle concernant des faits de faux et usage de faux,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Dit que chaque partie supportera ses propres dépens et frais irrepétibles d'appel,
Rejette toute demande plus ample ou contraire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,