ARRET N°276
N° RG 21/02519 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GLDE
[M]
C/
Société MACIF
Organisme CPAM DES [Localité 6]
Société PRO BTP
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 06 JUIN 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02519 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GLDE
Décision déférée à la Cour : jugement du 05 juillet 2021 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de NIORT.
APPELANT :
Monsieur [Z] [M]
né le [Date naissance 4] 1987 à [Localité 7]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
ayant pour avocat postulant Me Guillaume GERMAIN de la SCP SCP AUXILIA AVOCATS, avocat au barreau de DEUX-SEVRES, et pour avocat plaidant Me Rémy LE BONNOIS de la SELARL CABINET REMY LE BONNOIS, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES :
Société MACIF
[Adresse 1]
[Adresse 1]
ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS, et pour avocat plaidant Me Vincent BERTHAULT de la SELARL HORIZONS, avocat au barreau de RENNES substitué par Me Mathilde MONTANT, avocat au barreau de RENNES
Organisme CPAM DES [Localité 6]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
défaillante
Société PRO BTP
[Adresse 5]
[Adresse 5]
défaillante
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 Mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre qui a présenté son rapport
Madame Anne VERRIER, Conseiller
Monsieur Philippe MAURY, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,
ARRÊT :
- Réputé contradictoire
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ :
[Z] [M] a été blessé le 14 mars 2015 dans un accident de la circulation, lorsque la motocyclette qu'il conduisait est entrée en collision à [Localité 8] avec une automobile assurée à la MACIF.
Au vu des conclusions de l'expert qui avait été amiablement et contradictoirement mandaté par la MACIF, laquelle lui avait aussi versé 20.000 euros de provisions, [Z] [M], [F] [I] et [X] [M] ont fait assigner cette compagnie ainsi que la caisse primaire d'assurance maladie des [Localité 6] (la CPAM 22) et la mutuelle ProBtp, devant le tribunal de grande instance de Niort, par actes des 24, 25 et 30 avril 2018, aux fins de voir reconnaître leur droit à indemnisation et liquider leur préjudice.
La MACIF a demandé au tribunal de juger que [Z] [M] avait commis une faute d'excès de vitesse et de défaut de maîtrise justifiant de limiter de 20% son droit à réparation, et elle a formulé sur cette base ses propres évaluations des postes de préjudice indemnisables.
Par jugement du 5 juillet 2021, le tribunal -entre-temps devenu tribunal judiciaire- de Niort a :
* dit que la MACIF était tenue à indemniser intégralement [Z] [M] du fait de l'accident survenu le 14 mars 2015
* déclaré sa décision commune à la CPAM 22 et à la mutuelle ProBtp
* fixé la créance définitive de la CPAM 22 à 116.047,79 euros
* fixé la créance définitive de ProBtp à 9.500,02 euros
* liquidé ainsi le préjudice subi par [Z] [M]
¿ Préjudices patrimoniaux :
° temporaires :
.dépenses de santé actuelles : 101.585,56 euros dont 133 euros à la victime
.frais divers : 3.558,07 euros
.assistance temporaire tierce personne : 1.385,14 euros
.perte de gains professionnels actuels: 22.183,83euros dont 807,96 à la victime
° permanents :
.incidence professionnelle : 8.930 euros
.¿ Préjudices extra patrimoniaux :
° temporaires :
.déficit fonctionnel temporaire (DFT) : 5.334,68 euros
.souffrances endurées : 20.000 euros
.préjudice esthétique temporaire : 2.000 euros
° permanents :
.déficit fonctionnel permanent (DFP) : 33.000 euros
.préjudice esthétique permanent : 2.500 euros
.préjudice d'agrément : 5.000 euros
soit un total de 205.477,28 euros dont 82.648,85 euros devant revenir à la victime
* dit que les provisions versées, pour 20.000 euros, devaient venir en déduction
* condamné la MACIF à payer à M. [M] 62.648,85 euros
* débouté [Z] [M] du surplus de ses demandes indemnitaires
* condamné la MACIF à payer à [X] [M] 3.992,37 euros
* condamné la MACIF à payer à [F] [I] 2.000 euros
* condamné la MACIF aux dépens
* condamné la MACIF à payer 3.000 euros aux trois demandeurs en application de l'article 700 du code de procédure civile
* ordonné l'exécution provisoire.
[Z] [M] a relevé appel le 9 août 2021 de ce jugement en ce qu'il a liquidé son préjudice à la somme de 8.930 euros au titre de l'incidence professionnelle, lui a alloué 62.648,85 euros pour son son préjudice et l'a débouté du surplus de ses demandes indemnitaires.
Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique :
* le 6 novembre 2021 par [Z] [M]
* le 24 janvier 2022 par la MACIF.
[Z] [M] demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a indemnisé son préjudice d'incidence professionnelle à hauteur de 8.930 euros, et statuant à nouveau de condamner la MACIF à lui payer les indemnités suivantes :
.50.000 euros au titre de son incidence professionnelle
.3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il rappelle qu'il exerçait la profession de plombier-chauffagiste depuis 2014 dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée avec GDF Suez devenue Engie Axima ; qu'il s'agissait d'un emploi particulièrement physique; que les experts ont certes retenu qu'il était apte à son poste, mais que ses tâches professionnelles étaient à présent plus pénibles qu'auparavant; que des collègues de travail ont attesté des difficultés qu'il rencontre effectivement ; que le statut de travailleur handicapé lui a d'ailleurs été accordé ; et que le médecin du travail a finalement conclu à l'impossibilité de poursuivre son activité professionnelle sans d'importants aménagements de poste, sa fiche se concluant par l'indication 'reconversion professionnelle à envisager dans l'avenir', avant qu'un avis d'inaptitude soit rendu en définitive en juillet 2019; qu'il a entrepris une reconversion qui a commencé par une formation au pilotage de drones dont son employeur a pris une partie du coût à sa charge.
Il soutient que le poste de l'incidence professionnelle recouvre en ce qui le concerne l'obligation d'avoir dû renoncer à son travail dans une entreprise qu'il aimait et où on l'appréciait, reprendre à zéro une vie professionnelle, et perdre toute perspective d'avancement et d'augmentation de salaire, ce qui justifie selon lui de l'indemniser à hauteur de 50.000 euros.
La MACIF sollicite la confirmation du jugement et réclame 1.600 euros d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle rappelle que M. [M] demandait d'abord au titre de l'incidence professionnelle 20.000 euros en 2018, puis 45.430 euros en 2019 et désormais 55.430 euros.
Elle estime que l'appelant n'a pas tiré les leçons de la motivation du jugement qu'il critique, en persistant à ne pas justifier de sa situation.
Elle indique que si les 5.430 euros déboursés par M. [M] au titre du coût de la nouvelle formation de pilote de drones envisagée dans le cadre de sa reconversion professionnelle ne posent pas de difficultés, les experts ont conclu à l'aptitude de la victime à son poste, et que la reconversion professionnelle envisagée l'affranchira des contraintes et sujétions retenues par les experts, de sorte que la question de la pénibilité accrue ne se posera plus.
Elle tient la somme allouée par le tribunal pour adaptée, et celle réclamée par la victime pour décorélée avec la situation réelle de l'intéressé.
La CPAM 22 et la mutuelle ProBtp ne comparaissent pas. Elles ont l'une et l'autre été assignées par acte délivré à personne habilitée, respectivement le 16 septembre et le 7 octobre 2022.
L'ordonnance de clôture est en date du 19 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Au vu du caractère limité de l'appel principal et de l'absence d'appel incident, la cour n'est donc saisie que d'une contestation sur le quantum du préjudice d'incidence professionnelle, et son incidence sur celui de l'indemnisation totale du blessé.
L'incidence professionnelle correspond au préjudice que subit la victime en raison de la plus grande pénibilité de l'exercice d'une activité professionnelle du fait des séquelles de l'accident, de sa dévalorisation sur le marché du travail, de la nécessité de subir un reclassement; il peut recouvrir aussi la perte de chance d'obtenir un emploi ou une promotion ou de réaliser un projet professionnel.
En première instance, la victime réclamait 55.430 euros à ce titre en indiquant avoir dû entreprendre une reconversion professionnelle en raison de son inaptitude physique à poursuivre son métier de plombier requérant des frais restés à sa charge pour 5.430 euros et l'obligeant à quitter un poste et une entreprise appréciés.
La MACIF demandait que ce poste soit chiffré à 5.000 euros en faisant valoir que la nécessité de la reconversion professionnelle n'était pas démontrée, et que la reconversion entreprise mettrait fin à la pénibilité invoquée.
Le tribunal a alloué à M. [M] 8.930 euros en retenant comme avéré que son inaptitude à continuer d'occuper son poste était bien la conséquence de l'accident ; en retenant comme en lien certain de causalité la dépense restée à charge au titre de la formation de conducteur de drones entreprise dans le cadre de cette reconversion ; et en déplorant que l'intéressé ne fournisse pas d'autre élément pour permettre d'apprécier concrètement et donc de quantifier son préjudice.
Devant la cour, où il sollicite 50.000 euros, l'appelant ne fournit pas plus d'éléments ni d'explications sur sa situation professionnelle depuis l'époque où il entreprenait une reconversion en tant que pilote de drones.
Il ne dit pas s'il exerce une activité professionnelle ou pas , et dans l'affirmative de quelle nature, dans quel cadre, pour quels revenus.
Il est à observer qu'il ne sollicite pas d'indemnisation au titre d'une perte de gains professionnels futurs.
Il ressort des productions que les experts ont certes retenu qu'il était apte à son poste, 'mais que ses tâches professionnelles (étaient) à présent plus pénibles qu'elles ne l'étaient auparavant' (cf rapport p.11).
Des collègues de travail ont attesté des difficultés qu'il rencontrait effectivement pour l'exercer compte-tenu de ses douleurs séquellaires (cf pièces 9a et 9b).
Le statut de travailleur handicapé lui a d'ailleurs été accordé pour cinq ans à effet du 19 avril 2016 (pièce n°8).
Le médecin du travail l'a déclaré le 29 juillet 2019 inapte au poste antérieurement occupé en indiquant qu'il pourrait occuper un poste sans port de charges supérieures à 10 kg ni utilisation d'outils vibrants et sans gestes répétitifs du poignet droit (cf pièce n°16).
Il a été licencié le 16 octobre 2019 en raison de cette inaptitude, son employeur ayant indiqué ne pas avoir identifié de poste pouvant correspondre à ses aptitudes réduites et ne pouvoir donner suite aux suggestions du médecin du travail (pièce n°17).
Il n'est ni établi, ni plausible, qu'une reconversion professionnelle, quelle qu'elle soit, fasse disparaître la pénibilité accrue de tout travail induite par la raideur de la hanche gauche et la sensibilité des deux poignets que la victime conserve, et les experts n'ont pas relativisé leur indication que les tâches professionnelles lui étaient maintenant plus pénibles.
Est ainsi caractérisé un préjudice d'incidence professionnelle pour pénibilité accrue, obligation de renoncer à son métier et nécessité d'une reconversion avec les perturbations et l'incertitude qui s'y attachent.
Compte-tenu de la part avérée restée à sa charge de frais de reconversion (pièces n°14 et 15), que les parties s'accordent à inclure dans l'incidence professionnelle, ce poste sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 15.000 euros, le jugement étant ainsi infirmé de ce chef.
Il en résulte que le préjudice total de la victime chiffré par le tribunal à (101.585,56 + 3.558,07 + 1.385,14 + 22.183,83 + 8.930 + 5.334,68 + 20.000 + 2.000 + 33.000 + 2.500 + 5.000) = 205.477,28 euros dont 82.648,85 euros devant revenir à la victime s'établit, par infirmation, à (101.585,56 + 3.558,07 + 1.385,14 + 22.183,83 + 15.000 + 5.334,68 + 20.000 + 2.000 + 33.000 + 2.500 + 5.000) = 211.547,28 euros dont 88.718,85 euros devant revenir à la victime.
Déduction faite de la provision de 20.000 euros dont l'effectivité du versement n'est pas discutée, la MACIF doit ainsi verser au blessé 68.718,85 euros.
M. [M] obtenant devant la cour une somme supérieure à celle reçue en première instance, la MACIF doit être regardée comme succombant en appel et supportera donc les dépens d'appel.
Elle versera à l'appelant une indemnité de procédure au titre de ses frais irrépétibles d'appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt est commun à la CPAM des [Localité 6] et à ProBtp.
PAR CES MOTIFS
la cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort dans les limites de l'appel :
CONFIRME le jugement déféré sauf quant au montant de l'indemnité qu'il alloue au titre de l'incidence professionnelle, et conséquemment quant au montant du préjudice total et à celui de la condamnation prononcée contre la MACIF
statuant à nouveau de ces chefs :
LIQUIDE le préjudice de [Z] [M] au titre de l'incidence professionnelle à la somme de 15.000 euros
DIT que son préjudice total s'établit ainsi à la somme de 211.547,28 euros dont 88.718,85 euros devant revenir à la victime
CONDAMNE la MACIF à payer à [Z] [M] en réparation de son préjudice après déduction des 20.000 euros de provision versés, la somme de 68.718,85 euros (SOIXANTE HUIT MILLE SEPT CENT DIX-HUIT EUROS ET QUATRE-VINGT CINQ CENTIMES)
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres ou contraires
DÉCLARE le présent arrêt commun à la CPAM des [Localité 6] et à ProBtp
CONDAMNE la MACIF aux dépens d'appel
LA CONDAMNE à payer 2.000 euros à [Z] [M] en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,