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06/07/2023 | FRANCE | N°22/02472

France | France, Cour d'appel de Poitiers, Premier président, 06 juillet 2023, 22/02472


R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



MINUTE N°9

COUR D'APPEL DE POITIERS

N° RG 22/02472

N° Portalis DBV5-V-B7G-GUSV

REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION







[Y] [F]



Décision en premier ressort rendue publiquement le six juillet deux mille vingt trois, par Madame Isabelle LAUQUE, présidente de chambre, agissant sur délégation de Madame la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, assistée lors des débats et du prononcé de la présente décision de Mad

ame Inès BELLIN, greffier,



Après débats en audience publique le 8 juin 2023 ;



Sur la requête en réparation de la détention fondée sur ...

R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

MINUTE N°9

COUR D'APPEL DE POITIERS

N° RG 22/02472

N° Portalis DBV5-V-B7G-GUSV

REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION

[Y] [F]

Décision en premier ressort rendue publiquement le six juillet deux mille vingt trois, par Madame Isabelle LAUQUE, présidente de chambre, agissant sur délégation de Madame la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, assistée lors des débats et du prononcé de la présente décision de Madame Inès BELLIN, greffier,

Après débats en audience publique le 8 juin 2023 ;

Sur la requête en réparation de la détention fondée sur les articles 149 et suivants et R26 et suivants du code de procédure pénale présentée par

REQUERANT :

Monsieur [Y] [F]

né le [Date naissance 1] 1995 à [Localité 8]

Élisant domicile au cabinet de Me Lucas Hervé

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Lucas HERVE de la SELARL TESSIER HERVE AVOCATS, avocat au barreau de RENNES

EN PRESENCE DE :

Monsieur l'agent judiciaire de l'Etat

Sous-direction du droit privé

[Adresse 5]

[Localité 6]

représenté par Me Renaud BOUYSSI de la SELARL ARZEL ET ASSOCIES, avocat au barreau de Poitiers

ET :

Monsieur le procureur général près la cour d'appel de Poitiers

[Adresse 4]

[Localité 7]

représenté par Madame Carole WOJTAS, Substitute générale

Monsieur [Y] [F] a été mis en examen le 8 juin 2016, dans le cadre d'une information judiciaire ouverte du chef de vol en bande organisée avec arme, participation à une association de malfaiteurs en vue de la commission d'un crime et détention d'armes et de munitions de catégorie D1 par le juge d'instruction de Poitiers.

Le même jour, il a été placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 9]. Il a été remis en liberté sous contrôle judiciaire par la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Poitiers le 28 mars 2017.

Renvoyé le 25 janvier 2019 devant le Tribunal correctionnel de Niort du chef de détention non autorisée de munitions de catégorie D1, participation à un groupement formé en vue de la commission d'un vol à main armée et vol avec violence en récidive, Monsieur [Y] [F] a été relaxé par jugement du 7 avril 2022.

Par requête reçue au greffe le 6 octobre 2022, il a saisi Madame la première Présidente de la Cour d'appel de Poitiers d'une demande d'indemnisation suite à la détention injustifée et sollicite la condamnation de l'Agent Judiciaire de l'Etat à lui verser les indemnités suivantes:

- 60.000 euros en réparation de son préjudice moral;

- 1.458,28 euros au titre de ses frais de défense;

- 1.593 euros au titre de ses frais de cantine;

- 11.600 euros à titre principal et 10.440 euros à titre subsidiaire au titre de la perte de revenus;

- 4.000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

S'agissant de son préjudice moral, il fait valoir qu'il n'était âgé que de 21 ans au moment de son incarcération et qu'il n'avait jamais été incarcéré auparavant.

Il vivait alors au domicile familial avec ses parents et entretenait une relation amoureuse avec une jeune fille qui est devenue son épouse et la mère de son enfant.

Ainsi la détention a fortement perturbé sa situation familiale mais aussi son état de santé. Il avance en effet, qu'il est entré en détention avec un problème dentaire qui a perduré tout le long de son incarcération.

Avec les conditions difficiles de sa détention, ces facteurs ont contribué à impacter fortement son état psychologique.

En ce qui concerne le préjudice matériel, il fait valoir que sa détention injustifiée l'a privé des revenus tirés d'une activité professionnelle qu'il devait commencer à exercer si sa détention provisoire injustifiée n'était pas survenue.

Sur les frais de cantine, le requérant expose avoir du engager des dépenses personnelles de cantine au regard des conditions particulièrement éprouvantes de détention.

Par conclusions reçues au greffe le 8 décembre 2022, l'Agent Judiciaire de l'Etat relève que le requérant, nonobstant son casier judiciaire portant trace de quatre condamnations, n'avait jamais été incarcéré. Il note également que selon l'enquête de personnalité, il était célibataire, sans enfant et vivait au domicile familial. S'agissant de l'état de santé en détention, l'Agent Judiciaire de l'Etat s'en remet à l'appréciation de la Première Présidente de la Cour d'appel.

Il propose d'allouer au requérant la somme de 16.000 euros au titre de son préjudice moral.

Sur les frais de défense, il fait valoir, après analyse des factures d'honoraires produites par le requérant et se fondant sur la jurispreudence constante en la matière, qu'elles ne sont pas toutes en lien direct avec la détention. Il sollicite à ce titre, que les frais de défense soient limitées à celles afférentes à la détention, et propose de n'indemniser que ces dernières à hauteur de 725.28 euros.

S'agissant de la perte de revenus, il fait valoir que Monsieur [Y] [F] ne justifie ni d'un emploi suffisamment stable, ni d'une période d'activité professionelle suffisamment longue pour prétendre à l'indemnisation d'une perte de revenus équivalente à celle d'un salarié dont le contrat de travail aurait été suspendu. Le principe de la perte de chance ne peut être rentenu selon l'Agent judiciaire de l'Etat. Il conclut au rejet de la demande du requérant formée au titre de l'indemnisation de la perte de revenu.

Enfin s'agissant de l'indemnité au titre des frais irrépétibles, l'Agent Judiciaire de l'Etat demande que la somme sollicitée soit ramenée à de plus justes proportions.

Par conclusions reçues au greffe le 10 mai 2023, le ministère public a conclu à la recevabilité de la requête de Monsieur [Y] [F]. Il s'associe, s'agissnt du préjudice moral sollicité, aux conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat en ce que la demande d'indemnisation du préjudice va au-delà de la jurisprudence habituelle de la Commission de réparation des détentions.

Il soutient en effet qu'au regard du passé judiciaire du requérant, de la durée de sa détention d'environ neuf mois, des conditions certes éprouvantes de la détention qu'il ne conteste pas, et du fait qu'il vivait au domicile paternel, il n'apparaît pas justifié d'aller au délà de la jurisprudence habituelle de la Commission pour chiffrer la juste réparation du préjudice subi.

En ce qui concerne les frais de cantine, le ministère public se réfère à la jurisprudence de la Commission nationale de réparation pour conclure au rejet de cette demande.

S'agissant de la perte des revenus, le ministre public considère que les missions de Monsieur [Y] [F] ne lui procuraient que des revenus ponctuels et que la perte de chance invoquée par le réquérant n'est pas sérieuse. Il conclut au rejet de cette demande.

Par rapport à la demande d'indemnisation concernant les frais d'avocat, le ministère public conclut également à son rejet en relevant que certains frais d'honoraires exposés ne sont pas en lien direct avec la privation de liberté et aux procédures engagées pour y mettre fin.

Sur la demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du CPC, le ministère publicet s'associe à l'Agent Judiciaire de l'Etat pour demander que la somme sollicitée par le requérant soit ramenée à de plus justes proportions.

A l'audience de la Cour, le conseil de Monsieur [Y] [F], l'Agent Judiciaire de l'Etat et le ministère public ont développé oralement leurs conclusions écrites.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de la demande d'indemnisation

Aux termes des articles 149 et 150 du code de procédure pénale, une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe, ou d'acquittement devenue définitive ; cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement causé par la privation de liberté ;

Il ressort des pièces du dossier que la requête a été présentée dans le délai de l'article 149-2 du code de procédure pénale, que la décision de relaxe est définitive et que le requérant n'a pas été détenu pour autre cause. Le conseil du requérant a produit le 16 mars 2023, un certificat de non- recours régulier daté du 2 mars 2023.

Ainsi la requête en indemnisation de la détention provisoire de Monsieur [Y] [F] est recevable.

Sur la demande indemnitaire

Lors de son incarcération Monsieur [Y] [F] était âgé de 21 ans. L'enquête de personnalité révèle qu'il était célibataire sans enfant. Il vivait toujours chez ses parents avec qui il entretenait de bonnes relations.

Il vivait une relation amoureuse avec Mme [E] [P]. Il est justifié en procédure que depuis sa libération, ils ont eu deux enfants ensemble ce qui démontre le caractère sérieux de cette relation au moment de son incarcération et accrédite l'importance du préjudice subi du fait de la séparation.

Il soutient avoir souffert d'une infection dentaire en détention toutefois le ministère public justifie de la prise en charge de l'état de santé du prévenu qui a recontré une infirmière et un médecin en juin 2016 et qui a fait l'objet de trois extractions entre septembre 2016 et janvier 2017 pour être conduit au Centre Hospitalier de [Localité 9] ce qui démontre que son incarcération n'a pas été un obstacle à sa prise en charge médicale.

Son casier judiciaire montre qu'il n'était pas inconnu des juridictions pénales ayant déjà été condamné à cinq reprises. Il avait notamment été condamné pour trafic de stupéfiants commis du 1 avril 2016 au 7 juin 2016. Toutefois, il n'avait jamais été incarcéré.

Ses conditions de détention à la maison d'arrêt de [Localité 9] ont été difficiles, ce dont l'Agent Judiciaire de l'Etat et le ministère public ne disconviennent pas, du fait d'une surpopulation chronique de plus de 150% . M. [Y] [F] a partagé une cellule de 22 mètres carré avec 5 autres détenus ne bénéficiant que d'un espace 'personnel' limité. Toutefois, cet espace limité n'a jamais été en dessous du seuil de 3M2.

S'il convient de rappeler que toute détention injustifiée cause nécessairement à celui qui l'a subie un préjudice moral évident, son évaluation s'apprécie au regard de la situation personnelle de la personne. Il s'agit d'une appréciation in concreto.

Au regard de ces éléments, retenant que M. [Y] [F], âgé de 21 ans, a souffert du choc carcéral d'une première incarcération, de la rupture de liens familiaux ressérés mais aussi d'un lien amoureux réel et de conditions de détention difficiles sans être exceptionnellement anormales mais écartant l'aggravation du préjudice résultant d'une absence de prise en charge médicale, il y a lieu de fixer à 20.000 euros la juste réparation de son préjudice moral.

Sur le plan professionnel, il verse ses avis d'imposition pour les années 2017 et 2019 permettant de constater qu'il déclarait des revenus salariés. Il verse également des justificatifs, (bulletins de salaires et certificats de travail) pour la période postérieure à sa remise en liberté.

Ces éléments démontrent une réelle insertion professionnelle depuis sa remise en liberté mais sont insuffisants pour démontrer qu'au moment de son incarcération, il travaillait de façon régulière et qu'il a ainsi perdu une chance de travailler et de percevoir des revenus sur la période de détention.

En conséquence, sa demande formée au titre de la perte de revenus et subsidiairement de la perte de chance de percevoir des revenus sera rejetée.

Concernant les frais de cantine, il apparait que les frais dont le remboursement est réclamé n'ont pas été exposés personnellement par le requérant mais surtout s'analysent en une amélioration du quotidien de la détention procédant d'un choix du prévenu et de sa famille mais qui n'était nullement imposé par la détention.

En conséquence, cette demande sera rejetée.

S'agissant des frais d'avocat, seuls sont indemnisables, les seuls frais afférents au contentieux de la liberté.

En l'espèce, seuls les frais d'avocat pour un montant de 725,28 euros paraissent être en lien avec ce contentieux.

Ils sera donc fait droit à cette demande dans cette limite.

Enfin, l'équité commande d'accorder à Monsieur [Y] [F], la somme de 1.000. € au titre de ses frais irrépétibles exposés dans le cadre de la présente instance.

PAR CES MOTIFS

La présidente de chambre déléguée par Madame la première présidente, statuant contradictoirement et publiquement, par décision susceptible de recours devant la Commission Nationale de Réparation des Détentions,

Déclare recevable la requête en indemnisation présentée par Monsieur [Y] [F] ;

Alloue à Monsieur Monsieur [Y] [F] les sommes de :

' 20.000 euros en réparation de son préjudice moral,

' 725, 28 euros au titre des frais d'avocat ,

' 1.000 euros sur fondement de l'article 700 du code de procédure pénale.

Déboute Monsieur [Y] [F] du surplus de ses demandes.

Rappelle l'exécution provisoire de droit qui s'attache à la présente décision.

Laisse les dépens à la charge de l'Etat.

En foi de quoi, la présente ordonnance a été signée par le président et le greffier.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

I. BELLIN I. LAUQUE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : Premier président
Numéro d'arrêt : 22/02472
Date de la décision : 06/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-06;22.02472 ?
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