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11/05/2023 | FRANCE | N°22/02066

France | France, Cour d'appel de Poitiers, Premier président, 11 mai 2023, 22/02066


R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



MINUTE N°4/2023

COUR D'APPEL DE POITIERS

N° RG 22/02066

N° Portalis DBV5-V-B7G-GTQY

REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION







[M] [N]



Décision en premier ressort rendue publiquement le onze mai deux mille vingt trois, par Madame Isabelle LAUQUE, présidente de chambre, agissant sur délégation de Madame la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, assistée lors des débats de Monsieur Damien LEYMONIS, greffier, et lors

du prononcé de la présente décision de Madame Inès BELLIN, greffier,



Après débats en audience publique le 14 mars 2023 ;



Sur la re...

R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

MINUTE N°4/2023

COUR D'APPEL DE POITIERS

N° RG 22/02066

N° Portalis DBV5-V-B7G-GTQY

REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION

[M] [N]

Décision en premier ressort rendue publiquement le onze mai deux mille vingt trois, par Madame Isabelle LAUQUE, présidente de chambre, agissant sur délégation de Madame la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, assistée lors des débats de Monsieur Damien LEYMONIS, greffier, et lors du prononcé de la présente décision de Madame Inès BELLIN, greffier,

Après débats en audience publique le 14 mars 2023 ;

Sur la requête en réparation de la détention fondée sur les articles 149 et suivants et R26 et suivants du code de procédure pénale présentée par

REQUERANT :

Monsieur [M] [N]

né le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 6]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparant en personne, assisté par Me François DANGLEHANT, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS

EN PRESENCE DE :

Monsieur l'agent judiciaire de l'Etat

Sous-direction du droit privé

[Adresse 4]

[Adresse 4]

représenté par Me Renaud BOUYSSI de la SELARL ARZEL ET ASSOCIES, avocat au barreau de Poitiers

ET :

Monsieur le procureur général près la cour d'appel de Poitiers

[Adresse 3]

[Adresse 3]

représenté par Madame Martine CAZABAN, Avocate générale

Aux termes d'une ordonnance en date du 13 août 2019, le juge d'instruction de La Rochelle a renvoyé [M] [N] devant le tribunal correctionnel de Saintes pour agressions sexuelles sur mineure de 15 ans.

Par jugement du 25 mars 2021, [M] [N] a été déclaré coupable et condamné à 4 ans de prison ferme. Le Tribunal a décerné un mandat de dépot à son encontre.

Après deux demandes de mise en liberté formées les 29 mars et 6 avril 2021, [M] [N] a été remis en liberté sous contrôle judiciaire par la Cour d'appel de Poitiers le 26 mai 2021 au bout de 2 mois et 1 jour de détention.

Par arrêt du 22 novembre 2021, la Cour d'appel de Poitiers a renvoyé [M] [N] des fins de la poursuite.

La décision de relaxe de la Cour d'appel est devenue définitive le 27 novembre 2021 à défaut de pourvoi en cassation.

Par requête reçue au greffe le 18 mai 2022, [M] [N] a saisi Madame la première Présidente de la Cour d'appel de Poitiers d'une demande d'indemnisation suite à sa détention subie du 25 mars 2021 au 26 mai 2021.

Dans ses dernières écritures, [M] [N] sollicite les sommes suivantes au titre de la réparation des préjudices subis du fait de sa détention :

- 357.966 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

- 1.440.000 euros à titre de réparation de son préjudice économique,

- 10.380 euros au titre des frais de défense,

- 5.500 euros au titre des frais d'avocat exposé pour la présente action en réparation.

Il fait valoir s'agissant du préjudice moral que la détention provisoire a entrainé une immense souffrance mentale qui a résulté du choc carcéral d'avoir été emprisonné brutalement et injustement privé de liberté. Il se prévaut de 'la jurisprudence [K] [J]' dont la réparation du préjudice a été calculée sur la base de 5.682 euros par jour.

Sur le préjudice économique, [M] [N] fait valoir qu'en raison d'un problème de santé, il avait entrepris une reconversion professionnelle en s'inscrivant à un MBA Finances à [5] de [Localité 7] mais que l'affaire l'a abattu et qu'il n'était plus en mesure de réactiver son projet.

Il évalue son préjudice en affirmant que son activité lui aurait procuré au moins 4.000 euros par mois sur les 30 années à venir, se référant à une jurisprudence de la cour européenne.

Par conclusions reçues au greffe le 27 décembre 2022, l'agent judiciaire de l'Etat ne consteste pas la recevabilité de la demande de [M] [N].

Il demande à Madame la première Présidente de limiter à la somme de 3.500 euros l'indemnisation du préjudice moral du requérant en lien avec la détention, d'écarter sa demande au titre du préjudice professsionel allégué, de limiter à 2.140 euros la demande formée au titre des frais de défense et de réduire la somme réclamée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à de plus justes proportions.

Sur l'indemnisation du préjudice professionnel, l'agent judiciaire de l'Etat fait valoir d'une part que le requérant ne justifie pas de l'estimation des revenus que lui aurait apporté l'activité alléguée dont il ne comprend pas en quoi elle aurait consisté et que les pièces produites ne sont pas de nature à étayer.

S'agissant du préjudice moral, l'agent judiciaire de l'Etat ne consteste pas la demande de [M] [N] dans son principe mais soutient que les circonstances invoquées n'autorisent pas le requérant à réclamer une indemnité dont le montant s'abstrait totalement de la pratique usuelle, à préjudices équivalents, telle qu'elle s'évince de la jurisprudence de la Commission Nationale et des Cours d'appel.

Par conclusions du 6 décembre 2022, le ministère public fait valoir que les jurisprudences évoquées, par [M] [N] à l'appui de sa réclamation, ne sont pas identiques aux faits le concernant, que la détention n'a pas été un frein à sa reconversion professionelle, reconversion qui ne pouvait, contrairement à ce qui est soutenu, avoir été réduite à néant par la publicité négative conférée à cette affaire alors même que les faits reprochés et à l'origine de la condamnation étaient fixés entre 2010 et 2012 et qu'il était sans emploi en 2016 lors du dépôt de sa plainte.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de la demande d'indemnisation

Aux termes des articles 149 et 150 du code de procédure pénale, une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe, ou d'acquittement devenue définitive ; cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement causé par la privation de liberté ;

Il ressort des pièces du dossier que la requête a été présentée dans le délai de l'article 149-2 du code de procédure pénale, que la décision de relaxe est définitive, le ministère public n'ayant pas formé de pourvoi contre l'arrêt de la cour et que le requérant n'a pas été détenu pour autre cause.

Ainsi, la requête en indemnisation de la détention provisoire de [M] [N] est recevable.

Sur la demande indemnitaire :

Toute détention injustifiée cause nécessairement à celui qui l'a subie un préjudice moral évident mais son évaluation s'apprécie in concreto au regard de la situation personnelle de la personne incarcérée.

Lors de son incarcération Monsieur [M] [N] était agé de 54 ans.

Célibataire et sans enfant, il ne fait pas état, dans sa requête, d'un préjudice en lien avec une rupture de ses liens affectifs.

[M] [N] avait déjà été condamné en 2002 pour des faits de banqueroute mais n'avait jamais été incarcéré.

La détention a été subie du 25 mars 2021 au 26 mai 2021, soit pendant une période de 2 mois et 1 jour.

Dans ces conditions, il apparait que le choc carcéral a été violent et il convient d'en tenir compte, nénamoins [M] [N] ne justifie pas avoir subi un préjudice d'une intensité plus importante que n'importe quel primo détenu.

Sa situation ne saurait être sériseusement comparée à celle de [K] [J] en raison notamment du chef d'accusation de cette dernière et de la rupture des liens familiaux entrainés par sa détention et ce dans un contexte de deuil d'un enfant.

En conséquence, il y a lieu de fixer à 8.000 euros la juste indemnisation du préjudice moral souffert par [M] [N] du fait des deux mois et un jour de détention subie.

S'agissant du préjudice matériel, [M] [N] n'avait au moment de son incarcération aucune activité professionnelle.

Au regard des pièces produites, il apparait que sa reconversion professionnelle datait déjà de 2003.

Dans ces conditions, constatant qu'entre mars 2001 et 2003, le requérant n'avait toujours pas valorisé sa formation, la perte de chance invoquée n'apparait pas sérieuse et ne peut fonder une demande indemnitaire.

En conséquence, la demande en indemnisation du préjudice économique formée par [M] [N] sera rejetée.

Enfin, rappelant que seuls sont indemnisables dans le cadre de l'article 149 du code de procédure pénale, les frais de défense pénale engagés en matière de privation de liberté.

En l'espèce, la demande formée correspond à l'entière défense pénale de [M] [N]. Seule la facture d'honoraires émise au titre de la demande de remise en liberté formées devant la cour d'appel pour un montant de 2.140 euros entre dans le champs de l'article 149 du CPP.

Il sera fait droit à cette demande indemnitaire à laquelle l'agent judiciaire de l'Etat ne s'oppose d'ailleurs pas.

L'équité commande d'accorder à Monsieur [M] [N] la somme de 1.000 € au titre de ses frais irrépétibles exposés dans le cadre de la présente instance.

PAR CES MOTIFS :

La présidente de chambre déléguée par la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, statuant contradictoirement et publiquement, par décision susceptible de recours devant la Commission Nationale de Réparation des Détentions,

Déclare recevable la requête en indemnisation présentée par [M] [N] ;

Alloue à Monsieur [M] [N] les sommes de :

8.000 € en réparation de son préjudice moral,

2.140 € au titre des frais de défense exposés au titre de la détention,

1.000€ au titre des frais irrépétibles de l'instance ;

Rejette les autres demandes.

Rappelle l'exécution provisoire de droit qui s'attache à la présente décision.

Laisse les dépens à la charge de l'Etat.

En foi de quoi, la présente ordonnance a été signée par le président et le greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

I. BELLIN I. LAUQUE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : Premier président
Numéro d'arrêt : 22/02066
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;22.02066 ?
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