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21/05/2024 | FRANCE | N°22/02148

France | France, Cour d'appel de Poitiers, 1ère chambre, 21 mai 2024, 22/02148


ARRET N°205



N° RG 22/02148 - N° Portalis DBV5-V-B7G-GTYR















AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT



C/



[S]



































Loi n° 77-1468 du30/12/1977

Copie revêtue de la formule exécutoire



Le à



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Copie gratuite délivrée



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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS



1ère Chambre Civile



ARRÊT DU 21 MAI 2024





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/02148 - N° Portalis DBV5-V-B7G-GTYR



Décision déférée à la Cour : jugement du 21 juin 2022 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LA ROCHELLE.





APPE...

ARRET N°205

N° RG 22/02148 - N° Portalis DBV5-V-B7G-GTYR

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

C/

[S]

Loi n° 77-1468 du30/12/1977

Copie revêtue de la formule exécutoire

Le à

Le à

Le à

Copie gratuite délivrée

Le à

Le à

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 21 MAI 2024

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/02148 - N° Portalis DBV5-V-B7G-GTYR

Décision déférée à la Cour : jugement du 21 juin 2022 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LA ROCHELLE.

APPELANT :

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

[Adresse 4]

[Localité 5]

ayant pour avocat Me Virginie ANDURAND de la SELARL SCHMITT ROUX-NOEL ANDURAND-GLAUDET, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT

INTIMEE :

Madame [F] [S]

née le [Date naissance 2] 1984 à [Localité 6]

[Adresse 1]

[Localité 3]

ayant pour avocat Me Florence DENIZEAU de la SCP DENIZEAU GABORIT TAKHEDMIT & ASSOCIES, avocat au barreau de POITIERS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 04 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Madame Anne VERRIER, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,

ARRÊT :

- Contradictoire

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ :

[F] [S] a été blessée le 18 août 2017 dans un accident de la circulation sur le territoire de la commune de [Localité 10], en Charente-Maritime, lorsque la voiture qu'elle conduisait sur la route départementale 111 a été percutée alors qu'elle tournait sur sa gauche par une automobile de la gendarmerie de [Localité 11] qui dépassait une file de véhicules dont elle faisait partie.

Il lui a été diagnostiqué au centre hospitalier de [Localité 9] où elle avait été transportée une fracture de la clavicule gauche, des excoriations aux membres supérieurs, des céphalées et des vertiges.

Citée à comparaître devant le tribunal correctionnel pour avoir involontairement causé des blessures par le fait d'avoir tourné à gauche sans s'être assurée qu'un véhicule prioritaire en action de gyrophare et d'avertisseur deux tons circulait sur la voie de gauche dans le même sens de circulation, madame [S] a été relaxée des fins de la poursuite par jugement du 23 avril 2018.

Elle a obtenu en référé selon ordonnance du 17 septembre 2019 l'institution d'une expertise médicale de sa personne au contradictoire de l'agent judiciaire de l'État.

Au vu du rapport définitif déposé en date du 17 juillet 2020 par le docteur [Y], elle a fait assigner l'agent judiciaire de l'État devant le tribunal judiciaire de La Rochelle par acte du 14 janvier 2022 pour obtenir en présence de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde réparation de ses préjudices sur le fondement de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1957 et de la loi du 5 juillet 1985.

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de [Localité 8] est volontairement intervenue à l'instance en indiquant avoir engagé des frais et débours du fait de l'accident en tant qu'organisme social auquel la victime été affiliée au jour de l'accident.

L'agent judiciaire de l'État et la CPAM de la Gironde n'ont pas comparu.

Par jugement réputé contradictoire du 21 juin 2022, le tribunal judiciaire de La Rochelle a :

* déclaré recevable l'intervention volontaire de la CPAM de [Localité 8]

* mis hors de cause la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde

* fixé le préjudice corporel de Mme [S] à la somme de 30.468,36 euros, soit

¿ Préjudices patrimoniaux :

° temporaires :

.dépenses de santé

-exposées par la CPAM de [Localité 8] : 1.507,30 euros

-exposées par Mme [S] : 817,80 euros

.assistance temporaire tierce personne : 1.380 euros

.perte de gains professionnels actuels : créance CPAM (IJ) : 2.418 euros

° permanents :

.incidence professionnelle : 10.000 euros

.¿ Préjudices extra patrimoniaux :

° temporaires :

.déficit fonctionnel temporaire (DFT) : 1.035 euros

.souffrances endurées : 4.000 euros

.préjudice esthétique temporaire : 2.000 euros

° permanents :

.déficit fonctionnel permanent (DFP) : 5.310 euros

.préjudice esthétique permanent : 2.000 euros

* condamné l'agent judiciaire de l'État à verser à la CPAM de [Localité 8] 3.925,56 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2022

* condamné en conséquence l'agent judiciaire de l'État à verser à Mme [S] 26.542,80 euros avec intérêts légaux à compter du jugement

* ordonné la capitalisation des intérêts

* condamné l'agent judiciaire de l'État à verser à la CPAM de [Localité 8] 1.114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion

* condamné l'agent judiciaire de l'État à verser en application de l'article 700 du code de procédure civile

-4.000 euros à Mme [S]

-800 euros à la CPAM de [Localité 8]

* condamné l'agent judiciaire de l'État aux dépens, incluant les frais d'expertise judiciaire

* déclaré le jugement commun à la CPAM de la Gironde

* rappelé que l'exécution provisoire était de droit.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu, en substance,

-que l'État était tenu de réparer le préjudice causé par un véhicule administratif

-que le véhicule de la gendarmerie était impliqué dans l'accident

-que la relaxe de Mme [S] impliquait qu'elle n'avait pas commis de faute

-que les conclusions de l'expert judiciaire permettaient de liquider les préjudices.

L'agent judiciaire de l'État a relevé appel le26 août 2022 en intimant Mme [S].

Il a inscrit une seconde déclaration d'appel le 15 septembre 2022, toujours en n'intimant que Mme [S].

Les deux instances ont été jointes le 20 septembre 2022.

Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique :

* le 7 février 2023 par l'agent judiciaire de l'État

* le 30 novembre 2022 par madame [F] [S].

L'agent judiciaire de l'État demande à la cour de réformer le jugement en ce qu'il a jugé que le droit à réparation de Mme [S] était intégral au motif que la relaxe établissait nécessairement l'absence de faute civile et en ce qu'il l'a condamné en conséquence à lui verser 26.542,80 euros, et statuant à nouveau, de

-dire et juger que la victime a commis une faute de conduite ayant concouru à la réalisation du dommage et de nature à réduire son droit à réparation de 75%

Sur la liquidation des préjudices de Mme [S] :

-de confirmer le jugement en ses chefs de décision afférents

.à la perte de gains professionnels actuels revenant à la CPAM

.aux souffrances endurées chiffrées à 4.000 euros

.au préjudice esthétique temporaire chiffré à 200 euros

.au déficit fonctionnel permanent chiffré à 5.310 euros

-de le réformer pour fixer

.l'incidence professionnelle à 5.000 euros

.le déficit fonctionnel temporaire à 862,50 euros

.le préjudice esthétique permanent à 1.000 euros

-de dire que le préjudice s'établit ainsi à 18.432,30 euros

-de juger que Mme [S] doit être indemnisée par le versement de la somme totale de 4.608,07 euros après réduction de 75% de son droit à réparation

-de statuer ce que de droit sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

L'agent judiciaire de l'État expose que le tribunal correctionnel qui a relaxé madame [S] des fins de la poursuite pour blessures involontaires et devant lequel l'un des gendarmes blessés dans l'accident, madame [P] [R], s'était constituée partie civile, a déclaré recevable cette constitution de partie civile, a jugé madame [S] solidairement tenue avec son assureur de réparer les préjudices de la blessée et les a condamnés à payer à celle-ci une victime à valoir sur son indemnisation.

Il récuse le moyen tiré par les premiers juges de l'autorité sur le civil de la relaxe de Mme [S], en invoquant l'article 4-1 du code de procédure pénale en sa rédaction issue de la loi n°2000-647 du 10 juillet 2000, et l'arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 30 janvier 2001 énonçant que la déclaration par le juge répressif de l'absence de faute pénale non intentionnelle ne fait pas obstacle à ce que le juge civil retienne une faute civile d'imprudence ou de négligence

Il rappelle qu'en vertu de l'article 4 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985, la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il subit, et qu'en vertu de l'article R.432-1 du code de la route, les véhicules d'intérêt général prioritaires peuvent déroger aux dispositions dudit code lorsqu'ils font usage de leurs avertisseurs spéciaux dans les cas justifiés par l'urgence de leur mission et sous réserve de ne pas mettre en danger les autres usagers de la route, et qu'en vertu de l'article R.415-12 du code de la route les autres usagers sont tenus de céder le passage aux véhicules d'intérêt générale prioritaires annonçant leur approche par l'emploi des avertisseurs spéciaux prévus pour leur catégorie.

Il fait valoir qu'en cours d'intervention pour une affaire de violence familiale avec arme, les deux gendarmes circulant en direction de [Localité 7] à bord de leur véhicule de service avaient actionné les avertisseurs spéciaux et entrepris de dépasser par la voie de gauche les trois véhicules les précédant, mais que tandis que les deux plus proches d'eux se déportaient sur leur droite afin de leur céder le passage, celui conduit de tête conduit par madame [S] a actionné son clignotant gauche et entrepris de tourner sur sa gauche en leur refusant la priorité et en coupant leur trajectoire, entraînant la collision entre les deux voitures, l'accident et les blessures des occupants. Il affirme que madame [S] a commis une faute caractérisée en entamant ou en poursuivant sa manoeuvre alors qu'elle devait laisser la priorité au véhicule signalé par ses avertisseurs, et qu'elle a en tout état de cause commis une faute en méconnaissant l'obligation édictée par l'article R.415-2 du code de la route de vérifier que la chaussée qu'elle allait croiser était libre.

Il ajoute que la faute du conducteur victime s'appréciant au seul vu de son propre comportement, en faisant abstraction du comportement de l'autre conducteur impliqué, il est inopérant, pour Mme [S], de soutenir que le véhicule des gendarmes roulait à une vitesse supérieure à la vitesse maximale autorisée, ce qui était autorisé par le texte prévoyant qu'il pouvait déroger au code de la route.

Il soutient que la faute de madame [S] réduit de 75% son droit à réparation.

Il chiffre ainsi avant application de ce taux le préjudice de la victime :

¿ Préjudices patrimoniaux :

° temporaires :

.dépenses de santé (confirmation)

-exposées par la CPAM de [Localité 8] : 1.507,30 euros

-exposées par Mme [S] : 817,80 euros

.assistance temporaire tierce personne : 1.242 euros (infirmation)

.perte de gains professionnels actuels (créance CPAM): 2.418euros (confirmation)

° permanents :

.incidence professionnelle : 5.000 euros (infirmation)

.¿ Préjudices extra patrimoniaux :

° temporaires :

.déficit fonctionnel temporaire (DFT) : 862,50 euros (infirmation)

.souffrances endurées : 4.000 euros (confirmation)

.préjudice esthétique temporaire : 200 euros (selon lui confirmation)

° permanents :

.déficit fonctionnel permanent (DFP) : 5.310 euros (confirmation)

.préjudice esthétique permanent : 1.000 euros (infirmation)

soit 4.608,07 euros devant revenir à madame [S] après application du taux de réduction.

Madame [F] [S] demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner l'agent judiciaire de l'État aux dépens d'appel et à lui verser 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle indique avoir saisi le tribunal judiciaire en vertu de l'article 1er de la loi n°57-1424 du 31 décembre 1957.

Elle rappelle avoir été relaxée des poursuites de blessures involontaire par violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité consistant, pour une conductrice, à avoir tourné à gauche sans s'assurer au préalable qu'un véhicule prioritaire, type gendarmerie, en action de gyrophare et deux tons, circulait sur la voie de gauche dans le même sens de circulation.

Elle fait valoir que si l'éventuelle faute de conduite de la victime ne doit certes pas être appréciée à l'aune du comportement de l'autre conducteur impliqué dans l'accident, et que l'article R.432-1 du code de la route prévoit certes un régime dérogatoire pour les véhicules d'intérêt général prioritaires lorsqu'ils font usage de leur avertisseurs dans les cas justifiés par l'urgence, il n'en reste pas moins que les conducteurs de ces véhicules ne peuvent pas mettre en danger les autres usagers de la route.

Elle conteste toute faute en soutenant qu'il résulte des témoignages de ses propres passagers, des autres conducteurs entendus et de la gendarme qui était passagère du véhicule venu la heurter, ainsi que de la localisation de l'impact au niveau de sa portière avant gauche et non de l'avant de son véhicule, qu'elle avait déjà entrepris de changer de direction lorsque le véhicule de gendarmerie a surgi ; qu'au vu de la très grande vitesse à laquelle il roulait, toute nouvelle vérification de sa part après celle qu'elle avait faite avant d'entamer sa manoeuvre ne permettait pas de l'apercevoir ; et qu'il lui était impossible d'arrêter sa manoeuvre en cours compte-tenu des autres véhicules.

Elle estime subsidiairement très excessif le taux de 75% de réduction proposé.

Elle affirme que l'évaluation de ses préjudices est pertinente.

L'ordonnance de clôture est en date du 8 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

La compétence des juridictions judiciaires pour connaître du litige en vertu de l'article 1er de la loi n°57-1424 du 31 décembre 1957 est certaine, et n'est pas discutée.

* sur le droit à réparation de [F] [S]

Aux termes de l'article 4 de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985, la faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages qu'il subit.

L'agent judiciaire de l'État soutient que Mme [S] a commis une faute de conduite justifiant de réduire de 75% son droit à réparation.

Le jugement déféré a retenu que la relaxe définitivement prononcée par le tribunal correctionnel saisi de poursuites contre la conductrice impliquait que celle-ci n'avait pas commis la faute de conduite que l'agent judiciaire de l'État prétend lui opposer.

Mme [S] rappelle en citant intégralement les chefs de prévention la relaxe dont elle a fait l'objet ; elle n'articule pas explicitement de moyen fondé sur la chose jugée au pénal ; elle sollicite la confirmation pure et simple du jugement entrepris.

Selon l'article 4-1 du code de procédure pénale, l'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action devant les juridictions civiles afin d'obtenir réparation d'un dommage sur le fondement de l'article 1241 du code civil si l'existence de la faute civile prévue par cet article est établie.

Cette disposition n'a pas aboli le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, selon lequel les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont, au civil, autorité absolue, à l'égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels elle est imputée (cf Cass. 2° Civ. 02.07.2021 P n°20-11133- 2° civ. 23.01.2020 P n°18-19080 - Com. 08.06.2017 P n°17-18142).

Il est constant aux débats, et en tant que de besoin établi par les productions, notamment procès-verbaux de constat des enquêteurs, audition de témoin et certificat médical, que [F] [S] a été blessée le vendredi 18 août 2017 vers 17h25 dans la collision entre le véhicule Renault Mégane qu'elle conduisait avec quatre passagers à bord et un véhicule de gendarmerie en action d'intervention d'urgence roulant avec son avertisseur deux tons en fonctionnement sur la RD 111 en direction de [Localité 7] qui dépassait plusieurs voitures en circulant sur la voie opposée et qui a heurté sa voiture au niveau de la portière avant gauche alors qu'elle était en train de tourner sur sa gauche à une intersection en ayant actionné préalablement son clignotant.

[F] [S] a été poursuivie devant le tribunal correctionnel de La Rochelle sous la prévention d'avoir involontairement causé des blessures à ses propres passagers et aux gendarmes conducteur et passager du véhicule entré en collision avec le sien, par violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité commise en ayant, à l'intersection menant au lieu-dit 'Court-Buisson', conductrice du véhicule Renault Mégane immatriculé AA 312 QD, tourné à gauche sans s'assurer au préalable qu'un véhicule prioritaire, de type gendarmerie, en action de gyrophare et deux tons, circulait sur la voie de gauche dans le même sens de circulation, cette action ayant provoqué une collision latérale entraînant des dégâts physiques et matériels importants.

Elle a été relaxée des fins de ces poursuites par un jugement du tribunal correctionnel de La Rochelle du 23 avril 2018 dont le caractère définitif n'est pas discuté.

Il ressort de cette décision qu'une faute caractérisée de conduite de Mme [S] n'est pas établie,

-qu'il s'agisse de celle, seule articulée céans par l'agent judiciaire de l'État, d'avoir changé de direction en tournant sur sa gauche sans s'être assurée qu'elle pouvait le faire compte-tenu du véhicule de gendarmerie arrivant en action prioritaire sur la voie de gauche de son sens de circulation en ayant actionné ses avertisseurs lumineux et sonores, ce qui correspond exactement à l'infraction qui lui était reprochée,

-ou d'une autre imprudence de conduite, le juge correctionnel, qui n'est pas lié par la qualification donnée à la prévention, ayant nécessairement vérifié que les faits dont il était saisi n'étaient constitutifs d'aucune infraction (cf Cass. 2° Civ. 02.07.2021 P n°20-11133).

Il est sans incidence sur l'appréciation du droit à réparation de madame [F] [S] que sur renvoi sur intérêts civils prononcé par le tribunal correctionnel qui l'a relaxée , le tribunal judiciaire l'ait jugée tenue avec son assureur de réparer le préjudice subi du fait de l'accident par [B] [R], passager du véhicule de gendarmerie entré en collision avec le sien, cette obligation, fondée sur les articles 1 et 3 de la loi du 5 juillet 1985 et résultant de l'implication de son véhicule dans l'accident, n'impliquant pas qu'elle ait été jugée l'auteur d'une faute de conduite.

Une faute de conduite de Mme [S], une imprudence dans sa manoeuvre, un défaut de vérification que la voie était libre, ou plus généralement une faute quelconque en lien de causalité avec l'accident, ne sont en tout état de cause pas établis par l'agent judiciaire de l'État, compte-tenu des éléments de la cause, au vu de la localisation du point d'impact au niveau de la portière avant gauche de la Renault Mégane, de la vitesse d'environ 110 km/h à laquelle roulait le véhicule de gendarmerie, du constat par les enquêteurs que la conductrice avait actionné son clignotant gauche, et de l'indication par la passagère avant du véhicule de la gendarmerie [B] [R] selon laquelle lorsque son collègue qui conduisait le véhicule lui demanda de mettre le deux tons pour dépasser les trois voitures devant eux, son attention était 'fixée sur cette file de voitures et surtout le véhicule du bout de cette file qui avait le clignotant gauche d'actionné et qui a commencé sa manoeuvre pour tourner à gauche', ce qui implique que Mme [S] avait entamé ou commençait d'entamer sa manoeuvre au moment où le véhicule de gendarmerie a entrepris de doubler la file en se plaçant sur la voie de gauche et en actionnant son avertisseur sonore deux tons, que la conductrice n'en était plus aux vérifications préalables à la manoeuvre afin de s'assurer que la voie était libre mais en train de tourner, et qu'elle ne pouvait plus interrompre cette manoeuvre en cours.

Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il a jugé l'État, représenté par son agent judiciaire, tenu de réparer intégralement le préjudice subi par madame [F] [S] consécutivement à l'accident de la circulation dont elle a été victime le 18 août 2017.

* sur l'indemnisation des préjudices de madame [S]

Les préjudices de [F] [S], née le [Date naissance 2] 1984, exerçant l'activité de libraire salariée, seront évalués comme suit, dans la limite de l'appel, au regard des conclusions du rapport d'expertise judiciaire, argumentées, convaincantes et non contredites, qui a fixé sa consolidation médico-légale au 2 mai 2018, ainsi que des productions et des explications des parties.

1. PRÉJUDICES PATRIMONIAUX

1.1. PRÉJUDICES PATRIMONIAUX TEMPORAIRES (avant consolidation) .

1.1.1. : dépenses de santé actuelles

Il n'existe pas de discussion pour ce poste, que le tribunal a chiffré à 2.325,10 euros soit :

-1.507,30 euros de dépenses exposées par la CPAM de [Localité 8]

-817,80 euros restés à la charge de Mme [S].

1.1.2. : frais d'assistance temporaire par une tierce personne

L'expert judiciaire retient un besoin en aide humaine avant la consolidation de :

.1 heure par jour d'aide humaine du 20.08 au 04.10.2017

.30 mn par jour d'aide ménagère du 20.08 au 04.10.2017.

Le tribunal a indemnisé ce poste sur la base d'un taux horaire de 20 euros, auquel l'appelant demande à la cour de substituer celui de 18 euros et que l'intimée demande de confirmer.

L'évaluation faite par le tribunal est pertinente et adaptée, et ce chef de décision sera confirmé.

1.1.3. : perte de gains professionnels actuels

Il n'existe pas de discussion pour ce poste, qui correspond aux indemnités journalières servies à madame [S] par la CPAM de [Localité 8], pour un total de 2.418 euros.

1.2. PRÉJUDICES PATRIMONIAUX PERMANENTS

1.2.1. : incidence professionnelle

L'expert judiciaire retient comme séquelle de l'accident une pénibilité légèrement accrue dans l'exercice de son activité de libraire notamment dans la manipulation de charges lourdes, pour la gestion des stocks de livres au sein de la librairie Gallimard de [Localité 8].

Le tribunal a indemnisé ce poste par l'allocation d'une somme de 10.000 euros.

L'agent judiciaire de l'État demande à la cour de le chiffrer à 5.000 euros.

Madame [S] sollicite la confirmation du jugement.

L'évaluation faite par le tribunal est pertinente et adaptée, et ce chef de décision sera confirmé.

2. PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX

2.1. PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX TEMPORAIRES

2.1.1. Déficit fonctionnel temporaire (DFT)

Ce poste indemnise la gêne temporaire subie par la victime jusqu'à sa consolidation, ainsi que la privation temporaire de la qualité de vie.

Les périodes retenues par l'expert judiciaire sont acceptés par les deux parties, soit un déficit total du 18 au 19.08.2017, à 25% du 20.08 au 04.10.2017 et à 10% du 05.10.2017 au 02.05.2018.

Le tribunal a indemnisé ce poste par l'allocation d'une somme de 1.035 euros sur la base de 30 euros par jour.

L'agent judiciaire de l'État demande à la cour de le chiffrer à 862,50 euros sur la base de 25 euros par jour.

Madame [S] sollicite la confirmation du jugement.

L'évaluation faite par le tribunal est pertinente et adaptée, et ce chef de décision sera confirmé.

2.1.2. Souffrances endurées

Il n'existe pas de discussion sur ce poste évalué par l'expert judiciaire à 2,5/7 et indemnisé par l'allocation d'une somme de 4.000 euros.

2.1.3. Préjudice esthétique temporaire

L'expert judiciaire évalue ce poste sans contestation à 2/7 du 18.08 au 04.10.2017 et à 1/7 du 05.10.2017 au 02.05.2017.

Le tribunal l'a indemnisé en allouant à la victime 2.000 euros.

L'agent judiciaire de l'État demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a alloué à ce titre 200 euros, ce qui procède d'une erreur manifeste, la somme de 2.000 euros étant bien celle mentionnée dans les motifs et retenue pour chiffrer à 26.542,80 euros l'indemnité totale allouée à la victime.

À considérer que l'agent judiciaire de l'État fasse donc en réalité appel de ce chef de décision pour demander à la cour d'évaluer ce poste à 200 euros, cet appel est mal fondé, le port d'une orthèse et pendant des mois d'anneaux claviculaires justifiant l'allocation de la somme de 2.000 euros décidée par le premier juge.

2.2. PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX PERMANENTS

2.2.1. Déficit fonctionnel permanent (DFP)

Il n'existe pas de discussion sur ce poste, indemnisé par l'allocation d'une somme de 5.310 euros.

2.2.2. Préjudice esthétique permanent

L'expert judiciaire retient 1/7 au titre d'un cal osseux visible à distance et de deux éléments cicatriciels au niveau du membre supérieur droit quasi invisibles.

Le tribunal a fixé ce poste à 2.000 euros.

L'agent judiciaire de l'État sollicite l'infirmation de ce chef de décision et demande à la cour de fixer l'indemnisation de ce poste de préjudice à 1.000 euros.

Mme [S] conclut à la confirmation du jugement de ce chef.

Ce préjudice a été pertinemment évalué par le tribunal dont la décision sera ainsi de ce chef confirmée.

L'évaluation faite du préjudice en première instance est ainsi validée, et le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné l'agent judiciaire de l'État à verser à Mme [S] 26.542,80 euros avec intérêts légaux à compter du jugement.

La capitalisation des intérêts qu'il a ordonnée n'est pas querellée, et son bénéfice est au demeurant de droit lorsqu'il est sollicité en justice.

* sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Les chefs de décision du jugement afférents aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile sont pertinents et seront confirmés.

L'agent judiciaire de l'État succombe en son recours et supportera donc les dépens d'appel.

L'État, représenté par son agent judiciaire, versera 4.000 euros à madame [S] en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

dans la limite de l'appel :

CONFIRME le jugement entrepris

y ajoutant :

REJETTE toutes demandes autres ou contraires

CONDAMNE l'État, représenté par son agent judiciaire, aux dépens d'appel

CONDAMNE l'État, représenté par son agent judiciaire, à payer 4.000 euros à [F] [S] au titre de l'application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22/02148
Date de la décision : 21/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 27/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-21;22.02148 ?
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