ARRET N°162
CP/KP
N° RG 22/00010 - N° Portalis DBV5-V-B7G-GOFD
[P]
C/
S.E.L.A.R.L. HUMEAU
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
2ème Chambre Civile
ARRÊT DU 25 AVRIL 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/00010 - N° Portalis DBV5-V-B7G-GOFD
Décision déférée à la Cour : jugement du 16 décembre 2021 rendu par le Tribunal de Commerce de SAINTES.
APPELANT :
Monsieur [E] [P]
né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 5] (17)
[Adresse 3]
[Localité 2]
Ayant pour avocat postulant Me Yann MICHOT de la SCP ERIC TAPON - YANN MICHOT, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me Jean-Philippe RIOU, avocat au barreau de NANTES.
INTIMEE :
S.E.L.A.R.L. HUMEAU prise en la personne de Maître Thomas HUMEAU et en sa qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire de la SAS MAISON RENE LACLIE
[Adresse 4]
[Localité 6]
Ayant pour avocat postulant Me Bruno MAZAUDON de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me Philippe MINIER de la SCP LLM SOCIÉTÉ D'AVOCATS LEFEBVRE LAMOUROUX MINIER MEYRAND REMY ROUX-MICHOT, avocat au barreau de SAINTES.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 13 Février 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Claude PASCOT, Président
Monsieur Fabrice VETU, Conseiller
Monsieur Cédric LECLER, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur Claude PASCOT, Président et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
La S.A.S. MAISON RENE LACLIE, spécialisée dans le secteur d'activité du commerce de gros de boissons, est à ce titre soumise à une fiscalité spécifique (droits d'accises). Son représentant légal est M. [E] [P].
Par jugement en date du 6 mars 2014, la SAS MAISON RENE LACLIE a été placée en redressement judiciaire et la SELARL HUMEAU, représentée par Maître Thomas HUMEAU, a été désignée en qualité de mandataire judiciaire
Par jugement en date du 10 septembre 2015, un plan de redressement a été arrêté.
Par jugement en date du 3 mars 2016, le plan de redressement a été résolu et la conversion en liquidation judiciaire a été prononcée, la SELARL HUMEAU, représentée par Maître Thomas HUMEAU étant désignée en qualité de liquidateur.
Le 5 avril 2016, la Direction Générale des douanes et droits indirects de Poitiers a émis un avis de mise en recouvrement portant sur la somme de 919.803 € au titre notamment de droits sur la consommation sur les alcools et de cotisations de sécurité sociale.
Le 4 mai 2016, la Direction Générale des douanes et droits indirects de Poitiers a adressé au liquidateur, un avis définitif de taxation pour un montant de 125.028 €.
Le même jour, l'administration des douanes a notifié ses créances à Me Humeau pour un montant de 959.358 €.
La SELARL HUMEAU représentée par Maître Thomas Humeau, es-qualité de liquidateur de la SAS MAISON RENE LACLIE, a estimé que les agissements, manquements et fautes de gestion de Monsieur [E] [P] ont conduit à une lourde insuffisance d'actif.
Le 26 février 2019, la SELARL HUMEAU a fait assigner Monsieur [E] [P] devant le Tribunal de commerce de SAINTES sur le fondement de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif.
Par jugement en date du 16 décembre 2021, le tribunal de commerce de SAINTES a statué ainsi :
- Dit que Monsieur [P] a commis des fautes de gestion ;
- Déboute Monsieur [P] de l'ensemble de ses demandes ;
- Condamne Monsieur [P] à payer, à la SELARL HUMEAU, la somme de 655.717,96 euros ;
- Ordonne l'exécution provisoire ;
- Condamne Monsieur [P] à payer à la SELARL HUMEAU la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens ;
- Dit que les frais de la présente procédure seront [employés]en frais privilégies de procédure.
Par déclaration en date du 3 janvier 2022, Monsieur [E] [P] a relevé appel de cette décision en visant les chefs expressément critiqués en intimant la SELARL HUMEAU.
Monsieur [E] [P], par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 30 mars 2022, demande à la cour de :
Vu l'article L 651-2 du code de commerce,
- Réformer le Jugement du Tribunal de commerce de SAINTES du 16 décembre 2021 en ce qu'il a :
' Dit que Monsieur [P] a commis des fautes de gestion ;
' Débouté Monsieur [P] a commis des fautes de gestion ;
' Condamné Monsieur [P] à payer, à la SELARL HUMEAU, la somme de 655.717,96 euros;
' Ordonné l'exécution provisoire
' Condamné Monsieur [P] à payer à la SELARL HUMEAU la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC, ainsi qu'aux entiers dépens
' Dit que les frais de la présente procédure seront en frais privilégies de procédure.
- Débouter la SELARL HUMEAU ès qualité de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Subsidiairement, limiter la condamnation de Monsieur [P] à la somme d'un euro symbolique ;
- Condamner la SELARL HUMEAU ès qualité à payer à Monsieur [P] la somme de 15 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la SELARL HUMEAU en tous les dépens.
La SELARL HUMEAU, par dernières conclusions transmises par voie électronique en date du 10 juin 2022, demande à la cour de :
Vu les dispositions de l'article L.651-2 du Code de Commerce,
Vu les pièces versées au débat,
- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de SAINTES, le 16 décembre 2021
- Débouter Monsieur [E] [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Y ajoutant,
- Condamner Monsieur [E] [P] à payer à la SELARL HUMEAU la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ainsi qu'aux entiers dépens de l'appel.
Le Parquet Général, par conclusions en date du 7 février 2023, s'en est rapporté à l'appréciation de la cour.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
En droit, l'article L 651-2 du code de commerce dispose notamment :
'Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. (...)
L'action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire (...)'
1) Sur l'avis de mise en recouvrement du 5 avril 2016 :
Cet avis de recouvrement émis par la Direction Général des Douanes porte sur la somme de 919.803 € qui se décompose ainsi :
-droit de consommation sur les produits intermédiaires à hauteur de 7 €,
-droit de consommation sur les alcools à hauteur de 620.549 €,
-cotisations de sécurité sociale sur les alcools à hauteur de 199.247 €.
Il vise expressément le jugement du 3 mars 2016 du tribunal de commerce de Saintes prononçant la résolution du plan de redressement et la liquidation judiciaire de la SAS Maison [F] [P].
La SELARL Humeau sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a retenu que cet avis de recouvrement révélait des manquements fautifs du dirigeant en termes de déclarations de droits d'accises.
M. [E] [P] se défend en faisant valoir qu'aucun manquement ou négligence ne saurait lui être reproché en ce que l'avis de recouvrement litigieux concerne le stock d'alcools qu'il convenait de taxer au motif que la SAS Maison [F] [P] cessait son activité.
Ces moyens appellent les observations suivantes.
Il est constant que les dépositaires détenant des alcools en suspension de droits d'accises sont soumis à une obligation de déclaration lorsque les alcools qu'il détiennent quittent leur entrepôt, notamment à l'occasion de leur enlèvement suite à leur mise en vente. Sont qualifiés de 'manquants', les quantités d'alcool qui n'apparaissent plus dans les stocks et qui n'ont pas fait pour autant l'objet de la déclaration susvisée.
En l'espèce, l'avis de recouvrement du 5 avril 2016 concerne les alcools qui étaient toujours entreposés dans les locaux de l'entreprise. Il ne s'agit pas d'un stock reconstitué suite à une suspicion de manquants. Cette circonstance est clairement confirmée par le courrier de l'administration des douanes adressé au conseil de M. [E] [P] en date du 19 mai 2021 qui précise : 'Cet AMR a été notifié pour authentifier les droits et taxes dus sur le stock détenu par la société au moment de la liquidation judiciaire et ne correspond pas à la constatation de manquants. Il s'appuie sur le recensement effectué contradictoirement avec le représentant du liquidateur le 16 mars 2016 par le service de douanes de [Localité 6] et relaté sur procès-verbal d'intervention rédigé le 17 mars 2016". Le fait que cet AMR portait sur des stocks présents dans l'entreprise est conforté par les précisions apportées dans ce même courrier quant au devenir des alcools concernés :
'-une partie vendue en acquitté avec paiement des droits et taxes,
-une partie vendue en suspension à destination d'un entrepositaire agréé,
-une partie envoyée en destruction'.
Il s'en déduit que l'AMR litigieux, qui vise expressément le jugement du 3 mars 2016 du tribunal de commerce de Saintes prononçant la résolution du plan de redressement et la liquidation judiciaire de la SAS Maison [F] [P], avait pour objet les droits et taxes sur une quantité d'alcool détenue avant cessation d'activité.
Aucun manquement ou négligence ne saurait donc être reproché à M. [E] [P] au titre de cet AMR.
2) Sur l'avis définitif de taxation en date du 4 mai 2016 :
Par l'avis de taxation susvisé, après avoir rappelé les textes applicables, et avoir fourni le détail des produits concernés, chai par chai, type d'alcool par type d'alcool, l'administration des douanes a relevé l'existence de manquants taxables pour un montant de droits dû de 125.028 €.
Contrairement à l'AMR du 5 avril 2016 qui concernait le stock existant, cet avis concerne de véritables manquants.
M. [E] [P] se défend en faisant valoir :
-que l'action en recherche de responsabilité contre lui sur ce point est prescrite,
-qu'elle est en toute hypothèse infondée.
Sur la prescription :
L'appelant fait valoir que le moyen tiré de l'avis définitif de taxation en date du 4 mai 2016 a été soulevé dans un jeu de conclusion complétif de mars 2021, alors que la procédure de liquidation judiciaire avait été ouverte par jugement en date du 3 mars 2016, soit cinq ans auparavant.
Certes, conformément à l'article L 651-2 du code de commerce susvisé, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif se prescrit par trois ans. Il n'en reste pas moins que cette prescription triennale a été interrompue en l'espèce par l'assignation devant le tribunal de commerce de Saintes en date du 26 février 2019. L'appelant ne peut donc plus se prévaloir d'un délai de plus de trois ans qui se serait écoulé entre la liquidation judiciaire et l'invocation par le mandataire de l'avis définitif de taxation pour manquants. Ce moyen est inopérant.
Sur le bien fondé :
L'appelant fait notamment valoir :
-que l'inventaire du 22 décembre 2015 ne relevait quasiment aucun écart, que la taxe porte sur la différence entre le 21 décembre 2015 et le 17 mars 2016 et que rien ne peut expliquer un écart de 54,4675 HL sur une période aussi brève,
-que le liquidateur a eu un comportement fautif en ne procédant pas à la contestation de l'avis de taxation qui s'imposait.
Ces moyens de défense appellent les observations suivantes.
Il convient de rappeler que l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif suppose que soit clairement démontrée une faute du dirigeant, préalablement au jugement d'ouverture.
En l'espèce plusieurs éléments méritent d'être pris en considération.
D'une part, les manquants résultent d'agissements nécessairement commis entre les deux contrôles effectués, à savoir le 22 décembre 2015, date de la dernière vérification mentionnée à l'avis définitif de taxation, et le 16 mars 2016, date du recensement effectué suite à la mise en liquidation judiciaire. Cette dernière est intervenue le 3 mars 2016. La disparition suspecte concerne donc une période qui s'étend en amont et en aval de la date d'ouverture de la procédure, sans qu'aucune donnée concrète ne puisse permettre de la situer plus précisément. Or, pour que la responsabilité pour insuffisance d'actif puisse être retenue, il est nécessaire qu'il soit démontré que la faute alléguée a bien été commise préalablement au jugement d'ouverture. Aucune certitude n'est caractérisée dans le dossier sur ce point.
D'autre part, quant à l'enlèvement lui-même des quantités d'alcool pur, il résulte de la pièce n° 5 de l'appelant que par lettre recommandée en date du 20 mai 2016, M. [E] [P] a réagi en s'interrogeant sur les causes de la disparition ayant généré l'avis définitif de taxation, soit très rapidement après avoir pris connaissance de cet avis, et très longtemps avant que ne soit envisagée contre lui une action sur le fondement de l'article L 651-2 du code de commerce. Il n'est pas contesté que comme M. [E] [P] le prétend, aucun manquant suspect n'avait été déploré par le passé. Dans ses écritures, l'appelant indique que 'parmi les pistes qu'il aurait fallu explorer dans les délais, on observe que les 57 hl manquants sont très voisins des 50 hl inventoriés en décembre chez le sous-traitant [U]'. Certes, l'allégation de M. [E] [P] n'est soutenue pas aucun élément tangible. Il n'en reste pas moins qu'il convient de veiller à ne pas renverser la charge de la preuve. En effet, une condamnation en paiement sur le fondement de l'article L 651-2 du code de commerce suppose la démonstration d'une faute imputable à celui qui est recherché, en l'espèce, l'enlèvement de plus de 54 HLAP, entre le 22 décembre 2015 et le 3 mars 2016. Force est de constater qu'aucun élément de la procédure ne permet d'être suffisamment affirmatif sur ce point.
Compte tenu de ces observations la cour constate que Me Humeau ès qualité est défaillant dans la preuve qui lui incombe. Il sera débouté de ses demandes sur le fondement de la responsabilité pour insuffisance d'actif à l'encontre de M. [E] [P].
***
Il est équitable de condamner la SELARL Humeau ès qualité qui succombe à payer à M. [E] [P] la somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a dit que les dépens seraient employés en frais privilégiés de procédure collective,
Statuant de nouveau,
Déboute la SELARL HUMEAU ès-qualité de ses demandes à l'encontre de M. [E] [P],
Condamne la SELARL HUMEAU ès-qualité à payer à M. [E] [P] la somme de 4.000 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de procédure collective
Rejette toute demande plus ample ou contraire.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,