ARRÊT N°152
N° RG 22/01760
N° Portalis DBV5-V-B7G-GSYY
S.A.S. M.[W] ET SES FILS
C/
S.A.S. TECHSTAR OUEST
BY AUTOSPHERE
S.A.S. MERCEDES-BENZ TRUCKS FRANCE
et autres (...)
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 09 AVRIL 2024
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 mai 2022 rendu par le Tribunal de Commerce de NIORT
APPELANTE :
S.A.S. M.[W] ET SES FILS
[Adresse 3]
[Localité 9]
ayant pour avocat postulant et plaidant Me François MUSEREAU de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS
INTIMÉES :
S.A.S. TECHSTAR OUEST BY AUTOSPHERE
N° SIRET : 556 080 083
[Adresse 2]
[Localité 8]
ayant pour avocat postulant et plaidant Me Stéphane PRIMATESTA de la SELARL TEN FRANCE, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me S. PRIMATESTA
S.A.R.L. [I]
N° SIRET : 419 506 258
[Adresse 1]
[Localité 4]
ayant pour avocat postulant Me Philippe MISSEREY de l'ASSOCIATION L.E.A - Avocats, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me
Damien WEDRYCHOWSKI, avocat au barreau de STRASBOURG
S.A.S. MERCÉDES-BENZ FRANCE
N° SIRET : 622 044 287
dont le siège est [Adresse 6]
[Localité 7]
SASU DAIMLER TRUCK FRANCE
nouvelle dénomination de MERCÉDES-BENZ TRUCKS FRANCE
[Adresse 5]
[Localité 7]
ayant toutes deux pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Sylvain CORVOL, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 01 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre
Madame Anne VERRIER, Conseiller
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller qui a présenté son rapport
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT,
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre et par Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La société Techstar Ouest by Autosphere (la société Techstar), anciennement dénommée Société angerienne de véhicules industriels - Savia, exploite un fonds de commerce de vente de véhicules légers et utilitaires de marque Mercedes-Benz.
Elle est propriétaire d'un camion-benne immatriculé W-343-BN, vendu par la société Mercedes-Benz France.
La benne avait été installée sur le véhicule par la société [I].
La société Techstar a confié en démonstration ce véhicule à la société M. [W] et ses fils (la société [W]), du 5 au 16 mai 2014. La société [W] devait assurer ce véhicule, pour une valeur de 130.000 €.
Le 6 mai 2014, alors que la société [W] utilisait le véhicule, la benne est brutalement retombée, occasionnant des dommages au camion.
Une expertise amiable a été réalisée. Le rapport d'expertise de [C] [F], du cabinet Expertise et Concept Charente-Maritime, est en date du 25 janvier 2016. Il a considéré engagée la responsabilité de l'utilisateur.
Par ordonnance du 4 avril 2018, le juge des référés du tribunal de commerce de Niort a, sur la demande de la société Techstar et au contradictoire des sociétés [W], [I] et Mercedes-Benz France, commis [Z] [P] en qualité d'expert. Le rapport d'expertise est en date du 2 octobre 2020.
Par acte des 30 avril, 2 et 3 mai 2019, la société Techstar avait assigné au fond les sociétés [W], [I] et Mercedes-Benz France devant le tribunal de commerce de Niort.
Par acte du 3 mai 2019, les sociétés Mercedes-Benz France et Mercedes Trucks France avaient de même assigné au fond les sociétés [W], Savia (Techstar) et [I].
La société Techstar, soutenant a titre principal que la dégradation du véhicule était imputable à faute à la société [W] qui au surplus ne l'avait pas assuré, a demandé de condamner cette dernière à lui payer la somme de 117.169,62 € à titre de dommages et intérêts, en indemnisation de son préjudice. Elle a subsidiairement sollicité la garantie de la société Mercedes-Benz France.
La société [W] a conclu au rejet des prétentions formées à son encontre, le dommage trouvant selon elle sa cause dans un vice de conception du véhicule et un défaut de mise en main du véhicule par la société Savia. Elle a subsidiairement sollicité la garantie de la société Mercedes-Benz Trucks et de la société [I].
Les sociétés Mercedes-Benz France et Mercedes-Benz Trucks France ont conclu :
- à l'irrecevabilité des appels en garantie formés à leur encontre, selon elles prescrits ;
- au rejet des demandes formées à leur encontre, le préjudice subi par la société Techstar ne leur étant pas imputable.
La société [I] a conclu au rejet des demandes formées à son encontre, l'action à son encontre étant selon elle préscrite et les dommages étant imputables à faute à la société [W].
Par jugement du 24 mai 2022, le tribunal de commerce de Niort a statué en ces termes :
'' Dit que l'action n'est pas prescrite
' Dit qu'il y a lieu de joindre les deux affaires enrôlées sous les numéros 2019000882 et 2019001007
' Dit que la SAS [W] et fils dépositaire du véhicule immatriculé W-343-BN n'a pas contracté d'assurance comme prévu dans l'attestation de mise à disposition du véhicule
' Dit que la SAS [W] et fils dépositaire du véhicule immatriculé W-343-BN est entièrement responsable des dégâts causés
' Condamne la SA [W] et fils à payer la somme de 70.000 € HT soit 84.000 € TTC correspondant à la différence entre le prix du matériel complet (châssis + benne pour 120.000 € HT) et le prix marchand du châssis-cabine réparé (sans la benne pour 50.000 € HT) et 2.641,35 € HT soit 3.169,62 € TTC correspondant aux frais de remise à la route du véhicule nécessaires compte tenu de la durée d'immobilisation, assortis des intérêts de droit à compter
du 18 aout 2015 date de réception de la mise en demeure et anatocisme pour les intérêts de plus d'une année
' Déboute la SAS Techstar Ouest de sa demande de dommages et intérêts
' Dit que les conditions de responsabilité de quelque nature que ce soit de la SAS Mercedes Benz France et de la SAS Mercedes Benz Trucks France ne sont pas réunies
' Déboute la SAS [W] et fils et la SAS Techstar Ouest de leurs demandes à l'encontre de la SAS Mercedes Benz France et de la SAS Mercedes Benz Trucks France et de la SARL [I]
' Condamne la SA [W] et fils à payer les sommes suivantes au titre de l'article 700 :
o 2000 € à la SAS Techstar Ouest
o 2000 € à la SAS Mercedes Benz France
o 2000 € à la SARL [I]
' Condamne la SAS [W] et fils aux entiers dépens de l'instance dont frais de Greffe liquidés pour 129,54 € TTC et y compris l'ensemble des frais d'expertise judiciaire
' Prononce l'exécution provisoire
' Déboute les parties de leurs autres demandes, fins et conclusions'.
Il a considéré que :
- l'action de la société Techstar n'était pas prescrite, l'assignation en référé ayant interrompu le délai de l'article 2224 du code civil ;
- la société [W] avait manqué à son obligation d'assurer le véhicule ;
- la retombée de la benne et le flambement du vérin étaient imputables à faute à la seule société [W], qui avait déplacé le véhicule benne levée pour décoller la terre humide accumulée dans la benne ;
- la société Techstar ne justifiait pas de la dévaluation du véhicule dont elle demandait l'indemnisation pour un montant de 30.000 €.
Par déclaration reçue au greffe le 11 juillet 2022, la société M. [W] et ses fils a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 avril 2023, elle a demandé de :
'Déclarer la société [W] ET FILS recevable et bien fondée en son appel.
Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Débouter la société TECHSTAR OUEST BY AUTOSPHERE de toutes ses demandes, fins et prétentions.
Débouter les sociétés TECHSTAR OUEST BY AUTOSPHERE, MERCEDES BENZ France, DAIMLER TRUCK France, [I] de leur appel incident et de toutes leurs demandes, fins et prétentions.
Subsidiairement, réduire à 10 % la part de responsabilité de la société [W] ET FILS dans la survenance du dommage ayant affecté le véhicule immatriculé W 343 BN.
Déclarer la société [W] ET SES FILS recevable en ses appels en garantie contre les sociétés [I], MERCEDES BENZ France et DAIMLER TRUCK France.
Condamner in solidum les sociétés [I], MERCEDES BENZ France et MERCEDES BENZ TRUCKS France à garantir et relever indemne la société [W] ET FILS de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.
Condamner les sociétés TECHSTAR OUEST BY AUTOSPHERE, [I], MERCEDES BENZ France et DAIMLER TRUCK France à payer à la société [W] ET FILS la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Condamner les sociétés TECHSTAR OUEST BY AUTOSPHERE, [I], MERCEDES BENZ France et DAIMLER TRUCK France aux entiers dépens d'instance, d'expertise et d'appel et autoriser Maître [R] [B], SELARL JURICA, Avocats associés, à poursuivre directement le recouvrement des frais dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision, dans les termes de l'article 699 du Code de Procédure Civile'.
Elle a contesté toute faute de sa part aux motifs que :
- la surcharge de la benne n'était pas avérée ;
- la benne était surdimensionnée par rapport au châssis du véhicule ;
- l'expert avait relevé un défaut de soudure sur une traverse ;
- le coefficient de sécurité n'était pas respecté en cas de mouvement de la benne chargée ;
- la notice d'utilisation de la benne n'interdisait pas de tels mouvements ;
- le dommage était imputable au constructeur et à l'équipementier.
Subsidiairement, elle a conclu à un partage de responsabilité, rappelant que son action en garantie contre le constructeur et la société [I] n'était pas prescrite, le délai de prescription n'ayant commencé à courir qu'à compter de son assignation au fond.
Elle a ajouté que la société Techstar ne justifiait pas de la dévaluation alléguée du camion-benne.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 21 novembre 2023, la société Techstar Ouest by Autosphère a demandé de :
'Vu les articles 1245, 1353, 1604, 1927 et 1933 du Code civil,
Vu les articles 1147 et 1154 anciens du Code Civil dans leur rédaction applicable aux faits de la cause,
DEBOUTER la SAS M. [W] ET SES FILS de son appel le jugeant mal fondé,
DONNER ACTE à la SAS TECHSTAR OUEST BY AUTOSPHERE de ce qu'elle s'en rapporte
sur l'appel incident de la SARL [I],
DONNER ACTE à la SAS TECHSTAR OUEST BY AUTOSPHERE de ce qu'elle s'en rapporte sur les demandes des SAS MERCEDES-BENZ FRANCE et SAS DAIMLER TRUCK FRANCE
S.A.S.U.,
CONFIRMER le jugement dont appel sauf en ce qu'il a débouté la SAS TECHSTAR OUEST BY
AUTOSPHERE de sa demande de dommages et intérêts au titre de la dévaluation pour immobilisation du véhicule,
Faisant droit à l'appel incident,
INFIRMER le jugement du chef ayant débouté la SAS TECHSTAR OUEST BY AUTOSPHERE
de sa demande de dommages et intérêts au titre de la dévaluation pour immobilisation du véhicule,
Et statuant à nouveau,
CONDAMNER la SAS M. [W] ET SES FILS à payer à la SAS TECHSTAR OUEST BY AUTOSPHERE la somme de 30.000,00 € (TRENTE MILLE EUROS) de dommages et intérêts au titre de la dévaluation pour immobilisation du véhicule,
CONDAMNER la SAS M. [W] ET SES FILS à payer à la SAS TECHSTAR OUEST BY AUTOSPHERE la somme de 8.000 € (HUIT MILLE EUROS) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel qui comprendront tous les frais d'expertise judiciaire'.
Elle a maintenu que le sinistre avait pour cause la mauvaise utilisation du véhicule par la société [W], qui au surplus ne l'avait pas assuré en manquement à son engagement contractuel.
Elle a conclu à la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il a rejeté sa demande en paiement de la somme de 30.000 € en indemnisation du préjudice étant résulté de la dévaluation du véhicule demeuré immobilisé depuis 2014 et le temps de l'expertise.
Elle a exclu toute faute de sa part, rappelant que la société [W] était un professionnel des travaux publics, ayant connaissance des modalités d'utilisation d'un camion-benne.
Elle a indiqué s'en rapporter à justice sur les demandes de sociétés [I], Mercedes-Benz France et Daimler Truck France.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 16 novembre 2023, la société [I] a demandé de :
'INFIRMER partiellement le jugement rendu par la Tribunal de commerce de NIORT en date du 24 mai 2022, en tant qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la SARL [I], visant à faire déclarer la demande de la SAS [W] ET FILS irrecevable à son égard, en raison de la prescription quinquennale, et ce en application des articles 2224 et 2234 du code civil ; en outre la jurisprudence invoquée par l'appelante à savoir l'arrêt de la 3 ème chambre civile de la Cour de cassation du 14 décembre 2022 n°0 21-305 ne saurait être transposée à l'espèce, dès lors que cette jurisprudence est applicable aux recours entre constructeur dans le cadre d'un contexte relevant du droit de la construction d'un ouvrage ;
pour le surplus,
CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement entrepris en tant qu'il a totalement mis hors de cause la société [I], et qu'il a débouté de toutes ses fins et conclusions d'appel en garantie de la société [W] ET FILS dirigées à l'encontre de la société [I] ;
en particulier au motif, que la première expertise, ainsi d'ailleurs que l'expertise judiciaire, ont suffisamment mis en évidence, s'agissant de la charge du véhicule, le non-respect par la SAS [W] ET FILS de la charge utile du véhicule, dès lors que celle-ci était au moment de l'accident de 26 tonnes, alors qu'elle n'aurait dû excéder 17 tonnes, que ce seul dépassement de plus de 50% de la charge utile du véhicule doit être considéré comme la cause essentielle de la survenance du sinistre ;
au motif également que le nombre d'arrêts élevés, soit 108 pour un nombre de rotations du camion déclarées à 21 dans la matinée a contribué à la réalisation du sinistre ;
enfin, dès lors que l'Expert lui-même considère qu'il est impossible de déterminer si ces désordres sont dus à l'effet généré par le poids de la benne lors de la levée, et donc antérieur au flambement du vérin, ou s'ils sont la conséquence lors de la retombée de la benne ;
CONFIRMER le jugement en tant qu'après avoir analysé les calculs effectués par le CETIM et le cabinet MG TECH, il démontre la cohérence des deux analyses qui ont conclu : que la retombée de la benne et le flambage du vérin ne peuvent être dues qu'à un déplacement du véhicule benne levée, afin de décoller la terre humide accumulée dans la benne ;
CONFIRMER l'analyse retenue par le jugement, lequel a estimé qu'il s'agit d'un défaut d'utilisation imputable exclusivement et totalement à la SAS [W] ET FILS ;
DEBOUTER la SAS [W] ET FILS de toutes ses fins et conclusions d'appel en garantie dirigé à l'encontre de la société [I] ;
CONDAMNER la SAS [W] ET FILS au paiement d'un montant de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNER la SAS [W] ET FILS en tous les frais et dépens de son appel en garantie ;
statuant sur l'appel en garantie diligenté par la société MERCEDES-BENZ France à l'encontre de la société [I],
DEBOUTER la société MERCEDES BENZ France de son appel en garantie diligenté à l'encontre de la société [I], dès lors qu'il a été suffisamment prouvé aux débats que la SAS [W] ET FILS, dépositaire du véhicule endommagé, est exclusivement responsable de la survenance du sinistre, celui-ci étant lié à un défaut manifeste d'utilisation du véhicule, respectivement de la benne, par son préposé, la SAS [W] ET FILS ayant, au surplus, manqué à son obligation d'assurance, la non-prise en charge de cet accident étant la cause unique de l'action de l'appel en garantie de la SAS [W] ET FILS à l'encontre de la société [I], par voie de conséquence, l'appel en garantie à titre subsidiaire diligenté par la société MERCEDES BENZ France à l'encontre de la société [I] ;
METTRE les frais et dépens de cet appel subsidiaire en garantie à la charge de la société MERCEDES BENZ France'.
Elle a soutenu que :
- l'action de la société [W] était prescrite, le délai de prescription ayant commencé à courir à compter de l'accident ;
- celui-ci était imputable au seul utilisateur, qui n'avait pas respecté la notice d'utilisation de la benne prescrivant de ne rouler qu'avec la benne au repos sur le châssis ;
- le rapport d'expertise ne permettait pas d'imputer à d'éventuels défauts de fabrication la chute de la benne.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 novembre 2023, la société Daimler Truck France, anciennement Mercedes-Benz Trucks France, a demandé de :
'Vu le jugement du 24.05.2022 du TC de Niort (RG n° 2019000882 et 2019001007)
Vu l'article 2224 du Code civil,
Vu l'article 1604 du Code civil,
Vu les articles 1147 (ancien) et 1231-1 (nouveau) et suivants du Code civil,
Vu les articles 1382 (ancien) et 1240 (nouveau) du Code civil,
Vu les articles 1245 et suivants du Code civil,
JUGER que la Sté Daimler Truck France (nouvelle dénomination de Mercedes-Benz Trucks France) vient aux droits de la Sté Mercedes-Benz France suite à l'opération d'apport partiel d'actif réalisée par la Sté Mercedes-Benz France au profit de la Sté Mercedes-Benz Trucks France (dont la nouvelle dénomination est Daimler Truck France).
INFIRMER le jugement entrepris sur les chefs critiqués suivants :
- dit que l'action n'est pas prescrite,
- débouté la Sté Mercedes-Benz Trucks France (dont la nouvelle dénomination est Daimler Truck France) de sa demande au titre de l'article 700 du CPC.
JUGER que toutes demandes formées à l'encontre de la Sté Daimler Truck France (nouvelle dénomination de Mercedes-Benz Trucks France) sur les fondements de la responsabilité délictuelle et de l'obligation de délivrance sont prescrites.
CONDAMNER la partie succombante à verser à la Sté Daimler Truck France (nouvelle dénomination de Mercedes-Benz Trucks France) une somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre de la procédure de première instance.
CONFIRMER le jugement en ce qu'aucune condamnation n'a été prononcée à l'encontre de la Sté Daimler Truck France (nouvelle dénomination de Mercedes-Benz Trucks France).
JUGER que la demande en garantie formée par la Sté [W] & Fils à l'encontre de la Sté Daimler Truck France (nouvelle dénomination de Mercedes-Benz Trucks France) est irrecevable en application de l'article 1231 du Code civil.
JUGER que la Sté Daimler Truck France (nouvelle dénomination de Mercedes-Benz Trucks France) n'est, ni l'utilisateur du « camion benne » le jour du sinistre, ni le constructeur de la benne.
JUGER que les conditions de la responsabilité, de quelque nature que ce soit, de la Sté Daimler Truck France (nouvelle dénomination de Mercedes-Benz Trucks France), ne sont pas réunies. En conséquence :
DEBOUTER la Sté [W] et ses Fils de toutes ses demandes formées à l'encontre de la sté Daimler Truck France (nouvelle dénomination de Mercedes-Benz Trucks France).
DEBOUTER la Sté TECHSTAR OUEST BY AUTOSPHERE, anciennement dénommée SAVIA, ainsi que toutes autres parties, de toutes demandes formées à l'encontre de la Sté Daimler Truck France (nouvelle dénomination de Mercedes-Benz Trucks France).
Dans le cas où la Cour entrerait en voie de condamnation à l'encontre de la concluante :
Vu les articles du code de procédure civile et Vu les articles du Code civil ci-dessus précités au visa du dispositif des présentes conclusions,
CONDAMNER la Sté [W] et ses Fils, et/ou la Sté [I], séparément ou solidairement, à relever et garantir la Sté Daimler Truck France (nouvelle dénomination de Mercedes-Benz Trucks France) de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre.
En toute hypothèse :
CONDAMNER la partie succombante à verser à la Sté Daimler Truck France (nouvelle dénomination de Mercedes-Benz Trucks France) une somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre de la procédure d'appel.
CONDAMNER la partie succombante aux entiers dépens d'instance, d'expertise judiciaire, et d'appel, dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué en application de l'article 699 du Code de Procédure Civile'.
Elle a soutenu que l'action de la société [W] était prescrite aux motifs que :
- le délai de l'article 2224 du code civil avait selon elle commencé à courir au plus tard à compter de la demande d'indemnisation de la société Savia (Techstar), le 18 août 2015 ;
- s'agissant d'un défaut de délivrance, le délai de prescription avait commencé à courir à compter de la date de la vente.
Elle a ajouté que la demande de la société [W] était irrecevable à défaut de mise en demeure préalable.
Au fond, elle a conclu au rejet des prétentions formées à son encontre, le sinistre étant imputable à la seule société [W] qui avait manipulé le véhicule de manière inadéquate et ne l'avait pas assuré.
Elle a subsidiairement sollicité la garantie des sociétés [W] et [I].
Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 novembre 2023, la société Mercedes-Benz France a demandé de :
'Vu le jugement du 24.05.2022 du TC de Niort (RG n° 2019000882 et 2019001007)
Vu l'article 2224 du Code civil,
Vu l'article 1604 du Code civil,
Vu les articles 1147 (ancien) et 1231-1 (nouveau) et suivants du Code civil,
Vu les articles 1382 (ancien) et 1240 (nouveau) du Code civil,
Vu les articles 1245 et suivants du Code civil,
JUGER que la Sté Daimler Truck France (nouvelle dénomination de Mercedes-Benz Trucks France) vient aux droits de la Sté Mercedes-Benz France suite à l'opération d'apport partiel d'actif réalisée par la Sté Mercedes-Benz France au profit de la Sté Mercedes-Benz Trucks France (dont la nouvelle dénomination est Daimler Truck France).
JUGER que les demandes formées par la Sté [W] et ses Fils, ainsi que par toute partie, sont irrecevables, et par conséquent METTRE HORS DE CAUSE la Sté Mercedes-Benz France.
En tout état de cause, JUGER que la demande de condamnation de la concluante à relever et garantir la Sté [W] et ses Fils est une prétention nouvelle en cause d'appel et la JUGER irrecevable.
INFIRMER le jugement entrepris sur le chef critiqué suivant : dit que l'action n'est pas prescrite,
JUGER que toutes demandes formées à l'encontre de la Sté Mercedes-Benz France sur les fondements de la responsabilité délictuelle et de l'obligation de délivrance sont prescrites.
CONFIRMER le jugement en ce qu'aucune condamnation n'a été prononcée à l'encontre de la Sté Mercedes-Benz France.
JUGER que la demande en garantie formée par la Sté [W] & Fils à l'encontre de la Sté Mercedes-Benz France est irrecevable en application de l'article 1231 du Code civil.
JUGER que la Sté Mercedes-Benz France n'est, ni l'utilisateur du « camion benne » le jour du sinistre, ni le constructeur de la benne.
JUGER que les conditions de la responsabilité, de quelque nature que ce soit, de la Sté Mercedes-Benz France, ne sont pas réunies.
En conséquence :
DEBOUTER la Sté [W] et ses Fils de toutes ses demandes formées à l'encontre de la sté MERCEDES-BENZ France.
DEBOUTER la Sté TECHSTAR OUEST BY AUTOSPHERE, anciennement dénommée SAVIA, ainsi que toutes autres parties, de toutes demandes formées à l'encontre de la société MERCEDES-BENZ France.
DEBOUTER la Sté [I] de sa demande visant à « mettre les frais et dépens » de l'appel subsidiaire en garantie à la charge de la concluante, et plus généralement de toutes demandes formées à l'encontre de la société MERCEDES-BENZ France.
Dans le cas où la Cour entrerait en voie de condamnation à l'encontre de la concluante :
Vu les articles du code de procédure civile et Vu les articles du Code civil ci-dessus précités au visa du dispositif des présentes conclusions,
CONDAMNER la Sté [W] et ses Fils, et/ou la Sté [I], séparément ou solidairement, à relever et garantir la Sté MERCEDES-BENZ FRANCE de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre.
En toute hypothèse :
CONDAMNER la partie succombante à verser à la Sté MERCEDES-BENZ FRANCE une somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
CONDAMNER la partie succombante aux entiers dépens d'instance, d'expertise judiciaire, et d'appel, dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué en application de l'article 699 du Code de Procédure Civile'.
Elle a soutenu que :
- l'action dirigée à son encontre était irrecevable pour défaut de qualité à défendre, la société Daimler Truck France venant à ses droits ;
- la demande de garantie de la société [W] était irrecevable car nouvelle devant la cour.
Elle a pour le surplus conclu au rejet des prétentions formées à son encontre pour les mêmes motifs que précédemment.
L'ordonnance de clôture est du 4 décembre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A - SUR LA QUALITE DES SOCIETES DAINLER TRUCK FRANCE, MERCEDES-BENZ TRUCKS FRANCE ET MERCEDES-BENZ FRANCE
Les sociétés Mercedes-Benz avaient exposé devant le premier juge que la société Mercedes-Benz Trucks France venait aux droits de la société Mercedes-Benz France suite à une opération d'apport partiel d'actif.
La société Mercedes-Benz Trucks France expose se dénommer désormais Daimler Truck France.
Ce changement de dénomination sera constaté ainsi qu'il suit.
B - SUR LES EXPERTISES
1 - sur l'expertise réalisée par Charente Maritime Expertises
L'expert missionné par l'assureur de la société Savia (Techstar) a indiqué en pages 11 à 17 de son rapport que :
'La châssis du camion ainsi que le faux châssis de la benne sont fortement pliés en partie centrale au niveau de la fixation de l'embase du vérin.
[...]
Les vis de fixation du faux châssis ont été arrachées sous l'effet de la flexion simultanée des deux éléments.
La traverse sur faux châssis support de palier inférieur de vérin de compas est fortement déformée et déchirée.
[...]
La traverse a subi un effort anormal supérieur à sa capacité de résistance au niveau de l'axe support d'articulation inférieure de vérin de compas
[...]
Le vérin est fortement plié au niveau de sa tige à la sortie du fût.
La pliure de la tige s'est effectuée alors que la tige est sortie d'environ 63 cm, ce qui compte tenu de l'allongement lié à la pliure correspond à un déploiement quasi-total.
[...]
Une éventuelle mise en butée du vérin ne peut pas expliquer son flambage qui ne peut résulter que d'une application de forces antagonistes dans son axe et dépassant son seuil de résistance
[...]
Un livret d'utilisation de la benne est bien présent dans la cabine du camion'.
[C] [F], cet expert, a en page 17 de son rapport indiqué que :
'Une étude chiffrée de calcul de résistance des matériaux transmise par les Ets [I] fait ressortir un coefficient de sécurité de 3.9 en statique concernant les caractéristiques de résistance maximum du vérin au flambage.
Il s'avère qu'une force dynamique horizontale croissante assimilable à une décélération fait décroitre de façon importante le coefficient de sécurité du système à tel point qu'une décélération équivalente à 1.0 g ramène le coefficient de sécurité à seulement 1.1
C'est pourquoi la notice d'utilisation avertit de ne rouler qu'avec la benne au repas sur le châssis et que de facto toute action d'accélération ou de freinage benne levée s'avère fortement dangereuse'.
Il a estimé en page 19 de son rapport à 21.125 kilogrammes la masse approximative du chargement, pour une charge utile du camion de 21.000 kilogrammes. Il a considéré que : 'le véhicule ne présentait pas un état de surcharge avéré mais qu'il était en condition d'utilisation maximum'.
En page 20, au paragraphe 'Analyse des relevés de performance véhicule (Fleet Board)', il a relevé :
- temps de travail : début 7 h 28, fin 11 h 03 ;
- kilométrage parcouru le 6 mai 2014 : 11 kilomètres ;
- nombre d'arrêts enregistré : 108 ;
- consommation : totale 155 lites/100, en route 100,10 l/100.
Il a ajouté en page 21 que :
'Nous notons et constatons :
-Une consommation quatre fois supérieure par rapport à celles relevées chez les précédents utilisateurs.
-Un nombre d'arrêts étonnamment élevé sur les 11 kms parcourus'.
En page 22, il a émis l'avis suivant sur les responsabilités engagées :
Fait générateur du dommage
Sollicitations dynamiques du véhicule en charge avec benne levée
Conséquences préjudiciables
Flambage du vérin de levage entrainant la chute de la benne chargée et la détérioration du châssis du porteur.
Lien de causalité
Une forte décélération du camion benne levée réduit fortement par effet dynamique le coefficient de sécurité suffisant prévu initialement par le constructeur en statique.
De fait les forces appliquées au vérin peuvent dépasser sa résistance an flambage.
Recours à exercer
A l'encontre de 1'utilisateur et de son assureur suivant garanties octroyées par le Contrat
Il a conclu en ces termes en page 25 de son rapport :
'En conséquence et faute d'avoir mis en évidence un quelconque défaut de conception, de fabrication ou d'assemblage du matériel de nature à mettre en cause un défaut de conformité, nous considérons que l'événement ne peut être la conséquence que d'un défaut d'utilisation.
L'utilisateur, confronté à des difficultés de déchargement lié à un phénomène d'adhésion sur parois aurait accéléré et freiné violemment le camion avec la benne en position haute dans le but d'en décoller la charge.
Un transfert de masse défavorable lié a ce type d'utilisation, interdit par le livret d'entretien bien présent dans le véhicule, a pu provoquer un dépassement des limites admissibles des efforts axiaux sur le vérin, entrainant son flambage, la retombée de la benne et la destruction en cascade du faux châssis avec sa traverse d'articulation inférieure ainsi que du châssis du porteur.
La responsabilité de l'utilisateur en charge d'un matériel sur lequel n'a été relevé aucun défaut nous parait donc totalement engagée'.
2 - sur le rapport d'expertise judiciaire
[Z] [P] a décrit l'utilisation qui a été faite du véhicule :
'Le 06/05, le véhicule était en service sur un chantier de décapage de terre depuis 8h00.
L'incident a eu lieu à 11h00 après plusieurs rotations dans la matinée.
Il faisait des rotations d'environ 200m, entre le chargement et le déchargement sur un chantier de décapage de terre végétale.
La benne était pleine de terre. Lors du déchargement, la benne était levée en position maximale avec la porte arrière ouverte, mais la terre est restée collée à l'intérieur. La benne est alors retombée brutalement sur le châssis du camion'.
Il a décrit aux paragraphes 7 à 9 de son rapport l'état du véhicule. Il a constaté que :
'La tige du vérin est pliée à 90° et elle a déformé le fond de la benne.
Le châssis du camion et le faux-châssis de la benne sont pliés.
Les vis de fixation avant du faux châssis ont cassé.
La traverse sur laquelle est fixée le compas d'articulation de la benne est faussée.
Et les soudures d'assemblage (de) celle-ci en partie basse sont déchirées.
[...]
Le fond de benne a été déformé par le vérin.
[...]
La traverse support vérin est fortement déformée
L'axe support a pivoté vers le bas, avec déchirures des soudures inférieures de la reconstruction de la traverse.
Jusqu'à appui du compas de la traverse'.
Il a considéré que :
'La déformation du vérin est caractéristique d'un flambement de celui-ci.
La benne est homologuée pour une charge utile maximale de 25 000 kgs.
Le calcul initial de [I] (calcul des efforts au compas) donnait un coefficient de sécurité de 3,9 en statique avec une charge de 16 200 kg.
Le calcul préliminaire effectué dans la note N°7 donnait un coefficient de sécurité inférieur aux règles de l'art (2 minimum), avec une charge estimée de 26 082 kg'.
Cette analyse a été confirmée par l'étude confiée au cabinet Cetim.
S'agissant de la 'poutre support compas', il a exposé que :
'Les soudures ne sont pas pénétrées (collage).
La tôle pliée n'est pas conforme au plan (absence de chanfreins).
Ces défauts de fabrication ont fortement affaibli la résistance de cette poutre.
Il est impossible de déterminer si ces désordres sont dus à l'effort généré par le poids de la benne lors de la levée, et donc antérieurs au flambement du vérin, ou s'ils sont la conséquence lors de la retombée de la benne'.
Au paragraphe '15: Eléments techniques permettant de déterminer les responsabilités encourues', il a exposé que :
'-Dimensionnement du vérin :
[I] n'a pas pris en compte le cas le plus critique dans le dimensionnement du vérin, et le coefficient de sécurité préconisé dans les règles de l'art n'est pas respecté.
- Réalisation de la traverse support compas
La traverse n'est pas conforme au plan et les soudures ne sont pas conformes aux règles de l'art (pas de pénétration de la soudure dans la tôle).
- Charge du véhicule :
[W] n'a pas respecté la charge utile du véhicule (26 T au lieu de 17),
Le véhicule était très fortement en surcharge, même si seule la capacité de la benne et de son vérin de levée est à considérer dans le flambement du vérin. (25T)
- Mouvement du véhicule :
Il n'est pas possible de savoir si le véhicule a été « secoué » (avance/freinage) pour tenter de décoller la terre dans la benne, en position levée. ([W] a affirmé ne pas avoir bougé le véhicule lors de l'accident).
Une décélération de 0,3g suffit à provoquer de façon certaine le flambement du vérin. Même si [I] interdit formellement de rouler avec la benne levée, il est nécessaire de pouvoir bouger le véhicule benne levée lors de déchargement (répartir la terre pour éviter de bloquer l'ouverture de la benne, par exemple). C'est pourquoi la décélération du véhicule doit être prise en compte dans le dimensionnement'
L'expert judiciaire a conclu en ces termes son rapport :
'Les désordres constatés sont dus à la conjonction de plusieurs facteurs :
- Charge de la benne proche de la capacité maximale (charge calculée 26 T pour une charge utile de la benne de 25T)
- Charge qui ne descend pas lors de la levée de la benne (terre collée dans la benne)
- Traverse support compas non-conforme (soudures mal réalisées)
- Dimensionnement insuffisant du vérin,
- Mouvements possibles du véhicule,
Dans sa conception de la benne, [I] n'a pas pris correctement en compte le cas de charge critique que nous avons rencontré lors de l'incident. (Benne chargée au maxi, et qui ne se vide pas pendant la montée, avec mouvement possible du véhicule).
Le défaut de réalisation de la poutre support compas est un facteur aggravant important, qui fait passer le vérin dans la zone critique du flambement.
[W] a chargé la benne au-delà de la charge maxi autorisée 26T (charge calculée) pour une charge maxi de 25T.
[W] a utilisé le véhicule en surcharge importante (41T pour 32)
La Sté [W] n'a donc respecté ni la charge utile de la benne, ni le PTAC.
Il faut toutefois noter que la benne est surdimensionnée par rapport au châssis porteur.
Il était donc difficile pour 1'utilisateur de savoir qu'en remplissant la benne, le véhicule serait en surcharge.
La Sté SAVIA n'a pas effectué de mise en main spécifique du véhicule, et n'a pas précisé les limites à respecter, notamment que la benne ne devait pas être remplie à plus des 2/3 de sa capacité'.
C - SUR LES DEMANDES FORMEES A L'ENCONTRE DE LA SOCIETE [W]
1 - sur la relation contractuelle
a - sur un contrat de dépôt
L'article 1915 du code civil dispose que : 'Le dépôt, en général, est un acte par lequel on reçoit la chose d'autrui, à la charge de la garder et de la restituer en nature' et l'article 1927 que : 'Le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent'.
L'article 1929 du même code précise que : ' Le dépositaire n'est tenu, en aucun cas, des accidents de force majeure, à moins qu'il n'ait été mis en demeure de restituer la chose déposée' et l'article1932 alinéa 1er que : 'Le dépositaire doit rendre identiquement la chose même qu'il a reçue'.
Aux termes de l'article 1933 du code civil : 'Le dépositaire n'est tenu de rendre la chose déposée que dans l'état où elle se trouve au moment de la restitution. Les détériorations qui ne sont pas survenues par son fait sont à la charge du déposant'.
Les sociétés [W] et Techstar conviennent être liées par un contrat de dépôt. Celui-ci est matérialisé par une 'attestation de mise à disposition de véhicule à l'essai', du 5 au 16 mai 2014, en date du 11 avril 2014, signée de la société [W].
La société [W] s'était en outre à ce document engagée à assurer 'tous risques' le véhicule, pour une valeur de 130.000 €.
b - sur l'endommagement du véhicule
Le véhicule a été détérioré lors de son utilisation par la société [W].
Elle n'est pas en mesure de restituer le véhicule dans l'état dans lequel il lui avait été remis.
2 - sur l'imputabilité de la détérioration
a - imputabilité à la société [W]
Il résulte des rapports d'expertise, notamment du rapport d'expertise judiciaire, que la société [W] a utilisé le véhicule en surcharge (41 tonnes au lieu de 32 tonnes) et la benne en surcharge (26 tonnes au lieu de 25 tonnes).
Le rapport d'expertise judiciaire n'a pas été réfuté sur ce point.
L'électronique de bord a enregistré 108 arrêts pour 11 kilomètres parcourus, soit environ 100 mètres entre chaque arrêt. La distance entre le lieu de chargement et celui de chargement était d'environ 200 mètres.
L'expertise judiciaire établit que la benne s'est affaissée alors qu'elle était à pleine charge et entièrement levée. Sans mouvement, le coefficient de sécurité de l'ensemble était de nature à prévenir le flambement du vérin. Celui-ci n'a pu intervenir qu'en raison de mouvements réalisés benne chargée et levée. Cette utilisation ne peut pas être exclue en raison du nombre important d'arrêts du véhicule.
b - sur un manquement de la société Techstar
L'expert a rappelé dans son rapport, au paragraphe 'explications des parties' que :'La SAS [W] est une entreprise de travaux publics qui exploitent 13 véhicules de marque Mercedes'.
L'expert d'assurance a, ainsi que précédemment rappelé, relevé que : 'Un livret d'utilisation de la benne est bien présent dans la cabine du camion' et que cette notice : 'avertit de ne rouler qu'avec la benne au repos sur le châssis'.
L'expert judiciaire a ajouté en réponse à un dire que :
'Contrairement aux allégations de [I], leur notice mentionne uniquement ne rouler qu'avec la benne au repos sur le châssis.
A aucun endroit cette notice mentionne qu'il est interdit d'avancer avec la benne levée sur un chantier'.
Il a également relevé que :
'La sté [W] insiste également sur le fait qu'elle n'a bénéficié d'aucune formation/mise ne (en) main du véhicule.
Ceci n'a été contredit par aucune des parties'.
La société [W] est un professionnel des travaux publics utilisant des véhicules de la même marque que celui détérioré.
Elle ne peut ignorer les règles d'utilisation des camions-benne : respect du poids total autorisé en charge (Ptac), absence de mouvements brusques benne chargée levée.
Lors de la prise en charge du véhicule, le représentant de la société [W] n'a demandé aucune explication sur le maniement du véhicule et de sa benne, qui n'a pas été présentée comme ayant des particularités la différenciant fondamentalement des autres bennes équipant les véhicules de la société [W].
La capacité de la benne est indifférente. Il appartient à l'utilisateur du véhicule de s'assurer que la charge maximale autorisée du véhicule est respectée. Le volume et le poids de la charge diffèrent selon les matériaux transportés. Les caractéristiques du véhicule ont été rappelées par l'expert judiciaire : poids à vide de 14.985 kilogrammes, Ptac de 32.000 kilogrammes, soit une charge utile de 17 tonnes. La benne était lors du sinistre chargée à 21 ou 26 tonnes, selon les experts.
Il ne peut dès lors pas être reproché par la société [W] à la société Techstar un défaut d'information sur le véhicule et de mise en main de celui-ci se différenciant fondamentalement dans son utilisation de ceux déjà en service dans la société.
c - sur un manquement de la société [I]
Les indications du livret d'utilisation de la benne ont été précédemment rappelées.
Le coefficient de sécurité de la benne, chargée à 16.200 kilogrammes correspondant à la charge utile du camion, était de 3,9 et de 2 avec une charge estimée à 26.082 kilogrammes impliquant un dépassement de 10 tonnes du poids total autorisé en charge.
Les caractéristiques de la benne étaient ainsi en adéquation avec celles du véhicule.
Il ne peut pas être reproché à la société [I] d'avoir installé sur le camion ayant une charge utile d'environ 16 tonnes une benne acceptant 25 tonnes de charge.
En réponse à un dire, l'expert judiciaire a indiqué que :
'Sans nier les non-conformités constatées, [I] indique que nous ne pouvons pas utiliser ces éléments pour déterminer les responsabilités encourues.
Comme nous l'avons indiqué, il n'est pas possible de déterminer si la poutre s'est affaissée pendant la levée de la benne, ou lors de sa chute.
Toutefois, nous privilégions la première hypothèse, car l'affaissement de la poutre est un facteur aggravant important dans l'effort subi par le vérin. En effet, l'affaissement de la poutre fait passer le coefficient de sécurité en dessous du seuil de 2".
Le rapport d'expertise ne permet pas d'imputer au défaut de soudure de la traverse de fixation du compas d'articulation de la benne le flambement du vérin. L'expert n'a émis qu'une hypothèse qu'il a indiqué ne pas pouvoir étayer. Il sera au surplus observé que les déchirures des soudures se situent au niveau de l'enfoncement de la traverse étant résulté de la chute de la benne.
Il s'ensuit que l'incident ayant affecté la benne ne peut pas être imputé à faute à la société [I].
d - récapitulatif
Il résulte de ces développements que les dommages subis par le véhicule sont imputables à la seule société [W], qui avait au surplus manqué à son engagement contractuel d'assurer le camion.
3 - sur le préjudice
a - sur le coût de remise en état du camion
[D] [F] a chiffré à 63.760,47 € hors taxes le coût de la remise en état du camion, soit :
- pièces : 41.710,47 € ;
- main d'oeuvre : 22.050 €.
L'expert judiciaire a évalué à 83.070,32 € hors taxes le coût de la remise en état du véhicule, soit :
- benne (devis Meiller) : 27.440,75 € ;
- châssis (devis Savia) : 55.629,47 €.
Ces évaluations n'ont pas été réfutées.
La société Techstar demande la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société [W] au paiement de la somme de 70.000 € hors taxes.
Le jugement sera pour les motifs qui précèdent confirmé de ce chef.
b - sur la dévaluation du véhicule
La société Techstar demande paiement de la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de la dévaluation du véhicule immobilisé depuis 2014.
La chute de la benne est survenue le 6 mai 2014. Le camion est devenu inutilisable. A la date des opérations d'expertise judiciaire, il n'avait pas été réparé.
Le véhicule a ainsi été immobilisé du 6 mai 2014 au 2 octobre 2020, date du rapport d'expertise, soit 6 ans et 4 mois.
La société Techstar ne justifie toutefois pas que le véhicule a, le temps de cette immobilisation, perdu de la valeur et qu'il aurait, après réparation, une valeur moindre qu'au jour du sinistre.
Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a rejeté de ce chef la demande d'indemnisation de cette société.
D - SUR LES APPELS EN GARANTIE
1 - sur la recevabilité
La société [W] fonde son recours à l'encontre de la société [I] sur un défaut de conformité tenant à la mauvaise qualité de la soudure de la traverse et à l'encontre du constructeur sur le fondement de l'article 1240 du code civil (anciennement 1382) qui dispose que : ' Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'.
L'article 2232 alinéa 1er du code civil précise que : 'Le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit'.
L'article 2224 du code civil dispose que : 'Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer'.
L'action en garantie telle que formée par la société [W] doit être exercée dans les cinq ans à compter de l'assignation, sans pouvoir dépasser le délai butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, en l'espèce celui de mise en circulation du camion équipé de sa benne. La 'date de production' mentionnée au rapport de [C] [F] est le 9 octobre 2013. L'expert judiciaire a mentionné que le véhicule avait été immatriculé 'fin 2013".
La société [W] n'a pris l'initiative ni de la procédure de référé, ni de celle au fond.
Elle n'a formé de demandes à l'encontre des sociétés [I] et Mercedes Benz Trucks France que par conclusions écrites déposées en vue de l'audience du 28 septembre 2021.
A cette date, le délai de 5 années qui courait au plus tôt à compter de la date de son assignation en référé et au plus tard à compter de celle de son assignation au fond, n'était pas expiré. Il en était de même du délai butoir de 20 années qui avait commencé à courir à compter du 9 octobre 2013.
Pour ces motifs, les appels en garantie de ces sociétés par la société [W] sont indépendamment de leur bien fondé, recevables.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
La société Techstar n'a quant à elle formé aucune demande à l'encontre des sociétés Mercedes-Benz (Daimler Truck France) et [I].
2 - sur le bien fondé de l'action
Il résulte des développements précédents que le flambement du vérin de la benne et la détérioration du camion sont imputables à la seule société [W].
Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes formées à l'encontre des sociétés Mercedes-Benz France, Mercedes-Benz trucks France et [I].
E - SUR LES DEPENS
La charge des dépens d'appel incombe à la société [W].
F - SUR LES DEMANDES PRESENTEES SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
Le premier juge a équitablement apprécié les indemnités dues sur ce fondement par la société [W].
Il serait par ailleurs inéquitable et préjudiciable aux droits des intimées de laisser à leur charge les sommes exposées par elles et non comprises dans les dépens d'appel. Il sera pour ce motif fait droit à leurs demandes formées de ce chef pour les montant ci-après précisés.
PAR CES MOTIFS,
statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
CONSTATE que la société Daimler Truck France, anciennement dénommée Mercedes-Benz Trucks France, vient aux droits de la société Mercedes-Benz France ;
CONFIRME le jugement du 24 mai 2022 du tribunal de commerce de Niort ;
CONDAMNE la société M. [W] et ses fils aux dépens d'appel ;
CONDAMNE la société M. [W] et ses fils à payer en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile les sommes de :
- 2.000 € à la société Techstar Ouest by Autosphère ;
- 2.000 € à la société Daimler Truck France ;
- 2.000 € à la société [I].
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,