La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/05/2023 | FRANCE | N°22/00174

France | France, Cour d'appel de Poitiers, 2ème chambre, 16 mai 2023, 22/00174


ARRET N°211

CL/KP

N° RG 22/00174 - N° Portalis DBV5-V-B7G-GORQ













Société CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PALLUAU



C/



[P]



















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS



2ème Chambre Civile



ARRÊT DU 16 MAI 2023





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/00174 - N° Portalis DBV5-V-B7G-GORQ



Décision déférée à la Cour : jugement du 14 décembre 2021 rendu(e) par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP des SABLES D'OLONNE.





APPELANTE :



CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PALLUAU Société Coopérative de crédit à capital variable et responsabilité statutairement lim...

ARRET N°211

CL/KP

N° RG 22/00174 - N° Portalis DBV5-V-B7G-GORQ

Société CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PALLUAU

C/

[P]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

2ème Chambre Civile

ARRÊT DU 16 MAI 2023

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/00174 - N° Portalis DBV5-V-B7G-GORQ

Décision déférée à la Cour : jugement du 14 décembre 2021 rendu(e) par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP des SABLES D'OLONNE.

APPELANTE :

CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PALLUAU Société Coopérative de crédit à capital variable et responsabilité statutairement limitée

[Adresse 2]

[Localité 5]

Ayant pour avocat plaidant Me Philippe CHALOPIN de la SELARL ATLANTIC-JURIS, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON

INTIME :

Monsieur [M] [P]

né le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 6] ([Localité 4])

La Burguenière

[Localité 3]

Ayant pour avocat plaidant Me Caroline ATIAS-DESGREES DU LOU de la SELARL ATIAS ROUSSEAU, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 Mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Claude PASCOT, Président

Monsieur Fabrice VETU, Conseiller

Monsieur Cédric LECLER, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par Monsieur Claude PASCOT, Président et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

Par acte sous seing privé en date du 29 janvier 2014, la société coopérative de crédit à capital variable et responsabilité statutairement limitée Caisse de Crédit Mutuel de Palluau (la banque) a consenti à l'exploitation agricole à responsabilité limitée La Fraiserie de la Vie (l'exploitation) un prêt d'un montant de 150 000 euros.

Selon engagement du même jour, Monsieur [M] [P], gérant de l'exploitation, s'est porté caution solidaire et indivisible de celle-ci dans la limite de 150 000 euros.

Par jugement en date du 22 mai 2018, l'exploitation a été placée en redressement judiciaire.

Le 22 juin 2018, la banque a déclaré sa créance pour 110 081,45 euros.

Par jugement en date du 16 novembre 2018, a été prononcée la liquidation judiciaire de l'exploitation.

Le 5 novembre 2019, la banque s'est vue délivrer un certificat d'irrecouvrabilité de sa créance.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 11 octobre 2019, la banque a mis en demeure Monsieur [P] en sa qualité de caution de lui payer la somme de 118 939,29 euros.

Le 5 mai 2020, la banque a assigné en paiement Monsieur [P] devant le tribunal judiciaire des Sables d'Olonne.

En dernier lieu, la banque a demandé:

- de débouter Monsieur [P] de ses demandes;

- de condamner Monsieur [P] à lui payer la somme de 119 612,09 euros outre intérêts au taux contractuel à compter du 16 décembre 2019, date du dernier décompte ;

- d'ordonner la capitalisation annuelle des intérêts à compter du 5 mai 2020, date de l'assignation ;

- de condamner Monsieur [P] aux entiers dépens avec distraction au profit de son conseil, et à lui payer la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles.

En dernier lieu, Monsieur [P] a demandé :

A titre principal,

- de dire que l'action de cautionnement était nul et subsidiairement caduc;

A titre subsidiaire,

- de dire que son engagement de caution était disproportionné ;

A titre infiniment subsidiaire,

- d'ordonner la déchéance des intérêts à compter du 31 mars 2015 et lui accorder des délais de paiements ;

En tout état de cause,

- de débouter la banque de ses demandes ;

- de condamner la banque à lui payer au titre des frais irrépétibles la somme de 3000 euros.

Par jugement contradictoire en date du 14 décembre 2021, le tribunal judiciaire des Sables d'Olonne a :

- prononcé la nullité du contrat de prêt du 29 janvier 2014 d'un montant en principal de 150 000 euros conclu entre la banque et l'exploitation en cours d'immatriculation représentée par Monsieur [P] ;

partant,

- dit que l'acte de cautionnement du 29 janvier 2014 signé par Monsieur [P] en garantie du prêt conclu à cette date par l'exploitation en cours d'immatriculation auprès de la banque était nul ;

en conséquence,

- débouté la banque de sa demande en paiement ;

- condamné la banque à payer à Monsieur [P] la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- débouté la banque de sa demande au titre des frais irrépétibles.

Le 19 janvier 2022, la banque a relevé appel de ce jugement, en intimant Monsieur [P].

Le 24 mars 2022, la banque a demandé l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement à l'encontre de Monsieur [P], et à titre principal (en cas de réformation sur la nullité du contrat de prêt, mais en considérant que Monsieur [P] avait lui-même souscrit ce contrat de prêt), en tout état de cause (en considérant que le patrimoine de la caution lui permettait de faire face à son engagement au moment où elle était appelée) et à titre subsidiaire (en cas de confirmation de la nullité de contrat de prêt), de condamner Monsieur [P] à lui payer la somme de 119 612,09 euros au titre du contrat de prêt du 29 janvier 2014 outre intérêts au taux contractuel à compter du 16 décembre 2019, date du dernier décompte jusqu'à parfait paiement, et de débouter Monsieur [P] de l'ensemble de ses demandes.

En tout état de cause, la banque demande la condamnation de Monsieur [P] aux entiers dépens des deux instances avec distraction au profit de son conseil et à lui payer la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles des deux instances, et de dire que dans l'hypothèse où à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans le jugement à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier, en application du décret n° 2016-230 du 26 février 2016 relatif aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice et de l'arrêté du 27 février 2018 fixant les tarifs réglementés des huissiers de justice, devra être supporté par le débiteur en sus des frais irrépétibles.

Le 22 août 2022, Monsieur [P] a demandé :

A titre principal,

- de débouter la banque de ses demandes de « réformation »;

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- prononcé la nullité du contrat de crédit du 29 janvier 2014 d'un montant principal de 150'000 euros conclu entre la banque et l'exploitation en cours d'immatriculation représentée par lui-même;

partant,

- dire que l'acte de cautionnement du 29 janvier 2014 signé par lui-même en garantie du prêt conclu à cette date par l'exploitation en cours d'immatriculation auprès de la banque était nul ;

A titre subsidiaire,

- de dire et juger que l'acte de cautionnement était caduc ;

A titre infiniment subsidiaire, s'il devait être considéré que le contrat de prêt était valide,

- de dire que son engagement de caution était disproportionné ;

- d'ordonner en conséquence la déchéance de son engagement de caution;

À titre très infiniment subsidiaire,

- d'ordonner la déchéance des intérêts à compter du 31 mars 2015;

- de lui octroyer des délais de paiement;

En tout état de cause,

- de condamner la banque à lui verser la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

Pour plus ample exposé, il sera expressément renvoyé aux écritures des parties déposées aux dates susdites.

A l'audience du 13 mars 2023, a été prononcée la clôture de l'instruction de l'affaire.

A l'audience de la cour du 13 mars 2013, la cour a relevé l'office le moyen tenant à la recevabilité des demandes en nullité ou en caducité de son engagement présentée par la caution eu égard à l'autorité de la chose jugée attachée à l'admission définitive de la créance de la banque au passif du débiteur principal; elle a invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office par note en délibéré.

Le 14 mars 2023, la banque a déposé une note en délibéré.

Le 27 mars 2023, Monsieur [P] a déposé une note en délibéré.

MOTIVATION :

Sur la nullité du contrat de prêt et la nullité subséquente de l'action de cautionnement :

Selon l'article 2289 du code civil, alinéa 1,

Le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable.

Si la caution ne peut opposer les exceptions purement personnelles au débiteur principal, elle est habile à opposer au créancier les exceptions inhérentes à la dette, outre les propres exceptions qui lui sont personnelles.

Il résulte de l'article 125 du code de procédure civile que les fins de non recevoir doivent être relevées d'office, lorsqu'elles ont un caractère d'ordre public, notamment lorsqu'elles résultent de l'inobservation des délais dans lesquels doivent être exercées des voies de recours, ou de l'absence d'ouverture des voies de recours.

Ce texte précise en outre que le juge peut relever d'office la fin de non-recevoir tirée notamment du défaut d'intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée.

Les règles gouvernant les procédures collectives sont d'ordre public.

L'admission, par le juge-commissaire, d'une créance au passif du débiteur acquiert, quant à son existence et son montant, l'autorité de la chose jugée à l'égard de la caution.

Ainsi, l'autorité de la chose jugée attachée à la décision d'admission de créance au passif du débiteur principal prive la caution de la possibilité de discuter la validité de l'obligation principale (Cass. com., 24 avril 2007, n°06-11.997).

En sa qualité de caution, Monsieur [P] demande l'annulation du contrat de prêt principal, motif pris de ce qu'il a été passé au nom de l'exploitation en cours d'immatriculation, qui n'avait pas la personnalité morale avant son immatriculation, ainsi que, par voie de conséquence, l'annulation de son propre engagement de caution.

Mais la banque a produit sa déclaration de créance au passif de l'exploitation en date du 22 juin 2018, et la caution ne vient pas critiquer les affirmations de la banque selon lesquelles cette déclaration n'aurait fait l'objet d'aucune contestation.

Il s'ensuit que la créance de la banque à l'égard de l'exploitation, tirée du contrat de prêt litigieux, a été irrévocablement admise.

Dès lors, eu égard à l'autorité de la chose jugée attachée à la décision définitive d'admission de la créance de la banque, la caution n'est plus recevable à demander l'annulation du contrat de prêt.

Il y aura donc lieu de déclarer irrecevable les demandes de la caution tendant à l'annulation du contrat de prêt du 29 janvier 2014 et de l'acte de cautionnement du même jour, et le jugement sera infirmé de ces chefs.

Sur la caducité de l'engagement de caution de Monsieur [P] :

Monsieur [P] demande de constater la caducité de son propre engagement de caution, en l'absence de reprise du contrat de prêt par l'exploitation une fois celle-ci immatriculée.

Au visa de l'article 6 du décret du décret n°78-704 du 3 juillet 1978, il soutient que si des actes passés avant la signature des statuts sont automatiquement repris par la société en formation après son immatriculation, encore faut-il que soit présenté aux associés, avant la signature des statuts, et annexés à ceux-ci, un état indiquant l'engagement résultant de chacun de ces actes.

Il ajoute que l'exécution de l'engagement par la société ne vaut pas reprise.

Il avance qu'en l'espèce, si les statuts font état des actes accomplis pour le compte de la société en formation avant la signature des statuts, le prêt litigieux n'y est pas mentionné.

Il entend en voir déduire qu'en sa qualité de caution, il se trouve libéré par l'absence de reprise de l'engagement ainsi garanti par l'exploitation.

Mais le moyen, soutenant que les engagements issus du prêt litigieux n'auraient pas été repris par l'exploitation, se heurte aussi à l'autorité de la chose jugée liée à l'admission définitive de la créance de la banque au passif de l'exploitation, ayant irrévocablement statué sur le principe et le montant de cette créance.

Il y aura donc lieu de déclarer irrecevable la demande de Monsieur [P] tendant à déclarer son engagement de caution caduc.

Sur la disproportion manifeste de l'engagement de la caution à ses biens et revenus :

Il appartient à la caution personne physique, qui entend se prévaloir du caractère manifestement disproportionné de son engagement de caution à ses biens et revenus, lors de la souscription de son engagement, d'en apporter la preuve.

Il y a lieu de tenir compte de l'endettement global de la caution au moment de son engagement, et ce compris au titre de précédents engagements de caution.

A l'égard de biens grevés de sûretés, leur valeur doit être appréciée en en déduisant le montant de la dette dont le paiement est garanti par ladite sûreté, évaluée au jour de l'engagement de caution (Cass. 1ère civ., 24 mars 2021, n°19-21.254, publié).

La disproportion manifeste de l'engagement d'une caution commune en bien s'apprécie par rapport aux biens et revenus de celle-ci, de sorte que doivent être pris en considération tant les biens propres et les revenus de la caution que les biens communs incluant les revenus de son conjoint (Cass.com., 6 juin 2018, n°16-26.182, publié).

La disproportion manifeste du cautionnement s'apprécie au regard de la capacité de la caution à faire face, avec ses biens et revenus, non à l'obligation garantie, selon les modalités de paiement propres à celle-ci, mais au montant de son propre engagement (Cass. com., 11 mars 2020, n°18-25.390, publié).

La disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution au jour où il a été souscrit suppose que la caution soit à cette date dans l'impossibilité manifeste de faire face à un tel engagement avec ses biens et revenus.

En conséquence, se détermine par des motifs impropres à caractériser une telle disproportion la cour d'appel qui se borne à relever que l'engagement de la caution était pratiquement du montant de son patrimoine et que ses revenus mensuels étaient grevés de remboursement de prêts (Cass. com., 28 février 2018, n°16-24.841, Bull. 2018, IV, n°24).

L'établissement prêteur n'a pas à vérifier la situation financière de la caution.

Une caution ne peut pas se prévaloir d'engagements ou de dettes qu'elle a omis de déclarer auprès de l'établissement de crédit au moment de la souscription.

L'établissement de crédit est ainsi en droit de se fier aux indications données par la caution dans la fiche de renseignement remplie par cette dernière au moment de son engagement, et n'a pas à en vérifier l'exactitude, sauf anomalies apparentes, ou sauf si malgré la cohérence des éléments figurant dans la fiche d'information, la banque ne pouvait pas ignorer l'existence d'autres charges (Cass. com., 27 mai 2014, n° 13.17-287), ou bien encore sauf lorsque la déclaration ne permet pas d'informer la banque de certains éléments essentiels, qui permettraient d'établir le caractère disproportionné du cautionnement (Cass. 1ère civ., 25 novembre 2015, n° 14.24-800).

Au moment de l'engagement de caution :

Il ressort de la fiche de renseignement datée du 20 novembre 2013, signée de la main de Monsieur [P], et par lui certifiée exacte et sincère, qu'il y a déclaré :

- être divorcé ;

- disposer de 7000 euros de revenus annuels ;

- supporter 7512 euros de charges annuelles ;

- être propriétaire d'une maison à usage d'habitation estimée à 170 000 euros, de laquelle il convient de déduire le passif afférent à un crédit immobilier en cours de 45 000 euros ;

- disposer d'un patrimoine financier de 11 000 euros.

Il y a lieu de remarquer que les mentions de cette fiche de renseignement ne comportent pas d'anomalies ou d'incohérences faisant obstacle à l'appréciation des biens et revenus de la caution.

La banque était ainsi en droit de s'y fier.

Dès lors, c'est de manière inopérante que Monsieur [P] soutient à présent que son bien immobilier doit être évalué à 137 000 euros (date de la liquidation de sa communauté avec son ex-épouse selon état liquidatif du 2 mars 2005), duquel il conviendrait de déduire le capital restant dû au titre du crédit immobilier y afférent (44 555,11 euros), pour en retenir que la valeur nette de son patrimoine immobilier ne doit plus être estimée qu'à la somme de 92 445 euros.

Il ne peut pas plus se prévaloir de son avis d'imposition pour l'année 2014, duquel il résulterait que son activité professionnelle serait déficitaire.

Il ressort des éléments figurant dans la fiche d'information que le patrimoine de Monsieur [P] y était alors évalué à 136 000 euros (170 000 - 45 000 + 11 000 euros).

Il n'est ainsi pas démontré que Monsieur [P], avec un patrimoine à hauteur de 136 000 euros, et ses revenus de 7000 euros annuels, quand bien même supporterait-il diverses charges, serait dans l'impossibilité manifeste de faire face à son engagement de caution à hauteur de 150 000 euros au jour de sa souscription.

Il y aura donc lieu de conclure à l'absence de disproportion manifeste de l'engagement de caution aux biens et revenus de la caution appréciée au jour de cet engagement.

Surabondamment, il sera recherché si au moment où elle est appelée, la caution se trouve en mesure de faire face à son engagement.

Au moment où la caution est appelée:

Il appartient au créancier professionnel, qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, d'établir qu'au moment où il l'appelle, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation.

Le moment où la caution est appelée doit, en principe se placer au jour de son assignation, sauf si à ce moment, le débiteur principal bénéficie d'un plan de sauvegarde en cours d'exécution, auquel cas l'appréciation doit être différée au jour où le plan n'est plus respecté, l'obligation de la caution n'étant exigible qu'en cas de défaillance du débiteur principal.

C'est au 5 mai 2020, jour de l'assignation de la caution, à laquelle il était alors réclamé 119 612,09 euros en principal, alors que la liquidation judiciaire de l'exploitation avait déjà été prononcée le 16 novembre 2018, qu'il convient de se placer pour apprécier cette disproportion.

Il ressort de l'avis de valeur produit par la caution qu'au 28 décembre 2020, son bien immobilier pouvait être évalué entre 175 000 euros (valeur de marché) et 190 000 euros (prix 'coup de coeur').

Il en résulte ainsi qu'à la date de son assignation, le bien immobilier de la caution pouvait être évalué au moins à 170 000 euros.

Il sera rappelé qu'au jour de son engagement de caution du 29 janvier 2014, la maison à usage d'habitation était déjà estimée à 170 000 euros, dont déduction du capital restant dû au titre du crédit immobilier en cours de 45 000 euros, aboutissant à une valeur résiduelle de 125 000 euros.

Il s'évince des observations de Monsieur [P], qui fait valoir que les échéances mensuelles du crédit immobilier sont de 626 euros, comme l'invoque la caution, notamment à l'appui de sa demande de paiement, que le paiement des échéances du crédit immobilier n'a jamais été interrompu.

Il s'en déduira que les échéances du paiement sont venues augmenter la valeur résiduelle du bien immobilier au jour de l'assignation de la caution.

Bien plus, le tableau d'amortissement du prêt susdit, produit par la caution, fait état au 5 mai 2020 d'un capital restant dû de 4778,73 euros après paiement de l'échéance du 15 avril 2020.

Ainsi, il s'en déduira qu'au 5 mai 2020, la valeur du bien immobilier de la caution était de 165 221,27 euros (170 000 - 4778,73 euros), alors qu'il lui était réclamé à cette même date la somme de 119 612,09 euros en principal.

Il ressort du tout qu'au moment où la banque l'a appelé en qualité de caution, le patrimoine de Monsieur [P] lui permettait de faire face à son engagement.

Dès lors, la banque est bien fondée à se prévaloir de l'engagement de caution du 29 janvier 2014.

Sur le manquement de la banque à son obligation d'information annuelle de la caution :

L'article L. 313-22 du code monétaire et financier, dispose que :

-'les établissements de crédit ou les sociétés de financement ayant accordé un concours financier à une entreprise, sous la condition de cautionnement par une personne physique ou une personne morale, sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation bénéficiant de la caution, ainsi que le terme de cet engagement. Si l'engagement est à durée indéterminée, ils rappellent la faculté de révocation à tout moment et les conditions dans lesquelles celle-ci est exercée;

- Le défaut d'accomplissement de la formalité prévue à l'alinéa précédent emporte, dans les rapports entre la caution et l'établissement tenu à cette formalité, déchéance des intérêts échus entre la précédente information jusqu'à la date de communication de la nouvelle information.

- les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette.'

La teneur de ce texte est reprise, à compter du 1er janvier 2022, par l'article 2302 du code civil, qui vient préciser que l'irrespect de cette obligation d'information est sanctionné par la déchéance du droit des intérêts, mais encore des pénalités entre la date de la précédente information et celle de la nouvelle information.

Cependant, nonobstant la sanction édictée par le second de ces textes, la caution reste néanmoins tenue aux intérêts au taux légal à compter de sa mise en demeure (Cass. 1ère civ. 9 avril 2015, n°14-10.975, diffusé).

Le manquement de l'établissement de crédit à son obligation d'information prévue par ce texte, s'il emporte, dans les rapports entre la caution et le créancier, déchéance des intérêts dans les conditions prévues par ce texte, ne décharge pas la caution de son obligation de payer les autres sommes dues au titre du cautionnement (Cass. com., 6 mars 2019, n°17-21.571).

La charge de la preuve de l'exécution de cette obligation incombe au créancier professionnel.

La production de la copie d'une lettre ne suffit pas à justifier de son envoi.

Mais la preuve de l'accomplissement de cette obligation peut être rapportée par tous moyens, dès lors que l'information de la caution constitue un fait qui peut être prouvé par tous moyens.

La caution demande la déchéance de la banque de son droit aux intérêts pour les intérêts conventionnels du prêt qu'elle a garanti, faute pour la banque de justifier de son obligation d'information annuelle à son égard.

La banque a versé les courriers d'information de la caution envoyés en 2015, 2016, 2017 et 2018.

Elle a également fourni les constats d'huissiers réalisés le 17 mars 2015, 22 mars 2016, 21 mars 2017 et 20 mars 2018, dont leurs auteurs ont procédé aux dates susdites au contrôle par sondage de l'édition, du contenu, de la mise sous pli et de l'expédition des lettres d'informations annuelles adressées aux cautions de la banque.

Elle produit encore les relevés de compte de la caution pour les mois d'avril des 4 années considérées, dont il ressort la facturation des frais d'information annuelle de la caution, sans qu'il soit justifié d'une contestation de la facturation à ce titre par la débitrice principale.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il y aura lieu de considérer que la banque a justifié de l'envoi des courriers d'information annuelle de la caution jusqu'au 19 février 2018.

Mais la banque n'a justifié d'aucune diligence portant information au titre des années 2019, 2020 et 2021.

Il y aura donc lieu d'ordonner la déchéance des intérêts conventionnels à compter du 19 février 2018 jusqu'au 31 mars 2022.

S'agissant du prêt, d'un principal de 150 000 euros, en rapprochant le tableau d'amortissement annexé au contrat de crédit, faisant état du règlement en 10 échéances annuelles au 15 septembre, et la déclaration de créance de la banque du 22 juin 2018, il ressort qu'avant la période de déchéance des intérêts au 19 février 2018, la débitrice principale avait réglé la somme de 110 109,74 euros au titre du capital, tandis que la banque ne réclame à ce titre au moment de sa déclaration de créance que la somme de 110 081,45 euros.

La banque est en outre bien fondée à solliciter l'indemnité conventionnelle de 5 % des montants échues en cas d'irrespect de l'obligation de paiement à bonne date des échéances par l'emprunteur, soit à hauteur de 5504,07 euros.

Il y aura lieu de procéder à la déchéance des intérêts courus du 17 novembre 2019 au 16 décembre 2019, réclamés par la banque à hauteur de 4026,57 euros.

Mais il n'est pas justifié d'un quelconque paiement pendant la période touchée par la déchéance, de telle sorte qu'il n'y aura pas lieu de procéder à l'imputation sur le capital d'une quelconque somme.

Dans les rapports entre le prêteur et la caution, la seconde n'est ainsi débitrice envers le premier que de 115 585,52 euros (110 081,45 euros + 5504,07 euros).

Enfin, les sommes auxquelles pourra prétendre la banque ne pourront être qu'assorties des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure.

La caution produit elle-même le courrier de mise en demeure en date du 11 octobre 2019 que lui a adressé la banque, de telle sorte qu'il en résulte son interpellation suffisante.

Mais la banque demande que les intérêts courent à compter du 16 décembre 2019, date de son dernier décompte, et il sera statué conformément à sa demande.

Il y aura donc lieu de condamner Monsieur [P] à payer à la banque la somme de 115 585,52 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 16 décembre 2019, et le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les délais de paiement :

Selon l'article 1343-5 du Code civil, le juge peut, compte de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux ans, le paiement des sommes dues.

Monsieur [P] sollicite des délais de paiement pendant 2 ans, sans proposer aucun règlement pendant cette période.

Il fait valoir exercer comme auto-entrepreneur une activité de culture de fraises en évoquant un revenu annuel de 15 000 à 20 000 euros, envisageant de travailler en hiver au regard du caractère saisonnier de cette activité, et produit des justificatifs actualisés de ses charges, dont il entend voir déduire la précarité de sa situation financière, tout en concédant que son bien immobilier doit désormais être évalué à 200 000 euros.

Même en tenant compte du quantum des condamnations prononcées, réduites par rapport aux demandes de la banque compte tenu des déchéances prononcées, le reste à vivre résultant du décompte de Monsieur [P] est beaucoup trop réduit, à le supposer existant, pour que l'intéressé puisse raisonnablement proposer un paiement, même partiel et échelonné, de sa dette pendant le délai sollicité.

De surcroît, il n'apparaît pas en quoi le gel total de tout paiement permettrait à la caution, à l'issue du délai biennal sollicité, de faire face à ses engagements dans de meilleures conditions.

La situation de la caution semble plutôt relever d'une procédure de surendettement.

Il y aura donc lieu de rejeter sa demande de délais de paiement.

* * * * *

Il sera rappelé que le présent arrêt vaudra titre de restitution des sommes allouées en exécution du jugement déféré.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté la banque de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance, et a alloué à la caution une somme au même titre.

Il sera aussi infirmé pour avoir condamné la banque aux dépens de première instance.

La caution sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles des deux instances.

La caution sera condamnée aux dépens des deux instances avec distraction au profit du conseil de la banque, et à payer à la banque la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles des deux instances.

Enfin, la banque demande de dire que dans l'hypothèse où à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans le jugement à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier, en application du décret n° 2016-230 du 26 février 2016 relatif aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice et de l'arrêté du 27 février 2018 fixant les tarifs réglementés des huissiers de justice, devra être supporté par le débiteur en sus des frais irrépétibles.

Mais en l'état du dossier soumis à la cour, il n'est en rien démontré que les condamnations prononcées devront faire l'objet de mesures d'exécution forcée, de telle sorte que les frais d'huissier invoqués par la banque sont à ce jour purement hypothétiques.

La banque sera déboutée de cette dernière demande.

PAR CES MOTIFS:

La cour,

statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

Déclare irrecevable la demande de Monsieur [M] [P] tendant à prononcer l'annulation du contrat de prêt du 29 janvier 2014 et de l'acte de cautionnement du 29 janvier 2014 ;

Déclare irrecevable la demande de Monsieur [M] [P] tendant à prononcer la caducité de l'acte de cautionnement du 29 janvier 2014;

Rejette la demande de déchéance des intérêts conventionnels pour la période du 31 mars 2015 au 18 février 2018 ;

Ordonne la déchéance des intérêts conventionnels pour la période du 19 février 2018 au 31 mars 2022 ;

Condamne Monsieur [M] [P] à payer à la société coopérative de crédit à capital variable et responsabilité statutairement limitée Caisse de Crédit Mutuel de Palluau la somme de 115 585,52 euros au titre du contrat de prêt en date du 29 janvier 2014, avec intérêts au taux légal à compter du 16 décembre 2019 :

Déboute Monsieur [M] [P] de sa demande de délais de paiement ;

Déboute Monsieur [M] [P] de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel;

Condamne Monsieur [M] [P] à payer à la société coopérative de crédit à capital variable et responsabilité statutairement limitée Caisse de Crédit Mutuel de Palluau la somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel;

Déboute la société coopérative de crédit à capital variable et responsabilité statutairement limitée Caisse de Crédit Mutuel de Palluau de sa demande tendant à dire que dire que dans l'hypothèse où à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans le jugement à intervenir, l'exécution forcée devra être réalisée par l'intermédiaire d'un huissier, le montant des sommes retenues par l'huissier, en application du décret n°2016-230 du 26 février 2016 relatif aux tarifs de certains professionnels du droit et au fonds interprofessionnel de l'accès au droit et à la justice et de l'arrêté du 27 février 2018 fixant les tarifs réglementés des huissiers de justice, devra être supporté par Monsieur [M] [P] en sus des frais irrépétibles;

Condamne Monsieur [M] [P] aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de la Selarl Atlantic Juris, conseil de la société coopérative de crédit à capital variable et responsabilité statutairement limitée Caisse de Crédit Mutuel de Palluau, de ceux des dépens de première instance et d'appel dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22/00174
Date de la décision : 16/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-16;22.00174 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award