ARRÊT N° 213
N° RG 22/02060
N° Portalis DBV5-V-B7G-GTQN
[C]
C/
[T]
[H]
[S]
et autres (...)
Loi n° 77 - 1468 du 30/12/1977
Copie revêtue de la formule exécutoire
Le 28 mai 2024 aux avocats
Copie gratuite délivrée
Le 28 mai 2028 aux avocats
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 28 MAI 2024
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 juillet 2022 rendu par le Tribunal Judiciaire de LA ROCHE SUR YON
APPELANTE :
Madame [M] [C] épouse [L]
[Adresse 6]
[Localité 8]
ayant pour avocat postulant Me Sarah HAFI, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
INTIMÉS :
Monsieur [N] [T]
né le 21 Mars 1950 à [Localité 25]
[Adresse 23]
[Localité 7]
Madame [P] [H] épouse [T]
né le 23 Août 1950 à [Localité 25]
[Adresse 23]
[Localité 7]
ayant tous deux pour avocat postulant et plaidant Me Pascal TESSIER de la SELARL ATLANTIC-JURIS, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
Monsieur [B] [S]
né le 09 Avril 1941 à [Localité 18] (29)
[Adresse 10]
[Localité 11] (NOUVELLE CALÉDONIE)
Madame [Z] [K]
née le 10 Août 1939 à [Localité 21] (29)
[Adresse 2]
[Localité 4]
ayant tous deux pour avocat postulant Me Isabelle BLANCHARD de la SELARL ADLIB, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
Madame [D] [S]
née le 20 Juillet 1973 à [Localité 11]
[Adresse 5]
[Localité 9]
Monsieur [X] [S]
né le 20 Août 1968 à [Localité 22] (29)
[Adresse 3]
[Localité 12] (NOUVELLE CALÉDONIE)
S.C.I. BREIZ
[Adresse 10]
[Localité 11] (NOUVELLE CALÉDONIE)
ayant tous les trois pour avocat postulant Me Isabelle BLANCHARD de la SELARL ADLIB, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 11 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre
Madame Anne VERRIER, Conseiller
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT,
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les époux [N] [T] et [P] [Y] ont par acte du 12 août 1981 acquis la propriété d'une maison d'habitation située « [Localité 24] » à [Localité 7] (Vendée), anciennement cadastrée section [Cadastre 16] et [Cadastre 13] et [Cadastre 1], désormais [Cadastre 27].
[M] [C] épouse [L] est propriétaire de la parcelle anciennement cadastrée section [Cadastre 15] et [Cadastre 1], désormais [Cadastre 26], sur laquelle est édifié un bâtiment anciennement à l'usage de moulin. La nue propriété lui en avait été donnée par acte du 29 juin 2001. Elle y a réuni l'usufruit au décès de son père, le donateur. Ce bien est contigu au sud à celui des époux [N] [T] et [P] [Y] et au nord à celui acquis par la sci Breiz, cadastré section [Cadastre 14].
Les maisons propriété de [M] [C] épouse [L] d'une part et des époux [N] [T] et [P] [Y] d'autre part, sont accolées.
Courant 2013, les époux [N] [T] et [P] [Y] ont constaté que les fissures de leur bien évoluaient. Un procès-verbal de constat a été dressé le 20 octobre 2015. Leur assureur a missionné le cabinet Polyexpert. Le rapport d'expertise en date du 10 décembre 2015 a conclu à un défaut d'entretien des ouvrages de maçonnerie hydraulique.
Par ordonnance du 22 avril 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de la Roche-sur-Yon a sur la demande des époux [N] [T] et [P] [Y] commis [R] [I] en qualité d'expert.
Par acte des 20 et 21 septembre 2016, ils ont appelé en cause la sci Breiz et ses quatre associés, l'expert judiciaire ayant indiqué que des infiltrations pourraient provenir de la parcelle leur appartenant. Par ordonnance du 10 octobre 2016, le juge des référés a rendu les opérations d'expertise commune et opposable à la la sci Breiz et à ses associés.
Le rapport d'expertise est en date du 11 septembre 2018.
Par acte des 18, 21, 23 janvier et 1er février 2019, les époux [N] [T] et [P] [Y] ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de La Roche-sur-Yon [M] [C] épouse [L], la sci Breiz et ses associés, [B] [S], [Z] [K], [D] [S] et [X] [S].
Ils ont demandé :
- à titre principal de les condamner solidairement à leur payer les sommes de :
- 4.566 € au titre de la reprise des façades et de deux chambres ;
- 39.222 € correspondant aux frais de reprise du canal et de comblement des cavités ;
- 2.949,15 € s'agissant du coût de la maîtrise d'oeuvre, ainsi qu'une astreinte de 1500 € par jour de retard à compter de la décision jusqu'à la réalisation des travaux,
- subsidiairement dans l'hypothèse où [M] [C] épouse [L] serait considérée propriétaire du bief, de la condamner sous astreinte à réaliser les travaux préconisés par l'expert judiciaire.
Ils ont en outre demandé paiement de la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leurs préjudices de jouissance et d'anxiété.
[M] [C] épouse [L] a conclu au rejet de ces demandes.
Elle a soutenu :
- qu'elle était propriétaire du canal ouvrier et des ouvrages hydrauliques annexes destinés à l'exploitation du moulin ;
- que la preuve de l'imputabilité des fissures aux infiltrations au travers des murs en moellons de ces ouvrages n'était pas rapportée.
Elle a ajouté que par arrêté du 29 juin 2019, le préfet de la Vendée avait abrogé l'autorisation de droit fondé en titre du moulin et prescrit la remise en état du site consistant dans la destruction de la chaussée et que les travaux à réaliser de confortement de la berge et de comblement du bief renforceraient l'ouvrage des demandeurs.
La sci Breiz et ses associés ont de même conclu au rejet des demandes formées à leur encontre aux motifs que la preuve de l'imputabilité des fissures n'était pas rapportée et que les travaux qu'avaient fait réaliser les demandeurs sur leur fonds avait pu en être la cause.
Par jugement du 12 juillet 2022, le tribunal judiciaire (anciennement tribunal de grande instance) de La Roche-sur-Yon a statué en ces termes :
'Déclare Madame [M] [L] seule responsable des conséquences du défaut d'entretien des canaux d'amenée et de fuite accessoires à son moulin,
La condamne à faire effectuer les travaux préconisés par l'expert judiciaire (selon devis des Sociétés BENAITEAU ET FONDASOL) ou, en cas de démolition de la digue du moulin,·les travaux de comblement des vides de nature à établir une assise stable des sols en place,
Condamne Madame [L] à une astreinte de 50 euros par jour de retard passé un délai de six mois à compter de la signification de la présente décision si les travaux n'ont pas été entrepris dans ce délai,
Condamne Madame [L] à payer aux époux [T] la somme de 4151 € au titre des travaux de reprise et de 1000 € en réparation du préjudice moral,
Condamne Madame [L] à payer aux époux [T] la somme de 2000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu exécution provisoire,
Rejette les demandes plus amples ou contraires,
Condamne Madame [L] aux dépens dont distraction au profit de la SELARL ATLANTIC JURIS représentée par Maître Pascal TESSIER conformément à l'article 699 .du code de procédure civile'.
Il a considéré que :
- [M] [C] épouse [L] était propriétaire par l'effet de l'accession du bief creusé de la main de l'homme ayant servi à l'exploitation du moulin ;
- le défaut d'entretien de la maçonnerie des ouvrages était à l'origine d'infiltrations ayant provoqué des fissurations du bien voisin ;
- celles-ci ne pouvaient pas être attribuées à un retrait gonflement des argiles qui étaient demeurées constamment humidifiées ;
- les travaux de comblement prescrits par arrêté préfectoral ne seraient pas à eux seuls suffisants et que des travaux complémentaires demeuraient nécessaires ;
- [M] [C] épouse [L] était en sa qualité de propriétaire des ouvrages seule tenue du coût de leur réparation.
Il a partiellement fait droit aux demandes des époux [N] [T] et [P] [Y] d'indemnisation de leurs préjudices matériel, de jouissance et d'anxiété.
Par déclaration reçue au greffe le 4 août 2022, [M] [C] épouse [L] a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 4 août 2022, elle a demandé de :
'Vu les articles 9 et 910-4 alinéa 1er du Code de procédure civile,
Vu les articles 546, 551, 1242 alinéa 1er, 1353 alinéa 1er (ancien article 1315 alinéa 1er), 2258, 2261 et 2272 alinéa 1er du Code civil,
Vu la Jurisprudence précitée,
Vu le bordereau de pièces versées aux débats,
REFORMER le Jugement rendu par le Tribunal Judicaire de LA ROCHE SUR YON le 12 juillet 2022 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
ET STATUER A NOUVEAU :
A titre principal :
Déclarer que Monsieur [N] [T] et Madame [P] [T] née [H] ne démontrent ni l'existence d'un lien de causalité entre la propriété de Madame [M] [L] née [C] et les dommages allégués, ni l'existence d'un quelconque dommage,
Déclarer que la responsabilité délictuelle du fait des choses de Madame [M] [L] née [C] n'est pas établie par Monsieur [N] [T] et Madame [P] [T] née [H],
Déclarer mal fondées les demandes formulées par Monsieur [N] [T] et Madame [P] [T] née [H] à l'encontre de Madame [M] [L] née [C],
Déclarer irrecevable la demande de la SCI BREIZ et ses quatre associés, Messieurs [B] et [X] [S], Mesdames [Z] [K] et [D] [S], visant à la condamnation de Madame [M] [L] au paiement d'une amende civile de 5 000 € pour procédure abusive,
Déclarer, à titre surabondant, cette demande mal fondée,
En conséquence :
Débouter Monsieur [N] [T], Madame [P] [T] née [H], la SCI BREIZ et ses quatre associés, Messieurs [B] et [X] [S], Mesdames [Z] [K] et [D] [S], de l'ensemble de leurs prétentions, fins et conclusions formulées à l'encontre de Madame [M] [L] née [C],
Condamner solidairement Monsieur [N] [T] et Madame [P] [T] née [H] à payer à Madame [M] [L] née [C] la somme de 3.358,80 € TTC, en remboursement des factures de Monsieur [O] [F],
Condamner solidairement Monsieur [N] [T] et Madame [P] [T] née [H] à payer à Madame [M] [L] née [C] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure de première instance, ainsi qu'à payer les
entiers dépens de première instance, y compris les dépens de la procédure de référé expertise et les frais d'expertise judiciaire,
Condamner solidairement Monsieur [N] [T], Madame [P] [T] née [H], la SCI BREIZ et ses quatre associés, Messieurs [B] et [X] [S], Mesdames [Z] [K]
et [D] [S], à payer à Madame [M] [L] née [C] la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d'appel, ainsi qu'à payer les entiers dépens d'appel,
A titre subsidiaire :
Ordonner un partage de responsabilité entre Madame [M] [L] et la société BREIZ,
Déclarer que toute éventuelle condamnation à réparer les préjudices matériels et moral allégués, à faire réaliser des travaux sous astreinte, ainsi qu'au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et des dépens, sera ventilée entre Madame [M] [L] et la société BREIZ à hauteur de 41 % pour la première, 59 % pour la seconde'.
Elle a soutenu :
- être propriétaire par l'effet de l'accession du canal qui desservait le moulin lorsqu'il était en activité ;
- que les époux [N] [T] et [P] [Y] ne justifiaient pas d'une possession acquisitive de la propriété du bief ;
- que ceux-ci n'établissaient pas le lien de causalité entre les fissures verticales de leur bien et les infiltrations au travers des murs en moellons de la berge du bief, l'étude géotechnique suggérée par l'expert judiciaire n'ayant pas été réalisée faute de consignation des demandeurs ;
- que les fissurations pouvaient avoir pour cause les épisodes de sécheresse ;
- que les devis de travaux réalisés par l'expert ne pouvaient pas être retenus en l'absence d'étude de sol précisant les cavités à combler.
Elle a ajouté que les époux [N] [T] et [P] [Y] ne justifiaient pas du préjudice moral et de jouissance allégué.
Elle a conclu au rejet de la demande de la sci Breiz et de ses associés au paiement d'une amende civile, cette demande ayant selon elle été formée tardivement et le caractère abusif de l'appel interjeté n'étant pas établi.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 mars 2023, les époux [N] [T] et [P] [Y] ont demandé de :
'Vu le rapport d'expertise judiciaire du 11 septembre 2018,
Vu l'article 546, 552 et 1242 du Code civil,
Dire et juger Monsieur [N] [T] et Madame [P] [T] recevables et bien fondés en leur appel incident,
Dire et juger Madame [M] [L], la SCI BREIZ et ses associés Messieurs [B] et [X] [S] et Mesdames [Z] [K] et [D] [S] responsables des dommages constatés sur la maison des époux [T],
Infirmer le jugement du 12 juillet 2022 en ce qu'il a jugé que Madame [M] [L] était seule propriétaire du bief d'évacuation de l'ancien moulin,
Infirmer le jugement du 12 juillet 2022 en ce qu'il n'a pas retenu la SCI BREIZ et ses associés comme responsable du sinistre,
Infirmer le jugement du 12 juillet 2022 en ce qu'il a limité les travaux de réparation au simple comblement des cavités et en ce qu'il n'a pas compris dans les travaux l'intervention du maître d''uvre,
Infirmer le jugement du 12 juillet 2022 en ce qu'il a limité l'astreinte à 50 € par jour de retard,
Infirmer le jugement du 12 juillet 2022 en ce qu'il a limité le préjudice de jouissance et d'anxiété des époux [T] à la somme de 1 000 €
Confirmer le jugement du 12 juillet 2022 en ce qu'il a accordé aux époux [T] le montant des travaux de reprise de fissure à la somme de 4 151 €
Confirmer le jugement du 12 juillet 2022 en ce qu'il a retenu la responsabilité de Madame [M] [L] dans l'apparition des fissures sur la maison des époux [T] en lien de causalité avec le défaut d'entretien de la chaussée, du canal d'amené et du bief, et en ce qu'il l'a condamné à mettre en 'uvre les travaux de réparation du bief,
Confirmer le jugement du 12 juillet 2022 en ce qu'il a condamné Madame [M] [L] au paiement de la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et des entiers dépens,
Statuant à nouveau,
A titre principal,
Juger que les époux [T] sont propriétaires du bief d'évacuation de l'ancien moulin appartenant à Madame [A] [L],
En conséquence,
Condamner solidairement Madame [M] [L], la SCI BREIZ et ses associés Messieurs [B] et [X] [S] et Mesdames [Z] [K] et [D] [S] à verser aux époux [T] une indemnité correspondant au coût de reprise du canal et de comblement des cavités, à savoir 41 065 € somme à laquelle il convient d'ajouter 7,5% de coût de maîtrise d''uvre, soit 3 258 €.
Dire que le coût des travaux sera indexé sur l'indice du coût de la construction BT50 à partir de la date du dépôt du rapport de l'expert judiciaire
Condamner solidairement Madame [M] [L], la SCI BREIZ et ses associés Messieurs [B] et [X] [S] et Mesdames [Z] [K] et [D] [S] à faire effectuer les autres travaux listés par l'expert judiciaire et suivants les devis obtenus par lui à leur charge, et ce sous astreinte de 1 500 € par jour à compter de la décision à intervenir, afin de s'assurer d'une reprise rapide des désordres,
A titre subsidiaire,
Si Madame [M] [L] était considérée comme propriétaire du bief, la condamner en plus à mettre en 'uvre les travaux préconisés par l'expert judiciaire notamment pour le comblement des cavités du mur du bief (à savoir paiement d'une recherche de cavités pour 5 825 € et prise en charge du montant des travaux de comblement des cavités)et ce sous astreinte de 1 500 € par jour à compter de la décision à intervenir, afin de s'assurer d'une reprise rapide des désordres,
En tout état de cause,
Condamner solidairement Madame [M] [L], la SCI BREIZ et ses associés Messieurs [B] et [X] [S] et Mesdames [Z] [K] et [D] [S] à verser aux époux [T] une indemnité correspondant au coût de reprise des façades et des deux chambres, à savoir 4. 151 € HT,
Condamner solidairement Madame [M] [L], la SCI BREIZ et ses associés Messieurs [B] et [X] [S] et Mesdames [Z] [K] et [D] [S] à payer aux époux [T] la somme de 15.000 euros au titre de l'indemnisation des préjudices subis,
Condamner solidairement Madame [M] [L], la SCI BREIZ et ses associés Messieurs [B] et [X] [S] et Mesdames [Z] [K] et [D] [S] à payer aux époux [T] une juste indemnité de 6 000, 00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Condamner solidairement Madame [M] [L], la SCI BREIZ et ses associésMessieurs [B] et [X] [S] et Mesdames [Z] [K] et [D] [S] aux entiers dépens de l'instance d'appel mais aussi ceux de référé et d'expertise judiciaire (le jugement n'étant pas clair à ce sujet) dont distraction au profit de la SELARL ATLANTIC JURIS, représentée par son associé [E] [W] qui sollicite l'application de l'article 699 du Code de procédure civile'.
Ils ont soutenu que :
- le moulin n'étant plus en activité depuis plus de 30 années, la théorie de l'accession ne pouvait pas trouver application s'agissant de la propriété des canaux ;
- l'appelante, en renonçant à son droit fondé en titre, avait renoncé à son droit d'accession et ne pouvait plus se prévaloir d'une quelconque présomption de propriété ;
- la propriété des biefs avait été acquise par l'effet d'une possession trentenaire, les ayant entretenus ;
- leur habitation étant édifiée sur le bief d'évacuation de l'eau du moulin, ils en étaient propriétaires par l'effet de l'article 552 du code civil.
Ils ont maintenu, se fondant sur les termes du rapport d'expertise, que le défaut d'entretien par l'appelante et la sci Breiz des murs du canal était à l'origine des fissurations de leur habitation. Ils ont rappelé que :
- l'expert judiciaire avait écarté l'hypothèse du retrait gonflement des argiles, humides en permanence ;
- le coût des travaux avait été chiffré indépendamment des travaux prescrits par l'administration en raison de la renonciation à son droit par l'appelante ;
- ceux-ci n'avaient toujours pas été entrepris ;
- le devis de la société Benaiteau distinguait selon l'exécution ou non de ces travaux, imposés.
Ils ont conclu à l'exécution de l'ensemble des travaux préconisés par l'expert judiciaire. Ils ont en outre demandé paiement du coût des travaux de reprise de leur habitation et l'indemnisation de leurs préjudices de jouissance et d'anxiété.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 7 février 2023, la sci Breiz, [B] [S], [Z] [K] et [D] [S] ont demandé de :
'' CONFIRMER les dispositions du jugement rendu le 12 juillet 2022 par le Tribunal judiciaire de LA ROCHE-SUR-YON ;
' STATUER à nouveau de la manière suivante :
' DIRE ET JUGER que la SCI BREIZ et ses 4 associés Messieurs [B] et [X] [S] et Mesdames [Z] [K] et [D] [S] ne sont pas responsables des dommages constatés sur la maison des époux [T] ;
' DIRE ET JUGER que Monsieur [N] [T] et Madame [P] [T] ne démontre ni l'existence d'un lien de causalité entre la propriété de la SCI BREIZ et les dommages allégués, ni l'existence d'un quelconque dommage ;
' DÉBOUTER, en conséquence, Monsieur [N] [T] et Madame [P] [T] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions;
' Si la Cour considérait qu'un lien causal direct et certain existe entre la faute et le préjudice allégué par les époux [T] :
' CONFIRMER subsidiairement le jugement en ce qu'il n'a retenu que la seule responsabilité de Madame [L] ;
' CONFIRMER le jugement en ce qu'il n'a pas condamné la société BREIZ et ses associés à supporter le paiement des travaux de peinture et d'enduit, tout en retenant, à hauteur d'appel, une évaluation de ces travaux à la somme de 2 196,51 € TTC ;
' REJETER la demande subsidiaire de Madame [L], tendant à voir condamner la SCI BREIZ à supporter 59 % de toutes condamnations, et de confirmer le jugement en ce qu'il a mis à la seule charge de Madame [L] les condamnations ;
' CONFIRMER le jugement en ce qu'il n'a pas mis à la charge de la SCI BREIZ et de ses associés cette condamnation à une astreinte ;
' CONFIRMER le jugement en ce qu'il n'a pas condamné la SCI BREIZ et ses associés au paiement de dommages et intérêts aux époux [T] en réparation du préjudice moral allégué ;
' DEBOUTER Madame [M] [L], Monsieur [N] [T] et Madame [P] [T] de toutes demandes, fins et prétentions contraires à celles de la SCI BREIZ et de ses associés ;
' STATUER ce que de droit sur l'amende civile à fixer à la charge de Madame [M] [L], en qualité d'appelante, et de la CONDAMNER à verser à la SCI BREIZ la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi par cette procédure abusive ;
' CONDAMNER solidairement Madame [M] [L], Monsieur [N] [T] et Madame [P] [T] à verser à la SCI BREIZ la somme de 8 000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
' CONDAMNER les mêmes aux entiers dépens, comprenant notamment les frais d'expertise judiciaire'.
Ils ont exposé que :
- l'absence d'étude de sol ne permettait pas de déterminer la cause des désordres ;
- l'expert n'avait pas pris en considération les travaux rendus nécessaires par l'abandon du droit fondé en titre par l'appelante.
Ils ont soutenu que :
- les désordres ne leur étaient pas imputables ;
- le 'canal ouvrier' était situé sous l'habitation des époux [N] [T] et [P] [Y] et séparé du fonds de la propriété de la sci ;
- les photographies annexées par les époux [N] [T] et [P] [Y] ne concernaient pas les lieux litigieux ;
- les travaux que ces derniers avaient fait réaliser avaient pu conduire à un tassement des fondations de leur habitation ;
- le retrait-gonflement des argiles écarté par l'expert judiciaire avait pu être à l'origine des fissures ;
- seule [M] [C] épouse [L], propriétaire des canaux, pouvait être tenue envers les époux [N] [T] et [P] [Y].
Ils ont subsidiairement conclu à la réduction des prétentions de ces derniers aux motifs que :
- le devis de la société PPRV de ravalement de travaux intérieurs avait pour objet une façade sur rue non concernée ;
- les travaux d'enduit de la société Rafin Rénovation n'étaient pas justifiés ;
- le premier juge n'avait pas justifié l'évaluation du coût des travaux qu'il avait retenue ;
- le dernier devis de la société Benaiteau établi sur la demande des époux [N] [T] et [P] [Y] n'était qu'une actualisation du précédent et ne tirait pas les conséquences de la modification de l'état des lieux ;
- le préjudice moral allégué n'était pas établi.
Ils ont demandé paiement de dommages et intérêts en raison selon eux du caractère abusif de l'appel.
L'ordonnance de clôture est du 15 janvier 2024
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR LA PROPRIÉTÉ DU [Localité 17], DU CANAL OUVRIER ET DU CANAL DE FUITE
L'article 546 du code civil dispose que :
'La propriété d'une chose soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu'elle produit, et sur ce qui s'y unit accessoirement soit naturellement, soit artificiellement.
Ce droit s'appelle "droit d'accession".
Le bief est par l'effet des dispositions précitées réputé appartenir en entier au propriétaire du moulin lorsque ce bief d'amenée d'eau est un ouvrage artificiel différent du lit de la rivière, créé dès l'origine à l'usage exclusif du moulin. Il en est de même du canal d'évacuation (de fuite) situé en aval du moulin.
L'expert judiciaire a en page 11 de son rapport, au paragraphe 'Historique de l'affaire', décrit en ces termes les lieux :
'Madame [L] est propriétaire depuis 2008 d'une habitation au Lieu-dit « [Localité 19] » à [Localité 7] (85) qui est une partie d'un moulin, sur la rivière Le Lay. Elle la détient en héritage de son père.
L'autre partie du moulin est la propriété des époux [T].
La propriété [L] comprend la maison, qui abrite la roue à aube, ainsi que tous les appareils à l'amont, vanne ouvrière, digue, vanne de délestage sur la rivière.
Le moulin n'est plus en service depuis les années 1960.
Sur la parcelle [T], on trouve une habitation dans le même corps de bâtiment que la maison [L]. Cette habitation est à cheval sur le canal de sortie des eaux de la vanne ouvrière. Les vannes étaient régulièrement ouvertes jusqu'en 2008".
Il importe de préalablement définir la terminologie qui varie selon les documents produits :
- un bief (d'amenée d'eau) est situé en amont du bien de [M] [C] épouse [L] ;
- un canal ouvrier alimenté par ce bief de dimension réduite traverse le fonds de celle-ci ainsi que celui des époux [N] [T] et [P] [Y], sous les habitations ;
- un canal de fuite est situé en aval de la maison des époux [N] [T] et [P] [Y].
Ces canaux sont distincts de la rivière Le Lay qui les alimente. Les photographies annexées au rapport d'expertise, au procès-verbal de constat du 20 octobre 2015 dressé par Maître [G] [J], huissier de justice à [Localité 20] sur la requête des époux [N] [T] et [P] [Y], au rapport Polyexpert (pièce n° 13 des époux [N] [T] et [P] [Y]) établissent que le tracé de ces canaux est presque rectiligne. Leur caractère artificiel est dès lors établi.
Le bief puis le canal ouvrier desservent le bâtiment propriété de l'appelante, comportant la roue à aube. L'équipement contrôlant le débit du bief est situé sur son fonds. Ce bâtiment constitue le moulin. Le canal d'évacuation de l'eau ainsi amenée au moulin est en partie situé sous la maison des époux [N] [T] et [P] [Y].
La propriétaire du moulin est présumée être propriétaire par accession du bief, du canal ouvrier et du canal de fuite lorsque ceux-ci ne sont pas situés sur sa parcelle.
Les époux [N] [T] et [P] [Y] soutiennent avoir acquis par l'effet d'une possession trentenaire la propriété du 'bief d'évacuation de l'ancien moulin' au motif qu'ils en auraient assuré l'entretien.
Ils ne justifient d'aucun acte d'entretien de ce canal situé en aval de leur habitation.
Il est indifférent que le moulin ne soit plus en activité, que l'appelante ait renoncé à son droit d'eau, le droit de propriété ne se perdant pas par le non usage et le bief et le canal d'évacuation étant au surplus demeurés en eau.
Le bénéfice du droit d'accession fait obstacle à l'application au cas d'espèce de l'article 552 alinéa 1er du code civil qui dispose que : 'La propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous'.
Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a considéré que [M] [C] épouse [L] était propriétaire par accession du bief d'amenée d'eau, du canal ouvrier et du canal d'évacuation.
SUR LA CAUSE DES FISSURATIONS
L'expert judiciaire a décrit en pages 13 à 28 les recherches de fuites réalisées et l'état de la maçonnerie.
En réponse aux questions posées, il a indiqué en pages 42 à 44 de son rapport que :
'La maison [T] présente des fissures sur les murs à cheval sur le canal d'évacuation. On relève que les eaux du bief amont s'infiltrent, au travers de la chaussée et murs bordant ce bief, par de multiples fractures de la maçonnerie en place. Cette eau sourd au travers des pierres maçonnées du canal et plus particulièrement à l'entrée de la partie aval du chenal, ou en pied de mur, à la jonction avec la dalle au sol.
[...]
Il s'agit en premier de fuites dans les murs du canal ouvrier. L'eau sourd au travers des murs et du sol à plusieurs endroits et son débit est lié directement a la hauteur d'eau dans le bief.
[...]
Au vu de l'état général de vétusté des murs des ouvrages amont, des infiltrations d'eau doivent exister depuis de nombreuses années. Ces circulations d'eau, d'abord orientées vers l'aval de la chaussée, se sont développées à l'interface remblais-maçonnerie jusqu'à percer les joints des murs du canal ouvrier.
Les premières fuites dans le canal ont eu lieu probablement à la jonction pied de mur-dalle du sol, là où la pression hydraulique sera la plus élevée. Le fait que l'eau soit présente dans cette partie basse a masqué la perception de ces fuites. On datera donc ces venues d'eau d'avant 2013.
[...]
Le bief amont est encadré par des maçonneries anciennes digues, pérés, murs,...etc. De nombreuses fuites sont visibles tant sur la digue que sur les ouvrages côté OUEST.
[...]
Pour savoir d'où proviennent les écoulements dans le canal, on a procédé à une recherche de fuite à l'aide de colorants. Cette prestation a permis de montrer que ces circulations d'eau proviennent de la digue et de l'ensemble des ouvrages amont.
Les venues d'eau dans le canal ouvrier sous le moulin, trouvent leurs sources dans les ouvrages amont d'endiguement du bief.
Les circulations d'eau, derrière les ouvrages maçonnés, entraînent des particules fines dans le canal. L'érosion des masques d'argile et des liants entre les pierres, conduit à desceller certaines d'entre-elles qui se décrochent du mur.
Les vides créés ainsi contribuent à affaiblir la portance des sols adjacents au murs du canal. Ces sols servent d'assise aux constructions qui s'élèvent au dessus du canal'.
L'expert a conclu en page 49 de son rapport que :
'Le moulin, en activité jusque dans les années 1960, tire son énergie du barrage créé sur le Petit Lay. Cet ouvrage appartient a Madame [L] mais n'a pas connu d'entretien conséquent depuis des décennies. Une partie du mur de rive du bief amont est la propriété de la SCI BREIZ.
L`absence d'entretien de ces constructions de génie civil est telle que des arbres ont poussé dans les anfractuosités des murs dont les diamètres sont de l'ordre de 40 cm. Les trous, dans les parements du mur, ont laissé s'infiltrer l'eau dans le massif à l'arrière. Celle-ci s'est frayé un chemin et elle sourd, dans le canal ouvrier sous la maison, entraînant avec elle les fines argileuses du remblai contigu. Ce dernier, en perdant de sa consistance, perd aussi de ses capacités portantes et la maison au-dessus se fissures'.
Il a exclu en ces termes en pages 35 et 36 de son rapport, en réponse à des dires du conseil de l'appelante, que la cause des fissurations soit un retrait-gonflement des argiles :
'Sur la sécheresse et le phénomène de retrait - gonflement.
Ce phénomène est lié d'une part à la nature géologique du sol. Il concerne les argiles. D'autre part, il est lié aux variations hydriques du sol d'assise. La portance du matériau varie avec à sa teneur en eau.
Or, dans le cas de figure actuelle, les fondations du canal sont posées sous le niveau du lit du ruisseau. Par les venues d'eau du bief amont, cette assise doit être en eau en permanence. Un équilibre a été atteint entre les charges supportées par les murs du canal et son assise depuis peut-être deux siècles. Il me parait peu probable qu'on assiste à une variation de portance de ce niveau d'assise.
Sur les fondations de la bâtisse et en particulier sur celles du mur EST
Elles sont ancrées dans le remblai mis en oeuvre après la réalisation de la voûte du canal. Son altitude d'assise et sa nature sont inconnues. Toutefois, en raison des renards dans la maçonnerie amont, cette assise est baignée par les venues d'eau. On a vu ci-dessus que, même en période de faible pluviométrie (exemple 2016) au plus creux de la saison, l'eau arrive au niveau de la digue. Selon les dires des parties, il est arrivé que l'eau baisse d'une vingtaine de centimètres par rapport à ce trait de niveau. Compte tenu des multiples fractures du mur amont, ces entrées d'eau se produisent sur toute sa hauteur. Elles ne sont pas limitées au niveau du batillage.
Ainsi, le massif d'assise des fondations de la bâtisse est toujours alimenté en eau. On a vu aussi que la végétation, à proximité de cette assise, est limitée à quelques arbustes (cf. Photo n° 285). La véranda, gagnée sur le terrain à l'EST, a de plus éloigné encore les extractions végétales d'eau dans l'assise de ces fondations. On est donc en présence d'un sol qui est en eau en permanence quelque soit la saison'.
En page 38 de son rapport, en réponse à un dire du conseil de l'appelante relatif au financement des études géotechniques, il a ajouté que :
'Mon propos au Juge a été de dire que mon opinion est arrêtée avant ces essais puisque les matériaux d'assise baignent depuis des siècles dans l'eau. L'évocation du retrait gonflement nécessite obligatoirement des cycles d'assèchement puis d'humidification qu'on peut difficilement imaginer dans le cas présent. C'est seulement parce qu'une des parties le demandait que je me suis plié à cette demande d'essai qui aurait confirmé ce fait. J'ai bien mentionné au Juge : « je n'y souscris pas pour des raisons de configuration du site ».
Je regrette que si ces essais étaient si primordiaux pour votre cliente, celle-ci ne se soit pas substituée aux demandeurs pour en faire la provision'.
Aucun élément des débats ne permet par ailleurs d'imputer à des travaux réalisés par les époux [N] [T] et [P] [Y] l'apparition de fissures ou leur aggravation.
Les conclusions de l'expert, argumentées et que l'analyse faite par [O] [F] dans un rapport en date du 2 février 2017 établi sur la demande de l'appelante ne permet pas de réfuter, seront retenues.
Le mauvais état d'entretien des maçonneries est ainsi à l'origine des infiltrations aggravant leur dégradation.
SUR LA CHARGE DE L'ENTRETIEN
L'article 1240 du code civil dispose que : 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'.
Le propriétaire des canaux est tenue de veiller à leur entretien.
Les infiltrations à l'origine des désordres sur l'habitation des époux [N] [T] et [P] [Y] se produisent sur des éléments de maçonnerie des canaux, propriété de [M] [C] épouse [L]. Le défaut d'entretien lui est seul imputable.
Ce manquement engage sa responsabilité extracontractuelle à l'égard des époux [N] [T] et [P] [Y].
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu cette responsabilité et exclu celle de la sci Breiz et de ses associés.
SUR LES TRAVAUX
L'expert judiciaire a indiqué en pages 42 à 44 de son rapport que :
'La maison [T] présente des fissures sur les murs à cheval sur le canal d'évacuation.
[...]
Les fissures s'élèvent jusqu en haut des murs et sont visibles à l'étage de la maison.
[...]
On relève en second, sur les élévations en façade SUD, deux fissures qui encadrent les ouvertures à la verticale du canal. Ces fissures remontent jusqu'au dessous de toit. On les retrouve à l'intérieur de la construction, visibles à l'étage dans les chambres.
[...]
Les vides créés ainsi contribuent à affaiblir la portance des sols adjacents au murs du canal. Ces sols servent d'assise aux constructions qui s'élèvent au dessus du canal. Leur perte de portance est la cause des fissures dans les murs au droit des maçonneries du canal.
[...]
Ainsi, l'assise de la maison se détériore et les fissures de l'immeuble iront en s'élargissant. Les mouvements à terme ne permettront plus que la fenêtre du haut ne se man'uvre aisément, puis que d'autres fissures apparaissent sur le reste de la construction.
L'évolution de la situation actuelle accélère le phénomène par l'élargissement des veines de circulation d'eau, puis l'arrachement de plus en plus de pierres de maçonnerie, puis l'affaissement des fondations des ouvrages supérieurs'.
S'agissant des travaux nécessaires, l'expert a indiqué en pages 45 et 46 de son rapport notamment que :
'Pour remédier à cette situation, il conviendra d'étancher les ouvrages de génie civil amont, mur du bief côté gauche entre la digue et le moulin, côté droit entre le moulin et sur toute la partie endiguée existante. Les arbres, pris dans les maçonneries, devront être abattus et le racines neutralisées.
[...]
Après avoir stoppé les entrées d'eau amont, il conviendra d'étancher les murs du canal ouvrier pour restaurer la structure des pieds de mur. On pourra injecter une résine, au travers du mur, ou reconstruire un ouvrage béton, à l'intérieur du canal, comme il avait été réalisé dans la partie amont.
L'entreprise BENAITEAU a proposé un chiffrage de ces prestations.
Le devis est de 66 150 € HT, Soit 79 400 € TTC environ.
[...]
On devra aussi combler les vides, créés par la circulation d'eau, à l'arrière de ces ouvrages.[...] Cette mesure pourrait être mise en 'uvre par des moyens de géotechnique.
On injectera alors un coulis de confortement qui stabilisera les assises de la maison. On peut repartir de l''estimation FONDASOL pour l'étude. Ces deux tâches sont évalués à 5 825 € TTC (5 823,60) pour la recherche et à 19.526 € TTC pour un volume estimé de 13 m3 de vide à combler'.
Par arrêté du 29 juin 2017, le préfet de la Vendée a sur la demande de l'appelante abrogé le droit fondé en titre attaché au moulin. L'article 2 de cet arrêté dispose notamment que :
'La remise en état du site est effectuée par le propriétaire et sous sa surveillance.
[...]
Le déversoir (encore appelé chaussée ou seuil) et sa vanne de décharge sont entièrement démontés afin qu'il ne persiste ni obstacle à l'écoulement des eaux ni dénivelée d'eau résiduelle dans le lit mineur du Petit Lay.
L'autorisation de dérivation de l'eau vers le bief du moulin (ou canal ouvrier) est abrogée. Aussi il est procédé à la condamnation de cette dérivation de manière à ce que les eaux du Petit Lay ne puissent plus être prélevées. Les berges sont reconstituées dans leur profil initial.
Le mur d'ancrage du déversoir en rive gauche peut être maintenu en berge, avec l'accord du propriétaire riverain, s'il ne constitue pas un obstacle à l'écoulement des eaux'.
L'expert a envisagé en pages 45 et 46 de son rapport les conséquences de cet abandon du droit d'eau. Il a indiqué que :
'Madame [L] a demandé l'abandon de son droit d'eau à la préfecture de Vendée. Elle l'a obtenue (cf I'arrété N°17-DDTM85-428) avec les obligations qui en découlent, en particulier la remise en état du lit de la rivière. Cet abandon passe par la démolition de la digue du moulin, solution proposée par la partie défenderesse, Mme [L] pour résoudre le litige. Celle-ci est d'un coût moindre, 14 730 € TTC environ.
[...]
Cette solution abaissera le lit de la rivière au niveau du bief amont, soit environ 2,50 ml plus bas qu'actuellement. Avec cette solution, les venues d'eau dans le canal seront asséchées. Il conviendra de combler les vides à l'arrière des murs pour rétablir une assise stable des sols en place et les conforter dans une hygrométrie plus faible.
Le niveau de la nappe superficielle à l'amont sera donc abaissé d'autant. Les teneurs en eau des sols à l'amont vont donc baisser elles-aussi. On devra s'assurer des conséquences de l'abaissement du niveau d'eau de la rivière sur
les ouvrages riverains. On aura, pour ces constructions, une modification des
conditions d'équilibre des assises des maisons. En premier, il conviendra de conforter les fondations des constructions immédiatement à l'amont de la chaussée et en particulier de la SCI BREIZ et la maison sur la parcelle [Cadastre 28].
L'inventaire des conséquences sur les parcelles amont d'un tel rabattement permanent du niveau de l'eau du bief amont, ne relève pas de ma mission.
[...]
Cette solution n'exonérera pas de réaliser les travaux de confortement de la maison [T], chiffrés pour partie au chapitre 4 du devis BENAITEAU, canal ouvrier'.
Il a conclu sur ce point en page 49 de son rapport que :
'Une autre technique consistera pour assécher les venues d'eau, à détruire la chaussée et redonner à la rivière son ancien cours. Cette solution aura comme conséquence d'abaisser l'hygrométrie des sols des berges en baissant le niveau d'eau de 2,5 ml environ. Les assises des bâtiments seraient donc modifiées et des désordres sont à craindre sur ces ouvrages, en particulier pour la maison de la SCI BREIZ et sa voisine sur la parcelle [Cadastre 29].
Cette solution devra s'entourer d'une étude d'impacts conséquente pour établir la liste des installations amont qui bénéficient de cette retenue'.
Les travaux de démolition de la chaussée n'ont pas été entrepris. Différents arrêtés préfectoraux ont prorogé le délai accordé pour les exécuter en raison de la procédure judiciaire en cours.
Le coût des travaux de reprise de l'habitation des époux [N] [T] et [P] [Y] a été évalué par l'expert en page 46 de son rapport, par référence aux devis de travaux, à 4.141 € toutes taxes comprises ( enduits ; 3.862 € ; chambre : 704 €). Ce montant, justifié, sera retenu et le jugement confirmé de ce chef.
Pour le surplus, le tribunal a pertinemment distingué les travaux à charge de l'appelante, selon que la chaussée du moulin sera ou non démolie.
En l'absence de démolition de la chaussée du moulin, l'appelante est tenue de faire exécuter les travaux décrits aux devis des sociétés Benaiteau et Fondasol soumis à l'expert.
La 'proposition technique et financière' de la société Fondasol, n° DE.AN.17.06.127 indice A, a été transmise à l'expert par courrier en date du 3 juillet 2017.
Le devis de la société Benaiteau n° 16110012 a été actualisé au 19 janvier 2020. Il n'est pas contesté que les postes de travaux sont ceux inclus au devis transmis à l'expert, non versé aux débats.
En cas de démolition de la chaussée du moulin, les travaux à exécuter sont ceux décrits au poste '4 Canal ouvrier' du devis de la société Benaiteau. Par courrier en date du 30 janvier 2023 adressé à [N] [T], la société Benaiteau a indiqué que :
'Suite à notre entretien téléphonique du 16 Janvier 2023 concernant notre chiffrage réalisé en 2018 pour M. [I], nous vous confirmons par ce courrier que notre offre est à prendre dans sa globalité et que les travaux de maçonnerie sont indissociables du confortement interne par coulis gravitaire, notamment et en particulier au chapitre 4 de notre devis.
Ces travaux préparatoires vont permettre de contenir le coulis et de donner une cohésion a l'ensemble des maçonneries.
En effet, le coulinage au mortier de chaux des maçonneries de moellons ne peut être réalisé qu'après avoir restauré les murs et réalisé les contre-murs en béton.
Concernant notre devis quantitatif, le relevé ayant été réalisé en 2016, il se peut que la dégradation des maçonneries soit plus importante que lors de notre relevé, un constat de l'état des murs sera nécessaire pour réajuster les quantités du devis.
De plus, notre dernier devis datant de 2020, une réactualisation des prix sera à appliquer au moment de la réalisation des travaux.
D'autre part, vous nous avez informé d'une éventuelle démolition de la chaussée. Si tel est le cas, les travaux prévus aux chapitres 2 & 3 ne seraient plus à réaliser. Les postes 1.l et 5.2 concernant l'installation et le nettoyage du chantier seront conservés pour un montant TTC de 1745 € (prix devis 2018)'.
Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a condamné sous astreinte l'appelante à faire effectuer les travaux préconisés par l'expert judiciaire précédemment décrits ou, en cas de démolition de la digue du moulin, les travaux de comblement des vides de nature à établir une assise stable des sols en place.
SUR UN PRÉJUDICE MORAL
Le défaut d'entretien des ouvrages est à l'origine de la dégradation du bien des époux [N] [T] et [P] [Y]. Ceux-ci auront à subir les nuisances liées au travaux devant être effectués par l'appelante.
Ce trouble dans la jouissance paisible de leur bien sera réparé par l'attribution à titre de dommages et intérêts de la somme de 2.500 €. Le jugement sera réformé sur ce point.
SUR LES DÉPENS
Les dépens de première instance à charge de l'appelante incluent ceux des procédures de référé et notamment le coût de l'expertise ordonnée par décisions des 22 avril 2016 et 10 octobre 2016 du juge des référés du tribunal de grande instance de la Roche-sur-Yon. Il sera ajouté de ce chef au jugement.
La charge des dépens d'appel incombe à l'appelante. Ils seront recouvrés par la selarl Atlantic Juris conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR LES DEMANDES PRÉSENTÉES SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
Le premier juge a équitablement apprécié l'indemnité due sur ce fondement par l'appelante aux époux [N] [T] et [P] [Y].
Il serait par ailleurs inéquitable et préjudiciable aux droits des intimés de laisser à leur charge les sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens d'appel. Il sera pour ce motif fait droit aux demandes formées de ce chef pour les montants ci-après précisés.
PAR CES MOTIFS,
statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement du 12 juillet 2022 du tribunal judiciaire de La Roche-sur-Yon sauf en ce qu'il :
'Condamne Madame [L] à payer aux époux [T] la somme de de 1000 € en réparation du préjudice moral' ;
et statuant à nouveau de ce chef d'infirmation,
CONDAMNE [M] [C] épouse [L] à payer aux époux [N] [T] et [P] [Y] la somme de 2.500 € à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral ;
et y ajoutant,
DIT que les dépens de première instance à charge de [M] [C] épouse [L] incluent ceux des procédures de référé et notamment le coût de l'expertise ordonnée par décisions des 22 avril 2016 et 10 octobre 2016 du juge des référés du tribunal de grande instance de la Roche-sur-Yon ;
CONDAMNE [M] [C] épouse [L] aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la selarl Atlantic Juris conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
CONDAMNE [M] [C] épouse [L] à payer en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile les sommes de :
- 2.000 € aux époux [N] [T] et [P] [Y] pris ensemble ;
- 2.000 € à la sci Breiz, [B] [S], [Z] [K] et [D] [S] pris ensemble.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,