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30/03/2023 | FRANCE | N°21/02005

France | France, Cour d'appel de Poitiers, Chambre sociale, 30 mars 2023, 21/02005


PC/LD































ARRET N° 144



N° RG 21/02005

N° Portalis DBV5-V-B7F-GJ2X













[C]



C/



[H]

























RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS



Chambre Sociale



ARRÊT DU 30 MARS 2023




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APPELANTE :



Madame [A] [C]

née le 01 septembre 1978 à [Localité 4] (86)

[Adresse 2]

[Localité 3]



Ayant pour avocat plaidant Me Malika MENARD, avocat au barreau de POITIERS





INTIMÉ :



Monsieur [N] [H]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Ayant pour avoc...

PC/LD

ARRET N° 144

N° RG 21/02005

N° Portalis DBV5-V-B7F-GJ2X

[C]

C/

[H]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRÊT DU 30 MARS 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du 1er juin 2021 rendu par le Conseil de Prud'hommes de POITIERS

APPELANTE :

Madame [A] [C]

née le 01 septembre 1978 à [Localité 4] (86)

[Adresse 2]

[Localité 3]

Ayant pour avocat plaidant Me Malika MENARD, avocat au barreau de POITIERS

INTIMÉ :

Monsieur [N] [H]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Ayant pour avocat plaidant Me Philippe GAND de la SCP GAND-PASCOT, avocat au barreau de POITIERS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 06 février 2023, en audience publique, devant :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Valérie COLLET, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Mme [A] [C] a été embauchée au sein du cabinet d'assurances AREAS appartenant à son père, M. [J] [C], ce dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à effet du 1er avril 2002, en qualité de collaboratrice en assurances.

Ce cabinet d'assurances AREAS a été racheté par M. [N] [H] et le 13 janvier 2015 les parties ont régularisé un contrat de travail à durée indéterminée à effet du 1er janvier 2016 stipulant que Mme [A] [C] était engagée en qualité de collaboratrice en agence d'assurance, catégorie employé niveau III.

Le 27 octobre 2018, M. [N] [H] a notifié un avertissement à Mme [A] [C].

Mme [A] [C] a été placée en arrêt de travail à compter du 31 octobre 2018 puis n'a jamais repris ses fonctions au sein du cabinet AREAS.

Le 19 avril 2019 et à la suite d'une seule visite médicale auprès du médecin du travail, Mme [A] [C] a été déclarée inapte à son poste de travail.

Le 17 mai 2019, M. [N] [H] a convoqué Mme [A] [C] à un entretien préalable à son éventuel licenciement. Cet entretien a eu lieu le 27 mai suivant.

Le 31mai 2019, M. [N] [H] a notifié à Mme [A] [C] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de procéder à son reclassement.

Le 30 octobre 2019, Mme [A] [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Poitiers aux fins, en l'état de ses dernières prétentions, de voir :

- à titre principal :

- annuler l'avertissement du 27 octobre 2018 ;

- juger que son licenciement pour inaptitude était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- condamner M. [N] [H] à lui payer les sommes suivantes :

- 26 600 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 3 800 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 380 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;

- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- à titre subsidiaire :

- condamner M. [N] [H] à lui payer les sommes suivantes :

- 26 600 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 3 800 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 380 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;

- en tout état de cause :

- de condamner M. [N] [H] à lui payer les sommes suivantes :

- 5 700 euros au titre de la contre-partie financière de son obligation de non-concurrence ;

- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- de condamner M. [N] [H] à lui remettre les documents de fin de contrat sous astreinte de 75 euros par jour de retard.

Par jugement en date du 1er juin 2021, le conseil de prud'hommes de Poitiers a :

- dit que le licenciement de Mme [A] [C] était bien fondé ;

- déclaré recevable la demande additionnelle au titre de l'indemnité de clause de non-concurrence ;

- condamné M. [N] [H] à payer à Mme [A] [C] les sommes suivantes :

- 5 700 euros à titre d'indemnité pour clause de non-concurrence ;

- 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ordonné à M. [N] [H] de remettre à Mme [A] [C] une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire rectifiés, ce sous astreinte de 30 euros par jour et par document à compter d'un mois après sa décision, soit le 1er juillet 2021 ;

- débouté Mme [A] [C] 'de l'ensemble de ses demandes effectuées aux principales et au subsidiaire' ;

- condamné M. [N] [H] aux entiers dépens.

Le 29 juin 2021, Mme [A] [C] a relevé appel de ce jugement en ce qu'il :

- avait dit que son licenciement était bien fondé ;

- l'avait déboutée de l'ensemble de ses demandes effectuées aux principales et au subsidiaire.

Par conclusions reçues au greffe le 24 septembre 2021, Mme [A] [C] demande à la cour :

- de réformer le jugement entrepris en ses dispositions afférentes à l'avertissement, au harcèlement et à la contestation du licenciement ;

- de le confirmer pour le surplus ;

- et, statuant à nouveau :

- à titre principal :

- de juger qu'elle a été victime de harcèlement moral de la part de M. [N] [H] ;

- en conséquence, de condamner M. [N] [H] à lui payer la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice ;

- de juger que son licenciement est nul ;

- en conséquence, de condamner M. [N] [H] à lui payer les sommes suivantes :

- 26 600 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul ;

- 3 800 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 380 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;

- à titre subsidiaire :

- de juger que M. [N] [H] a manqué à son obligation de sécurité à son égard ;

- de juger que M. [N] [H] n'a pas respecté son obligation de reclassement ;

- de condamner M. [N] [H] à lui payer les sommes suivantes :

- 26 600 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 3 800 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 380 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;

- en tout état de cause :

- de condamner M. [N] [H] à lui payer les sommes suivantes :

- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, outre la confirmation du jugement sur ce point ;

- de condamner M. [N] [H] à lui remettre un certificat de travail rectifié, une attestation Pôle Emploi rectifiée et des bulletins de salaire relatifs à la période de préavis, ce sous astreinte de 75 euros par jour de retard ;

- de condamner M. [N] [H] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Par conclusions reçues au greffe le 15 décembre 2021, M. [N] [H] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter Mme [A] [C] de son appel et de condamner cette dernière à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée le 9 janvier 2023 et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 6 février 2023 à 14 heures pour y être plaidée.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

La cour observe à titre liminaire que ne lui est pas déférée la disposition du jugement entrepris relative au paiement par l'employeur d'une indemnité afférente à la clause de non-concurrence.

- Sur la demande formée par Mme [A] [C] au titre du harcèlement moral :

Au soutien de son appel, Mme [A] [C] expose en substance :

- qu'en vertu des dispositions de l'article L. 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral ;

- que le salarié qui soutient avoir été victime de harcèlement moral, n'a pas à prouver l'existence de faits objectifs de harcèlement moral mais uniquement à rapporter des éléments de nature à faire présumer le harcèlement ;

- qu'elle produit de nombreux éléments probants établissant la matérialité des faits précis qui, pris dans leur ensemble, font présumer l'existence d'un harcèlement moral quand de son côté M. [N] [H] n'apporte aucun élément permettant d'écarter cette présomption ;

- que plus précisément à la suite du rachat du cabinet AREAS, M. [N] [H] a mis en place des procédures nombreuses et complexes et a modifié régulièrement ces procédures sans prendre le temps de former ses salariés ni leur expliquer les nouvelles modalités de travail ;

- que M. [N] [H] avait des sautes d'humeur, n'hésitait pas à critiquer le travail de ses salariés et imposait ses idées de manière autoritaire et inadaptée ;

- qu'il imposait la prise de congés, refusait aux salariés qu'ils se rendent à des formations pourtant prévues, souhaitait contrôler de manière stricte leurs emplois du temps et exigeait qu'ils rendent des comptes ;

- que M. [N] [H] allait jusqu'à imposer la place des objets sur les bureaux même lorsque cela rendait plus difficiles les conditions de travail ;

- que M. [N] [H] imposait une quantité de travail irréalisable et imposait aux salariés de prendre des rendez-vous à sa place ;

- que ses conditions de travail ont conduit à une dégradation de son état de santé dès 2017, ce qui l'a contrainte à un suivi psychologique et à prendre un traitement anti-dépresseur ;

- que M. [N] [H] a cependant continué de dénigrer son travail et n'hésitait pas à lui adresser, sur son portable personnel, des messages tard le soir et le week-end ;

- qu'en 2018, alors que son état de santé s'était encore dégradé, M. [N] [H] a décidé de la mettre à l'écart et d'interdire aux autres salariés de l'entreprise d'entrer en contact avec elle ;

- qu'elle a alors sombré dans un état dépressif profond et elle a dû être placée en arrêt de travail avant d'être finalement déclarée inapte à son poste de travail ;

- qu'elle produit plusieurs attestations d'anciens collègues qui rendent compte de la dégradation de ses conditions de travail ;

- qu'elle peut donc prétendre à des dommages et intérêts en réparation du préjudice consécutif au harcèlement moral dont elle a été victime.

En réponse, M. [N] [H] objecte pour l'essentiel :

- que Mme [A] [C] procède à une totale réécriture de l'histoire ;

- qu'en réalité Mme [A] [C] n'a toujours eu que mépris pour lui dont elle estimait qu'il était un employeur qui n'arrivait pas à la cheville de son père, l'ancien propriétaire du cabinet d'assurance AREAS ;

- que, comme le démontre l'attestation de Mme [Z] [L] [M] et les courriels qu'il a échangés avec ses collaboratrices, il a toujours eu une attitude courtoise, respectueuse et attentive vis-à-vis de son personnel ;

- qu'il en va de même des SMS qu'il a échangés avec Mme [A] [C] et Mme [U] [K], lesquels contredisent la thèse de Mme [A] [C] et les attestations que Mmes [K] et [F] ont établies au profit de la salariée ;

- que Mme [A] [C] ne parvient pas à objectiver le moindre comportement de sa part qui pourrait s'apparenter à un harcèlement.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4... le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, et qu'au vu de ces éléments il incombe alors à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, dans le but d'établir des faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral dont elle soutient avoir été victime, Mme [A] [C] verse aux débats les pièces suivantes :

- ses pièces n° 17 et 24 : il s'agit de courriels en date des 14 et 16 juin 2017 et 7 juillet 2018 rédigés par M. [N] [H].

La cour observe que dans ces courriels, rédigés sur un ton ferme mais respectueux, M. [N] [H] se limite à faire un bilan de l'activité de son agence et fixe de nombreuses règles de fonctionnement destinées à améliorer cette activité.

- ses pièces n° 18 à 21 : il s'agit de courriels en date des 7 juillet et 20 septembre 2017 rédigés par M. [N] [H] dont ni le fond ni la forme ne peuvent être mis en lien avec un comportement de harcèlement moral imputable à ce dernier, celui-ci se limitant pour l'essentiel soit à y exprimer sa satisfaction du travail réalisé soit à y rappeler des consignes déjà données ;

- sa pièce n° 23 : il s'agit d'un échange de courriels entre les parties au sujet de la prise de congés par Mme [A] [C]. Ceux de ces courriels rédigés par M. [N] [H] ne présentent aucune caractéristique permettant de faire le lien avec la notion de harcèlement moral, étant précisé que M. [N] [H] s'y limite à exprimer le souhait d'être informé suffisamment tôt des demandes de congés de ses salariées ;

- sa pièces n° 25 : il s'agit de courriels en date des 18 et 26 juillet 2018 rédigés par M. [N] [H] par lesquels ce dernier informait ses salariés de son absence de l'agence au cours d'une demie journée ;

- sa pièce n° 27 : il s'agit d'un SMS adressé par M. [N] [H] à Mme [A] [C] le 3 septembre 2017 à 23 h 35.

La cour observe que certes cet envoi est survenu très tard dans la soirée et donc en dehors des heures de travail de Mme [A] [C] mais cependant qu'il s'agissait seulement pour M. [N] [H] de prévenir la salariée qu'il

ne pourrait honorer un rendez-vous avec un client le lendemain matin en raison d'une panne de son véhicule et de lui demander d'assurer ce rendez-vous. Rien ne permet à la cour de considérer que ce message tardif n'ait pas été isolé.

- ses pièces n° 42, 44 et 45 : Aucune de ces pièces n'apporte le moindre éclairage de nature à étayer la thèse du harcèlement moral soutenue par Mme [A] [C] ;

- sa pièce n° 43 : il s'agit du courrier de notification de l'avertissement infligé à Mme [A] [C] le 27 octobre 2018 dont celle-ci soutient qu'il n'était pas fondé.

Pour tenter de démontrer que cet avertissement était justifié, M. [N] [H] se réfère exclusivement aux pièces n° 38 à 40 et 43 produites par Mme [A] [C].

Or s'il ressort bien du courriel que M. [N] [H] avait adressé à la salariée le 25 octobre 2018 à 11h07 (pièce n° 38 de Mme [A] [C]) qu'il avait 'fixé une plage d'échanges' pour le lendemain entre 15 h et 17 h, ce afin d'aborder plusieurs dossiers sinistre avec elle et de répondre à ses éventuelles questions, aucune pièce ne rend compte du refus de la salariée de participer à ces échanges, étant observé que cette dernière affirme, sans être contredite sur ce point, qu'elle se trouvait dans les locaux de l'agence le 26 octobre 2018 entre 15 et 17 h et donc à la disposition de son employeur.

Aussi la cour considère que les faits reprochés à la salariée dans la lettre d'avertissement du 27 octobre 2018 n'étaient de nature à justifier une sanction.

- sa pièce n° 51 : il s'agit d'une attestation établie par Mme [Y] [F], salariée de l'entreprise, Dans cette attestation, sa rédactrice expose successivement les difficultés qu'elle a rencontrées pour faire face à ses tâches faute de formation suffisante, l'aide que Mme [A] [C] lui a apportée et qui lui a permis d'apprendre son métier, l'organisation par M. [N] [H] de réunions du personnel dont il ressortait régulièrement que les résultats de l'entreprise étaient mauvais et que le travail des salariés était insuffisant et inadapté, des contradictions survenues d'une réunion à l'autre. Surtout, ce témoin ajoute : 'Il est arrivé plusieurs fois que M. [N] [H] nous mette en échec, voire en difficulté par rapport à ses propres prérogatives', citant un exemple de manière détaillée, puis : 'De manière générale, M. [N] [H] peut se montrer condescendant et tenir des propos dévalorisants'. Ce témoin relate encore les difficultés qu'il a rencontrées dans ses rapports avec M. [N] [H] après lui avoir annoncé qu'elle avait entrepris une procédure de PMA puis fait état de difficultés matérielles au sein de l'entreprise (notamment retard du paiement des salaires et dans la remise des bulletins de paie...). Le témoin expose encore que M. [N] [H] avait interdit à la salariée qui la remplaçait durant son congé maternité d'appeler Mme [A] [C] pour obtenir son aide en cas de difficulté, ayant précisé qu'il ne 'fallait pas que [A] lui transmette ses mauvaises pratiques'. Mme [Y] [F] indique en outre qu'à son retour de congé maternité M. [N] [H] lui a indiqué qu'il ne souhaitait pas que Mme [A] [C] revienne, que cette dernière était 'incompétente' et 'la principale cause de tous les maux de l'agence de [Localité 3], allant jusqu'à dire en réunion commerciale : 'Il faut une refonte du portefeuille de [Localité 3] car la clientèle de cette agence est de mauvaise qualité et mal éduquée par l'ancienne collaboratrice à laquelle elle ressemble'. Enfin le témoin conclue comme suit : 'Je constate que la relation entre M. [N] [H] et toutes ses collaboratrices est toujours conflictuelle. Il n'y a pas de demi mesure, soit on est complètement incompétente, soit on est survalorisée... Cette conception peut le faire

réagir de manière impulsive... [A] quant à elle n'osait pas s'exprimer, elle prenait sur elle-même, même si elle le vivait très mal. Les rares fois où elle s'exprimait, sa demande était ignorée ou rejetée. Il est arrivé plusieurs fois que je retrouve mes collègues en pleurs au téléphone... J'ai l'impression que beaucoup de choses échappent à M. [N] [H]... ce qui se traduit par des réactions impulsives et un comportement dispersé qu'il tente de compenser par une attitude autoritaire souvent dénuée de bienveillance...' ;

- sa pièce n° 52 : il s'agit d'une attestation établie par Mme [U] [K], ancienne salariée de l'entreprise, qui y déclare pour l'essentiel : 'Suite à la reprise de l'agence AREAS [Localité 3] par M. [N] [H] j'ai pu constater une pression morale extrême et inadaptée de la part de l'agent M. [N] [H] pouvant entraîner sur du long terme une faiblesse morale (dépression) chez toute personne', puis plus avant : 'Toutefois [A] à l'agence de [Localité 3] a travaillé dans un contexte négatif et inapproprié. M. [N] [H] appliquait un changement au niveau des tâches à traiter toutes les semaines...' ;

- sa pièce n° 54 : il s'agit d'une attestation établie par M. [E] [O], ancien stagiaire au sein de l'entreprise, qui y déclare notamment : 'J'ai pu voir qu'il [M. [N] [H]] s'appuyait régulièrement sur [A] qu'il soit à l'intérieur du cabinet ou à l'extérieur alors qu'elle était submergée de tâches...' ;

- sa pièce n° 55 : il s'agit d'une attestation établie par Mme [S] [X], ancienne salariée de l'entreprise, qui y déclare en substance notamment : 'M. [N] [H] m'interdisait d'échanger par téléphone avec [A], la dépeignant comme incompétente', puis plus avant : 'Depuis son arrêt, M. [N] [H] dénigrait [A]'. Ce témoin, après avoir exposé différentes difficultés rencontrées au sein de l'agence, conclue comme suit : '...Je retiens une multitude d'exemples de harcèlement et de perversité de sa part [M. [N] [H]], que ce soit auprès de [A], de [Y] et de moi-même... Plein de promesses à l'embauche, je n'ai été que de déception en déception, au point de faire des crises d'angoisse et d'avoir la boule au ventre à l'idée de travailler ou de passer une journée à l'agence avec lui...' . Ce témoin a annexé à son attestation 15 documents illustrant ses propos ;

- ses pièces n° 33 à 35 : il s'agit de documents médicaux qui rendent compte de ce que Mme [A] [C] a présenté un trouble anxio-dépressif modéré pour lequel elle a bénéficié d'un traitement médical dès fin 2017, trouble présenté par la salariée et admis par les professionnels de santé comme consécutif d'une souffrance au travail et ayant motivé son arrêt en maladie à compter du 5 novembre 2018 et rendu impossible la reprise de son activité professionnelle même à temps partiel.

La mise en perspective de ces éléments, et en particulier des attestations établies par les anciens collègues de Mme [A] [C] au sein de l'entreprise et des pièces médicales, fait apparaître que cette dernière a subi, en raison du comportement de M. [N] [H] à son égard et plus généralement en raison du mode de management mis en oeuvre par ce dernier, des agissements répétés de harcèlement moral qui ont eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail de nature à porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

La cour observe que pour sa part M. [N] [H] ne rapporte d'aucune manière que les agissements relatés par les témoins ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que son comportement et le mode de management mis en place dans l'entreprise étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En conséquence la cour dit que Mme [A] [C] a été victime de harcèlement moral dans le cadre de ses fonctions au sein du cabinet Areas et en conséquence condamne M. [N] [H] à lui payer à titre de dommages et intérêts la somme de 7 000 euros.

- Sur les demandes formées par Mme [A] [C] au titre de la rupture de la relation de travail :

Au soutien de son appel, Mme [A] [C] expose en substance :

- que l'article L. 1152-3 du Code du travail prévoit que toute rupture du contrat de travail qui résulte d'un harcèlement moral est nulle de plein droit ;

- qu'il est démontré que l'inaptitude à tout poste qui a été constatée par le médecin du travail est exclusivement liée aux faits de harcèlement moral qu'elle a subis ;

- que son licenciement doit donc être déclaré nul et qu'elle peut donc prétendre à des dommages et intérêts à ce titre ainsi qu'à une indemnité compensatrice de préavis majorée des congés payés afférents ;

- subsidiairement, pour le cas où la cour ne retiendrait pas le harcèlement moral, que M. [N] [H] a manqué à son égard à son obligation de sécurité de résultat ce qui a été à l'origine de son inaptitude, ce dont il se déduit que son licenciement est abusif ;

- qu'elle peut donc prétendre à des dommages et intérêts à ce titre ainsi qu'à une indemnité compensatrice de préavis majorée des congés payés afférents ;

- qu'encore M. [N] [H] a manifestement manqué à son égard à son obligation de reclassement, et qu'à ce motif elle peut également prétendre à des dommages et intérêts pour licenciement abusif ainsi qu'à une indemnité compensatrice de préavis majorée des congés payés afférents.

En réponse, M. [N] [H] objecte :

- que la procédure de licenciement pour inaptitude conduite à l'égard de Mme [A] [C] a été régulière et que le licenciement était fondé, étant précisé qu'aucune possibilité de reclassement de la salariée n'était possible, aucun poste n'étant disponible au sein de son entreprise qui est de petite taille.

L'article L. 1152-3 du Code du travail dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Or, ainsi qu'il a été déjà exposé, la cour a retenu que Mme [A] [C] avait été victime, dans le cadre de ses fonctions au sein du cabinet Areas, de faits caractérisant un harcèlement moral.

En conséquence de quoi, la cour déclare que le licenciement de Mme [A] [C] est nul.

En conséquence, la cour, faisant application des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du Code du travail, et tenant compte, pour fixer le montant de l'indemnité pour licenciement nul due à Mme [A] [C], des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à cette dernière, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à retrouver un nouvel emploi eu égard à sa

formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, condamne M. [N] [H] à lui payer la somme de 25 000 euros.

Par ailleurs, la cour condamne M. [N] [H] à payer à Mme [A] [C] la somme, non discutée dans son quantum, de 3 800 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 380 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Enfin, l'article L. 1235-4 alinéas 1 et 2 du Code du travail énonce :

'Dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées'.

La cour, faisant application de ces dispositions, condamne M. [N] [H] à rembourser à Pôle Emploi le montant des indemnités de chômage versées à Mme [A] [C], du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de deux mois d'indemnités.

- Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Les prétentions de Mme [A] [C] étant pour une large partie fondées, M. [N] [H] sera condamné aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.

En outre, il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [A] [C] l'intégralité des frais par elle exposés et non compris dans les dépens. Aussi, M. [N] [H] sera condamné à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel, la cour confirmant par ailleurs le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. [N] [H] à verser à Mme [A] [C] la somme de 500 euros sur ce même fondement au titre des frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :

- déclaré recevable la demande additionnelle de Mme [A] [C] au titre de l'indemnité de clause de non-concurrence ;

- condamné M. [N] [H] à payer à Mme [A] [C] les sommes suivantes :

- 5 700 euros à titre d'indemnité pour clause de non-concurrence ;

- 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance ;

Et, statuant à nouveau :

- Dit que Mme [A] [C] a été victime de harcèlement moral de la part de M. [N] [H] ;

- Condamne M. [N] [H] à payer à Mme [A] [C] à ce titre la somme de 7 000 euros en réparation de son préjudice ;

- Dit que le licenciement de Mme [A] [C] est nul ;

- Condamne M. [N] [H] à payer à Mme [A] [C] les sommes suivantes :

- 25 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul ;

- 3 800 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 380 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;

Et, y ajoutant :

- Condamne M. [N] [H] à rembourser à Pôle Emploi le montant des indemnités de chômage versées à Mme [A] [C], du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de deux mois d'indemnités ;

- Condamne M. [N] [H] à remettre à Mme [A] [C] un certificat de travail rectifié, une attestation Pôle Emploi rectifiée et des bulletins de salaire relatifs à la période de préavis, ce sous astreinte de 75 euros par jour de retard passé deux mois de la notification du présent arrêt ;

- Condamne M. [N] [H] à verser à Mme [A] [C] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l'appel ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/02005
Date de la décision : 30/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-30;21.02005 ?
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