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25/06/2024 | FRANCE | N°22/02662

France | France, Cour d'appel de Poitiers, 2ème chambre, 25 juin 2024, 22/02662


ARRET N°223

FV/KP

N° RG 22/02662 - N° Portalis DBV5-V-B7G-GVAW













S.A.R.L. [N] [E]

S.A.R.L. [N]-[E]



C/



S.A. CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA TOURAINE ET DU POITOU



























Loi n° 77-1468 du30/12/1977

Copie revêtue de la formule exécutoire



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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS



2ème Chambre Civile



ARRÊT DU 25 JUIN 2024





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/02662 - N° Portalis DBV5-V-B7G-GVAW



Décision déférée à la Cour : jugement du 19 septembre ...

ARRET N°223

FV/KP

N° RG 22/02662 - N° Portalis DBV5-V-B7G-GVAW

S.A.R.L. [N] [E]

S.A.R.L. [N]-[E]

C/

S.A. CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA TOURAINE ET DU POITOU

Loi n° 77-1468 du30/12/1977

Copie revêtue de la formule exécutoire

Le à

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Le à

Copie gratuite délivrée

Le à

Le à

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

2ème Chambre Civile

ARRÊT DU 25 JUIN 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/02662 - N° Portalis DBV5-V-B7G-GVAW

Décision déférée à la Cour : jugement du 19 septembre 2022 rendu(e) par le Tribunal de Commerce de POITIERS.

APPELANTES :

S.A.R.L. GUENARD PILLOT

[Adresse 1]

[Localité 4]

Ayant pour avocat plaidant Me François CARRE de la SCP BCJ BROSSIER - CARRE - JOLY, avocat au barreau de POITIERS

INTIMEE :

S.A. CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA TOURAINE ET DU POITOU agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Ayant pour avocat plaidant Me Nicolas DUFLOS, avocat au barreau de POITIERS.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 06 Mai 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Claude PASCOT, Président

Monsieur Fabrice VETU, Conseiller

Monsieur Cédric LECLER, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par Monsieur Claude PASCOT, Président et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

La société [N]-[E], créée le 06 juin 2007, est spécialisée dans le secteur d'activité de la location meublée professionnelle.

La Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou a consenti trois prêts professionnels à la société [N]-[E], à savoir :

- prêt n°00044155114 du 18 juillet 2007, pour 450.000 € au taux 4,78 %, remboursable sur 180 mois avec l'engagement des époux [E] en qualité de cautions solidaires à hauteur de 450.000€ chacun,

- prêt n°00078775119 du 23 juin 2010 pour 140.000 € au taux de 3,54 %, remboursable sur 180 mois avec l'engagement des époux [E] en qualité de cautions solidaires à hauteur de 70.000€ chacun,

- prêt n°0009365925 du 19 janvier 2013, pour 75.000 € au taux 3,07 % , remboursable sur 120 mois avec l'engagement des époux [E] en qualité de cautions solidaires à hauteur de 75.000 € chacun.

La société [N]-[E] a failli à ses obligations contractuelles en cessant de payer ses échéances à compter de mai 2021.

Le 30 juillet 2021, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, par courrier recommandé avec demande d'avis de réception, a mis en demeure la société [N]-[E] de régler, sous quinzaine, les sommes impayées, et lui a précisé qu'à défaut de règlement, la déchéance du terme pourrait être prononcée.

En l'absence de règlements, le 22 octobre 2021, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, par courrier recommandé avec accusé de réception, a prononcé la déchéance du terme des trois contrats de prêt et mis en demeure la société [N]-[E] à régler, sous quinzaine, la somme totale de 517.517,88 €.

Par exploit daté du 03 mai 2022, la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou a fait délivrer assignation à la société [N]-[E], d'avoir à comparaître devant le tribunal de commerce de Poitiers.

Par jugement en date du 19 septembre 2022, le tribunal de commerce de Poitiers a statué ainsi :

- condamne la société [N]-[E] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, les sommes de :

505.882,85 € au titre du prêt n°00044155114, augmentée des intérêts courus au taux 4,78 % l'an, à compter du 02 avil 2022 et jusqu'à complet paiement,

46.517,17 € au titre du prêt n°00078775119, augmentée des intérêts courus au taux de 3,54 % l'an, à compter du 26 avril 2022 et jusqu'à complet paiement,

12.457,35 € au titre du prêt n°0009365925, augmentée des intérêts courus au taux 3,07% l'an, à compter du 26 avril 2022 et jusqu'à complet paiement ;

- dit que les intérêts se capitaliseront dans les termes de l'article 1343-2 du code civil,

- dit que la présente décision est exécutoire à titre, en application de l'article 514 du code procédure civile,

- condamne la société [N]-[E] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, la somme de 1.000 €, par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens de l'instance, comprenant les frais de greffe arrêtés à la somme de 69,59 € TTC.

Par deux déclarations d'appel du 21 octobre 2022, la SARL [N]-[E] a interjeté appel de la même décision en visant les chefs expressément critiqués.

Par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 25 octobre 2022, les procédures ont été jointes pour se poursuivre sous le n° RG 22/02662.

Par ordonnance du 30 octobre 2023, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de radiation présentée par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou aux motifs qu'une telle mesure serait de nature, en raison de l'impossibilité matérielle pour l'appelante de régler dans un délai raisonnable les sommes mises à sa charge, à la priver du bénéfice d'un recours contre la décision l'ayant condamnée.

La SARL [N]-[E], par dernières conclusions RPVA du 17 avril 2024, demande à la cour de :

- Réformer le jugement du Tribunal de Commerce de Poitiers en date du 19 septembre 2022, et en conséquence, statuant de nouveau,

- Débouter la Caisse de Crédit Agricole de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

-Déclarer que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, au titre du prêt n°00044155114 du18 juillet 2007 a manqué à son devoir de mise en garde et à son obligation d'information à l'égard de la SARL [N] [E] et a par ce fait engagé sa responsabilité contractuelle,

- Déclarer que la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, au titre des prêts n°00078775119 du 23 juin 2010 et n°0009365925 du 19 janvier 2013 a manqué à son devoir de mise en garde à l'égard de la SARL [N] [E] et a commis une faute en octroyant des crédits excessifs engageant, par ce fait, sa responsabilité contractuelle

-Condamner par voie de conséquence la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou à verser à la SARL [N] [E] à titre de dommages et intérêts les sommes suivantes :

315.000 € au titre du prêt n°00044155114

44.191,31 € à titre de dommages et intérêts au titre du prêt n°00078775119,

11.834,49 € à titre de dommages et intêrêts au titre du prêt n°0009365925,

- Condamner la Caisse de Crédit Agricole, sur le fondement des dispositions de l'article 1241, à verser à la SARL [N] [E] la somme de 75.000 € pour manquement à son devoir d'information et de conseil, tel que déifni aux articles L. 522-3 et L. 522-5 du code des assurances, à l'égard de Madame [N] lors de la souscription de l'assurance-vie adossée au prêt in fine n° 00044155114 du 18 juillet 2007,

- Déchoir la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou de son droit aux intérêts conventionnels,

- Réduire à la somme de 1 € l'indemnité de recouvrement due pour chacun des prêts,

- Ordonner par voie de conséquence la production par la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou pour chaque prêt d'un décompte expurgé des intérêts, frais et pénalités après imputation en principal des sommes versées par la SARL [N] [E],

- Ordonner la compensation des sommes allouées à titre de dommages et intérêts avec les sommes dues par la SARL [N] [E] pour chacun des trois prêts,

- Condamner la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou à verser à la SARL [N] [E] la somme de 8.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

La Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, par dernières conclusions RPVA du 19 avril 2024, demande à la cour de :

Vu l'article 1103 du Code civil,

A titre liminaire, sur les prétentions notifiées le 05 avril 2024 à 17.26 h,

A titre principal,

- Ecarter des débats les dernières écritures de la SARL [N] [E] du vendredi 05 avril 2024 pour violation du principe du contradictoire,

A titre subsidiaire,

- Déclarer que la demande de condamnation du Crédit Agricole en tant qu'intermédiaire en assurance fondée sur l'article 1241 du Code civil est une prétention nouvelle,

- Juger que la demande de la SARL [N] [E] à ce titre, est irrecevable,

Statuant sur l'appel de la SARL [N] [E],

- Confirmer le jugement du 19 septembre 2022 rendu par le tribunal de commerce de Poitiers en toutes ses dispositions,

- Débouter la SARL [N]-[E] de toutes ses demandes, fins et prétentions,

En tout état de cause,

- Condamner la SARL [N]-[E] à verser la Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel de la Tourraine et du Poitou la somme de 10.000 € au titre de l'article 559 et 560 du code de procédure civile,

- Condamner la SARL [N]-[E] à verser la Caisse Régionale de Crédit Agricole mutuel de la Tourraine et du Poitou la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- La condamner aux entiers dépens.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

La clôture de l'instruction de l'affaire est intervenue à l'audience des plaidoiries du lundi 06 mai 2024, date à compter de laquelle elle a été mise en délibéré à ce jour.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité des écritures de l'appelante datée du 05 avril 2024

1. La Caisse de Crédit Agricole expose, au visa de l'article 16 du Code de procédure civile, que les écritures de la SARL [N] [E] du 05 avril 2024 seraient irrecevables dès lors qu'elle a cru bon d'attendre 5 mois et 26 jours pour communiquer de nouvelles écritures contenant des demandes nouvelles.

2. La SARL [N] [E] ne conclut pas sur ce point.

3. La cour observe que l'appelante, depuis le dépôt des conclusions du 05 avril 2024 critiquée, a déposé des nouvelles conclusions le 17 avril 2024 auxquelles la Caisse de Crédit Agricole a pu répliquer le 19 avril et dont cette dernière ne conteste pas la validité. De la sorte, aucune entorse au principe du contradictoire n'est susceptible d'être relevée.

4. Il y a lieu dès lors de rejeter la fin de non-recevoir présentée à ce titre.

Sur la recevabilité de la demande formée au titre du prêteur en tant qu'intermédiaire d'assurance

5. Se prévalant des dispositions de l'article 564 du Code de procédure civile, la Caisse de Crédit Agricole indique que cette demande de condamnation lui est adressée au regard de l'article 1241 du Code civil en tant qu'intermédiaire en assurance.

Selon le prêteur, cette demande fondée sur la responsabilité délictuelle est une prétention nouvelle en appel puisqu'elle a agi en tant 'qu'emprunteur' [prêteur] et non en qualité d'intermédiaire en assurance.

6. Selon la caisse encore, l'indivisibilité des condamnations prétextée par l'appelante ne permettrait pas davantage de rendre recevable cette prétention dès lors que seule Madame [E] est susceptible de se prévaloir d'un défaut d'information. L'intimée rappelle à cet égard que la SARL [N] [E] n'est pas partie au contrat d'assurance vie. Elle ne peut donc pas se plaindre d'un défaut d'information au lieu et place du bénéficiaire de l'assurance vie, à savoir, Madame [E].

7. La SARL [N] [E] objecte que la souscription de l'assurance-vie par sa gérante s'inscrivait dans un montage global et indivisible où le remboursement final du capital emprunté devait nécessairement être effectué par le biais du rachat du contrat d'assurance-vie, le nantissement de ce dernier par l'établissement bancaire caractérisant le caractère indivisible de l'opération.

L'appelante rappelle en effet que la Banque à fait souscrire à la gérante de la SARL [N] [E], Mme [N] épouse [E], un contrat d'assurance-vie dont le but et l'objectif, en tant qu'il était adossé au prêt garanti, avait vocation à permettre, par sa rentabilité, à ladite société d'assurer le remboursement du capital du prêt souscrit au terme de ce dernier, soit la somme de 455.377,50 €.

8. A la suite, l'appelante indique :

- d'une part, qu'en matière de souscription de contrat d'assurance-vie le banquier se trouve soumis nécessairement à une obligation renforcée d'information (article L 522-3 du Code des assurances) et à un véritable devoir de conseil (article L. 522-5) qui le contraint à s'enquérir des besoins du souscripteur et à justifier les raisons déterminant le caractère approprié du contrat proposé, à proposer un produit adapté avec les exigences et besoins du souscripteur et à préciser les raisons qui motivent ce conseil ;

- d'autre part, que l'article L. 132-27-1 du Code des assurances oblige l'assureur à préciser les exigences et les besoins exprimés par le souscripteur ou l'adhérent ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un contrat déterminé.

9. Sans s'interroger sur l'application de ces dispositions à la SARL [N] [E], les textes cités par l'appelante visant, en effet, le souscripteur ou l'adhérent éventuel, la cour relève que le contrat litigieux d'assurance-vie a été conclu le 18 juillet 2007 pour les besoins du prêt n°00044155114 du même jour de sorte que :

- ni l'article L. 132-27-1 I du code des assurances, relatif au devoir de conseil de l'assureur envers le souscripteur ou l'adhérent avant la conclusion d'un contrat de capitalisation ou d'assurance vie individuel ou avant l'adhésion à un contrat d'assurance de groupe facultatif comportant des valeurs de rachat ou de transfert, texte créé par l'ordonnance n°2009-106 du 30 janvier 2009 et abrogé par l'ordonnance n°2018-361 du 16 mai 2018,

- ni l'article L. 522-3 du même code relatif aux informations que doivent fournir l'intermédiaire ou l'assureur au souscripteur ou à l'adhérent avant la conclusion des mêmes contrats et régulièrement, au minimum chaque année, pendant la durée de vie de l'investissement, texte créé par l'ordonnance n°2018-361 du 16 mai 2018, ne sont applicables aux opérations litigieuses intervenues avant leur entrée en vigueur.

9. Aussi, après avoir sollicité les explications des parties à l'audience sur ce point relevé d'office et en l'absence de réponse de ces dernières, la cour indique que toute référence à ces textes est inopérante et rejettera les demandes formées à ce titre par la SARL [N] [E].

Sur les demandes d'indemnisation pour manquement de la banque à ses devoirs en présence d'un montage permettant un investissement immobilier

Sur la demande indemnitaire au titre du devoir de mise en garde

10. En application des articles 1134, 1135 et 1147 du code civil, dans leur version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, les conventions qui doivent être exécutées de bonne foi, obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature. La partie contractante qui n'a pas exécuté ses obligations peut être condamnée à des dommages et intérêts.

11. Il résulte de ces textes, applicables aux trois prêts souscrits par l'appelante, qu'un établissement de crédit est tenu, lors de la conclusion d'un contrat de prêt, à un devoir de mise en garde à l'égard d'un emprunteur non averti, au regard des capacités financières de celui-ci et des risques de l'endettement né de l'octroi du prêt.

12. Le devoir de mise en garde n'est dû que s'il apparaît que le crédit consenti a été excessif, faisant ainsi courir un risque à l'emprunteur.

13. C'est au jour de la conclusion du contrat de prêt qu'est appréciée la situation financière de l'emprunteur, au regard d'une part de son patrimoine et de ses revenus, d'autre part de ses dettes et de ses charges.

14. Le devoir de mise en garde ne profite qu'à l'emprunteur non averti sachant qu'en présence d'un emprunteur, personne morale, la qualité d'emprunteur averti s'apprécie en la personne de son représentant légal. L'emprunteur averti est celui qui dispose des compétences nécessaires pour apprécier le contenu, la portée et les risques liés aux concours consentis. Il doit être tenu compte de son expérience dans le secteur considéré, de son habitude des affaires et des caractéristiques de l'opération.

15. Il appartient à l'emprunteur qui se prévaut d'un crédit excessif, pour pouvoir bénéficier du devoir de mise en garde, de rapporter la preuve de l'inadaptation de son engagement par rapport à ses facultés de remboursement, en produisant des documents de nature à établir la réalité de sa situation économique à la date de la souscription du crédit.

16. L'établissement de crédit peut, soit justifier qu'il n'était pas tenu à un devoir de mise en garde parce que le crédit n'était pas excessif ou du fait qu'il était en présence d'un emprunteur averti, soit qu'il a satisfait à son obligation de mise en garde, étant rappelé que tout établissement de crédit est en droit de se fier aux informations communiquées, sauf anomalies graves, l'emprunteur devant faire preuve de loyauté et de bonne foi.

Sur le caractère averti de l'emprunteur

17. La SARL [N] [E] explique que sa gérante, au moment de l'octroi du prêt n°00044155114, esthéticienne et exerçant parallèlement la profession d'agricultrice, ne disposait d'aucune compétence particulière en matière d'investissement locatif et n'était pas en capacité d'apprécier par elle-même la portée réelle de son engagement, la pertinence et le risque de l'opération souscrite, ne disposant d'aucune connaissance spécifique dans le domaine financier.

18. La Caisse de Crédit Agricole objecte que Madame [E] est une dirigeante avertie eu égard de son expérience dans le secteur agricole et de son habitude des affaires et précise que la SARL [N] [E] a été constituée par Madame [E] le 06 juin 2007 et est demeurée son dirigeant depuis sa création. Elle indique que, surtout, avant la création de cette société, Madame [E] a créé avec son époux un Groupement foncier agricole, immatriculé le 09 mai 2007 (n° 498126929) qu'elle co-dirige avec lui.

La Caisse de Crédit Agricole rappelle enfin que Madame [E] a créé avec son époux la SCI Pollot, qui a été immatriculée le 26 avril 2007 (n° 497 731 232) qu'elle co-dirige et met en avant la création d'une nouvelle société le 25 mars 2019 et soutient que le fait qu'elle ait travaillé comme esthéticienne n'a aucune incidence sur sa qualité de dirigeant averti, ce d'autant, qu'elle a toujours été impliquée dans la vie de la SARL [N] [E].

19. A titre liminaire, la cour fait observer à la Caisse de Crédit Agricole que dès lors qu'il convient de se porter à la date de souscription de l'emprunt, toute référence à l'implication de sa gérante dans le déroulé de la vie de la SARL [N] [E], immatriculée un mois avant l'octroi du premier prêt, est sans emport pour apprécier le caractère averti de Madame [E].

20. Pour les mêmes raisons, la création par Madame [E] d'une entreprise quatre années après la création de la SARL [N] [E] ne permet pas d'apprécier le caractère averti ou non de celle-ci en sa qualité d'emprunteur.

21. Pour le surplus, la cour indique que si la preuve rapportée par l'intimée, de la création et la direction de deux entreprises par Madame [E] avant l'acceptation du prêt octroyé à la SARL [N] [E] dénote une certaine expérience dans la création et la direction de ces entreprises, elle ne saurait suffire à caractériser intrinsèquement un dirigeant averti dès lors que :

- il n'est pas démontré que ces actes (création et gestion d'une entreprise) étaient accompagnés d'une souscription de prêt ;

- que la preuve selon laquelle Madame [N] aurait une compétence particulière en ce qui concerne les prêts in fine remboursable en une seule fois par le dénouement d'un contrat financier (nantissement d'une assurance-vie) ou une maîtrise de ce type de produit n'est pas rapportée en l'espèce, alors encore que ce type de crédit doit être considéré comme complexe (volet financier particulier et volet fiscal).

22. Dès lors, la cour considère que Madame [N] en sa qualité de dirigeante de la SARL [N] [E], comme elle le soutient à raison, ne peut être considérée comme un débiteur averti pour les besoins du prêt n°00044155114 et elle doit désormais apporter la preuve d'un crédit excessif.

Sur le devoir de mise en garde

23. Madame [E] fait valoir que dans le cadre du prêt in fine, dans lequel les échéances ne comprennent que les intérêts, le capital ne se remboursant qu'à la fin de l'opération, en une seule, le devoir de mise en garde se trouve nécessairement renforcé à raison de son caractère particulièrement risqué tenant au fait que les emprunteurs doivent rembourser l'intégralité du capital lors de la dernière échéance de telle sorte que l'établissement bancaire doit nécessairement s'assurer, au moment de la souscription du prêt, que l'emprunteur sera en mesure de faire face à son obligation de remboursement au terme du contrat.

Elle indique que lors de sa constitution, la SARL [N] [E] ne disposait d'aucun capital propre, d'aucun patrimoine ni de revenus spécifiques lui permettant d'apprécier avec certitude les capacités contributives de cette dernière comme sa capacité à opérer le remboursement du capital à son échéance pour un montant de 450 000 € et rappelle encore que, avant terme, cette dernière devait assumer 59 échéances correspondant au montant des intérêts à hauteur de 5.377,50 € représentant les intérêts, soit un total de 300 000 €, soit un coût global de près de 750.000 €.

24. Pourtant, selon l'appelante, aucun élément, dans une contexte de crise financière, ne permettait d'avoir une garantie concernant le montant et la valeur des loyers qu'elle percevrait sur la longueur du prêt in fine comme sur la pérennité du projet dans lequel elle investissait.

25. L'appelante rappelle enfin que le prêt souscrit se trouvait adossé à un contrat d'assurance-vie souscrit auprès du Crédit Agricole, nanti à son profit, contrat directement alimenté par le produit de la vente réalisé par les consorts [E] de diverses parcelles de terres et que la somme nantie ne permettait nullement d'assurer le remboursement du capital, ceci, au regard d'un rendement inférieur à ce qui pouvait être attendu par la SARL [N] [E].

Elle conclut alors que la Caisse de Crédit Agricole, qui a pris une part active à l'opération en proposant le prêt in fine sur 15 ans et en plaçant le contrat d'assurance vie adossé au prêt, devait s'assurer que l'emprunteur avait clairement pris conscience des risques spécifiques à cette opération et notamment du fait que le remboursement du prêt était en partie lié au niveau des loyers perçus et à la rentabilité du placement sur un contrat d'assurance vie conclu par son intermédiaire et que toute insuffisance sur ce point l'exposait à un effort financier dont rien n'assurait au terme du prêt qu'elle aurait les moyens d'y faire face, et donc à un risque d'endettement excessif.

26. La Caisse de Crédit Agricole réplique que les mensualités de 5.377,50 € prévues par le plan de remboursement n'étaient pas inadaptées avec la capacité de remboursement de l'emprunteuse dans la mesure où les loyers, envisagés au titre de l'investissement locatif, permettaient de couvrir largement les échéances, la poursuite par l'entreprise de son activité et le remboursement du crédit sur plusieurs années traduisant l'absence de crédit excessif.

27. Par ailleurs, selon l'intimée, les fonds placés pour le nantissement du prêt in fine ont fructifié pendant toute la durée du crédit de sorte qu'il est vain de prétendre que le prêt in fine ne serait pas en phase avec le projet d'investissement et les capacités financières de la SARL [N] [E].

28. La cour observe que la SARL [N] [E] n'apporte pas la démonstration d'un crédit excessif dès lors que :

- elle a effectivement réglé les échéances relatives aux intérêts durant plusieurs années, et ce, grâce à l'affectation des sommes perçues à titre de loyer des deux appartements acquis et mis en location, conformément au montage prévu à cet effet ;

- l'hypothèse selon laquelle les sommes nanties en vue de régler le capital ne seraient pas suffisantes n'est pas vérifiable dès lors que la défaillance est intervenue avant le terme du prêt;

- ce nantissement, a été recueilli selon le contrat 'à la sûreté et remboursement du prêt' de sorte que, sauf preuve contraire inexistante en l'espèce, les sommes détenues en assurance-vie ne devaient pas permettre exclusivement le remboursement du capital à l'inverse de ce que soutient l'appelante.

29. Dès lors, la demande indemnitaire adressée pour défaut de mise en garde sera rejetée.

Sur le devoir d'information et de conseil

30. En application des textes susmentionnés, la banque est tenue d'une obligation d'information sur les caractéristiques du prêt qu'elle propose à l'emprunteur de souscrire, laquelle a pour seul objet d'instruire le cocontractant des éléments lui permettant d'agir en connaissance de cause. La banque y satisfait en principe en remettant à son client les conditions générales et particulières du contrat à conclure ainsi que, le cas échéant, l'ensemble des autres éléments lui permettant de faire son choix, en tenant compte de son degré effectif ou présumé de connaissance.

31. Toujours au visa des textes qui précèdent, il est en revanche de jurisprudence constante que la banque dispensatrice de crédit, qui n'a pas à s'immiscer dans les affaires de son client pour apprécier l'opportunité des opérations auxquelles elle procède, n'est en principe pas tenue d'une obligation de conseil quant à l'opportunité économique de l'opération envisagée envers les emprunteurs, sauf, si elle en a pris l'engagement, ou si le crédit comporte un risque particulier.

32. Madame [N] fait valoir qu'il serait aussi évident qu'incontestable que, au moment où les sommes dues au titre du prêt litigieux, sont devenues exigibles, les sommes investies sur le contrat d'assurance-vie n'ont pas engendré les bénéfices escomptés, le montant des sommes capitalisées s'élevant au 22 octobre 2022 à 418.530 €, le rachat du contrat ne permettant pas d'assurer le remboursement de l'échéance finale.

33. Selon elle, au regard de l'opération mise en place, la SARL [N] [E] aurait dû être informée par l'établissement bancaire qu'il existait une possibilité que les sommes placées ne seraient pas de nature à permettre d'assurer le remboursement de l'échéance finale compte tenu du caractère aléatoire de ce type de placement.

34. L'intimée objecte avoir parfaitement rempli son obligation d'information et réfute être astreinte à une quelconque obligation de conseil.

35. La cour, au regard des éléments produits au débat conclut, à l'instar de la Caisse de Crédit Agricole, qu'il n'existe aucun manquement à l'obligation d'information dès lors que l'ensemble des éléments nécessaires à porter à sa connaissance les caractéristiques essentielles du prêt.

36. En revanche, la cour considère qu'il résulte de ces mêmes éléments et des écritures des parties que la Caisse de Crédit Agricole s'était engagée à délivrer une obligation de conseil particulière en raison des caractéristiques complexes du prêt dès lors qu'elle :

- ne répond pas sur le point de savoir, comme l'affirme, Madame [N], que ce projet avait été initié sur conseil de la Caisse de Crédit Agricole en vue d'une optimisation de son patrimoine, commun avec Monsieur [N] ;

- ne répond pas davantage à l'appelante en ce qui concerne les caractéristiques de l'opération qu'il y a lieu de considérer comme complexe (puisque comportant un volet financier et fiscal et comportant une sûreté).

37. Toutefois observe la cour, l'appelante n'émet aucune prétention au soutien du moyen tiré d'un manquement à l'obligation de conseil de la Caisse de Crédit Agricole au dispositif de ses conclusions, qui seul lie la cour.

38. Il s'ensuit qu'il y a lieu de débouter la SARL [N] [E] de la demande formée à ce titre.

Sur la déchéance du droit aux intérêts conventionnels

39. La SARL [N] [E] explique que compte tenu des fautes commises par la Caisse de Crédit Agricole, elle serait légitime et bien fondée à solliciter de la cour que cette banque soit déchue des intérêts au taux conventionnel.

40. Mais la cour rappelle qu'elle ne retient aucune faute à la charge de la Caisse de Crédit Agricole de sorte qu'il y a lieu de débouter l'appelante de ce chef.

Sur la réduction de l'indemnité de recouvrement

41. La cour indique que c'est à bon droit que l'appelante rappelle que la clause majorant le taux des intérêts contractuels en cas de défaillance de l'emprunteur s'analyse en une clause pénale et, comme telle, susceptible de réduction.

42. Toutefois, la cour constate que l'appelante n'indique pas en quoi cette clause sera manifestement excessive. Elle sera également déboutée de cette demande.

Sur la demande de dommages et intérêts

43. La Caisse de Crédit Agricole expose au soutien de cette demande que la SARL [N] [E] s'est abstenue, sans motif légitime, de comparaître en première instance puis, a cru relever appel du jugement de première instance en invoquant des demandes abusives et dilatoires.

44. La cour constate, d'une part, qu'il ne ressort pas des éléments produits au débat que l'absence de comparution de la SARL [N] [E] devant le premier juge ne trouverait pas sa source dans un motif légitime et, d'autre part, qu'il n'est pas davantage caractérisé en quoi les demandes de l'appelante seraient abusives et dilatoires.

45. Il s'ensuit que la Caisse de Crédit Agricole sera déboutée de la demande formée à ce titre.

Sur les autres demandes

46. Il apparaît équitable de condamner la SARL [N] [E] à régler à la Caisse de Crédit Agricole une indemnité de 3.000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter la demande formée au même titre par l'appelante.

47. La SARL [N] Pilot qui échoue en ses prétentions supportera la charge des dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme en toutes ses dispositions contestées le jugement du tribunal de commerce de Poitiers en date du 19 septembre 2022,

Y ajoutant,

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté du dépôt des écritures datée du 05 avril 2024,

Déclare irrevables les demandes formées par la SARL [N] [E] en ce qu'elles sont dirigées contre la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou en sa qualité d'intermédiaire d'assurance,

Condamne la SARL [N] [E] à payer à la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou une indemnité de 3.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Rejette toute autre demande,

Condamne la SARL [N] [E] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22/02662
Date de la décision : 25/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;22.02662 ?
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