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06/07/2023 | FRANCE | N°22/02480

France | France, Cour d'appel de Poitiers, Premier président, 06 juillet 2023, 22/02480


R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



MINUTE N°10

COUR D'APPEL DE POITIERS

N° RG 22/02480

N° Portalis DBV5-V-B7G-GUTC

REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION







[D] [X] [H]



Décision en premier ressort rendue publiquement le six juillet deux mille vingt trois, par Madame Isabelle LAUQUE, présidente de chambre, agissant sur délégation de Madame la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, assistée lors des débats et du prononcé de la présente décision d

e Madame Inès BELLIN, greffier,



Après débats en audience publique le 8 juin 2023 ;



Sur la requête en réparation de la détention fondée...

R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

MINUTE N°10

COUR D'APPEL DE POITIERS

N° RG 22/02480

N° Portalis DBV5-V-B7G-GUTC

REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION

[D] [X] [H]

Décision en premier ressort rendue publiquement le six juillet deux mille vingt trois, par Madame Isabelle LAUQUE, présidente de chambre, agissant sur délégation de Madame la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, assistée lors des débats et du prononcé de la présente décision de Madame Inès BELLIN, greffier,

Après débats en audience publique le 8 juin 2023 ;

Sur la requête en réparation de la détention fondée sur les articles 149 et suivants et R26 et suivants du code de procédure pénale présentée par

REQUERANT :

Monsieur [D] [X] [H]

né le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 9]

[Adresse 2]

[Localité 5]

comparant en personne, assisté de Me Stéphanie TRAPU, avocat au barreau de DEUX-SEVRES

EN PRESENCE DE :

Monsieur l'agent judiciaire de l'Etat

Sous-direction du droit privé

[Adresse 4]

[Localité 8]

représenté par Me Renaud BOUYSSI de la SELARL ARZEL ET ASSOCIES, avocat au barreau de Poitiers

ET :

Monsieur le procureur général près la cour d'appel de Poitiers

[Adresse 3]

[Localité 6]

représenté par Madame Carole WOJTAS, Substitute générale

Le 4 décembre 2017, Monsieur [D] [X] [H], placé depuis plusieures années sous le régime de la curatelle renforcée, a été mis en examen du chef de meurtre sur la personne de [M] [Z] et placé en détention provisoire.

Renvoyé devant la Cour d'assises des Deux-Sèvres, il a été reconnu coupable et condamné à 15 ans de réclusion criminelle par arrêt du 28 juin 2021.

Monsieur [X] [H] [D] a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 24 août 2021, la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Poitiers, l'a libéré et l'a placé sous contrôle judiciaire.

Le 7 avril 2022, il a été acquitté par la Cour d'assises de la Vendée.

Par requête enregistrée au Greffe de la Cour d'Appel de Poitiers le 6 octobre 2022, Monsieur [D] [H] [X] a saisi Madame la première Présidente de la Cour d'appel de Poitiers d'une demande d'indemnisation suite à la détention injustifiée de 684 jours. Il sollicite, au visa des articles 149 et suivants du Code de Procédure Pénale, la condamnation de l'Agent Judiciaire de l'Etat à lui verser une indemnité de 102.600 euros en réparation de son préjudice moral.

Dans ses écritures du 6 octobre 2022, son conseil justifie le montant de sa demande d'indemnisation par les éléments suivants :

- la vulnérabilité de M. [D] [X] [H] en raison de son handicap et du fait que son client n'a pu bénéficier d'un suivi particulier lors de sa détention. Il souligne que la maison d'arrêt de [Localité 7] où il était détenu n'est pas dotée de moyens adéquats pour faire face à la situation de son client.

- ses conditions de détention, M. [D] [X] [H] ayant été incarcéré pendant de longs mois dans une cellule de 9 m2 avec d'autres détenus au second étage de la maison d'arrêt de [Localité 7] surchauffé l'été en raison d'un dôme métallique absorbant les rayons de soleil ou au contraire très humide. Vulnérable, il a été malmené en détention au point d'être changé de cellule à 7 reprises.

-son isolement, M. [D] [X] [H] ayant affronté seul une détention éprouvante car ses deux soeurs qui représentaient sa seule famille habitant en région parisienne n'avaient pu être physiquement présentes afin de le soutenir.

-la nature des faits qui lui étaient reprochés l'a par ailleurs plongé dans une souffrance importante. Poursuivi à tort pour une affaire de meurtre, il s'était retrouvé en détention et en contact avec d'autres prévenus poursuivis pour faits de nature délictuelle ou criminelle.

Pendant plus de trois ans, Monsieur [D] [X] [H] a clamé son innocence sans être entendu.

Ainsi, il soutient que sa détention lui a causé un préjudice moral important eu égard à sa durée et en considération des éléments développés particulièrement par rapport à la détresse ressentie en sa qualité de personne vulnérable et de l'importance du choc carcéral subi.

L'agent judiciaire de l'Etat a conclu le 8 décembre 2022. Dans le principe, il ne conteste pas le préjudice allégué et les arguments avancés par le requérant. Après avoir proposé d'indemniser le préjudice de M. [D] [X] [H] à hauteur de 65 000 euros suite à une erreur de calcul de la durée de la détention, il rectifie sa proposition par conclusions du 30 mars 2023 et la ramène à 35.000 euros. Il demande enfin à la Cour de déclarer irrecevable la requête en indemnisation sous réserve de l'établissement du caractère définitif de la décision d'acquittement.

Par conclusions du 23 février 2023, le ministère public expose que la durée de la détention provisoire indemnisable est de 684 jours, soit 1 an, 10 mois et 14 jours.

S'agissant du préjudice moral, le ministère public considère que la vulnérabilité de M.[D] [X] [H], bien qu'elle soit démontrée par la production du jugement du juge des contentieux et de la protection, ne semble pas être un facteur ayant aggravé ses conditions de détention. Il prétend que dès son arrivée en détention, il avait fait une demande d'inscription à l'unité d'enseignement et était par la suite classé comme travailleur à compter de janvier 2019 jusqu'au 31 août 2019. Le ministère public fait valoir que le requérant était célibataire sans enfant et n'avait de liens familiaux qu'avec sa soeur aînée même s'ils ne se voyaient et se téléphonaient que rarement.

Enfin, le ministère public souligne que la souffrance morale évoquée doit s'apprécier indépendamment de l'attitude du demandeur pendant l'enquête ou l'information. En conséquence, le ministère public estime que les dénégations du requérant au cours de l'enquête préliminaire et de l'instruction préparatoire sur les faits qui avaient entraîné sa mise en examen sont sans portée sur le principe et le montant de la réparation.

Ainsi, le ministère public considère que le montant de l'indemnisation sollicité par M. [D] [X] [H] est excessif par rapport à la jurisprudence habituelle en la matière. Dès lors, le ministère public demande à la cour de ramener l'indemnisation du préjudice moral subi à de plus justes proportions.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de la demande d'indemnisation

Aux termes des articles 149 et 150 du Code de procédure pénale, une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe, ou d'acquittement devenue définitive ; cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement causé par la privation de liberté.

Il ressort des pièces du dossier que la requête a été présentée dans le délai de l'article 149-2 du code de procédure pénale, que la décision de relaxe est définitive, le ministère public n'ayant pas formé de pourvoi contre l'arrêt de la cour et que le requérant n'a pas été détenu pour autre cause.

Dans ses conclusions enregistrées le 27 mars 2023 au Greffe de la Cour d'appel de Poitiers, le conseil de M.[D] [X] [H] a produit un certificat de non-pourvoi daté du 19 mai 2022.

Ainsi, la requête en indemnisation de la détention provisoire de M. [D] [H] [X] doit être déclarée recevable.

Sur la demande indemnitaire

Toute détention injustifiée cause nécessairement à celui qui l'a subie un préjudice que le juge doit veiller à réparer dans son intégralité.

L'évaluation de ce préjudice s'apprécie au regard de la situation personnelle, familiale, sociale du requérant mais également à l'aune des conditions dans lesquelles cette mesure de privation de liberté s'est exécutée.

Les conditions de détention doivent être prises en compte et analysées in concreto dans chaque situation afin de déterminer l'exact préjudice de la personne injustement privée de liberté et il ne peut être fait référence in abstracto à une jurisprudence qui s'appliquerait de façon uniforme à tous en partant du postulat que tous les détenus souffrent de conditions de détention identiques.

Il ressort des pièces du dossier que Monsieur [D] [H] [X] a effectué au total 684 jours de détention injustifiée.

Lors de son incarcération, âgé de 36 ans, il était célibataire sans enfant.

Il avait été placé sous mesure de protection judiciaire le 4 février 2016 au constat que son état de santé ne lui permettait pas de prendre seul et de manière éclairée toutes les décisions personnelles. Cette mesure de curatelle a été levée à la demande de M. [D] [H] [X], le 3 octobre 2022.

Le casier judiciaire de Monsieur [D] [H] [X] permet de constater qu'il a été condamné à 6 reprises entre 2005 et 2016 notamment pour des faits de vols aggravés. Trois de ces condamnations, prononcées en 2007 et 2008, sont des condamnations à des peines d'emprisonnement ferme pour un total cumulé de 18 mois.

Ce constat permet de relativiser le choc carcéral du requérant mais également de limiter l'impact de l'état de vulnérabilité invoqué.

En effet, cette vulnérabilité n'a jamais été un frein à la commission d'infractions et les précédentes incarcérations n'avaient pas dissuadé M. [D] [H] [X] de réitérer.

L'enquête de personnalité révèle que Monsieur [D] [H] [X] [D] entretenait une relation plus ou moins régulière avec une de ses soeurs aînés, dénommée [S], résidant à [Localité 8].

Si cet attachement ne saurait être remis en question et si l'emprisonnement a nécessairement été un obstacle à sa manifestation, il y a lieu d'observer que ce préjudice n'est pas comparable à celui subi du fait de la rupture soudaine des liens avec une cellule familiale dans laquelle on vit quotidiennement.

L'isolement en détention, réel, apparaît n'avoir été que la conséquence d'un isolement social préexistant.

S'agissant des conditions éprouvantes de détention, elles ne sont pas contestées par l'Agent Judiciaire de l'Etat et le ministère public.

Les pièces du dossier révèlent que le requérant a pu avoir lors de sa détention jusqu'à trois codétenus différents dans sa cellule, soit quatre détenus dans une cellule de 9 m2. Par ailleurs, il résulte de la lecture des pièces du dossier que cette cellule était située au deuxième étage lequel était surchauffé l'été en raison d'un dôme métallique absorbant les rayons de soleil. Ces conditions éprouvantes de détention à la maison d'arrêt de [Localité 7] sont confirmées par le contrôleur général des lieux de détention dans son rapport du 11 janvier 2019.

Au regard de ce qui précède, il apparaît que M. [D] [H] [X], certes vulnérable, avait un passé judiciaire et surtout carcéral qui a nécessairement atténué à la fois le choc carcéral mais aussi son adaptation à la vie en détention. Déjà isolé socialement et n'entretenant que des liens à distance avec une de ses s'urs, le préjudice souffert de ce chef doit être relativisé.

Ses conditions de détention étaient difficiles mais il a pu bénéficier d'une activité en détention. Il n'est pas établi qu'il ait été victimes d'autres co-détenus en détention.

En conséquence de ce qui précède, la proposition d'indemnisation formée par l'Agent judiciaire de l'Etat à hauteur de 35.000 euros sera jugée satisfactoire.

PAR CES MOTIFS :

La présidente de chambre déléguée par la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, statuant contradictoirement et publiquement, par décision susceptible de recours devant la Commission Nationale de Réparation des Détentions,

Déclare recevable la requête en indemnisation présentée par M. [D] [H] [X].

Alloue à Monsieur [D] [H] [X] la somme de :

' 35.000€ ( trente cinq mille euros ) en réparation de son préjudice moral.

Rappelle l'exécution provisoire de droit qui s'attache à la présente décision.

Laisse les dépens à la charge de l'Etat.

En foi de quoi, la présente ordonnance a été signée par le président et le greffier.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

I. BELLIN I. LAUQUE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : Premier président
Numéro d'arrêt : 22/02480
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;22.02480 ?
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