La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/05/2023 | FRANCE | N°21/02306

France | France, Cour d'appel de Poitiers, Premier président, 11 mai 2023, 21/02306


R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



MINUTE N°3/2023

COUR D'APPEL DE POITIERS

N° RG 21/02306

N° Portalis DBV5-V-B7F-GKVG

REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION







[T] [D]



Décision en premier ressort rendue publiquement le onze mai deux mille vingt trois, par Madame Isabelle LAUQUE, présidente de chambre, agissant sur délégation de Madame la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, assistée lors des débats de Monsieur Damien LEYMONIS, greffier, et lors

du prononcé de la présente décision de Madame Inès BELLIN, greffier,



Après débats en audience publique le 14 mars 2023 ;



Sur la req...

R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

MINUTE N°3/2023

COUR D'APPEL DE POITIERS

N° RG 21/02306

N° Portalis DBV5-V-B7F-GKVG

REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION

[T] [D]

Décision en premier ressort rendue publiquement le onze mai deux mille vingt trois, par Madame Isabelle LAUQUE, présidente de chambre, agissant sur délégation de Madame la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, assistée lors des débats de Monsieur Damien LEYMONIS, greffier, et lors du prononcé de la présente décision de Madame Inès BELLIN, greffier,

Après débats en audience publique le 14 mars 2023 ;

Sur la requête en réparation de la détention fondée sur les articles 149 et suivants et R26 et suivants du code de procédure pénale présentée par

REQUERANT :

Monsieur [T] [D]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté par Me Laure MELLIER de la SCP CALLAUD - MELLIER - KURZAWA, avocat au barreau de Saintes, substituée par Me Thibaut KURZAWA, avocat au barreau de Saintes

EN PRESENCE DE :

Monsieur l'agent judiciaire de l'Etat

Sous-direction du droit privé

[Adresse 4]

[Localité 6]

représenté par Me Renaud BOUYSSI de la SELARL ARZEL ET ASSOCIES, avocat au barreau de Poitiers

ET :

Monsieur le procureur général près la cour d'appel de Poitiers

[Adresse 3]

[Localité 7]

représenté par Madame Martine CAZABAN, Avocate générale

Dans le cadre d'une information judiciaire ouverte du chef de meurtre commis sur la personne de [L] [X], [T] [D] a été mis en examen le 4 octobre 2018 par le juge d'instruction du Tribunal judiciaire de la Rochelle et placé le même jour en détention provisoire à la maison d'arrêt de Saintes.

Par arrêt pénal du 29 janvier 2021 rendu par la Cour d'assises du département de la Charente-Maritime, [T] [D] a été acquitté et libéré.

Par requête enregistrée au greffe le 12 juillet 2021, il a saisi par l'entremise de son conseil, Madame la première Présidente de la Cour d'appel de Poitiers d'une demande d'indemnisation suite à la détention subie du 4 octobre 2018 au 29 janvier 2021.

Aux termes de ses écritures, il réclame les sommes suivantes :

- 80.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

- 24.700 euros au titre de son préjudice matériel correspondant à la perte de chance de n'avoir pu effectuer des missions d'intérim,

- à titre subsidiaire, la somme de 15.670,66 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la suspension de son droit au RSA,

- 2.500 euros au titre des frais irrépétibles en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

S'agissant de son préjudice moral, il fait valoir que sa détention provisoire pendant 2 ans et 4 mois a eu des conséquences pour lui-même mais également des conséquences directes sur son entourage. Il explique que lors de son incarcération, il vivait avec sa compagne et ses deux enfants.

Il soutient que le désarroi de savoir sa compagne, ses enfants et sa famille en souffrance constitue un préjudice personnel réparable et que la séparation d'avec ses enfants et sa compagne a été très éprouvante pour lui.

D'autre part, il fait valoir que sa situation professionnelle étant constituée de missions intérimaires, il éprouve de grandes difficultés, malgré ses recherches, à trouver un emploi au regard de ce passé douloureux et peu apprécié des employeurs.

Il prétend également, s'agissant de ses antécédents judiciaires que, si les périodes d'incarcération déjà effectuées sont de natures à minorer le choc psychologique, il n'en demeure pas moins que le passé carcéral ne constitue pas un facteur d'atténuation du préjudice moral.

Enfin, en se basant sur la jurisprudence de la Commission Nationale de Réparation des détetntions, [T] [D] évoque les conditions d'incarcération susceptibles de constituer des facteurs d'aggravation du préjudice moral.

S'agissant de son préjudice matériel, le requérant prétend d'une part qu'il réalisait de manière fréquente des missions d'intérim et que l'incarcération l'a privé d'une chance d'exercer l'une d'entre elles et que d'autre part, l'incarcération l'a privé du versement du RSA qu'il percevait auparavant.

Par conclusions reçues au greffe le 10 octobre 2022, l'agent judiciaire de l'Etat demande à Madame la première présidente de limiter l'indemnisation du préjudice de [T] [D] à la somme de 42.000 euros au titre du préjudice moral et de rejeter le surplus de ses demandes. Il rappelle le passé judiciaire du requérant et fait valoir que ce dernier était séparé de sa compagne avant son incarcération, qu'il était sans emploi et qu'il ne justifie nullement du chiffrage de sa demande, ne serait-ce que par la production de ses bulletins de salaire ou de ses déclarations de revenus.

Sur les frais irrépétibles, l'agent judiciaire de l'Etat demande que la somme réclamée par le requérant soit ramenée à de plus justes proportions.

Par conclusions reçues au greffe le 6 décembre 2022, le ministère public a conclu à la recevabilité de la requête, à la limitation de l'indemnisation du préjudice moral à la somme de 42.000 euros et au rejet de la demande formée au titre du préjudice matériel.

S'agissant du préjudice matériel, il soutient que non seulement le requérant ne percevait pas le RSA au moment de son placement en détention mais également que rien ne permet d'affirmer avec certitude qu'il aurait travaillé durant la période de détention.

S'agissant du préjudice moral, le ministère public prend en compte le profil du réquérant, son passé carcéral significatif et récent, la durée de détention, les conditions matérielles de cette dernière. Il relève également que [T] [D] était célibataire lors de son incarcération.

Il en conlut que la proposition de 42.000 euros au titre de l'indeminsation du préjudice moral formulée par l'agent judiciaire de l'État est satisfactoire.

MOTIFS DE LA DÉCISION

-Sur la recevabilité de la demande d'indemnisation

Aux termes des articles 149 et 150 du code de procédure pénale, une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe, ou d'acquittement devenue définitive ; cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement causé par la privation de liberté ;

L'arrêt pénal du 29 janvier 2021 rendu par la Cour d'assises du département de la Charente-Maritime est définitif, Monsieur [T] [D] produisant un certificat de non appel daté du 24 mars 2021.

Il ressort des pièces du dossier que la requête a été présentée dans le délai de l'article 149-2 du code de procédure pénale, que la décision de relaxe est définitive, le ministère public n'ayant pas inerjeté appel contre l'arrêt de la cour et que le requérant n'a pas été détenu pour autre cause ;

Ainsi la requête en indemnisation de la détention provisoire de Monsieur [T] [D] est recevable.

-Sur la demande indemnitaire :

Lors de son incarcération, Monsieur [T] [D] était agé de 28 ans pour être né le [Date naissance 5] 1990.

Sur le plan familal, l'enquête sociale produite révèle que lors de son incarcération, Monsieur [T] [D] vivait avec sa compagne et ses deux enfants, [H] et [O]. [H] avait 16 ans lors de l'incarcération de son père.

[O] est la fille d'une première union de la compagne de Monsieur [D] qu'il a adoptée.

La détention a été subie du 4 octobre 2018 au 29 janvier 2021, soit pendant une période de 2 ans et 4 mois.

Le casier judiciaire du requérant porte mention de 9 condamnations dont 7 ayant donné lieu à une incarcération. S'il convient de rappeler que toute détention injustifiée cause nécessairement à celui qui l'a subie un préjudice moral évident, son évaluation s'apprécie au regard de la situation personnelle de la personne.

En l'espèce, Monsieur [T] [D] a été incarcéré pendant 28 mois.

Durant cette période, Monsieur [T] [D] n'a pas pu voir grandir son fils dans les premières années de sa vie.

Par ailleurs, rien n'établit que le couple était séparé au moment de l'incarcération de Monsieur [T] [D]. Ce dernier expose que sa compagne, fragilisée par les accusations portées contre lui s'est effectivement éloignée de lui et qu'il a été privé durant sa détention de sa vie familiale.

Ainsi la privation de toute relation affective avec sa compagne et ses enfants lui a causé un préjudice moral significatif.

Enfin, si la surpopulation carcérale de la Maison d'arrêt de [Localité 8] n'est pas contestable, le rapport du controleur des prisons a relevé que tant les détenus que le personnel apprécient l'établissement pour son 'humanité', la principale critique portant sur la faillite du service pénitentiaire d'insertion et de probation.

Dès lors, tenant compte de la durée de détention particulièrement longue, des conséquences de cette détention sur la vie affective du requérant mais également de ses précédentes incarcérations qui ont attenué le choc carcéral, il y a lieu de fixer à 50.000 euros la juste indemnisation du préjudice moral de [T] [D].

Concernant le préjudice matériel allégué, [T] [D] justifie d'une activité professionnelle de trois mois en 2018 (avril, mai et juillet), la précédente période d'activité remontant à 2011.

Son activité professionnelle s'avèrait donc ponctuelle et aléatoire.

Il ne peut donc être sérieusement soutenu que [T] [D] a perdu une chance de travailler sur la période de détention.

Sa demande formée au titre de la perte de chance d'accomplir des missions d'intérim sera donc rejetée.

En revanche la copie de ses relevés de compte établit qu'il percevait environ 480 euros par mois de la CAF de Charente Maritime au titre du RSA. Il résulte du courrier de la CAF du 29 janvier 2019, que son droit au RSA a été suspendu.

Ainsi rapporté à 25 mois de privation de son RSA, l'indemnisation de son préjudice financier sera justement fixée à la somme de 12.000 euros.

Enfin, il est équitable d'allouer à [T] [D] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS :

La présidente de chambre déléguée par la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, statuant contradictoirement et publiquement, par décision susceptible de recours devant la Commission Nationale de Réparation des Détentions,

Déclare recevable la requête en indemnisation présentée par Monsieur [T] [D] ;

Alloue à [T] [D] les sommes de :

' 50.000 € en réparation de son préjudice moral,

' 12.000 € au titre de son préjudice fiancier,

' 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure pénale.

Rappelle l'exécution provisoire de droit qui s'attache à la présente décision.

Laisse les dépens à la charge de l'Etat.

En foi de quoi, la présente ordonnance a été signée par le président et le greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

I. BELLIN I. LAUQUE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : Premier président
Numéro d'arrêt : 21/02306
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;21.02306 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award