ARRET N°147
CL/KP
N° RG 23/02021 - N° Portalis DBV5-V-B7H-G34W
S.A.R.L. LES SABLES BLANCS
C/
[J]
[J]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
2ème Chambre Civile
ARRÊT DU 30 AVRIL 2024
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/02021 - N° Portalis DBV5-V-B7H-G34W
Décision déférée à la Cour : arrêt du 25 juillet 2023 rendu par le Juge de l'exécution des SABLES D'OLONNE.
APPELANTE :
S.A.R.L. LES SABLES BLANCS
[Adresse 7]
[Localité 8]
Ayant pour avocat plaidant Me Maïeul LE GOUZ DE SAINT SEINE de la SELAS AGN AVOCATS NANTES, avocat au barreau des SABLES D'OLONNE.
INTIMES :
Monsieur [N] [J]
né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 12]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Ayant pour avocat postulant Me Marion LE LAIN de la SCP DROUINEAU 1927, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me Florent LUCAS, avocat au barreau de NANTES.
Madame [S] [J]
née le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 11]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Ayant pour avocat postulant Me Marion LE LAIN de la SCP DROUINEAU 1927, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me Florent LUCAS, avocat au barreau de NANTES.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 05 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Monsieur Cédric LECLER, Conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Claude PASCOT, Président
Monsieur Fabrice VETU, Conseiller
Monsieur Cédric LECLER, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur Claude PASCOT, Président, et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
Monsieur [N] [J] et Madame [S] [J] (les époux [J]) sont propriétaires d'une maison d'habitation située au [Adresse 5], cadastrée section [Cadastre 9].
La société à responsabilité limitée Les Sables Blancs a fait l'acquisition de l'immeuble sis [Adresse 3], adjacent à celui des époux [J].
Le 26 septembre 2013, un permis de construire a été délivré à la société Les sables Blancs pour la construction d'un immeuble comprenant 10 appartements sur sa parcelle.
Le 5 octobre 2015, une expertise a été ordonnée par le juge des référés et Monsieur [Y] a été désigné avec pour mission de déterminer si les travaux de construction en cours, au regard des circonstances de lieu tenant à la situation des propriétés voisines et de l'environnement du quartier, étaient de nature à créer un trouble anormal de voisinage sur la propriété des époux [J].
L'expert a déposé son rapport le 14 août 2017 et a détaillé des éléments pouvant caractériser un trouble de voisinage, préconisant notamment la réparation des dégradations sur le mur séparateur et la façade Est du logement des époux [J] et le rehaussement des murs du côté des balcons, en limite de propriété, et des retours en façade Sud jusqu'à 1.90 mètres.
Le 12 février 2018, les époux [J] ont attrait la société Les Sables Blancs devant le tribunal judiciaire des Sables d'Olonne.
Par jugement du 3 décembre 2019, le tribunal judiciaire des Sables d'Olonne a, avec exécution provisoire, condamné la société Les Sables Blancs à rehausser les murs des balcons de pare-vues conformément aux préconisations du rapport d'expertise, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé le délai de trois mois. Ce jugement a été signifié le 7 avril 2020 et est désormais définitif.
Par jugement du 13 juillet 2021, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire des Sables d'Olonne a liquidé l'astreinte provisoire prononcée par le jugement du 3 décembre 2019 à la somme de 9.100 euros, et en conséquence, a condamné la société Les Sables Blancs à payer aux époux [J] cette somme et a prononcé une astreinte définitive de 200 euros par jour de retard passé le délai de trois mois à compter de la signification du jugement. Ce jugement a été signifié le 2 août 2021.
Le 31 octobre 2022, les époux [J] ont attrait la société Les Sables Blancs devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire des Sables d'Olonne aux fins de liquidation de l'astreinte définitive.
Dans le dernier état de ses demandes, les époux [J] ont demandé :
- d'ordonner la liquidation de l'astreinte définitive à hauteur de 18.400 euros;
- de condamner la société Les Sables Blancs à leur payer la somme de 18.400 euros;
- de condamner la société Les Sables Blancs à leur payer la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
- de condamner la société Les Sables Blancs aux dépens avec distraction au profit de leur conseil.
En dernier lieu, la société Les Sables Blancs a demandé de :
- débouter les consorts [J] de toutes leurs demandes ;
à titre reconventionnel,
- de condamner les consorts [J] à leur payer les sommes de :
- 1075,70 € au titre de la répétition de l'indu ;
- 4000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
- 3000 € au titre des frais irrépétibles.
Par jugement contradictoire en date du 25 juillet 2023, le tribunal judiciaire des Sables d'Olonne a :
- liquidé l'astreinte définitive prononcée par jugement en date du 13 juillet 2021 du juge de l'exécution du tribunal judiciaire des Sables d'Olonne à la somme de 18.400 euros ;
En conséquence,
- condamné la société Les Sables Blancs à payer aux époux [J] la somme de 18.400 euros ;
- déclaré la demande la société Les Sables Blancs aux fins de condamnation des époux [J] à répétition d'un indu irrecevable ;
- débouté la société Les Sables Blancs de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamné la société Les Sables Blancs aux dépens avec distraction au profit du conseil des époux [J], et à payer aux époux [J] la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Le 25 août 2023, la société Les Sables Blancs a relevé appel de ce jugement, en intimant les époux [J].
Le 6 février 2024, la société Les Sables Blancs a demandé :
in limine litis,
- de juger irrecevables les conclusions présentées par les intimés le 25 janvier 2024 ;
- d'écarter des débats les conclusions présentées par les intimés le 25 janvier 2024 ;
sur le fond,
- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
statuant à nouveau, de :
- débouter les époux [J] de toutes leurs demandes ;
- condamner les époux [J] à lui restituer la somme de 20.500,12 euros payée au titre de l'exécution provisoire du jugement du 25 juillet 2023 ;
- condamner les époux [J] à lui payer la somme de 4.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- condamner les époux [J] à lui payer la somme de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles.
Le 25 janvier 2024, les époux [J] ont demandé de :
- confirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions ;
- débouter la société Les Sables Blancs de sa demande de restitution de la somme de 20.500,12 euros,
- débouter la société Les Sables Blancs de sa demande de versement de dommages et intérêts à hauteur de 4.000€ ;
- débouter la société Les Sables Blancs de demande de condamnation à lui verser la somme de 3.500€ au titre des frais irrépétibles ;
- condamner la société Les Sables Blancs à leur verser la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Pour plus ample exposé, il sera expressément renvoyé aux écritures précitées des parties déposées aux dates susdites.
Le 6 février 2024 a été ordonnée la clôture de l'instruction de l'affaire.
Le 6 mars 2024, la cour a invité les parties à présenter pour le 20 mars 2024 au plus tard leurs observations sur les moyens relevés d'office portant sur :
- la recevabilité de la demande de la société Les Sables Blancs, tendant au débouté de toutes les prétentions des époux [J], ne figurant pas dans ses premières écritures au fond déposées le 4 octobre 2023, au regard de l'article 910-4 du code de procédure civile ;
- la recevabilité devant la cour de la demande de la société Les Sables Blancs tendant à déclarer irrecevables les conclusions déposées par les époux [J] le 25 janvier 2024, relevant de la compétence exclusive du président de la chambre, au regard de l'article 905-2 du code de procédure civile.
Le 7 mars 2024, les époux [J] ont déposé une note en délibéré.
Le 20 mars 2024, la société Les Sables Blanc a déposé une note en délibéré.
MOTIVATION :
Sur l'irrecevabilité des conclusions des intimés :
Selon l'article 905-2 du code de procédure civile, alinéa 2,
L'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d'un délai d'un mois à compter de la notification des conclusions de l'appelante pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.
Selon l'article 905-2 du code de procédure civile, le président de chambre saisie ou le magistrat désigné par le premier président statue sur la fin de non-recevoir tiré de l'irrecevabilité des conclusions déposées tardivement par l'intimée.
Si les parties ne sont plus recevables à l'invoquer après le dessaisissement de ce magistrat, à moins que sa cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement, cette restriction ne fait pas obstacle à la faculté pour la cour d'appel de relever d'office cette fin de non-recevoir ([10]. 2e civ., 21 décembre 2023, n°21-25.887, publié).
Dans la procédure d'appel à bref délai, le président de chambre doit être saisi par des conclusions qui lui sont spécialement adressées, et il n'est pas saisi par des conclusions indistinctement adressées à la cour (Cass. 2e civ., 18 janvier 2024, n°21-25.236, publié).
Le 8 septembre 2023, les parties se sont vues adresser un calendrier de procédure à bref délai.
Le 13 septembre 2023, la société Les Sables Blancs a signifié sa déclaration d'appel et l'avis de fixation à bref délai à chacun des époux [J] à leurs personnes.
Le 4 octobre 2023, la société Les Sables Blancs a déposé ses premières écritures et pièces n°1 à 15.
Le 6 octobre 2023, la société Les Sables Blancs a signifié ses premières écritures et pièces n°1 à 15 à chacun des époux [J] à étude de commissaire de justice.
Le 16 janvier 2024, les époux [J] ont constitué avocat.
Le 25 janvier 2024, les époux [J] ont présenté leurs premières écritures.
Dans ses écritures du 5, puis du 6 février 2024, la société Les Sables Blancs demande de déclarer irrecevables les écritures des époux [J] déposées le 25 janvier 2024, motif pris de leur tardiveté.
Mais cette demande de l'appelante figure dans ses écritures adressées à la cour, qui ne peut connaître de celle-ci, sans qu'elle en ait saisi le président de la chambre par des conclusions spécialement adressées à ce magistrat, et sans que ce dernier soit tenu de prendre en compte les conclusions adressées à la cour.
Il y aura donc lieu de déclarer irrecevable la demande de la société Les Sables Blancs tendant à déclarer irrecevables les écritures déposées par les époux [J] le 25 janvier 2024.
* * * * *
Mais il est nonobstant loisible à la cour de se saisir d'office de l'incident soulevé par l'appelante, et il échet en l'espèce de le faire.
Alors que les époux [J], intimés n'avaient pas initialement constitué avocat, et que la société Les Sables Blancs, appelante, leur avait signifié ses propres premières écritures et pièces le 6 octobre 2023, alors que le calendrier de procédure à bref délai leur avait été antérieurement signifié, il leur appartenait de déposer leurs propres écritures le 6 novembre 2023 au plus tard.
Leurs écritures, déposées le 25 janvier 2024, sont donc manifestement tardives.
Il y aura donc lieu de déclarer d'office irrecevables les écritures déposées par les époux [J] le 25 janvier 2024.
Sur les demandes de l'appelante :
Selon l'article 954 alinéas 1 et 2 du code de procédure civile, dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune des prétentions est fondée; les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Il en résulte qu'un appelant, qui se borne dans le dispositif de ses conclusions à conclure à l'infirmation d'un jugement, sans formuler de prétention sur les demandes tranchées dans ce jugement, ne saisit la cour d'aucune prétention relative à ces demandes (Cass. 2e civ., 5 décembre 2013, n°12-23.611, Bull. 2013, II, n°230).
Des écritures dont le dispositif comporte des demandes tendant à constater, dire et juger ne constituent pas des prétentions mais des rappels de moyens (Cass. 2e civ., 9 janvier 2020, n°18-18.778, diffusé).
Selon l'article 910-4 du même code,
À peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.
Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqué, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger des questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait
La fin de non-recevoir tirée de ce texte relève de la compétence de la cour d'appel et non pas de celle du conseiller la mise en état (Cass. avis, 11 octobre 2022, n°20-70.010, publié).
Dans ses premières écritures du 4 octobre 2023, la société Les Sables Blancs a demandé de dire et juger qu'il avait existé une cause étrangère ayant retardé l'exécution de son obligation, d'infirmer intégralement le jugement déféré, et de condamner les époux [J] à lui restituer la somme versée en exécution du jugement déféré, outre indemnités pour procédure abusive et frais irrépétibles.
Ce n'est que dans ses deuxièmes conclusions du 5 février 2024 que la société Les Sables Blancs a demandé que les époux [J] soient déboutés de leurs demandes, sans que l'invocation antérieure d'une cause étrangère ayant retardé l'exécution de son obligation, constituant seulement le rappel d'un moyen, puisse constituer une quelconque prétention.
Enfin, la demande de restitution des sommes versées en exécution du jugement déféré, qui n'est que la conséquence du débouté des prétentions des époux [J], ne peut équivaloir à cette dernière demande.
Cette demande de débouté de l'ensemble des prétentions des intimés, qui ne figure pas dans les premières écritures de l'appelante, est donc tardive, sans que sa formulation en cours de procédure d'appel se justifie par l'évolution du litige et les échanges entre parties à hauteur de cour.
Car c'est très précisément l'accueil des prétentions des époux [J] devant le premier juge qui avait conduit à la déclaration d'appel de la société Les Sables Blancs.
Il y a donc lieu de déclarer irrecevable la demande de la société Les Sables Blancs, tendant à débouter les époux [J] de toutes leurs demandes.
Par suite, la cour ne se trouve plus saisie que de la demande de l'appelante, tendant à l'infirmation du jugement, sans que celle-ci ait formulé des prétentions relativement aux demandes tranchées dans ce jugement.
En l'état des écritures de l'appelante, il y aura donc lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
- liquidé l'astreinte définitive prononcée par jugement en date du 13 juillet 2021 du juge de l'exécution du tribunal judiciaire des Sables d'Olonne à la somme de 18.400 euros ;
en conséquence,
- condamné la société Les Sables Blancs à payer aux époux [J] la somme de 18.400 euros.
En l'état de l'accueil des demandes des époux [J], il s'ensuivra que la société Les Sables Blancs sera déboutée de sa demande aux fins de restitution de la somme de 20 500,12 euros en exécution du jugement déféré.
De même, l'accueil des prétentions des époux [J], exclusif de tout abus de leur part s'agissant de leur droit d'ester en justice, conduira à débouter la société Les Sables Blancs de sa demande indemnitaire pour procédure abusive, et le jugement sera confirmé de ce chef.
Enfin, la société Les Sables Blancs ne vient pas critiquer le jugement, qui a déclaré irrecevable sa demande en répétition de l'indu dirigée contre les époux [J], et il sera confirmé de ce chef.
* * * * *
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné La société Les Sables Blancs aux dépens de première instance, avec distraction au profit du conseil des époux [J], et à leur payer la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.
La société Les Sables Blancs sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles des deux instances.
La société Le Sable Blanc sera condamnée aux entiers dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS:
La Cour,
statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Déclare irrecevable la demande de la société à responsabilité limitée Les Sables Blancs tendant à déclarer irrecevables les écritures déposées le 25 janvier 2024 par Monsieur [N] [J] et Madame [S] [J] ;
Déclare d'office irrecevables les écritures déposées le 25 janvier 2024 par Monsieur [N] [J] et Madame [S] [J] ;
Déclare d'office irrecevable la demande de la société à responsabilité limitée Les Sables Blancs tendant à débouter Monsieur [N] [J] et Madame [S] [J] de toutes leurs demandes ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Déboute la société à responsabilité limitée Les Sables Blancs du surplus de ses demandes ;
Condamne la société à responsabilité limitée Les Sables Blancs aux entiers dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,