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02/05/2024 | FRANCE | N°22/01118

France | France, Cour d'appel de Poitiers, Chambre sociale, 02 mai 2024, 22/01118


MHD/PR































ARRET N° 211



N° RG 22/01118



N° Portalis DBV5-V-B7G-GRBK













[K]



C/



S.A.R.L. SOPHIA GESTION























RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre sociale



ARRÊT DU 02 MAI 2024





Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 mars 2022 rendu par le conseil de Prud'hommes de LA ROCHELLE





APPELANT :



Monsieur [M] [K]

né le 03 août 1967 à [Localité 5] (59)

[Adresse 1]

[Localité 3]



Ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LX POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS



Ayant pour avocat plaidant ...

MHD/PR

ARRET N° 211

N° RG 22/01118

N° Portalis DBV5-V-B7G-GRBK

[K]

C/

S.A.R.L. SOPHIA GESTION

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre sociale

ARRÊT DU 02 MAI 2024

Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 mars 2022 rendu par le conseil de Prud'hommes de LA ROCHELLE

APPELANT :

Monsieur [M] [K]

né le 03 août 1967 à [Localité 5] (59)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LX POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Agathe LEMAIRE, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

S.A.R.L. SOPHIA GESTION

N° SIRET : 847 631 603

[Adresse 4]

[Localité 2]

Ayant pour avocat Me Xavier GUIDER, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 907 et 805 du code de procédure civile, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés, l'affaire a été débattue le 24 janvier 2024, en audience publique, devant :

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente qui a présenté son rapport

Monsieur Nicolas DUCHATEL, Conseiller

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Ghislaine BALZANO, Conseillère

Monsieur Nicolas DUCHATEL, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIÈRE

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile que l'arrêt serait rendu le 28 mars 2024. A cette date, le délibéré a été prorogé au 02 mai 2024.

- Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente, et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel en date du 12 juin 2017, soumis à la convention collective de la presse hebdomadaire régionale, Monsieur [M] [K] a été engagé par la société Editions du Phare en qualité d'aide-comptable.

Le 3 août 2018, sa durée hebdomadaire de travail a été portée à 37 heures 30.

Le 1er janvier 2019, son contrat de travail a été transféré à la SARL Sophia Gestion.

Par courrier remis en main propre le 20 octobre 2020, dont l'objet était : 'notification d'une faute lourde avec mise à pied immédiate' l'employeur lui a notifié une mise à pied disciplinaire à effet immédiat en raison de son 'refus de porter le masque lors de ses déplacements au sein de l'entreprise qui outre le fait de témoigner de son insubordination, est susceptible d'exposer sa santé et celle de ses collègues'.

Le 23 octobre 2020, Monsieur [K] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 4 novembre 2020.

Le 12 novembre 2020, Monsieur [K] a été licencié pour faute caractérisée :

- par des agissements incompatibles avec l'attitude attendue de la part d'un salarié de la société, et plus globalement du comportement de tout collaborateur amené à évoluer au sein d'un environnement professionnel,

- par son refus de porter le masque en dépit des demandes réitérées de son employeur de le mettre.

Par requête du 29 avril 2021, il a saisi le conseil de prud'hommes de La Rochelle aux fins notamment de voir déclarer son licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et obtenir les indemnités subséquentes.

Par jugement du 31 mars 2022, le conseil de prud'hommes de La Rochelle a :

- 'débouté Monsieur [K] de ses demandes afférentes car son licenciement est jugé nul et sans cause réelle et sérieuse :

° des dommages et intérêts pour licenciement nul,

° des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

° des dommages et intérêts pour préjudice moral,

- dit n'y avoir lieu à lui allouer l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Monsieur [K] aux dépens de l'instance,

- débouté la SARL Sophia Gestion de toutes ses demandes.' (sic)

Par déclaration d'appel du 2 mai 2022, Monsieur [K] a interjeté appel de tous les chefs de cette décision.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions du 8 juillet 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, Monsieur [K] demande à la cour de :

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,

- fixer sa rémunération moyenne à hauteur de 2 929,29 euros bruts,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué,

- juger que le licenciement prononcé par la société Sophia Gestion à son encontre est nul et subsidiairement dénué de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Sophia Gestion à lui verser les sommes de :

° 17 575,74 € à titre de dommages intérêts pour licenciement nul et à titre subsidiaire 11 717,60 € à titre de dommages intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

° 11 717,60 € à titre de dommages intérêts pour préjudice moral,

° 3 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Sophia Gestion à établir des documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 50 € par jour et par document,

- condamner la société Sophia Gestion aux entiers dépens.

Par conclusions du 6 octobre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la SARL Sophia Gestion demande à la cour de :

- juger Monsieur [K] mal fondé en son appel,

- la juger recevable en son appel incident et y faire droit,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Monsieur [K] à lui verser 1.500 € au titre des frais irrépétibles de première instance et 1.500 € au titre des frais irrépétibles d'appel,

- confirmer le jugement pour le surplus,

- condamner Monsieur [K] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

SUR QUOI,

I - Sur la mise à pied :

La mise à pied conservatoire est une mesure facultative qui a pour effet d'écarter le salarié de l'entreprise jusqu'à la notification de la sanction définitive retenue.

L'employeur qui notifie une mise à pied conservatoire doit immédiatement engager la procédure disciplinaire qui aboutira à la sanction, en convoquant le salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement (Cass. soc., 19 sept. 2007, no 06-40.155) afin d'éviter que la mise à pied soit qualifiée de sanction disciplinaire et que le licenciement du salarié soit dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il est acquis que deux lettres peuvent être adressées au salarié : l'une lui notifiant sa mise à pied conservatoire et l'autre le convoquant à l'entretien préalable si la sanction consiste en un licenciement.

Un délai de trois jours entre les deux a été jugé admissible (Cass. soc., 26 mai 2010, n° 08-45.286) pour qu'une qualification de mise à pied conservatoire soit retenue.

Si la mise à pied conservatoire est requalifiée en mise à pied disciplinaire, l'employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire par la notification de la première sanction et la sanction définitivement prononcée constitue une double sanction.

Or, un salarié ne peut être sanctionné deux fois pour les mêmes faits, en application du principe 'non bis in idem' (Cass. soc., 3 févr. 2004, n° 01-45.989 ; Cass. soc., 14 nov. 2013, n° 12-21.495).

De ce fait, les deux sanctions sont illicites et doivent être annulées par le juge (Cass. soc., 22 mai 2019, n° 17-27.985 ; Cass. soc., 31 mars 2021, n° 19-25.538).

Si une des deux sanctions est un licenciement, celui-ci sera jugé sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 12 mars 1981, n° 79-41.110).

***

En l'espèce, Monsieur [K] soutient en substance :

- que par courrier remis en main propre le 20 octobre 2020, la société Sophia Gestion lui a notifié une mise à pied disciplinaire à effet immédiat, lui reprochant un refus de porter le masque lors de ses déplacements au sein de l'entreprise,

- que cette mise à pied n'a pas été précédée d'un entretien préalable et que la notification de cette sanction n'en prévoit pas la durée,

- qu'ensuite, il a été licencié pour faute,

- qu'ainsi, il a fait l'objet pour les mêmes faits de deux procédures disciplinaires distinctes et successives : la première procédure ayant donné lieu à la mise à pied notifiée le 20 octobre 2020 et la seconde procédure engagée le 23 octobre 2020 par la convocation à entretien préalable du 4 novembre 2020 ayant donné lieu au licenciement notifié le 12 novembre 2020,

- que ce licenciement constitue une double sanction, les faits étant identiques à ceux ayant conduit à sa mise à pied du 20 octobre 2020,

- que de ce seul fait, le licenciement prononcé à son encontre n'est pas fondé.

En réponse, la société objecte pour l'essentiel :

- que le 20 octobre 2020, dès qu'elle a eu connaissance des agissements fautifs de son salarié, elle a immédiatement notifié à Monsieur [K] une mise à pied,

- que de façon concomitante, elle lui a notifié sa convocation à un entretien préalable,

- que cette période de mise à pied a été intégralement rémunérée,

- que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a jugé que cette mise à pied revêtait un caractère conservatoire.

***

Cela étant :

* la mise à pied notifiée par remise en main propre à Monsieur [K] le 20 octobre 2020 est ainsi rédigée :

' objet : notification d'une faute lourde avec mise à pied immédiate.

Monsieur,

Suite à nos différents échanges depuis l'obligation réglementaire de porter le masque en entreprise au 1er septembre 2020, vous refusez de le porter lors de vos déplacements au sein de l'entreprise.

Outre l'insubordination dont vous faites preuve, ce refus est susceptible d'exposer votre santé et celle de vos collègues. Ceci constitue une faute lourde.

Je n'ai donc d'autre choix que de réagir pour faire cesser le risque lié à un tel comportement.

Ainsi vous êtes mis à pied avec effet immédiat...'.

* la convocation à l'entretien préalable adressé par lettre recommandée avec accusé de réception au salarié le 23 octobre 2020 est ainsi rédigée :

'objet : convocation entretien préalable et confirmation de mise à pied conservatoire

Monsieur,

Nous vous informons que nous envisageons à votre égard la prise d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à votre licenciement pour faute grave.' Cet entretien aura lieu le 4 novembre 2020 à 10 heures au sein de nos locaux'

Dans l'attente de cet entretien et de la décision définitive que nous serons amenés à prendre, nous vous confirmons par la présente la mise à pied à titre conservatoire qui vous a été notifié le 20 octobre dernier''.

Il en résulte - contrairement à ce que soutient le salarié - que la mise à pied qui lui a été notifiée le 20 octobre 2020 ne constitue pas une mise à pied disciplinaire mais une mise à pied à titre conservatoire compte tenu de l'ensemble des éléments l'entourant.

En effet, le délai séparant son prononcé de la convocation du salarié à l'entretien préalable est très court, à savoir deux jours, puisque la mise à pied a été remise le mardi 20 octobre 2020 à Monsieur [K] et que la convocation à l'entretien préalable à un éventuel licenciement est intervenue le vendredi 23 octobre suivant.

Le fait que cette mise à pied n'ait pas été précédée d'un entretien préalable et ne soit pas assortie d'une durée confirme son caractère conservatoire qui a été expressément rappelé dans la convocation à l'entretien préalable et la lettre de licenciement.

Contrairement à ce que soutient le salarié, le seul fait que la mise à pied litigieuse vise la faute lourde du salarié alors que celui-ci n'a été licencié que pour faute simple n'établit pas la contradiction de l'employeur et le caractère disciplinaire de la mise à pied du 20 octobre 2020.

Cela - au contraire - ne fait que démontrer que l'entretien préalable a permis à l'employeur de revoir la qualification de la faute qu'il reprochait au salarié et de la minorer.

En conséquence, au vu de l'ensemble de ces éléments, contrairement à ce que soutient l'appelant, l'employeur n'a pas épuisé son pouvoir disciplinaire en prononçant sa mise à pied du 20 octobre 2020.

Monsieur [K] doit donc être débouté de l'intégralité de ses demandes présentées de ce chef et le jugement attaqué doit être confirmé à ce titre.

II - Sur le licenciement :

Il résulte des dispositions de l'article L 1232-1 du code du travail que la cause du licenciement invoquée doit être réelle ce qui implique à la fois :

- que le motif existe, qu'il soit exact et qu'il présente un caractère d'objectivité, excluant les préjugés et les convenances personnelles ;

- que le motif soit également sérieux et présente une gravité suffisante.

Aux termes des dispositions de l'article L1232-6 du code du travail, l'employeur est tenu d'énoncer le ou les motifs du licenciement dans la lettre de licenciement.

Cette énonciation du ou des motifs du licenciement doit être suffisamment précise pour que la réalité puisse en être vérifiée.

Le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, doit être apprécié au vu des éléments fournis par les parties, étant précisé que si un doute subsiste, il profite au salarié conformément aux dispositions de l'article L1235-1 du code du travail.

***

En l'espèce, la lettre de licenciement notifiée à Monsieur [K] le 23 octobre 2020 vise deux griefs :

- l'un relatif à des agissements incompatibles avec l'attitude attendue de la part d'un salarié de la société, et plus globalement du comportement de tout collaborateur évoluant au sein d'un environnement professionnel,

- l'autre relatif à son refus de porter le masque en dépit des demandes réitérées de son employeur de le mettre.

A - Sur les agissements incompatibles avec l'attitude attendue de la part de tout collaborateur évoluant au sein d'un environnement professionnel :

La lettre de licenciement est ainsi rédigée :

' ... vous exerciez dernièrement vos fonctions sous la responsabilité de Monsieur [J] et en étroite collaboration depuis le début de l'année avec Madame [E] aide comptable.

Nous avons cependant été contraints de noter des agissements incompatibles avec l'attitude attendue de la part d'un salarié de la société et plus globalement du comportement de tout collaborateur amené à évoluer au sein d'un environnement professionnel.

Des collaboratrices nous ont ainsi fait part à plusieurs reprises de leur malaise à travailler avec vous en raison de votre attitude. Un tel comportement inapproprié a pu être observé également dans vos relations avec les autres salariés qui rencontraient les plus grandes difficultés à pouvoir échanger avec vous en raison de votre comportement souvent désagréable, voire agressif à leur égard. Comme vous ne pouvez pas l' ignorer, ce refus de collaborer avec les autres salariés de la société n'est pas acceptable tout en étant susceptible de porter atteinte au bon fonctionnement de la société.

Le 7 septembre dernier, Monsieur [J] a ainsi à nouveau été contraint d'attirer votre attention sur le fait qu'il n'était pas tolérable de se voir entendre dire que 'vous travaillez seul et n'aviez besoin du concours de personnes'alors même que ce dernier, au même titre que Madame [E], n'ont pas ménagé leurs efforts afin de vous permettre de remplir les missions qui vous étaient dévolues.'

Afin d'étayer ses allégations, l'employeur produit les attestations de Madame [D], secrétaire générale de la société, de Madame [X], collègue de travail de Monsieur [K], de Monsieur [J], le supérieur hiérarchique direct du salarié, qui, toutes relèvent en substance en des termes différents que Monsieur [K] ' apportait une atmosphère tendue au sein de l'entreprise' (attestation de Madame [X]), qu'il 'faisait preuve d'une certaine agressivité et que malgré les conseils de calme et de retenue que Monsieur [J] lui suggérait, il n'avait pas modifié son comportement' (attestation de Monsieur [J]), qu'il était à l'origine 'de situations très incommodantes au bureau : des regards persistants, des avances verbales..' (attestation de Madame [D]).

Cependant ces éléments - visés tant dans la lettre de licenciement que dans les attestations - sont trop généraux pour caractériser et établir précisément le grief reproché par l'employeur à son salarié.

En conséquence, il convient de juger que ce grief n'est pas constitué.

B - Sur le port du masque :

La lettre de licenciement est ainsi rédigée :

' ... Confirmant votre volonté clairement affichée de vous affranchir de toute autorité, vous avez alors refusé catégoriquement de vous conformer à l'obligation de porter un masque en présence de vos collègues au sein des locaux de la société.

Comme vous le savez parfaitement, le port d'un tel masque est rendu obligatoire par le protocole sanitaire en entreprise. En conformité avec les dispositions précitées, le port d'un tel masque a ainsi été rendu obligatoire sous certaines conditions au sein des locaux de Sofia gestion.

Tous les salariés ont été informés de ces nouvelles mesures et de la nécessité de se conformer scrupuleusement aux directives sanitaires établies en la matière. Ces recommandations ont été réitérées au sein des différents affichages obligatoires qui ont été mis en place au sein des locaux et tous les protocoles ont été mis à jour dans le classeur COVID mis à la disposition de l'ensemble des collaborateurs ainsi que dans le document unique d'évaluation des risques professionnels.

Le 15 octobre dernier, Madame [D] vous a donc demandé une nouvelle fois de bien vouloir vous conformer aux obligations précitées en vous demandant de bien vouloir revêtir un masque de protection en présence des autres collaborateurs. En effet un tel comportement était totalement incompréhensible pour ces derniers et ne manquait pas de faire naître des inquiétudes légitimes pour leur état de santé.

Le 20 octobre 2020, face à votre refus réitéré de ne pas vouloir porter votre masque, je vous ai convoqué dans mon bureau afin de vous rappeler vos obligations et la nécessité de vous y conformer.

Vous vous êtes alors présenté sans masque et vous avez refusé de le mettre quand je vous l'ai demandé.

Vous m'avez alors répondu que 'vous ne le porterez pas, ni maintenant, ni jamais.

En vous rappelant que sans porter le masque vous mettez en danger ainsi vos collègues, vous avez ajouté que 'cela vous est égal de mettre en péril la santé de vos collègues'. Vous avez par ailleurs précisé que 'vous ne portiez le masque qu'en présence de personnes que vous respectez'.

Je vous ai alors dit que je serai dans l'obligation de prendre les mesures qui s'imposent si vous deviez persister à refuser de porter votre masque lors de vos déplacements au sein des locaux de l'entreprise.

Force est de constater que ces différentes mises en garde n'ont eu aucun effet à votre encontre dans la mesure où vous avez à nouveau été aperçu quelques heures plus tard dans les couloirs de l'entreprise sans masque de protection.

Au regard de votre persistance ne pas vouloir tenir compte de mes directives, j'ai en conséquence été contrainte de vous notifier immédiatement votre mise à pied à titre conservatoire en engageant concomitamment une procédure de licenciement à votre encontre.

Votre comportement est en effet inacceptable et de façon plus générale nous ne saurions tolérer de tels agissements de la part de l'un de nos salariés. En effet vous ne pouvez pas ignorer qu'une telle attitude constitue un acte d'insubordination à l'égard de votre hiérarchie tout en étant susceptible de mettre en danger votre intégrité physique ainsi que celle de vos collègues de travail...'.

***

Monsieur [K] conteste ce grief et soutient qu'il a été l'objet d'une discrimination liée à son état de santé.

Il explique :

- que durant le confinement à compter de mars 2020, il a exercé ses fonctions en télétravail,

- que son employeur sait que depuis 2013, il souffre d'une pathologie avec ALD,

- que de ce fait, le port du masque dans le cadre de ses déplacements dans les locaux de l'entreprise lui était très contre-indiqué car il le faisait suffoquer et que son médecin a préconisé du télétravail,

- que ses fonctions d'aide-comptable étaient parfaitement éligibles au télétravail puisqu'il exerçait un emploi de bureau et n'avait aucune vocation à rencontrer de la clientèle,

- qu'il a toujours donné pleine satisfaction dans l'accomplissement de ses fonctions,

- que c'est parce qu'il a demandé à se mettre en télétravail que la société l'a mis à pied puis l'a licencié,

- qu'il est évident que son état de santé est le seul motif de son licenciement.

***

Cela étant, en application de l'article L.1134-1 du code du travail :'Lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'

Ainsi, il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser ladite discrimination et il incombe à l'employeur qui en conteste le caractère discriminatoire d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Il appartient en conséquence au juge du fond :

1) d'examiner la matérialité de tous les éléments invoqués par le salarié ;

2) d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte ;

3) dans l'affirmative, d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

***

En l'espèce, Monsieur [K] ne rapporte aucun élément permettant de laisser supposer que le refus de son employeur d'accéder à sa demande de télétravailler repose sur une discrimination liée à son état de santé.

Il se borne à l'affirmer sans rapporter aucun élément permettant de laisser supposer :

- d'une part, qu'il avait effectivement présenté à son employeur une demande pour télétravailler et que celui-ci y a apporté une réponse négative,

- d'autre part, qu'il avait saisi le médecin du travail d'une demande d'aménagement de son poste de travail sous forme de télétravail, que celui-ci ' seul habilité à poser cette préconisation pour un salarié présentant des problèmes de santé '  lui avait délivré un certificat dans ce sens qu'il avait porté à la connaissance de l'employeur qui n'en avait pas tenu compte et avait refusé d'appliquer les préconisations,

- par ailleurs, qu'il avait transmis à son employeur un 'certificat médical d'isolement', établi par son médecin traitant aux fins de préconiser à son profit la mise en place du télétravail et que son employeur n'en avait pas tenu compte dans la mesure où le simple certificat médical établi par son médecin traitant préconisant l'usage du télétravail en lieu et place de la présence effective au travail est inopérant pour ce faire.

En outre, il prétend en substance que divers salariés de l'entreprise ont obtenu l'autorisation de télétravailler alors qu'ils ne présentaient pas de problèmes de santé particuliers et qu'ils n'avaient pas respecté le circuit administratif usuel pour en bénéficier sans toutefois rapporter le moindre élément ou commencement d'élément permettant de le laisser supposer.

En conséquence, il doit être débouté de toutes ses demandes formées du chef d'une discrimination liée à son état de santé.

***

A défaut de nullité de son licenciement, Monsieur [K] soutient en substance que celui-ci est dénué de cause réelle et sérieuse en reprenant son argumentaire sur la nécessité pour lui de télétravailler compte tenu de ses problèmes de santé.

Cependant, même si le télétravail a pu être une pratique recommandée par le protocole national du 31 août 2020, il n'en demeure pas moins qu'aucune obligation de ce chef n'était imposée à ce moment-là aux employeurs.

En tout état de cause, la cour vient de statuer ci-dessus sur l'absence de toute discrimination liée à l'état de santé de Monsieur [K].

Par ailleurs, contrairement à ce que Monsieur [K] soutient, à défaut de télétravail, le port du masque était obligatoire sur le lieu de travail.

Il devait se conformer à cette obligation.

Il ne pouvait s'y soustraire en invoquant son état de santé dès lors que même le certificat médical de son médecin traitant qu'il produit n'indique absolument pas que le port du masque est contre-indiqué pour lui et que les attestations de suivi établies pour lui les 14 septembre et 15 octobre 2020 par le médecin du travail mentionnent qu'il est apte à exercer ses fonctions sans prévoir un quelconque aménagement de son poste sous forme de télétravail.

Enfin, contrairement à ce qu'il soutient :

- il a été personnellement destinataire avec d'autres collègues d'un courriel que l'employeur a envoyé le 17 juin 2020 expliquant notamment que quatre masques, du gel hydro alcoolique et des spray javel allaient être disponibles sur le lieu du travail,

- l'employeur ne s'est pas borné à promettre la mise à disposition des salariés de matériel de protection et désinfection, il les a mis effectivement à leur disposition comme en attestent les salariés dont l'employeur verse les témoignages.

En conséquence, le grief de refus du port obligatoire du masque est constitué.

C - En conclusion, compte tenu de son insubordination tenant à son refus catégorique et permanent en dépit des rappels à l'ordre verbaux qu'il avait reçus de se conformer aux règles édictées par décret relatives au port du masque et reprises dans le règlement intérieur que l'employeur était chargé de faire respecter au sein de l'entreprise et qui a mis de ce fait la santé de ses collègues en péril, le salarié a commis une faute qui ne pouvait que conduire l'employeur - tenu à une obligation de sécurité à l'égard de l'ensemble de ses salariés - à le licencier.

Il est inopérant pour Monsieur [K], pour s'exonérer de toute faute, de faire valoir qu'il n'a jamais fait l'objet d'une sanction auparavant dès lors que le grief qui lui est présentement reproché est suffisamment grave à lui seul pour justifier son licenciement pour faute et qu'en tout état de cause, l'employeur  -en retenant pour le licencier une faute simple et non une faute lourde comme il en avait eu initialement l'intention- a nécessairement tenu compte de son passé professionnel sans tache.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a jugé que le licenciement de Monsieur [K] était fondé sur une cause réelle et sérieuse et l'a débouté de l'intégralité de ses demandes formées de ce chef.

III - Sur le préjudice moral :

En application de l'article 1147 du code civil ancien devenu l'article 1231-1, le licenciement, même fondé sur une cause réelle et sérieuse, peut ouvrir droit à des dommages intérêts au profit du salarié, dès lors qu'il est intervenu dans des conditions vexatoires ou humiliantes.

Il incombe alors au salarié d'établir :

* d'une part, le comportement fautif de son employeur, caractérisé par les circonstances particulières ' brusques, humiliantes ou vexatoires ' dans lesquelles s'est déroulé son licenciement ;

* d'autre part, l'existence du préjudice distinct de celui occasionné par la perte de son emploi qui en découle.

En l'espèce, Monsieur [K] soutient en substance :

- que l'employeur n'avait jamais eu à formuler la moindre réserve sur la qualité de son travail,

- que pourtant, il n'a pas hésité à le licencier de façon précipitée,

- que cette expérience douloureuse a très largement ébranlé la confiance qu'il avait en lui-même et n'a pas manqué de le décrédibiliser au regard des tiers,

- que la cour condamnera son employeur à lui verser la somme de 5 858,58 € correspondant au préjudice moral qu'il subit.

***

Cela étant, le salarié ne démontre pas les circonstances vexatoires et brutales de son licenciement.

En conséquence, il doit être débouté de sa demande de dommages intérêts.

Le jugement attaqué doit donc être confirmé de ce chef.

IV - Sur les dépens et les frais du procès :

Les dépens de première instance et d'appel doivent rester à la charge de l'appelant.

***

Il n'est pas inéquitable de débouter les parties de leurs demandes respectives formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme dans toutes ses dispositions le jugement prononcé le 31 mars 2022 par le conseil de prud'hommes de La Rochelle,

Y ajoutant,

Condamne Monsieur [K] aux entiers dépens,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/01118
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;22.01118 ?
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