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02/05/2024 | FRANCE | N°22/00126

France | France, Cour d'appel de Poitiers, Chambre sociale, 02 mai 2024, 22/00126


MHD/PR































ARRET N° 204



N° RG 22/00126



N° Portalis DBV5-V-B7G-GONP













S.A.S. ENO



C/



[F]





















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre sociale



ARRÊT DU 02 MAI 2024





Décisi

on déférée à la Cour : Jugement du 15 décembre 2021 rendu par le conseil de prud'hommes de NIORT





APPELANTE :



S.A.S. ENO

N° SIRET : 352 915 037

[Adresse 3]

[Localité 4]



Ayant pour avocat postulant Me Ludovic PAIRAUD de la SELARL PAIRAUD AVOCAT, avocat au barreau des DEUX-SÈVRES



Ayant pour avocat plaidant Me Xavier ARGENTON, avocat au barreau ...

MHD/PR

ARRET N° 204

N° RG 22/00126

N° Portalis DBV5-V-B7G-GONP

S.A.S. ENO

C/

[F]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre sociale

ARRÊT DU 02 MAI 2024

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 décembre 2021 rendu par le conseil de prud'hommes de NIORT

APPELANTE :

S.A.S. ENO

N° SIRET : 352 915 037

[Adresse 3]

[Localité 4]

Ayant pour avocat postulant Me Ludovic PAIRAUD de la SELARL PAIRAUD AVOCAT, avocat au barreau des DEUX-SÈVRES

Ayant pour avocat plaidant Me Xavier ARGENTON, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ :

Monsieur [S] [F]

Né le 04 juillet 1987 à [Localité 4] (79)

[Adresse 1]

[Adresse 5]

[Localité 2]

Ayant pour avocat Me Sébastien REY substitué par Me Elodie PAPIN de la SAS AVODES, avocats au barreau des DEUX-SÈVRES

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 907 et 805 du code de procédure civile, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés, l'affaire a été débattue le 17 janvier 2024, en audience publique, devant :

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente qui a présenté son rapport

Monsieur Nicolas DUCHATEL, Conseiller

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Ghislaine BALZANO, Conseillère

Monsieur Nicolas DUCHATEL, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIÈRE

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile que l'arrêt serait rendu le 21 mars 2024. A cette date, le délibéré a été prorogé au 2 mai 2024.

- Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente, et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par contrat de travail à durée déterminée en date du 10 avril 2009, soumis à la convention collective de la métallurgie, qui s'est poursuivi en contrat à durée indéterminée à compter du 25 décembre 2009, Monsieur [S] [F] a été engagé en qualité d' 'opérateur émaillerie', niveau 2, échelon 1, coefficient 170 par la SAS ENO, spécialisée en émaillerie, fabricante notamment de planchas, d'appareils de cuisson pour bateaux de plaisance, de réchauds...

Le 1er octobre 2018, Monsieur [F] a été placé en arrêt maladie pour un 'syndrome d'épuisement au travail'.

Par courrier recommandé en date du 4 février 2019 adressé à la société, son avocat a demandé à celle-ci une modification du contrat de travail du salarié et une revalorisation de sa rémunération dans la mesure où son employeur lui avait demandé - sans cependant lui accorder une contrepartie salariale ou professionnelle - de reprendre le poste de chef d'atelier ' peinture émaillage' laissé vacant par le départ à la retraite de son supérieur hiérarchique, le 1 er avril 2018.

A défaut de réponse, Monsieur [F] a saisi, par requête en date du 7 mai 2019, le conseil de prud'hommes de Niort afin notamment d'obtenir le paiement des rappels de salaires afférents à sa reclassification et la résiliation judiciaire de son contrat de travail assortie des indemnités afférentes.

Le 3 octobre 2019, il a été licencié pour inaptitude après avoir été déclaré inapte à son poste sans possibilité de reclassement le 2 septembre 2019 par le médecin du travail et convoqué par son employeur le 17 septembre 2019 à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour inaptitude.

Par jugement du 15 décembre 2021, le conseil de prud'hommes de Niort a :

- dit que Monsieur [S] [F] est fondé à prétendre au bénéfice du niveau IV, échelon 4, coefficient 285 de la CCN de la Métallurgie du 1er avril 2018,

- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail liant Monsieur [S] [F] et la SAS ENO,

- dit que le licenciement de Monsieur [S] [F] prononcé le 3 octobre 2018 est sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la SAS ENO à payer à Monsieur [S] [F] les sommes suivantes :

° 3.507,60 € bruts au titre des rappels de salaire ;

° 350,76 € bruts au titre des congés payés afférents ;

° 4.787,92 € nets au titre de l'indemnité de licenciement ;

° 3.830,34 € bruts au titre de l'indemnité de préavis ;

° 383,03 € bruts au titre des congés payés sur préavis ;

° 19.150,00 € nets au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse;

° 1.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- prononcé l'exécution provisoire du jugement.

- condamné la SAS ENO aux dépens.

Par déclaration d'appel du 14 janvier 2022, la société ENO a interjeté appel de tous les chefs de cette décision.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions du 11 octobre 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la société ENO demande à la cour de :

- la recevoir en l'ensemble de ses demandes fins et conclusions et la déclarer bien fondée,

* à titre principal,

- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a jugé que Monsieur [S] [F] exerçait les fonctions de chef d'atelier et que la résiliation judiciaire était fondée,

- dire et juger que Monsieur [F] n'exerçait pas les fonctions de chef d'atelier,

- dire et juger qu'il n'y a pas lieu de modifier le niveau, l'échelon et le coefficient de Monsieur [S] [F],

- dire et juger que la résiliation judiciaire est parfaitement infondée,

- dire et juger que Monsieur [S] [F] a reçu l'ensemble des indemnités et des documents afférents à son licenciement pour inaptitude,

* à titre subsidiaire,

- ramener à de plus justes proportions les dommages et intérêts attribués à Monsieur [S] [F] au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, laquelle ne saurait être supérieure à 3 mois,

*en tout état de cause,

- débouter Monsieur [S] [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner Monsieur [S] [F] à lui payer la somme de 4.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Monsieur [S] [F] aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions du 11 décembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, Monsieur [F] demande à la cour de :

- débouter la SAS ENO de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer le jugement attaqué sauf en ce qu'il a limité la condamnation de la SAS ENO à titre de rappel de salaires à la somme de 3.507,60 € bruts et limité la condamnation de la SAS ENO à titre de congés payés sur rappel de salaires à la somme de 350,76 € bruts,

- condamner la SAS ENO à lui payer les sommes de :

° 5.261,40 € brut à titre de rappel de salaires,

° 526,14 € brut à titre de congés payés sur rappel de salaires,

* En tout état de cause,

- condamner la SAS ENO à lui payer la somme de 4.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens d'appel.

SUR QUOI,

I - Sur la reclassification :

La classification s'apprécie au regard des fonctions réellement exercées par le salarié et non à partir des seules mentions du contrat de travail.

Il appartient au salarié qui se prévaut d'une classification conventionnelle différente de celle dont il a bénéficié au titre de son contrat de travail de démontrer qu'il a assuré de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu'il revendique.

En l'espèce, Monsieur [F] soutient en substance :

- qu'en raison du départ en retraite du chef d'atelier, il a pris les fonctions de responsable d'atelier, et a eu de ce fait la responsabilité managériale et technique de ses anciens collègues de même niveau,

- qu' au regard de cette évolution, il aurait dû bénéficier d'une revalorisation de son statut et de son coefficient salarial en rapport avec les règles de classification fixées par la convention collective, à savoir le niveau IV, échelon 4, coefficient 285,

- que la société ENO ne pouvait ignorer cette évolution puisqu'elle avait consciemment mis celle-ci en avant dans le cadre de sa communication, notamment en en faisant état dans le cadre du magazine « Produire en France » de septembre 2018,

- que la SAS ENO demeure parfaitement taisante sur les échanges de SMS qui sont intervenus entre Monsieur [K], dirigeant de la SAS ENO et lui - même, à la suite de son arrêt maladie et dont il s'infère que Monsieur [K] a très mal accepté son arrêt maladie,

- que les échanges de SMS qu'il a eus avec ses collègues et les attestations qu'il produit établissent qu'il assurait notamment l'organisation des heures de travail de l'équipe, la gestion des défaillances des machines ou encore le reporting pour les primes paniers des salariés,

- qu'il disposait des compétences et des qualifications pour exercer la fonction de responsable d'atelier dans la mesure où il bénéficiait déjà de 9 années d'ancienneté au sein de l'entreprise et de l'atelier et donnait pleine et entière satisfaction,

- que Monsieur [G], chef d'atelier, l'avait 'mis en avant' pour être son successeur en tant que responsable d'atelier,

- que c'est donc à bon droit que le conseil de prud'hommes a fait droit à sa demande de reclassification.

En réponse, la société ENO objecte pour l'essentiel :

- que le conseil de prud'hommes de Niort s'est presque uniquement fondé sur l'article de presse versé aux débats par le salarié, pour juger que ses fonctions avaient effectivement évolué.

- que pourtant, il ressort du témoignage de Monsieur [H] [T], Directeur de la publication et Rédacteur en chef de « Produire en France », que l'article ne visait pas à décrire une réalité contractuelle mais visait simplement à : '... comprendre les techniques de fabrication des produits de l'entreprise et faire un portrait de valorisation d'un des collaborateurs comme .... à chaque numéro du... périodique...',

- que la production d'un article de presse ne saurait, à lui seul, démontrer une réalité contractuelle,

- que les divers échanges du salarié avec ses collègues permettent tout au plus de constater qu'il était en quelque sorte le coordinateur pour l'activité de peinture et émaillage mais qu'ils ne sont pas le reflet d'une supervision qui serait celle d'un chef d'atelier et que Monsieur [F] n'était que 'correspondant d'atelier' du chef d'atelier de montage qui lui donnait des consignes de fabrication et des quantités à produire,

- que le salarié ne produit aucun document permettant de justifier de l'exercice réel des fonctions qu'il revendique,

- que de surcroît, sa demande est d'autant plus infondée que le coefficient qu'il demande ne correspond pas aux fonctions qu'il prétend avoir exercées dans la mesure où il sollicite une revalorisation de son statut et de son coefficient salarial au niveau IV échelon 4, coefficient 285, technicien d'atelier alors que la responsabilité dont il est question pour ce niveau de classification est une « responsabilité technique' et qu'il fonde toute son argumentation sur ses prétendues capacités d'encadrement,

- que le chef d'atelier, en partant à la retraite a conseillé à Monsieur [K], directeur de la société, d'encourager la progression et la formation de Monsieur [F] pour qu'il puisse progressivement le remplacer,

- que cependant, le niveau de connaissances de Monsieur [F] ne lui permettait pas de remplacer Monsieur [G] et que de ce fait, c'est Monsieur [K], qui a assumé transitoirement les fonctions de chef d'atelier en plus de celles lui incombant,

- que cette situation devait durer jusqu'à ce que Monsieur [F] soit suffisamment formé ou qu'une autre personne soit recrutée pour le poste,

- qu'ainsi, le salarié ne peut prétendre à la requalification qu'il réclame.

***

Cela étant, en application de l'accord national du 21 juillet 1975 relatif aux classifications des emplois relevant de la branche de la métallurgie, les fonctions que Monsieur [F] revendique, à savoir ' technicien d'atelier ' coefficient 285 (T.A.4) dans la classification « ouvriers », du niveau IV :

- sont décrites de la façon suivante :

' le travail est caractérisé par :

- l'élargissement du domaine d'action à des spécialités techniques connexes,

- le choix et la mise en 'uvre des méthodes, procédés et moyens adaptés,

- la nécessité d'une autonomie indispensable pour l'exécution sous réserve de provoquer opportunément les actions d'assistance et de contrôle nécessaire,

- l'évaluation et la présentation des résultats des travaux, des essais et des contrôles effectués.

- s'inscrivent dans le niveau IV présenté de la façon suivante :

' d'après des instructions de caractère général portant sur des méthodes connues ou indiquées, en laissant une certaine initiative sur le choix des moyens à mettre en 'uvre et sur la succession des étapes, il exécute des travaux d'exploitation complexes ou d'étude d'une partie d'ensemble faisant appel à la combinaison des processus d'intervention les plus adaptées dans leur profession ou d'activité connexe exigeant une haute qualification.

Les instructions précisent la situation des travaux dans un programme d'ensemble.

Il est placé sous le contrôle d'un agent le plus généralement de niveau de qualification supérieure.

Il peut avoir la responsabilité technique l'assistance technique d'un groupe de professionnels ou de technicien d'atelier du niveau inférieur.'

- et requièrent comme niveau de connaissances, un niveau IV de l'éducation nationale (circulaire du 11 juillet 1967) qui peut être acquis soit par voie scolaire ou par une formation équivalente soit par l'expérience professionnelle.

Afin d'étayer sa demande, Monsieur [F] produit aux débats :

- l'extrait du magazine 'Produire en France' de septembre 2018 (pièce3),

- les échanges de SMS du 3 octobre 2018 (pièce 9),

- les échanges de SMS avec les membres de l'équipe (pièce 10),

- les échanges de SMS des 16 et 17 octobres 2018 (pièce 11),

- l'attestation de Monsieur [A] [R] (pièce 12),

- l'attestation de Monsieur [C] [J] (pièce 19).

Il en résulte que l'employeur lui-même dans les SMS qu'il a échangés avec l'épouse de Monsieur [F] a reconnu que ce derrnier avait pris de nouvelles fonctions dans la mesure où il a écrit très clairement notamment : 'Nous confions des responsabilités à [S] parce que [D] a considéré que [S] était le plus apte de l'équipe à les tenir.

Faut-il que je me remette en question quand nous choisissons de le mettre en avant dans le premier magazine « Produire en France » vendu dans tous les kiosques et gares de France pour mettre en avant ses qualités ses compétences ''

Il est vrai que les conséquences de l'absence de [S] sont très préoccupantes pour l'ensemble de l'activité de l'usine, donc de l'ensemble des salariés et il m'est difficile de le cacher'

Si les responsabilités qui sont confiées à [S] sont trop lourdes pour lui, je suis tout prêt à les remettre complètement en cause''

Les autres pièces versées au dossier ne font qu'illustrer les propos écrits par le directeur de la société dans ses SMS dans la mesure où :

- les échanges intervenus par SMS entre Monsieur [F] et ses collègues établissent qu'il a assuré à compter du 1 er avril 2018 l'organisation des heures de travail de l'équipe (SMS des 26 août 2018, 9 et 10 juillet 2018) l'organisation du travail de l'équipe (SMS du 29 août 2018), la gestion des défaillances des machines (SMS des 20 septembre 2018, 26 septembre 2018, 1 er octobre 2018, 11 avril 2018, 13 avril 2018, etc') et le reporting pour les primes paniers des salariés ; (SMS du 22 juin 2018), qui sont toutes des tâches dévolues à un responsable d'atelier,

- l'article du journal ' Produire en France' qui qualifie Monsieur [F] de 'responsable d'atelier', qui indique 'que ce jeune papa... vient d'être fraîchement promu responsable d'atelier...' et qui se poursuit en expliquant ' une reconnaissance que [S] [F] doit à ses neuf années de présence au poste d'émailleur dans les ateliers de l'entreprise ENO..' n'a pas été rédigé de façon spontanée par le journaliste mais à la suite de la désignation de Monsieur [F] par la société qui à ce moment-là avait décidé de 'le mettre en avant', comme Monsieur [K] l'a indiqué dans ses SMS,

- l'attestation de Monsieur [C] [J], salarié de l'entreprise de mars 2013 à avril 2019 qui explique : ' ...à mon arrivée chez ENO j'étais sous la responsabilité de mon chef Monsieur [G] [D] et 6 mois avant le départ à la retraite de celui-ci mon collègue [S] a dû reprendre le relais progressivement de son poste de responsable.

Au départ de celui-ci on a commencé à lui en demander de plus en plus (papiers, contrôle de la peinture, contrôle de bains, rapport') Nous étions une équipe de 5 employés [X], [M], [A], [O] et moi-même. Nous devions contacter tous les jours [S] afin d'établir notre journée. A la longue, [S] a commencé à se refermer sur lui-même et j'ai vu son état dépérir, lorsque je lui parlais il commençait à se détacher. ' renforce les éléments précédents selon lesquels Monsieur [F] a repris le poste de responsable,

- l'attestation de Monsieur [A] [R] qui indique : '... avoir travaillé avec Monsieur [F] [S] à partir de mars 2016 et jusqu'au 1er octobre 2018. Monsieur [F] ayant reprit le poste de chef d'atelier à Monsieur [G] [D] le 1er avril 2018 ' ne peut pas être contesté par l'employeur au seul motif que la pièce d'identité du témoin n'est pas jointe au témoignange alors que le contenu de ce témoignage est confirmé par l'ensemble des pièces pré citées - et notamment les SMS du directeur de la société échangés avec Madame [F] - qui toutes attestent des nouvelles fonctions dévolues à Monsieur [F] à compter du 1er avril 2018.

Aussi, prétendre pour l'employeur que Monsieur [F] était un simple 'correspondant d'atelier' est totalement vain dans la mesure où l'absence d'un correspondant d'atelier ne peut pas - à elle seule - constituer une menace pour l'ensemble de l'activité de l'usine alors que le directeur de la société a reconnu lui-même dans les SMS échangés avec Madame [F] que l'absence de Monsieur [F] ' était très préoccupante pour l'ensemble de l'activité de l'usine' , démontrant en cela que le poste occupé par le salarié était important et ne se limitait pas à une fonction de correspondant d'atelier.

Par ailleurs, il est aussi inopérant pour lui de s'appuyer sur le témoignage de Monsieur [L], ingénieur en alternance, qui indique : 'Depuis 2017, je suis en charge de la ligne robotisée. Je gère aussi bien la production, les machines que les opérateurs qui y travaillent. [S] [F] ne s'en est jamais occupé.' dans la mesure où il ne précise à aucun moment que le chef d'atelier parti en retraite, Monsieur [G], s'en occupait.

De même, il est encore inopérant de reprocher à Monsieur [F] de ne pas pouvoir démontrer qu'il réalisait l'intégralité des tâches dévolues à Monsieur [G] dès lors que cela ne faisait que quelques mois que Monsieur [F] se retrouvait dans le poste, que de ce fait il ne pouvait pas avoir été amené à effectuer l'intégralité des tâches auxquelles Monsieur [G] avait été confronté décrites par l'employeur lui - même sur deux pages et demi de ses conclusions sans que la cour n'ait la certitude - à défaut de production de la fiche de poste de Monsieur [G] - que toutres ces tâches entraient effectivement dans les attributions qui avaient été les siennes.

Enfin, l'employeur n'établit par aucune des pièces qu'il verse au débat que le salarié s'était retrouvé en difficulté de compréhension et d'apprentissage lors de la journée de formation sur l'émaillage organisée par la société alors même que celui-ci disposait de neuf ans d'ancienneté dans l'entreprise et qu'il avait été formé par le chef d'atelier parti à la retraite le 1er avril 2018, lequel avait signalé à la société qu'il pourrait le remplacer.

En conséquence, au vu de l'ensemble des éléments produits par le salarié, il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a fait droit à la demande de reclassification du salarié au niveau IV, coefficient 285.

En revanche, il doit être infirmé quant au quantum du rappel de salaires qui doit être calculé sur la base de dix-huit mois, à savoir du 1er avril 2018 au 3 octobre 2019.

En conséquence, il convient de condamner l'employeur à payer au salarié la somme de 5 261,40 € brut à titre de rappels de salaires outre la somme de 526,14 € au titre des congés payés afférents.

II - Sur la résiliation du contrat de travail :

Par application de l'article 1184 ancien du code civil devenu l'article 1227, le salarié peut solliciter la résiliation judiciaire du contrat de travail en cas d'inexécution par l'employeur des obligations en découlant.

Les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être établis par le salarié et d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

L'appréciation de la gravité du manquement relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Lorsque les manquements sont établis et d'une gravité suffisante, la résiliation judiciaire est prononcée aux torts de l'employeur et produit soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse soit les effets d'un licenciement nul si elle est fondée sur des faits de harcèlement moral.

Par ailleurs, lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur et que ce dernier le licencie ultérieurement pour inaptitude au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée.

A - Sur les manquements de l'employeur :

Il appartient au salarié d'établir non seulement la réalité des manquements reprochés à l'employeur mais également leur caractère suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

***

En l'espèce, Monsieur [F] soutient :

- qu'il aurait dû, à compter du 1er avril 2018, bénéficier d'une promotion en terme de classification au regard de son positionnement sur un poste de responsable d'atelier,

- que cependant, aucun geste n'a été réalisé en ce sens,

- que cela a conduit à son placement en arrêt maladie à compter du 1 er octobre 2018 pour syndrome d'épuisement au travail,

- qu'à ce jour il n'a toujours pas repris d'emploi,

- que la situation générée par le manquement de l'employeur l'a placé dans un état tel que cela a rendu impossible la poursuite du contrat de travail.

En réponse, l'employeur objecte pour l'essentiel :

- que le code du travail n'a jamais posé le principe d'un droit à la promotion,

- que Monsieur [F] n'apporte aucun élément sur les tâches qu'il prétend avoir accomplies,

- qu'il a bien été embauché selon son niveau de compétence, mais n'a pas acquis les compétences complémentaires nécessaires pour accéder au poste qu'il revendique,

- qu'à aucun moment, le salarié ne lui a écrit ou n'a sollicité un entretien avec lui afin de lui faire part des reproches qui étaient les siens.

- que Monsieur [F] croit pouvoir soutenir que l'absence de reconnaissance de son employeur pendant une période de cinq mois a provoqué un « burn out » et a rendu la poursuite du contrat de travail impossible alors qu'on peut se demander dans quelle mesure, la non reconnaissance du travail fourni, pendant seulement 5 mois peut détériorer à ce point la relation entre l'employeur et son salarié dès lors que ce dernier aspirait à de plus grandes responsabilités dans l'entreprise,

- qu'il ne produit aucune attestation médicale, aucune prescription et ne justifie d'aucun suivi médical,

- qu'aucun document émanant de l'inspection du travail, ou de la médecine du travail ne permet d'établir le lien entre son état de santé et ses conditions de travail,

- qu'à aucun moment, la société ENO n'a commis de manquement suffisamment grave justifiant la résiliation du contrat de travail du salarié.

***

Cela étant, le défaut de reclassification du salarié retenu par le conseil de prud'hommes de Niort a été confirmé par la cour.

L'employeur connaissait pertinemment les nouvelles fonctions occupées par Monsieur [F] à compter du 1er avril 2018 qui du coefficient 170 passait au coefficient 285 et qui voyait son champ d'activité et de responsabilité élargi et alourdi.

Or cette évolution importante s'est effectuée sans écrit, sans revalorisation salariale.

L'employeur ne peut venir reprocher au salarié de ne pas s'en être plaint alors qu'en tant qu'employeur, il est tenu de faire correspondre exactement la classification des salariés aux travaux qu'ils effectuent et faire évoluer corrélativement leur rémunération au travail accompli.

Il n'avait donc besoin d'aucun rappel de la part du salarié pour régulariser la situation.

Il aurait dû clarifier et officialiser les choses par un avenant au contrat précisant les éléments essentiels des modifications contractuelles, notamment salariales.

Contrairement à ce que l'employeur prétend, il importe peu que le manquement ne se soit manifesté que sur cinq mois dès lors que ni durant ces cinq mois, ni durant le temps procédural jusqu'à son licenciement pour inaptitude, le salarié ne s'est vu reconnaître contractuellement le statut de responsable d'atelier.

Cette absence de reconnaissance qui a porté sur un des éléments essentiels du contrat de travail qui est apparue le 1er avril 2018 lors de l'entrée en fonction de Monsieur [F], a dégradé les conditions de travail de celui-ci et contribué à l'altération de son état de santé comme en attestent les pièces médicales qu'il verse au débat, à savoir :

- les courriers de la médecine du Travail adressés respectivement le 12 octobre 2018 au médecin traitant salarié qui a constaté la souffrance psychologique du salarié et à la SAS ENO pour l'alerter sur les risques psychosociaux,

- le courrier du Dr [P] qui confirme l'état d'épuisement professionnel de M. [F] et la poursuite de cet état en raison du harcèlement de son employeur pendant son arrêt maladie,

- le courrier du Docteur [Y] du 4 mars 2019 confirmant la situation d'épuisement professionnel,

- la prescription d'anxiolytiques et le certificat médical faisant état d'un syndrome dépressif imputable aux conditions de travail établi par le service de psychiatrie du centre hospitalier de [Localité 4] le 27 juin 2019.

Ainsi, le manquement de l'employeur à ses obligations contractuelles est suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifier sa résiliation à compter de la date de l'envoi de la lettre de licencicement, à savoir le 3 octobre 2019.

B - Sur les conséquences de la résiliation judiciaire :

La résiliation judiciaire ouvre droit à toutes les indemnités de rupture : l'indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité de licenciement, légale ou conventionnelle et des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul.

Comme en prononçant la résiliation judiciaire du contrat de travail, le juge ne se prononce pas sur le bien-fondé du licenciement notifié entre temps, les sommes versées au salarié consécutivement à ce licenciement lui restent acquises.

C - Sur l'indemnité de préavis :

Lorsque l'inaptitude est prononcée au cours de la procédure visant à obtenir la résiliation judiciaire du contrat de travail, l'indemnité compensatrice de préavis est toujours due au salarié et il importe peu que le salarié soit en arrêt maladie au moment où le conseil de prud'hommes prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail (Cass. soc., 28 avr. 2011, no 09-40.708 ; Cass. soc., 13 mai 2015, no 13-28.792).

En l'espèce, au vu de ces principes et compte tenu de ce qui vient d'être jugé précédemment, il convient d'accorder à Monsieur [F] les sommes de 3 830,34 € bruts à titre d'indemnité de préavis et de 383,03 € bruts à titre de congés payés sur préavis.

Le jugement attaqué doit donc être confirmé de ce chef.

D - Sur l'indemnité de licenciement :

En application des dispositions de l'article R 1234'2 du code du travail, l'indemnité de licenciement devant être payée au salarié doit s'élever à la somme de 4 787,92 € nets.

Le jugement attaqué doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné la société à payer cette somme à Monsieur [F].

E - Sur les dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

En application de l'article L 1325-3 du code du travail : 'si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous.'

Il en résulte que dans une entreprise comptant plus de onze salariés, un salarié ayant 10 ans d'ancienneté peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 et 10 mois de salaire brut.

***

En l'espèce, Monsieur [F], âgé de 32 ans et 3 mois au moment de son licenciement, a retrouvé un emploi de peintre, statut ouvrier, à compter du 28 octobre 2019.

Ce poste lui offre un niveau de responsabilité et un salaire inférieurs à celui qu'il avait en qualité de responsabilité d'atelier.

Il convient en conséquence de fixer les dommages intérêts lui revenant à la somme de 11 490 € correspondant à 6 mois de salaire brut.

L'employeur doit donc être condamné à payer ce montant à Monsieur [F], étant toutefois précisé que cette somme sera exprimée en brut et non pas en net (Soc. 15 décembre 2021, pourvoi n° 20-18.782).

Le jugement attaqué doit donc être infirmé de ce chef.

III - Sur les dépens et les frais du procès

Les dépens doivent être supportés par la société ENO.

***

Il n'est pas inéquitable de condamner l'employeur à payer à Monsieur [F] une somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile tout en déboutant la société de sa demande présentée au titre des mêmes dispositions.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement prononcé le 15 décembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Niort sauf en ce qu'il a condamné la SAS ENO à payer à Monsieur [S] [F] les sommes suivantes :

° 3.507,60 € bruts au titre des rappels de salaire ;

° 350,76 € bruts au titre des congés payés afférents ;

° 19.150,00 € nets au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Infirme de ces derniers chefs,

Statuant à nouveau,

Condamne la SAS ENO à payer à Monsieur [S] [F] les sommes suivantes :

° 5 261,40 € bruts au titre des rappels de salaire ;

° 526,14 € bruts au titre des congés payés afférents ;

° 11 490 € bruts au titre des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Y ajoutant,

Condamne la SAS ENO aux dépens,

Condamne la SAS ENO à payer à Monsieur [S] [F] la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la SAS ENO de sa demande présentée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/00126
Date de la décision : 02/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-02;22.00126 ?
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