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30/03/2023 | FRANCE | N°21/01404

France | France, Cour d'appel de Poitiers, Chambre sociale, 30 mars 2023, 21/01404


PC/LD































ARRET N° 142



N° RG 21/01404

N° Portalis DBV5-V-B7F-GILV













[I]



C/



S.A. SDL SCIAGE ET DEROULAGE DE LUCHE

























RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS



Chambre Sociale



ARRÊT DU

30 MARS 2023





Décision déférée à la Cour : Décision du 21 avril 2021 rendu par le Conseil de Prud'hommes de LA ROCHELLE





APPELANT :



Monsieur [Y] [I]

né le 03 Mars 1964 à [Localité 2] (17)

[Adresse 1]

[Localité 3]



Ayant pour avocat plaidant Me Claudy VALIN de la SCP VALIN COURNIL, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT







INTI...

PC/LD

ARRET N° 142

N° RG 21/01404

N° Portalis DBV5-V-B7F-GILV

[I]

C/

S.A. SDL SCIAGE ET DEROULAGE DE LUCHE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRÊT DU 30 MARS 2023

Décision déférée à la Cour : Décision du 21 avril 2021 rendu par le Conseil de Prud'hommes de LA ROCHELLE

APPELANT :

Monsieur [Y] [I]

né le 03 Mars 1964 à [Localité 2] (17)

[Adresse 1]

[Localité 3]

Ayant pour avocat plaidant Me Claudy VALIN de la SCP VALIN COURNIL, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT

INTIMÉE :

S.A. SDL SCIAGE ET DEROULAGE DE LUCHE

N° SIRET : 325 213 445

[Adresse 4]

[Localité 2]

Ayant pour avocat plaidant Me Anne-Claire MONTCRIOL de la SELAS KPMG AVOCATS, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT, substituée par Me Yann MICHOT de la SCP ERIC TAPON - YANN MICHOT, avocat au barreau de POITIERS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 06 Février 2023, en audience publique, devant:

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Valérie COLLET, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société Sciage et Déroulage de Luché, ci-dessous dénommée la société SDL, qui exploite une scierie a embauché M. [Y] [I], dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à effet du 5 janvier 1984, en qualité de scieur.

M. [Y] [I] a été placé en arrêt de travail du 16 mars au 6 avril 2018.

Le 28 juin 2018, à l'issue d'une visite médicale périodique, le médecin du travail a déclaré M. [Y] [I] apte à son poste de travail avec aménagement de poste selon les indications suivantes :

- 'Contre-indication à la conduite de chariots élévateurs.

- Doit limiter au maximum la manutention de charges lourdes (sup à 15 kgs) et doit limiter la station debout permanente.

- Une réflexion doit être envisagée pour un changement de poste'.

Le 27 novembre 2018, M. [Y] [I] a été reconnu travailleur handicapé.

Le 4 février 2019, M. [Y] [I] a été victime d'un accident au temps et au lieu du travail et a été placé en arrêt de travail du 4 février au 29 mars 2019.

Une déclaration d'accident du travail a été établie et la société SDL a émis des réserves à cette occasion.

Dans le cadre d'une visite médicale de reprise du 22 mars 2019, le médecin du travail a déclaré M. [Y] [I] inapte à son poste mais apte à un autre poste compatible avec les restrictions suivantes :

- 'Pas de station debout prolongée/Pas de posture à risque pour le rachis (contorsion/posture penchée en avant de manière prolongée ou répétitive).

- Pas de manutention de charges lourdes et/ou répétitives (limitation de la manutention à 15 kgs en ponctuel).

- Pas de conduite d'engins'.

Le 19 avril 2019, la société SDL a proposé à M. [Y] [I] une affectation au poste à mi-temps d'assemblage d'ouvrages en bois à partir de pièces usinées.

Le 25 avril 2019, M. [Y] [I] a réclamé des précisions au sujet de cette offre de poste et la société SDL lui a répondu le même jour et M. [Y] [I] a finalement refusé ce poste le 27 avril 2019.

Le 2 mai 2019, la société SDL a convoqué M. [Y] [I] à un entretien préalable à son éventuel licenciement, entretien qui devait avoir lieu le 14 mai suivant.

Le 7 mai 2019, la société SDL a adressé un courrier à M. [Y] [I] lui précisant notamment que le poste de reclassement qu'elle lui avait proposé répondait aux préconisations du médecin du travail et avait reçu l'aval de ce dernier.

Le 13 mai 2019, M. [Y] [I] a adressé un courriel à la société SDL par lequel il réitérait son refus du poste proposé.

Le 17 mai 2019, la société SDL a notifié à M. [Y] [I] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de procéder à son reclassement.

Le 28 janvier 2020, M. [Y] [I] a saisi le conseil de prud'hommes de La Rochelle aux fins, sous le bénéfice de l'exécution provisoire du jugement à intervenir et en l'état de ses dernières prétentions, de voir :

- juger que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société SDL à lui payer les sommes suivantes :

- 30 545,20 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 3 054,42 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ; outre celle de 305,45 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 18 274,49 euros à titre de solde de l'indemnité spéciale de licenciement ;

- 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- dire que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la demande en application des articles 1146 et 1153 du Code civil et que ces intérêts seront capitalisés par application de l'article 1154 du Code civil ;

- ordonner à la société SDL de lui remettre une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et un solde de tout compte rectifiés, ce sous astreinte de 75 euros par document et par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification de la décision à intervenir ;

- condamner la société SDL aux entiers dépens.

Par jugement en date du 21 avril 2021, le conseil de prud'hommes de La Rochelle a :

- dit que le licenciement de M. [Y] [I] était 'pourvu d'une cause réelle et sérieuse' et que le licenciement pour inaptitude était confirmé ;

- débouté M. [Y] [I] de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté la société SDL de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Le 30 avril 2021, M. [Y] [I] a relevé appel de ce jugement en ce qu'il :

- avait dit que son licenciement était pourvu d'une cause réelle et sérieuse et que le licenciement pour inaptitude était confirmé ;

- l'avait débouté de l'ensemble de ses demandes ;

- l'avait débouté de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions reçues au greffe le 29 juillet 2021, M. [Y] [I] demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de ses demandes ;

- et, statuant à nouveau :

- de juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse :

- de condamner la société SDL à lui payer les sommes suivantes :

- 30 545,20 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 3 054,42 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 305,45 euros au titre des congés payés y afférents ;

- 18 274,49 euros à titre de solde de l'indemnité spéciale de licenciement ;

- 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- de dire que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la demande en application des articles 1146 et 1153 du Code civil et que ces intérêts seront capitalisés par application de l'article 1154 du Code civil ;

- d'ordonner à la société SDL de lui remettre une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et un solde de tout compte rectifiés, ce sous astreinte de 75 euros par document et par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification de la décision à intervenir ;

- de condamner la société SDL aux entiers dépens.

Par conclusions reçues au greffe le 6 septembre 2021, la société SDL demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de débouter M. [Y] [I] de l'ensemble de ses demandes et de condamner ce dernier à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée le 9 janvier 2023 et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 6 février 2023 à 14 heures pour y être plaidée.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

- Sur les demandes en paiement d'une indemnité spéciale de licenciement et d'une indemnité compensatrice de préavis formées par M. [Y] [I] sur le fondement de l'article L 1226-14 du Code du travail :

Au soutien de son appel, M. [Y] [I] expose en substance :

- qu'il n'est pas contestable qu'il a été licencié pour inaptitude à la suite d'un accident du travail survenu le 4 février 2019, ce qu'au demeurant la lettre de licenciement confirmait, annonçant ainsi qu'il percevrait, en application de l'article L 1226-14 du Code du travail une indemnité dont le montant serait égal à l'indemnité légale de préavis ainsi qu'une indemnité spéciale de licenciement ;

- que la thèse d'une erreur sur ce point soutenue par la société SDL n'est pas crédible ;

- que pour tenter de justifier du non-paiement de ces indemnités la société SDL soutient que le refus qu'il a opposé à son offre de reclassement serait abusif ;

- que la société SDL n'a jamais répondu à ses courriers par lesquels il démontrait, point par point, que le poste proposé était incompatible avec ses capacités physiques et avec les préconisations du médecin du travail ;

- que, dans un courriel en date du 25 avril 2019, la société SDL avait indiqué notamment, pour le poste proposé : '....la station reste debout lors du montage des palettes' alors que le médecin du travail avait préconisé que le poste proposé devrait être sans station debout prolongée, sans posture penchée en avant de façon prolongée ou répétitive, sans contorsions et sans manutention de charges lourdes et/ou répétitives.

En réponse, la société SDL objecte pour l'essentiel :

- que l'article L 1226-14 du Code du travail prévoit que l'indemnité spéciale de licenciement et celle d'un montant égale à l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L 1234-5 du même code, ne sont pas dues par l'employeur lorsqu'il est établi que le refus par le salarié de l'offre de reclassement qui lui a été faite est abusif ;

- qu'elle a transmis à M. [Y] [I] une offre de reclassement qui répondait aux préconisations formulées par le médecin du travail, puis lui a donné des précisions au sujet du poste de travail proposé et que c'est donc abusivement que M. [Y] [I] a refusé son offre de reclassement ;

- que c'est par erreur qu'elle avait indiqué dans la lettre de licenciement que les indemnités dont s'agit seraient versées au salarié ;

- que M. [Y] [I] doit donc être débouté de ses demandes de ces chefs.

L'article L 1226-14 alinéas 1 et 2, applicable en cas d'inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, dispose :

'La rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L 1234-9.

Toutefois, ces indemnités ne sont pas dues par l'employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif.'

Ces dispositions mettent donc à la charge de l'employeur la preuve du caractère abusif du refus que le salarié a opposé à son offre de reclassement.

Or en l'espèce, si la société SDL produit des pièces (ses pièces n° 30 et 31) qui rendent bien compte de ce qu'elle a exposé au médecin du travail l'offre de reclassement qu'elle avait faite à M. [Y] [I] et encore de ce qu'elle avait présenté à ce médecin le poste proposé à M. [Y] [I] lorsqu'il s'était rendu dans l'entreprise le 2 mai 2019, la cour observe qu'elle ne justifie cependant d'aucune manière de ce que le médecin du travail aurait considéré que ce poste offert au reclassement était bien compatible avec l'état de santé du salarié et ses nouvelles capacités, étant précisé que c'est essentiellement au motif d'une incompatibilité entre ses capacités nouvelles et les caractéristiques du poste qui lui était proposé au titre du reclassement que M. [Y] [I] a refusé ce poste.

Aussi la cour considère que la société SDL ne justifie pas de ce que M. [Y] [I] a abusivement refusé l'offre de reclassement qu'elle lui avait présentée.

En conséquence, la cour observant qu'il n'est pas contesté que l'inaptitude de M. [Y] [I] a été consécutive à un accident du travail, condamne la société SDL à payer à M. [Y] [I] les sommes, non discutées dans leurs montants, suivantes :

- 3 054,42 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice prévue à l'article L 1226-14 du Code du travail, outre celle de 305,45 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;

- 18 274,49 euros à titre de solde de l'indemnité spéciale de licenciement.

- Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse formée par M. [Y] [I] :

Au soutien de son appel, M. [Y] [I] expose en substance :

- que l'inaptitude en raison de laquelle il a été licencié était consécutive à l'accident du travail dont il avait été victime le 4 février 2019 et à une violation par la société SDL de son obligation de sécurité ;

- que pour satisfaire à cette obligation l'employeur doit mettre en oeuvre les mesures prévues par l'article L 4121-2 du Code du travail et évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs ;

- qu'il est de principe que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité confère de plein droit l'illégitimité du licenciement pour inaptitude ;

- que son accident du 4 février 2019 a été la conséquence des manquements de la société SDL qui notamment n'a pas pris en compte les préconisations du médecin du travail émises le 28 juin 2018 ;

- qu'en outre aucun aménagement de poste ne lui avait été proposé à la suite de ces préconisations ;

- que de novembre 2018 à février 2019, il a travaillé sur un chantier d'abattage avec un agent d'exploitation, sans qu'aucun vêtement de pluie ni aucune protection individuelle ne lui aient été fournis, ce que confirme cet agent d'exploitation, M. [D], dans une attestation ;

- que, par ailleurs, la société SDL a manqué à son égard à son obligation de reclassement et ainsi aux dispositions de l'article L 1226-10 du Code du travail ;

- que seules les recherches de reclassement compatibles avec les conclusions écrites du médecin du travail peuvent être prises en considération pour apprécier si l'employeur a rempli ou non son obligation de reclassement ;

- que pourtant en l'espèce le poste que la société SDL lui a proposé à titre de reclassement ne correspondait pas aux préconisations du médecin du travail, et qu'il ne pouvait donc que refuser la proposition de la société SDL ;

- que les photos qu'il produit aux débats démontrent que le travail qui lui avait été proposé au titre du reclassement devait être réalisé debout et ne pouvait pas se faire assis compte-tenu de la taille des palettes.

En réponse, la société SDL objecte pour l'essentiel :

- que les EPI n'ont jamais manqué au sein de l'entreprise et qu'elle verse aux débats des bons de réception de tenues de travail signés par M. [Y] [I] démontrant qu'il était bien en possession notamment de chaussures de sécurité, de pantalons de travail, d'une parka, d'un casque anti-bruit, de gants et d'un gilet multi-poches ;

- qu'en outre des gilets jaunes et des cirés jaunes étaient à la disposition des salariés au sein de l'entreprise ;

- qu'à réception de l'avis rendu par le médecin du travail le 28 juin 2018 à l'issue d'une visite médicale périodique organisée au profit de M. [Y] [I], elle a proposé à celui-ci un poste d'acheteur au sein de la société SEFL à mi-temps complété par des tâches d'exploitation forestière et M. [Y] [I] a accepté ce poste ;

- que M. [Y] [I] a accepté ce changement de poste qui était parfaitement compatible avec les préconisations du médecin du travail ;

- que le jour de l'accident dont M. [Y] [I] a été victime, celui-ci était bien en possession des EPI adaptés, étant précisé qu'aucun témoin n'a assisté à cet accident ;

- que depuis sa nouvelle affectation sur un poste d'acheteur au sein de la société SEFL et sur celui d'agent d'exploitation forestière attaché au cubage des grumes, M. [Y] [I] n'avait pas à se servir d'une tronçonneuse et ses tâches ne nécessitaient aucun port de charges lourdes ;

- qu'elle n'a donc pas manqué à ses obligations en matière de sécurité vis-à-vis de M. [Y] [I] ;

- que, par ailleurs, elle a satisfait à ses obligations en matière de reclassement à l'égard de M. [Y] [I] ;

- qu'en effet elle a échangé à de nombreuses reprises avec le médecin du travail entre le 13 février et le 17 mai 2019, elle a fait une étude de poste le 2 mai 2019 avec le médecin du travail qui est venu sur place afin d'appréhender le nouveau poste proposé à M. [Y] [I] et n'a émis aucune réserve mais que M. [Y] [I] a néanmoins refusé ce poste malgré les précisions qu'elle lui avait données au sujet du poste.

L'article L 4121-1 du Code du travail énonce :

'L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

- Des actions de préventions des risques professionnels et de la pénibilité du travail, y compris ceux mentionnés à l'article L 4161-1 ;

- Des actions d'information et de formation ;

- La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes'.

L'article L 4121-2 du même code dispose :

' L'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

- 1° Eviter les risques ;

- 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

- 3° Combattre les risques à la source ;

- 4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

- 5° Tenir compte de l'évolution de la technique ;

- 6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

- 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les

risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L 1152-1 et L 1153-1 ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L 1142-2-1 ;

- 8° Prendre les mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

- 9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs'.

Aussi, l'employeur est-il tenu d'une obligation légale lui imposant de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés.

Par ailleurs, il est de principe qu'est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.

En l'espèce, M. [Y] [I] soutient que la société SDL n'a pas pris en compte les préconisations du médecin du travail émises le 28 juin 2018, lesquelles étaient les suivantes :

'Contre-indication à la conduite de chariots élévateurs.

Doit limiter au maximum la manutention de charges lourdes (sup à 15 kgs) et doit limiter la station debout permanente.

Une réflexion doit être envisagée pour un changement de poste'.

S'agissant de la dernière de ces préconisations, la cour observe que les propres pièces produites par la société SDL (ses pièces n° 21 et 24), et notamment le certificat de travail qu'elle a délivré à M. [Y] [I] le 7 juin 2019, mentionnent que ce dernier était employé à son service jusqu'au 17 mai 2019 en qualité de scieur, qualité qui était la sienne antérieurement au 28 juin 2018. Sur ce plan la société SDL verse aux débats (sa pièce n° 9) un document dont la cour observe qu'il ne mentionne pas même le nom de M. [Y] [I].

S'agissant de la préconisation relative à la manutention de charges lourdes supérieures à 15 kilogrammes et à la limitation de la station debout permanente, M. [Y] [I] verse aux débats une attestation établie par M. [U] [D], agent d'exploitation forestière et ancien collègue du salarié, qui y déclare :

' J'ai travaillé avec M. [Y] [I] du 20/11/2018 au 04/02/2019. Il m'a accompagné sur les chantiers d'abattage (20-40 kms autour du siège) pour cuber le bois abattu et ébrancher les arbres à l'aide d'une tronçonneuse', puis en fin d'attestation: 'Pendant son travail, M. [Y] [I] était toute la journée debout en portant des charges de 20-30 kg (tronçonneuse, bois) dans des positions inconfortables.'

Cette attestation, parfaitement claire et précise, fait apparaître que, durant au moins la période de plusieurs semaines pendant lesquelles M. [Y] [I] a travaillé avec M. [U] [D], il avait dû à la fois procéder à la manutention de charges lourdes, très supérieures à 15 kilogrammes et exercer ses fonctions en station debout permanente, et donc supporter des conditions de travail radicalement incompatibles avec les préconisations formulées par le médecin du travail le 28 juin 2018.

Aussi la cour retient qu'en ayant maintenu M. [Y] [I] dans des conditions de travail incompatibles avec les réserves émises par le médecin du travail à l'occasion de l'avis d'aptitude que celui-ci avait rendu, la société SDL a manqué à ses obligations en matière de sécurité et de santé au travail vis-à-vis de M. [Y] [I].

La cour retenant l'existence d'un lien de cause à effet entre les conditions de travail dans l'entreprise, conditions contraires aux préconisations du médecin du travail, et l'inaptitude définitive de ce dernier à son poste, dit que le licenciement de M. [Y] [I] se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En conséquence, la cour condamne la société SDL à payer à M. [Y] [I], en application des dispositions de l'article L 1235-3 du Code du travail, et en tenant compte, pour fixer le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse due au salarié entre le minimum et le maximum prévu par ce texte, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à ce dernier, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à retrouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la somme de 30 000 euros.

La cour dit que les condamnations prononcées à l'encontre de la société SDL seront assorties des intérêts au taux légal et que ces intérêts seront capitalisés dans les conditions et limites posées par l'article 1154 ancien du Code civil.

La cour ordonne à la société SDL de remettre à M. [Y] [I] une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et un solde de tout compte rectifiés tenant compte du présent arrêt, ce sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard passé deux mois de la notification de cette décision.

- Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Les prétentions de M. [Y] [I] étant fondées, la société SDL sera condamnée aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.

En outre, il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [Y] [I] l'intégralité des frais par lui exposés et non compris dans les dépens. Aussi, la société SDL sera condamnée à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions exception faite de celle relative à la demande de la société SDL formée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et dont elle a été déboutée ;

Et, statuant à nouveau :

- Dit que le licenciement de M. [Y] [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse :

- Condamne la société Sciage et Déroulage de Luché à payer à M. [Y] [I] les sommes suivantes :

- 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 3 054,42 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice prévue à l'article L 1226-14 du Code du travail, outre celle de 305,45 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;

- 18 274,49 euros à titre de solde de l'indemnité spéciale de licenciement ;

- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la demande et que ces intérêts seront capitalisés par application de l'article 1154 ancien du Code civil ;

- Ordonne à la société Sciage et Déroulage de Luché de remettre à M. [Y] [I] une attestation Pôle Emploi, un certificat de travail et un solde de tout compte rectifiés tenant compte du présent arrêt, ce sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard passé deux mois de la notification de cette décision ;

- Condamne la société Sciage et Déroulage de Luché aux entiers dépens tant de première instance que de l'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/01404
Date de la décision : 30/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-30;21.01404 ?
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