ARRET N°221
N° RG 21/02226 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GKMM
[P]
E.U.R.L. [P] [Y]
C/
[Z]
Organisme CPAM CHARENTE MARITIME
S.A. SOGESSUR
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 16 MAI 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02226 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GKMM
Décision déférée à la Cour : jugement du 07 mai 2021 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de SAINTES.
APPELANTS :
Monsieur [Y] [P]
né le 26 Décembre 1981 à [Localité 9]
[Adresse 10]
[Localité 7]
E.U.R.L. [P] [Y]
[Adresse 10]
[Localité 7]/FRANCE
ayant tous les deux pour avocat Me Stéphane PILON de la SELARL AVOCATS DU GRAND LARGE, avocat au barreau de POITIERS
INTIMEES :
Madame [M] [Z]
née le 03 Février 1944 à [Localité 11] (MAROC)
[Adresse 5]
[Localité 3]
ayant pour avocatMe Charles-Emmanuel ANDRAULT de la SELARL OPTIMA AVOCATS, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT
CPAM CHARENTE-MARITIME
[Adresse 6]
[Localité 2]
ayant pour avocat Me Cécile HIDREAU de la SCP BODIN-BOUTILLIER-DEMAISON-GIRET-HIDREAU-SHORTHOUSE, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT
S.A. SOGESSUR
[Adresse 1]
[Localité 8]
ayant pour avocat postulant Me Christine BURGERES, avocat au barreau de POITIERS, avocat au barreau de PARIS, et pour avocat plaidant Me Mohamed ZOHAIR de la SCP SOULIE COSTE-FLORET & AUTRES
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 02 Mars 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre, qui a présenté son rapport
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
Monsieur Philippe MAURY, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,
ARRÊT :
- Contradictoire
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ :
[M] [Z] s'est fracturée le poignet le 17 août 2016 lorsqu'elle a chuté au sol à [Localité 7] (Pyrénées atlantiques).
Soutenant avoir buté sur une petite marche située entre le seuil d'une maison dite '[Adresse 10]' exploitée comme location de chambres d'hôtes par [Y] [P] qui y occupe en outre à titre personnel un appartement au quatrième étage, et une terrasse, où l'Eurl [P] exploite une activité de salon de thé, Mme [Z] a saisi par actes des 22 et 23 février 2018 le juge des référés du tribunal de grande instance de Saintes pour obtenir l'institution d'une expertise médicale au contradictoire de M. [P], de la compagnie Sogessur assureur multirisques habitation de l'appartement habité par [Y] [P], et de la caisse primaire d'assurance maladie de Charente-Maritime (la CPAM 17), ainsi qu'une provision de 2.000 euros à valoir sur la réparation de son entier préjudice à charge de M. [P] et de Sogessur.
Par ordonnance du 29 mai 2018, le juge des référés a fait droit à la demande d'expertise et rejeté la demande de provision.
Au vu du rapport définitif déposé le 2 octobre 2018 par l'expert commis, le docteur [S] [I], [M] [Z] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Saintes par actes des 30 avril et 3 mai 2019 [Y] [P], la société Sogessur et la CPAM 17 aux fins de voir déclarer M. [P] responsable des conséquences de l'accident et de l'entendre condamner avec son assureur à l'indemniser de ses préjudices.
Elle a ensuite fait assigner à même fin l'Eurl [P], par acte du 16 octobre 2019, et le juge de la mise en état a ordonné la jonction des deux instances.
Dans le dernier état de ses prétentions, elle sollicitait la condamnation in solidum de [Y] [P] et de l'Eurl [P] au visa de l'article 1242 du code civil au motif qu'ils exerçaient ensemble des pouvoirs identiques d'usage, de direction et de contrôle sur la terrasse litigieuse de sorte que sa garde leur était commune, ainsi que de la compagnie Sogessur dont la police couvre les dommages causés par le bâtiment assuré ainsi que ses cours et jardins lorsqu'ils sont attachés à l'habitation assurée; et elle réclamait :
¿ Préjudices patrimoniaux :
.frais de transport : 528,33 euros
.assistance temporaire tierce personne : 725 euros
.¿ Préjudices extra patrimoniaux :
*temporaires :
.déficit fonctionnel temporaire (DFT) : 1.261,25 euros
.souffrances endurées : 6.000 euros
.préjudice esthétique temporaire : 1.500 euros
*permanents :
.déficit fonctionnel permanent (DFP) : 2.100 euros
.préjudice esthétique permanent : 1.000 euros
.préjudice d'agrément et moral : 1.000 euros.
[Y] [P] et l'Eurl [P] concluaient au rejet de ces demandes aux motifs que les circonstances de l'accident demeuraient incertaines et que la société n'était ni propriétaire ni gardienne de la terrasse où la demanderesse soutenait avoir chuté, que la marche sur laquelle la victime disait avoir buté n'était ni dangereuse ni positionnée anormalement ; ils sollicitaient subsidiairement la réduction des indemnités demandées et la garantie de la compagnie Sogessur.
La compagnie Sogessur déclinait sa garantie au motif principal qu'elle n'était pas l'assureur des locaux professionnels incriminés mais seulement de l'appartement de M. [P] situé en étage auquel la terrasse n'était pas attachée, et au motif subsidiaire que son assuré [Y] [P] n'était pas le gardien de la chose incriminée. Elle concluait en tout état de cause au rejet des demandes en soutenant que la marche litigieuse était parfaitement visible et sans danger, et que la victime aurait pu et dû la contourner en passant sur le trottoir plutôt que de pénétrer sur une propriété privée. Elle concluait subsidiairement à la réduction des indemnités sollicitées.
La CPAM 17 réclamait paiement de ses débours, pour 2.446,34 euros, ainsi que de 815,44 euros au titre de l'indemnité prévue par l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale.
Par jugement du 7 mai 2021, le tribunal entre-temps devenu tribunal judiciaire, de Saintes, a :
* rejeté les demandes dirigées contre l'Eurl [P] et la SA Sogessur
* déclaré [Y] [P] seul responsable de l'accident dont [M] [Z] a été victime le 17 août 2016
* dit que le droit à indemnisation de Mme [Z] était entier
* fixé le préjudice total subi par Mme [Z] à hauteur de 14.899,92 euros
* condamné [Y] [P] à payer à [M] [Z] la somme de 12.453,58 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de la présente décision
* condamné [Y] [P] à payer à la CPAM 17
.2.446,34 euros au titre de ses débours
.815,44 euros au titre de l'indemnité forfaitaire
* condamné [Y] [P] aux dépens, incluant ceux de référé et le coût de l'expertise
* condamné [Y] [P] au titre de l'article 700 du code de procédure civile
.2.500 euros à Mme [Z]
.1.000 euros à la CPAM 17
* rejeté la demande formulée par Sogessur au titre de ses frais irrépétibles
* ordonné l'exécution provisoire.
Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu, en substance :
-que la marche incriminée, située dans le prolongement exact du trottoir sur un espace privé, se trouvait pour un piéton cheminant sur le trottoir dans la continuité visuelle des terrasses et du seuil d'entrée ; que rien ne la signalait ; que les jeux d'ombre créés les jours ensoleillés par la pergola en façade de la maison '[Adresse 10]' rendaient sa présence encore plus indécelable ; et qu'elle présentait ainsi un caractère anormal et dangereux, qui engageait la responsabilité de son gardien
-que [Y] [P], propriétaire du bâtiment et des terrasses attenantes, était présumé gardien de cette marche ; que rien ne démontrait que l'Eurl [P] possédait sur le seuil ou la terrasse un quelconque pouvoir de direction, de contrôle et d'usage propre à combattre cette présomption ou à caractériser une garde commune ; et que M. [P] était donc seul tenu de répondre des conséquences de la chute
-que la police mutirisques habitation souscrite par [Y] [P] auprès de la compagnie Sogessur pour couvrir son appartement, situé en étage, ne couvrait pas cette terrasse, accessible à tous les occupants de l'immeuble et à la circulation publique et non rattaché à l'appartement au sens requis par le contrat
-que le préjudice de la victime pouvait être ainsi liquidé au vu de l'expertise judiciaire
¿ Préjudices patrimoniaux :
.dépenses de santé actuelles : débours de la CPAM : 2.446,34 euros
.frais de transport : 528,33 euros
.assistance temporaire tierce personne : 464 euros
.¿ Préjudices extra patrimoniaux :
*temporaires :
.déficit fonctionnel temporaire (DFT) : 1.261,25 euros
.souffrances endurées : 6.000 euros
.préjudice esthétique temporaire : 800 euros
*permanents :
.déficit fonctionnel permanent (DFP) : 1.900 euros
.préjudice esthétique permanent : 1.000 euros
.préjudice d'agrément et moral : 500 euros.
[Y] [P] et l'Eurl [P] ont relevé appel le 15 juillet 2021.
Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique :
* le 15 octobre 2021 par [Y] [P] et l'Eurl [P]
* le 5 janvier 2022 par la SA Sogessur
* le 7 janvier 2022 par [M] [Z]
* le 2 janvier 2023 par la CPAM de Charente maritime.
[Y] [P] et l'Eurl [P] demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il rejette les demandes dirigées contre l'Eurl [P] mais de le réformer pour le surplus, et de débouter Mme [Z], la CPAM 17 et la société Sogessur de toutes leurs prétentions en les condamnant in solidum aux dépens et à leur verser 4.000 euros d'indemnité de procédure.
Subsidiairement, si le principe de la responsabilité de l'un d'eux était retenu, ils soutiennent que les fautes de la victime les exonèrent totalement de toute responsabilité.
S'il était fait droit à une quelconque demande à leur encontre, ils demandent que les sommes retenues par le tribunal soient ramenées à de plus justes proportions, et d'allouer à la victime une indemnisation n'excédant pas la somme totale de 8.564 euros ainsi décomposée :
¿ Préjudices patrimoniaux :
.frais de transport : rejet
.assistance temporaire tierce personne : 464 euros
.¿ Préjudices extra patrimoniaux :
*temporaires :
.déficit fonctionnel temporaire (DFT) : 800 euros
.souffrances endurées : 4.000 euros
.préjudice esthétique temporaire : 700 euros
*permanents :
.déficit fonctionnel permanent (DFP) : 1.600 euros
.préjudice esthétique permanent : 1.000 euros
.troubles de jouissance et préjudice moral : 500 euros.
En toutes hypothèses, ils demandent que la compagnie Sogessur soit condamnée à garantir [Y] [P] de toutes condamnations en principal, intérêts, frais, dépens et indemnité, et sollicitent 4.000 euros d'indemnité de procédure.
M. [P] fait valoir qu'excepté les dires de la demanderesse et de son époux, lequel ne peut être regardé comme un témoin objectif, aucune preuve n'est rapportée de l'affirmation, avalisée par le tribunal, que Mme [Z] est tombée sur sa terrasse en franchissant une marche ; qu'aucun témoignage n'est produit alors que les faits se seraient déroulés en plein jour et au coeur de la saison touristique ; que lui-même n'a été prévenu que deux mois plus tard, et par l'intermédiaire d'un assureur ; qu'on ne peut s'administrer une preuve à soi-même.
Il conteste subsidiairement le caractère prétendument anormal de la marche sur laquelle Mme [Z] aurait buté, en indiquant qu'on ne peut même pas savoir précisément où et sur quelle marche elle a chuté ; que si l'ont admet pour les besoins du raisonnement que la demanderesse est tombée là où elle le dit, il existe sur cette terrasse ou à destination de cette terrasse, pas moins de cinq marches différentes où la chute a pu intervenir ; que plusieurs marches différentes apparaissent sur les clichés photographiques produits par la demanderesse; que celle, dans le prolongement du trottoir, que les premiers juges semblent retenir, apparaît être construite sur la parcelle n°[Cadastre 4], qui appartient à un voisin ; qu'aucune ne présente de toute façon quoique ce soit de dangereux ou d'anormal.
Il soutient que si la chute est survenue là où le dit Mme [Z], celle-ci a alors commis une faute qui est la cause exclusive de son accident et qui constitue un cas de force majeure exonérant le gardien, car cela signifierait qu'elle s'était introduite sur une terrasse privée sans autorisation, et car elle a elle-même indiqué n'avoir pas regardé où elle mettait les pieds.
Il discute subsidiairement le quantum des postes de préjudices invoqués.
Il estime que la CPAM 17 ne justifie pas de ses débours de façon probante.
Il considère que son assureur multirisques habitation, Sogessur, doit garantir les conséquences de l'accident, en soutenant que la police couvre l'habitation 'ainsi que ses dépendances inférieures à 50 m²', ce qui inclut selon lui la terrasse, qui est privée et non affectée à un usage commercial comme le prétend Mme [Z]. Il affirme qu'il faut s'en tenir aux conditions particulières qu'il a seules signées, sans se référer donc au critère d'être 'attaché à l'habitation assurée' figurant dans les conditions générales. Il soutient que l'assureur invoque au vu de conditions générales dont il n'est pas prouvé qu'il les a signées et acceptées, une exclusion de garantie qui doit être stipulée en caractères très apparents, ce qui n'est pas le cas.
La société Sogessur demande à la cour de confirmer le jugement qui l'a mise hors de cause et de condamner in solidum M. [P], Mme [Z] et la CPAM 17 à lui verser 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
À titre subsidiaire, elle sollicite la réformation du jugement et demande à la cour de juger qu'il n'est pas démontré que [Y] [P] ait la qualité de gardien de la chose incriminée ; en tant que de besoin, de juger que la responsabilité de [Y] [P] n'est pas établie ; et de débouter en conséquence Mme [Z] et la CPAM 17 des demandes qu'elles dirigent contre elle, et de les condamner à lui verser 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
À titre infiniment subsidiaire, elle demande à la cour de chiffrer ainsi les préjudices indemnisables en prévoyant que les créances des tiers payeurs s'imputeront sur les préjudices soumis à recours :
¿ Préjudices patrimoniaux :
.frais de transport : 528,33 euros
.assistance temporaire tierce personne : 435 euros
.¿ Préjudices extra patrimoniaux :
*temporaires :
.déficit fonctionnel temporaire (DFT) : 1.109,90 euros
.souffrances endurées : 4.000 euros
.préjudice esthétique temporaire : 700 euros
*permanents :
.déficit fonctionnel permanent (DFP) : 1.600 euros
.préjudice esthétique permanent : 500 euros
.trouble de jouissance : 500 euros.
Elle fait valoir qu'elle n'invoque pas une exclusion de garantie mais une exception de non garantie, tirée de ce que les conditions pour mobiliser sa garantie ne sont pas vérifiées.
Elle soutient que ses conditions générales sont bien opposables à M. [P], puisque celui-ci a signé les conditions particulières dans lesquelles il reconnaît avoir reçu un exemplaire des conditions générales.
Elle indique qu'elle n'est l'assureur ni de l'activité commerciale de [Y] [P], ni de l'Eurl [P], ni des locaux incriminés accueillant leur activité professionnelle respective ; qu'elle n'assure que l'appartement qui constitue le domicile personnel de M. [P] à titre particulier avec mention expresse dans la police que l'habitation n'est pas partiellement ou en totalité à usage professionnel ou agricole.
Elle maintient que la terrasse incriminée, exploitée par le salon de thé-café-bar, ne saurait être regardée comme une dépendance de cet appartement, situé en étage, au sens de la définition que la police donne de ce terme 'dépendance', ni être considérée comme 'attachée' à lui au sens du contrat.
Elle estime subsidiairement que la responsabilité de [Y] [P] n'est pas engagée car la marche litigieuse est parfaitement visible ; qu'aucune signalétique particulière à destination des piétons ne devait être mise en place en cet emplacement privé ; et qu'au vu du site particulier de cet endroit touristique, la terrasse, qui se trouve dans la continuité de la rue principale du village classé, ne peut être rendue inaccessible sans dénaturer le panorama.
Mme [Z] demande à la cour de confirmer purement et simplement le jugement déféré et de condamner M. [P] à lui verser 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle estime que les circonstances de l'accident ne prêtent pas à discussion, qu'elles n'avaient jamais été discutées jusqu'en cause d'appel et elle s'insurge contre le grief apparu devant la cour de ne s'être pas manifestée le jour des faits, alors qu'elle a été conduite à la polyclinique de Saint-de-Luz où elle fut opérée le soir-même, et que son mari a relaté l'accident et pris des photographies.
Elle redit que la marche sur laquelle elle a buté en déambulant dans la rue du village se confondait avec le sol et qu'invisible, et non signalée, en un endroit ouvert à tous, elle présentait un caractère anormal et dangereux justifiant la responsabilité de son gardien. En réponse aux contestations des appelants, elle indique qu'il ne s'agit évidemment pas de la marche située sur la parcelle voisine.
Elle récuse toute faute, et notamment celle de s'être introduite dans un espace privé, en indiquant que la marche est située au niveau d'une terrasse ouverte au public qui a un usage commercial puisqu'elle permet d'accéder au salon de thé-café-bar-vente de gâteaux basques.
Elle explicite les préjudices dont elle demande réparation.
La CPAM de Charente-Maritime demande à la cour de confirmer le jugement déféré, et de condamner solidairement [Y] [P], l'Eurl [P] et la compagnie Sogessur ou en tout état de cause toutes personnes tenues à garantir, à lui verser 815,44 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de l'article L.376-1 et 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle maintient quoiqu'en disent les appelants avoir justifié en première instance et justifier à nouveau devant la cour avoir versé à la victime des prestations pour un total de 2.446,34 euros, par l'état de ses débours que corrobore l'attestation d'imputabilité établie par le médecin-conseil, dont l'indépendance n'est pas suspecte.
La clôture de l'instruction est en date du 2 février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
La réalité d'une blessure subie le 17 août 2016 par [M] [Z] à [Localité 7] n'est pas discutée, et elle est en tant que de besoin établie par les pièces médicales produites, attestant d'une facture de l'extrémité du radius et d'une fracture styloïde cubitale opérée le soir-même.
L'action en réparation exercée par madame [Z] suppose dans chacun de ses fondements et/ou en chacun de ses destinataires, qu'elle rapporte la preuve préalable de sa chute à l'endroit où elle la situe, que ni [Y] [P] et l'Eurl [P] ni la compagnie Sogessur n'ont jamais reconnue ou tenue pour constante ou avérée :
-Sogessur ayant en effet d'emblée objecté que la preuve de la réalité d'une chute à cet endroit restait à prouver, d'autant que son assuré n'était pas présent le jour des faits et n'en avait été avisé que plusieurs mois plus tard, par la réclamation de l'assureur de la blessée (cf pièce n°14 de l'intimée)
-et tous ayant constamment contesté en justice le postulat fondant l'action, devant le juge des référés qui a, de fait, rejeté la demande de provision au motif qu'il existait une contestation sérieuse relativement aux circonstances de l'accident, puis devant le tribunal judiciaire et la cour.
La présentation de l'accident qu'en fait la demanderesse émane d'une partie, et elle constitue le fondement factuel de sa prétention, non une preuve.
La localisation de la chute au niveau du dénivelé que crée la petite marche litigieuse ne résulte que d'un témoignage unique, celui du mari de Mme [Z] qui a indiqué dans une attestation manuscrite datée du 10 octobre 2016 : 'Le 17 août 2016, alors que nous visitions la petite ville d'[Localité 7], très fréquentée par les touristes, nous marchions, sans méfiance, sur les trottoirs lorsque nous avons atteint une terrasse, ouverte à tous, qui semblait plane mais qui, en réalité, comportait une marche, non signalée, ne serait-ce que par un marquage au sol qui aurait cassé la perspective. J'ai alors vu ma femme perdre pied et tomber, le bras qui tenait le sac à main s'est retrouvé entraîné à l'arrière. Il a donc reçu tout le poids du corps lors de la chute, d'où la cassure du poignet ; sa tête a également heurté le sol. Après avoir téléphoné au 112, nous avons été dirigés vers la polyclinique de [Localité 12] où ma femme a été opérée en fin de soirée. Je tiens à signaler que nous sommes retournés sur les lieux afin de les photographier, une jeune femme a également failli tomber mais elle a pu se retenir au bras de son compagnon.'.
En ce qu'il émane du mari de la demanderesse, ce témoignage ne peut être regardé comme revêtant une force probante comparable au témoignage d'un tiers sans lien avec les parties au procès.
Il n'est corroboré par aucun autre élément voire indice, alors même que la présence qu'il relate d'un grand nombre de touristes en cet après-midi de pleine saison estivale a nécessairement impliqué que l'accident ait eu des témoins, même s'il est évidemment compréhensible que sous le coup de l'émotion et de la douleur et dans la recherche d'une assistance médicale, la blessée et son époux n'aient pas eu la présence d'esprit, ou le temps, de solliciter les coordonnées d'un ou plusieurs témoins susceptibles d'attester de l'accident.
Il n'est ni démontré, ni prétendu, que M. et Mme [Z] se seraient manifestés auprès du personnel du salon de thé-boutique de vente de gâteaux basques devant lequel ils situent la chute, lorsqu'ils y retournèrent peu après pour prendre dans un but précisément probatoire les clichés photographiques qu'ils versent aux débats, ce qui aurait pu donner lieu à l'évocation de l'accident avec le personnel, dont certains membres auraient pu s'avérer en avoir été témoins ou informés lors de sa survenance s'ils étaient de service à ce moment, et ce qui aurait pu aussi laisser une trace de leur démarche.
Alors que ces photographies montrent que la rue où Mme [Z] situe les faits est très commerçante, il n'est pas non plus établi, ni soutenu, qu'elle aurait tenté de recueillir lors de leur retour sur le site, le témoignage d'un commerçant voisin qui aurait été témoin ou avisé de l'accident.
Il n'est pas davantage justifié ni fait état d'une trace de l'événement auprès des autorités publiques -police municipale, services de secours...- dont le compte-rendu aurait pu alors renseigner sur les circonstances, et particulièrement la localisation exacte, de l'accident.
La détermination du lieu exact de la chute de Mme [Z] est d'autant plus requise qu'ainsi que le font valoir [Y] [P] et l'Eurl [P] au vu de leur pièce n°5 constituée d'un cliché photographique pris depuis la chaussée devant le salon de thé-boutique '[Adresse 10]', il existe à cet endroit cinq voire six dénivelés très proches les uns des autres où il est concevable que la chute soit intervenue, qu'il s'agisse de la petite bordure du trottoir, des deux petites marches permettant d'accéder du trottoir à la terrasse de l'établissement, de la différence de niveau entre la partie haute et la partie basse de cette terrasse sur son côté gauche sur la photo, ou de deux décochements du sol aux extrémités latérales droite et gauche de cette petite terrasse.
Au demeurant, l'incertitude est plutôt nourrie par l'attestation de [L] [Z] lorsqu'il écrit 'nous marchions, sans méfiance, sur les trottoirs lorsque nous avons atteint une terrasse, ouverte à tous', ce qui peut tout autant voire davantage impliquer de localiser le dénivelé où son épouse perdit l'équilibre du côté de la rue, où se situe le trottoir, plutôt que dans la partie couverte, près du petit banc de pierre, où elle la situe sur ses croquis.
Il y a lieu, dans ces conditions, de constater que l'endroit exact de la chute restant indéterminé, et rien n'établissant que la marche incriminée par Mme [Z] ait eu un rôle quelconque dans sa chute et sa blessure, elle ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'implication de la chose appartenant à [Y] [P] et/ou à l'Eurl [P], non plus que d'une faute que l'un ou l'autre aurait commise, et donc de leur responsabilité.
Elle ne peut ainsi, par infirmation du jugement déféré, qu'être déboutée de l'ensemble de ses prétentions à leur encontre et, conséquemment, à l'égard de la compagnie Sogessur.
En l'absence de responsable reconnu de l'accident, la CPAM 17 sera déboutée de sa demande en remboursement de ses débours et en paiement de l'indemnité forfaitaire de gestion dirigée contre tout succombant.
Mme [Z] supportera les dépens de première instance et d'appel.
L'équité justifie de ne pas mettre à sa charge en première instance comme en appel d'indemnité de procédure.
PAR CES MOTIFS
la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:
INFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il rejette les demandes dirigées contre l'Eurl [P] et la SA Sogessur et en ce qu'il rejette la demande de Sogessur fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
statuant à nouveau :
DÉBOUTE [M] [Z] de tous ses chefs de demandes
DÉBOUTE la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime de sa demande en remboursement de ses débours
DÉBOUTE la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime de sa demande en paiement de l'indemnité forfaitaire de gestion de l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres ou contraires
CONDAMNE Mme [Z] aux dépens de première instance, qui incluent les dépens de référé et le coût de l'expertise judiciaire, et aux dépens d'appel
REJETTE les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,