ARRET N°159
N° RG 21/02061 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GJ7B
[G] [Z]
C/
[V]
[A]
S.C.I. TGRELOC
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 04 AVRIL 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02061 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GJ7B
Décision déférée à la Cour : jugement du 03 mai 2021 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de POITIERS.
APPELANTE :
Mademoiselle [C] [G] [Z]
née le 14 Avril 1975 à [Localité 6]
[Adresse 5]
[Localité 2]
ayant pour avocat Me Frédéric MADY de la SELARL MADY-GILLET-BRIAND-PETILLION, avocat au barreau de POITIERS substitué par Me Anne-Sophie LE CARVENNEC, avocat au barreau de POITIERS
INTIMES :
Madame [L] [V]
née le 24 Décembre 1983 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Monsieur [R] [A]
né le 27 Août 1981 à [Localité 7]
[Adresse 1]
[Localité 3]
S.C.I. TGRELOC
[Adresse 1]
[Localité 3]
ayant tous les trois pour avocat Me Anne DE CAMBOURG de la SCP DUFLOS-CAMBOURG, avocat au barreau de POITIERS substituée par Me Laura DA ROCHA, avocat au barreau de POITIERS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 02 Février 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
Madame Anne VERRIER, Conseiller qui a présenté son rapport
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,
ARRÊT :
- Contradictoire
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE, DES PRÉTENTIONS
[C] [G] [Z] ([G]), son compagnon, [P] [A], [R] [A], cousin de [P] [A], [L] [V], compagne de ce dernier ont élaboré un projet portant sur l'acquisition d'un terrain, la construction d'un immeuble, puis sa mise en location.
Ce projet s'est concrétisé par la signature d'une offre d'achat portant sur un terrain situé à [Localité 8] le 10 mars 2016 pour un prix de 210 000 euros.
Le 14 mars 2016, [P] [A] décédait des suites d'un accident de la circulation.
Ce décès a remis en cause le projet précité qui sera poursuivi mais uniquement par [R] [A] et [L] [V].
Ces derniers ont constitué une SCI, la SCI TG Reloc le 9 juin 2016 dont le siège social correspond à leur domicile.
La SCI a ensuite contracté un prêt de 450 300 euros le 17 juillet 2016, prêt destiné à financer l'achat du terrain puis les travaux de construction.
La SCI a acquis le terrain par acte de vente du 6 avril 2017.
Mme [G] s'est ensuite rapprochée des consorts [A]-[V] et a réinvesti le projet et participé activement à l'aménagement de la maison.
M. [A] lui a envoyé des éléments chiffrés en janvier 2017, a rencontré le notaire pour préparer son intégration en janvier 2018, lui a transmis en février 2018 le projet de règlement intérieur, les statuts de la SCI le 4 avril 2018.
La construction était achevée courant avril 2018.
Par courriel du 30 avril 2018, les consorts [A]-[V] indiquaient à Mme [G] qu'ils n'entendaient plus donner suite au projet de cession de parts.
Le 19 septembre 2018, le conseil Mme [G] les mettait en demeure de lui payer les sommes de 11 542,12 euros et 130 000 euros.
Par actes du 31 janvier 2019, Mme [G] [Z] a fait assigner M. [A], Mme [V], la SCI TG Reloc devant le tribunal de grande instance de Poitiers aux fins de condamnation à lui payer la somme de 218 198,22 euros en indemnisation de ses préjudices.
Elle leur reprochait d'avoir rompu la promesse de contrat de société conclue, subsidiairement, d'avoir rompu fautivement les pourparlers engagés, d'avoir bénéficié d'un enrichissement sans cause.
Les consorts [A]-[V], la SCI ont conclu à l'irrecevabilité des demandes dirigées contre la SCI, au débouté.
Par jugement du 3 mai 2021, le tribunal judiciaire de Poitiers a statué comme suit :
'- met hors de cause la SCI TGRELOC
-condamne solidairement Monsieur [R] [A] et Madame [L] [V] à payer à Madame [C] [G] [Z] la somme de 20.000€
-condamne solidairement Monsieur [R] [A] et Madame [L] [V] à payer à Madame [C] [G] [Z] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
-rejette les autres demandes
-condamne solidairement Monsieur [R] [A] et Madame [L] [V] aux dépens
-ordonne l'exécution provisoire.'
Le premier juge a notamment retenu que :
-sur l'existence d'une promesse synallagmatique de société
La SCI avait pour objet la détention et la gestion d'un patrimoine immobilier.
L' existence d'une promesse de société suppose la rencontre de volonté des protagonistes sur les éléments essentiels, notamment le nombre de parts devant revenir à chacun, les dispositions du règlement intérieur.
Le droit de jouissance de chaque associé devait être organisé.
Mme [G] n'établit pas avoir accepté d'être titulaire de 33% des parts, ni avoir accepté les conditions du règlement intérieur proposé.
A défaut d' accord établi sur les conditions de la société, il ne peut être considéré qu'une promesse synallagmatique de société soit intervenue.
-sur la rupture fautive des pourparlers
Les productions démontrent l'implication de la demanderesse dans le projet, ses diligences, les travaux qu'elle a réalisés à compter de janvier 2017, date à laquelle elle s'est réinvestie personnellement dans le projet.
M. [A] et Mme [V] ont continué à l'associer à l'aménagement de l'immeuble jusqu'en avril 2018, date à laquelle ils lui ont indiqué ne plus vouloir la faire entrer dans le capital social de la SCI.
Ils ont agi avec une légèreté blâmable en la laissant s'impliquer dans l'aménagement de l'immeuble sans être certains de pouvoir s'accorder avec elle sur les conditions de fonctionnement de la SCI.
Ils lui ont causé un préjudice matériel et moral.
La somme de 8250 euros correspondant aux frais exposés a été restituée ainsi que les meubles que Mme [G] avait acquis et restaurés.
Le préjudice moral sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 20000 euros.
-sur la mise hors de cause de la SCI
Les courriers échangés émanent de personnes physiques qui ne se sont jamais présentées comme des gérants de la SCI. Ils n'ont pu engager la SCI.
LA COUR
Vu l'appel en date du 2 juillet 2021 interjeté par Mme [G] [Z]
Vu l'article 954 du code de procédure civile
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 28 décembre 2022 , Mme [G] [Z] a présenté les demandes suivantes :
Vu le bordereau de pièces fondant les prétentions de Madame [C] [G] annexé à la présente assignation conformément aux dispositions de l'article 954 du Code de procédure civile,
Vu les articles 1231-1 et suivants du Code Civil,
-A titre principal,
-Réformer le jugement du Tribunal Judiciaire de POITIERS du 3 mai 2021 en ce qu'il a :
-mis hors de cause la SCI TGRELOC
-condamné solidairement Monsieur [R] [A] et Madame [L] [V] à payer à Madame [C] [G] [Z] la somme de 20 000€
Et en ce qu'il n'a pas :
-dit et jugé que Monsieur [R] [A] et Madame [L] [V] ont rompu de manière brutale la promesse synallagmatique de contrat de société avec Madame [G] ;
-dit et jugé que l'attitude de Monsieur [R] [A] et Madame [L] [V] à l'égard de Madame [C] [G] leur a permis de bénéficier d'un enrichissement sans cause -condamné Monsieur [R] [A], Madame [L] [V] et la SCI TGRELOC, in solidum, à payer à Madame [G] la somme totale de 218 198, 22 € au titre :
d'un manque à gagner sur la plus-value
d'un manque à gagner sur les bénéfices
d'une avance de frais sur les factures d'ameublement
du coût des allers-retours
du coût des déplacements divers pour les travaux
du coût de la main d''uvre pour la réalisation des travaux
-condamné Monsieur [R] [A], Madame [L] [V] et la SCI TGRELOC, in solidum, à payer à Madame [G] la somme de 25 000€ en réparation de son préjudice moral ;
-dit et jugé que ces sommes produiront intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure du 19 septembre 2018 en application de l'article 1231 - 6 du code civil.
Et, statuant à nouveau,
DIRE ET JUGER Madame [C] [G] recevable et bien fondée en son action.
DIRE ET JUGER que Monsieur [R] [A] et Madame [L] [V] ont rompu de manière brutale la promesse synallagmatique de contrat de société avec Madame [G]
Subsidiairement, pour le cas impossible où l'existence d'une promesse synallagmatique de contrat de société ne serait pas consacrée,
DIRE ET JUGER que Monsieur [R] [A] et Madame [L] [V] ont rompu abusivement les pourparlers et, de ce fait, engagé leur responsabilité quasi délictuelle prévus aux articles 1240 et suivants du Code Civil à l'égard de Madame [C] [G].
DIRE ET JUGER que l'attitude de Monsieur [R] [A] et Madame [L] [V] à l'égard de Madame [C] [G] leur fait bénéficier d'un enrichissement sans cause.
En conséquence,
-CONDAMNER en tout état de cause [R] [A], Madame [L] [V] et la SCI TGRELOC, in solidum, à payer à Madame [G] la somme totale de 258 046,38 €€ se décomposant comme suit :
- manque à gagner sur la plus-value : 170 000 €
- manque à gagner sur les bénéfices : 71 656 €
- avance de frais sur les factures d'ameublement : 10 083,26 €
- coût des allers-retours : 1 910,04 €
- coût des déplacements divers pour les travaux : 253,92 €
- coût de la main-d''uvre pour la réalisation des travaux : 7 545 €
- diverses dépenses : 4.848,16€
SOUS TOTAL : 266 296,38 €
- somme à déduire déjà versée par la SCI TGRELOC : 8 250 €
TOTAL : 258 046,38 €
-CONDAMNER [R] [A], Madame [L] [V] et la SCI TGRELOC, in solidum, à payer à Madame [G] la somme de 25 000 € en réparation de son préjudice moral.
DIRE ET JUGER que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure, soit le 19 septembre 2018 en application de l'article 231-6 du Code Civil.
En tout état de cause,
-CONDAMNER [R] [A], Madame [L] [V] et la SCI TGRELOC, in solidum, à payer à Madame [G] la somme complémentaire de 10.000€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
-CONDAMNER [R] [A], Madame [L] [V] et la SCI TGRELOC, in solidum, aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SELARL MADY-GILLET-BRIAND-PETILLION, Avocat, qui sera autorisée à les recouvrer dans les conditions de l'article 699 de Code de procédure civile.
A l'appui de ses prétentions, Mme [G] soutient en substance que :
-Elle fonde ses demandes sur la rupture fautive d'une promesse synallagmatique de contrat, à titre subsidiaire, sur la rupture fautive des pourparlers.
-Les parties avaient consenti aux éléments constitutifs du contrat de société.
-La convention avait fait l'objet d'un début d'exécution.
-L'intention de s'associer est établie par l'offre d'acquisition du 10 mars 2016, offre qui correspond à l'objet de la SCI.
-Elle avait participé à l'élaboration des plans, mis le projet initial en suspens. Celui repris était identique. L'objet de la société était déjà précisé.
-Mme [G] s'était beaucoup investie dans la recherche du terrain, avait négocié le prix, s'est investie dans la construction, l'aménagement.
-Son avis a ensuite été sollicité sur l'aménagement, la décoration.
-La participation aux bénéfices et aux dettes sociales était acquise.
-M. [A] divisait les dettes par 3, la considérait comme une véritable associée.
-Il existait une volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble sur un pied d'égalité à la poursuite de l'oeuvre commune.
-Elle a investi du temps, de l'argent, produit de nombreux témoignages en ce sens.
-Elle l'a fait dans l'intérêt exclusif de la SCI. L'intégration lui avait été promise.
-Il n'est pas démontré qu'elle voulait 50 % des parts.
-L'absence de réponse sur la règlement intérieur n'établit pas un désaccord
-Son exclusion résulte d'un choix délibéré de M. [A] et de Mme et [V].
Ce n'est pas le résultat d'un désaccord.
-La rupture est d'autant plus brutale que le projet initial avait une dimension familiale.
-Son éviction est intervenue six jours après la fin de l'aménagement.
-Les préjudices incluent les gains dont elle a été privée, la plus-value latente sur l'immeuble, les bénéfices tirés des locations.
-Elle demande à être dédommagée des dépenses faites en lien avec les déplacements, les fournitures, les travaux.
-Elle a subi un préjudice moral, un second choc émotionnel. Elle évalue son préjudice à la somme de 25 000 euros.
Aux termes du dispositif de leurs dernières conclusions en date du 4 janvier 2023, les consorts [V]-[A], la SCI TG Reloc ont présenté les demandes suivantes :
Vu l'article 122 du Code de procédure civile,
Vu l'article 1359,1112,1240,1303-3 du Code civil,
A titre liminaire,
A titre principal,
-CONFIRMER le jugement prononcé le 3 mai 2021 par le Tribunal Judiciaire de Poitiers en ce qu'il a mis hors cause la SCI TGRELOC.
A titre subsidiaire,
Déclarer irrecevables les demandes dirigées contre Madame [V] et Monsieur [A].
-CONFIRMER le jugement du 3 mai 2021 du Tribunal judiciaire de POITIERS en ce qu'il a écarté l'existence d'une promesse synallagmatique de contrat de société,
-REFORMER le jugement du 3 mai 2021 du Tribunal judiciaire de POITIERS en ce qu'il a condamné Monsieur [R] [A] et Madame [L] [V] à verser à Madame [C] [G] [Z] la somme de 20.000€
-REFORMER le jugement du 3 mai 2021 du Tribunal judiciaire de POITIERS en ce qu'il a condamné Monsieur [R] [A] et Madame [L] [V] à verser à Madame [C] [G] [Z] la somme de 3.000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Et statuant à nouveau :
-REJETER toutes les demandes de Madame [G]
-CONDAMNER Madame [G] à payer à Madame [V] et à Monsieur [A] la somme de 10.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
-CONDAMNER Madame [G] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
A l'appui de leurs prétentions, les consorts [V]-[A], la SCI soutiennent en substance que :
-Mme [G] s'était retirée du projet.
-Le 17 avril 2016, elle leur a envoyé des pièces jointes, a ajouté: 'En fait je l'avais classé sans regarder et je viens de tomber dessus. J'espère que vous arriverez à concrétiser ce précieux projet en sa mémoire, il en serait vraiment heureux.
-Elle n'a pas intérêt à agir contre la SCI qui n'est pas concernée par les pourparlers.
-Il n'y a pas de promesse synallagmatique de contrat de société.
Aucun acte n'a été rédigé. Il s'agit seulement de pourparlers quant à un projet de contrat de société.
-L'offre du 10 mars 2016 est antérieure au décès. Le projet devait nécessairement être revu.
-De nouveaux pourparlers se sont engagés entre janvier 2017 et le 28 avril 2018.
-Elle n'a pas répondu à leurs envois car elle hésitait.
-Les travaux qu'elle a effectués n'établissent pas une volonté non équivoque de s'associer et de collaborer.
-Elle ne justifie d'aucun apport. L'aide ponctuelle qu'elle a donnée n'est pas un apport en industrie.
-Le désaccord sur le règlement intérieur est significatif. Aucun accord n'avait été conclu sur la répartition des charges, sur les modalités de gestion locative
Il prévoyait notamment que chaque associé s'engage à verser automatiquement mensuellement 333 euros si les locations ne remboursaient pas totalement le crédit.
Chaque associé gérait 1/3 du temps de location donc proportionnellement aux parts sociales.
-Des conflits sont apparus.
-Mme [G] n'a jamais exprimé son accord sur la participation aux dettes sociales.
-Courant avril 2018, ils étaient en désaccord sur des questions essentielles : la répartition des parts, le projet des statuts modifiés, le projet de règlement intérieur.
-Les questions relatives au prix des locations, aux contrats de location n'étaient pas réglées.
-La rupture des pourparlers était justifiée. Ils contestent avoir fait preuve de légèreté.
-Il y avait désaccord sur des éléments essentiels du contrat projeté.
-Lorsque le contrat est dominé par l'intuitus personae, ce qui est le cas des sociétés civiles, la rupture peut intervenir tardivement. Il y a eu perte de confiance mutuelle.
-sur les préjudices
Les demandes indemnitaires sont injustifiées.
Le manque à gagner sur la plus-value que pourrait procurer l'immeuble est dépourvu de sens. Le projet était un investissement à long terme.
La demande formée ne tient pas compte du prêt, de l'impôt devant être réglé.
La valeur a été estimée sur la base des photos du site de mise en location.
Le manque à gagner sur les bénéfices est calculé de manière spéculative.
Le préjudice matériel a été remboursé.Les frais de trajets demandés ne sont pas établis.
Les sommes demandées au titre de la main d'oeuvre sont exagérées.
Il contestent l'existence d'un préjudice moral.
Mme [G] s'était retirée du projet, a fait le choix de ne pas s'engager de nouveau.
Le projet initial était le leur et non le sien.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 5 décembre 2022 .
SUR CE
-sur la promesse synallagmatique d'intégration dans la société
Mme [G] assure que son intégration dans la SCI lui avait été promise.
Elle soutient que les éléments essentiels de cette intégration étaient déterminés, et qu'il n'y manquait plus que la ratification des deux associés.
Les consorts [A]-[V] admettent l'existence d'un projet d'intégration, considèrent qu'il a été interrompu avant sa finalisation, alors que les négociations étaient en cours et que de nombreuses questions restaient indéterminées.
Une promesse de société suppose que pendant la période au cours de laquelle est négociée la formule à venir, il existe une volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble sur un pied d'égalité à la poursuite de l'oeuvre commune.
La promesse doit contenir tous les éléments nécessaires à la formation du futur contrat en fonction de sa nature.
Il résulte des productions que M. [A] a envoyé à Mme [G] le 16 janvier 2017 des données relatives aux charges annuelles induites par le projet, estimé le reste à charge à la somme de 1660 euros, soit 533 euros par personne chaque année.
Ces charges incluaient le remboursement du prêt.
Si effectivement il n'est pas produit de réponse écrite à ce courriel, des échanges constructifs se sont poursuivis comme le démontrent les envois ultérieurs, envois qui ne peuvent se concevoir que parce que le projet de cession restait d'actualité.
Le 7 janvier 2018 , une année après que les données précitées eurent été transmises, M. [A] envoyait à Mme [G] un courriel qui lui transmettait le récapitulatif des pièces à fournir.
Il indiquait avoir rencontré le notaire pour préparer son entrée dans la SCI avec 33% des parts, envisager un enregistrement possible en février 2018.
Début janvier 2018, l'intégration lui semblait donc faisable et proche.
Le 18 février 2018, M. [A] envoyait à Mme [V] et Mme [G] le projet de règlement intérieur.
Ce dernier prévoit que chaque associé s'engage à verser automatiquement mensuellement 333 euros si les locations ne remboursent pas totalement le crédit.
Il envoie le même jour la synthèse des comptes incluant les factures d''[C]'.
Le 4 avril 2018, M. [A] envoyait à Mme [G] les statuts de la SCI. Il ajoutait :
'Donc l'idée est que tu rejoignes la SCI avec le même statut que nous à savoir cogérante. Et par conséquent qu'on ait les mêmes droits.'
Il annonçait l' envoi d'une copie du prêt, une 'assemblée générale accordant ton entrée dans la SCI.'
Mme [N] atteste quant à elle que '[R] avait promis à [C] de l'intégrer dans la SCI dès qu'elle irait mieux. Elle nous disait régulièrement qu'il allait régulariser.'
Le fonctionnement mis en place entre janvier 2017 et avril 2018 caractérisé par une prise de décision collégiale, des frais avancés par chacun, une inclusion dans les comptes des dépenses effectuées pour le compte de la SCI laissait augurer d'une intégration future comme l'avance Mme [G].
Il résulte donc des productions qu'au 4 avril 2018, Mme [G] était fondée à croire que son objectif d'intégration en qualité de co-gérante de la SCI était partagé.
Elle soutient qu'il existait une volonté non équivoque de tous les associés de collaborer ensemble, que la promesse avait déjà fait l'objet d'un commencement d'exécution, soit l'offre d'acquisition initiale du 10 mars 2016, que le second projet était identique au projet initial.
Cette assertion est contestée par les intimés.
Ils rappellent que le 17 avril 2016, Mme [G] leur a envoyé des pièces et leur a souhaité 'd'arriver à concrétiser ce précieux projet en la mémoire de son compagnon', projet dont alors elle s'excluait.
Il est certain que la SCI TG Reloc a été constituée par M. [A] et Mme [V], deux des quatre associés initialement prévus.
C'est cette SCI ainsi constituée qui a acquis le terrain à bâtir, déposé le permis de construire, emprunté, réalisé des travaux.
Il s'est écoulé plusieurs mois entre la création de la SCI et la réintroduction de Mme [G] dans le projet de construction-location.
Le fait que le terrain acheté par la SCI le 6 avril 2017 soit celui qui avait fait l'objet d'une offre collective le 10 mars 2016 ne démontre en rien un commencement d'exécution de la promesse de cession.
Mme [G] n'a participé à aucun des actes fondateurs, essentiels du projet que sont la création de la SCI, l'acquisition du terrain, son financement, le financement des travaux.
S'il est établi par les productions précitées un accord de M. [A] sur le principe de l'intégration, il n'est pas justifié d' un accord de Mme [V], qui est certes destinataire en copie de tous les mails adressés par M. [A] mais ne s'est jamais exprimée clairement sur le principe de l'intégration de Mme [G].
Or, les parts sociales ne pouvaient être cédées qu'avec l'agrément de tous les associés.
M. [K], ami de Mme [G] atteste 'avoir entendu de nombreuses fois [C] réclamer les papiers à [R] et [L] en vain concernant son entrée dans la SCI. J'ai constaté que [R] rassurait [C] en lui disant qu'il allait faire mais [C] se plaignait que ça ne venait jamais.
Dans ces moments là, [L] était complètement effacée'.
Si la preuve d'un désaccord sur le projet de règlement intérieur, la répartition des parts, les statuts n'est pas démontrée, contrairement à ce qui est prétendu par les intimés, la preuve d'un accord n'est pas non plus démontrée.
Mme [G] ne justifie pas s'être positionnée clairement sur sa participation future aux dettes sociales, les règles de fonctionnement énoncées dans le réglement intérieur.
Elle n'indique pas avoir pris contact avec le notaire chargé de préparer son intégration, ne démontre pas lui avoir envoyé des pièces, ne s'explique pas sur ses apports futurs, sur les modalités d'acquisition des parts devant lui être cédées, sur les fonds dont elle disposait ou ses démarches pour en emprunter.
Contrairement à ce qu'elle a pu penser, l'opération n'était pas une simple régularisation au regard des actes déjà intervenus avant qu'elle n'exprime le souhait de réintégrer le projet.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu que les conditions d'une promesse synallagmatique n'étaient pas réunies dès lors que les éléments essentiels de la SCI avec 3 associés n'avaient pas fait l'objet d'un accord préalable certain.
-sur la rupture fautive des négociations
L'article 1112 du code civil dispose que l'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.
Mme [G] estime que la rupture des négociations a été brutale, déloyale.
Elle assure qu'elle est intervenue alors qu'elle avait consacré une activité et un temps très conséquents à l'aménagement de la maison, juste après que cet aménagement a été achevé.
Les consorts [A]-[V] contestent toute faute, estiment que la rupture était justifiée au regard des dissensions apparues et d'une perte de confiance mutuelle.
Il résulte des productions et notamment des attestations produites que Mme [G] s'est investie de manière très significative dans l'aménagement, la décoration de la maison, que cet investissement a été très soutenu jusque fin avril 2018.
Elle a fait établir des devis, passé des commandes, réalisé des achats, négocié des réductions, cherché des meubles, restauré du mobilier, avancé des frais pour le compte de la SCI, fait des listes des choses à faire, des choses à acheter.
Toutes ces initiatives, démarches, diligences étaient prises, faites avec l'accord ou à la demande des consorts [A]-[V] auxquels Mme [G] rendait compte.
Symétriquement, elle était sollicitée pour donner son avis sur des devis, des choix décoratifs.
Les consorts [A]-[V] assurent que la rupture est liée à l'apparition de conflits, mais ne sont pas en mesure d'indiquer l'objet de ces conflits, les raisons de la perte de confiance avancée.
Le défaut de réponse de Mme [G] aux courriels envoyés relatifs au règlement intérieur, aux statuts n'établit pas un désaccord d'autant que postérieurement à ces envois, elle continuait de s'investir dans l'aménagement de la maison, investissement cohérent avec l'objectif commun qu'étaient l'achèvement de la maison, sa mise en location.
La rupture confirmée le 30 avril 2018 ne fait pas référence à des désaccords portant sur des éléments précis.
Le courriel envoyé commence ainsi:
'[M] [C],
Nous avons eu [I] et nous comprenons que pour le moment tu ne veuilles pas nous parler.
(...) 'Même si la situation est compliquée, nous restons convaincu que c'est mieux à long terme pour notre bien-être psychique à tous'.
Les productions ne permettent pas de savoir ce qui a provoqué la décision de rupture des négociations.
Cette rupture a été d'une brutalité manifeste puisque le projet de cession était encore d'actualité le 8 avril 2018.
Elle s'énonce comme l'expression de la volonté des consorts [A]-[V] qui assurent agir dans l'intérêt commun.
Mme [G] a été entretenue dans l'espoir d'une intégration, projet que les associés de la SCI ont finalement abandonné sans qu'aucun motif légitime ne soit démontré.
La perte de confiance réciproque alléguée par les intimés n'est pas établie.
La rupture est intervenue le 28 avril 2018 alors que Mme [G] s'investissait depuis janvier 2017, investissement dont la contrepartie attendue était l'intégration dans la SCI, ce que les associés ne pouvaient ignorer.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a qualifié la rupture des pourparlers de fautive et retenu que les associés avaient agi avec une légèreté blâmable.
-sur les préjudices
L'article 1112 du code civil prévoit : En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d'obtenir ces avantages.
-sur le manque à gagner sur la plus-value, les bénéfices
Mme [G] réitère en appel ses demandes au titre de la 'plus-value' et des 'bénéfices'.
La somme de 170 000 euros correspond à un tiers de la plus-value susceptible d'être créée par la revente de l'immeuble estimé à un million d'euros.
La somme de 71 656 euros correspond à un tiers des revenus locatifs susceptibles d'être perçus durant 5 années.
Ces demandes correspondent manifestement à une perte de chance d'obtenir des avantages tirés de la qualité d'associé de la SCI.
L'acquisition de cette qualité aurait impliqué de la part de Mme [G] une mise de fonds qu'elle n'a pas faite.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [G] de ses demandes de ces chefs, la faute commise par les associés n'étant pas la cause des préjudices allégués.
-sur les frais divers exposés
Mme [G] demande les sommes de :
-10 083,26 euros au titre de factures réglées pour le compte de la SCI
-2163,96 euros au titre des frais de trajet et déplacements
-7545 euros au titre des frais de main d'oeuvre
-4848,16 euros au titre des dépenses diverses
Les consorts [A]-[V] soutiennent qu'elle a déjà été remboursée, que les frais demandés sont surestimés, injustifiés.
Mme [G] produit des tableaux récapitulatifs des trajets réalisés entre janvier 2017 et le 1er mai 2018, des dépenses effectuées qu'elle a elle-même établis.
Elle produit également des factures, des justificatifs d'achat, des courriels, des attestations.
Les époux [J] attestent le 17 juin 2018 l'avoir vue sur le chantier à de nombreuses reprises.
Mme [U] atteste le 12 décembre 2018 qu'elle a consacré l'essentiel de son temps libre au chantier fin 2017, début 2018, a multiplié les allers-retours.
Mme [B] atteste le 18 décembre 2018 qu'elle a gardé son petit-fils 'pour que sa fille aille dans cette maison faire les peintures, nettoyer,faire les achats nécessaires et la décoration ceci pendant plusieurs mois'.
M. [K] atteste le 18 janvier 2019 l'avoir aidée à faire des travaux , souligne sa constance alors que les consorts [A]-[V] étaient très souvent absents, lui mettaient la pression.
Il est certain que la SCI a remboursé la somme de 8250 euros au titre des frais avancés par Mme [G], que les meubles qu'elle avait acquis lui ont été restitués.
Lorsqu'elle a mis en demeure les intimés avant l'assignation en date du 19 septembre 2018, Mme [G] avait chiffré ses frais non remboursés à la somme de 11 542, 12 euros.
Les productions démontrent la réalité d'un travail personnel conséquent dont la réalisation imposait des déplacements, travail accompli pendant plus d'une année.
Les sommes déjà remboursées correspondent aux dépenses avancées pour le compte de la SCI mais n'indemnisent pas le travail personnel qui a été accompli.
Il sera alloué à Mme [G] de ce chef la somme de 10 000 euros.
-sur le préjudice moral
Le tribunal a évalué ce chef de préjudice à la somme de 20 000 euros.
Mme [G] sollicite une somme de 25 000 euros.
Les consorts [A]-[V] contestent le préjudice subi.
Il résulte des pièces que le projet initial avait été pensé à 4, que des liens de famille unissaient les parties.
S'il est acquis que dans un premier temps Mme [G] s'est retirée du projet, elle a ensuite exprimé la volonté d'y être associée.
Il résulte des témoignages de Mme [N], de Mme [B], de M. [K] que l' investissement dans le projet immobilier l'avait aidée à surmonter son deuil dès lors qu'il s'inscrivait dans la continuité du projet initialement conçu avec son ex-compagnon.
Cette dimension ne pouvait être ignorée de M. [A] et de Mme [V].
La rupture brutale et tardive des négociations a causé un préjudice moral à Mme [G] qui a été justement évalué à la somme de 20 000 euros.
-sur la mise hors de cause de la SCI TG Reloc
La rupture des négotiations sur le projet de cession de parts est le fait des associés et non de la SCI.
Le seul fait que la SCI a émis un chèque de remboursement des frais exposés ne justifie pas qu'elle soit partie à la procédure.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a mise hors de cause.
-sur les autres demandes
Il résulte de l'article 696 du code de procédure civile que ' La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. (...).'
Compte tenu de la solution apportée au présent litige, les dépens d'appel seront fixés à la charge des intimés.
Il est équitable de les condamner à payer à Mme [G] la somme fixée au dispositif du présent arrêt sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
PAR CES MOTIFS
statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort
-confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :
-condamné solidairement Monsieur [R] [A] et Madame [L] [V] à payer à Madame [C] [G] [Z] la somme de 20.000€
Statuant de nouveau sur les points infirmés :
-condamne solidairement [R] [A] et [L] [V] à payer à [C] [G] [Z] les sommes de :
10 000 euros au titre des frais exposés
20 000 euros au titre du préjudice moral
Y ajoutant :
-déboute les parties de leurs autres demandes
-condamne solidairement M. [A] et Mme [V] aux dépens d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la selarl Mady-Gillet-Briand-Petillon
-condamne solidairement M. [A] et Mme [V] à payer à Mme [G] [Z] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,