VC/DL
ARRET N° 131
N° RG 21/01204
N° Portalis DBV5-V-B7F-GH2N
S.A.S. [6]
C/
CPAM DE LA VENDÉE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 23 MARS 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 mars 2021 rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de LA ROCHE-SUR-YON
APPELANTE :
S.A.S. [6]
N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 2]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Nathalie MANCEAU de la SELARL MANCEAU-LUCAS-VIGNER, avocat au barreau de POITIERS
INTIMÉE :
CPAM DE LA VENDÉE
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Mme [L] [U], munie d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 janvier 2023, en audience publique, devant :
Madame Valérie COLLET, Conseillère
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Valérie COLLET, Conseillère
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Damien LEYMONIS
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente en remplacement de Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, légitimement empêché et par Monsieur Damien LEYMONIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 22 février 2019, la SAS [6] a déclaré à la CPAM de la Vendée l'accident survenu le 21 février 2019 à sa salariée, Mme [M] [T], dans les circonstances suivantes : 'Mme [T] faisait du nettoyage court sur une ligne de production. En traversant une passerelle située entre deux blocs, son genou gauche a percuté la marche de l'escalier'.
Le certificat médical initial du 21 février 2019 fait état d'une 'entorse et foulure de parties autres et non précisées du genou gauche ; contusion entorse de genou gauche'.
Le 16 juillet 2019, la CPAM de la Vendée a notifié à la société [6] sa décision de prise en charge de l'accident dont Mme [T] a été victime au titre de la législation sur les risques professionnels.
La date de guérison a été fixée par le médecin conseil au 6 septembre 2019.
Par courrier du 16 septembre 2019, la société [6] a saisi la commission de recours amiable d'une contestation de l'imputabilité de l'ensemble des arrêts de travail prescrits à Mme [T] au titre de l'accident du travail du 21 février 2019.
Par requête du 4 décembre 2019, la société [6] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de La Roche-Sur-Yon d'un recours contre la décision explicite de rejet de la commission de recours amiable rendue le 19 novembre 2019.
Par jugement du 9 mars 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de La Roche-sur-Yon a :
- débouté la société [6] de ses demandes,
- déclaré la prise en charge des arrêts de travail et soins prescrits à Mme [M] [T] au titre de l'accident du 21 février 2019 opposable à la société [6],
- condamné la société [6] aux dépens.
La société [6] a interjeté appel du jugement par lettre recommandée avec avis de réception du 1er avril 2021.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 29 novembre 2022. Un report a été ordonné à l'audience du 24 janvier 2023. A cette date, la société [6] a déposé son dossier et ses conclusions et la CPAM de la Vendée s'en est remise à ses conclusions et pièces reçues le 11 juillet 2022.
La société [6] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de :
- lui déclarer inopposables les arrêts de travail délivrés à Mme [T] qui ne sont pas en lien direct et unique avec l'accident du travail du 21 février 2019,
- ordonner, avant-dire-droit, une expertise médicale judiciaire sur pièces.
Elle explique qu'elle souhaite pouvoir vérifier la relation de causalité entre l'accident du travail initial et les arrêts de travail successivement octroyés à Mme [T] afin de déterminer les seuls arrêts de travail à prendre en charge au titre de la législation professionnelle. Elle rappelle que l'arrêt de travail a duré 93 jours pour une entorse du genou gauche, que Mme [T] présentait déjà une fragilité de ce genou, qu'il existait un état antérieur et donc une cause totalement étrangère au travail.
La CPAM de la Vendée demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et de déclarer opposable à la société [6] la prise en charge des arrêts de travail et des soins de Mme [T] jusqu'au 6 septembre 2019 au titre de la législation professionnelle.
Elle rappelle que Mme [T] a été placée en arrêt de travail du 21 février 2019 au 24 mai 2019 et a eu des soins continus jusqu'au 6 septembre 2019 de sorte qu'il appartient à l'employeur de démontrer que l'ensemble des soins et arrêts pris en charge au titre de l'accident du travail a une cause totalement étrangère au travail de la salariée. Elle insiste sur le fait que le médecin conseil n'a jamais émis d'avis défavorable à la prise en charge. Elle indique que lors qu'un état antérieur a été révélé ou aggravé par un accident du travail, la réparation de cette aggravation relève de la législation professionnelle. Elle insiste sur le fait que Mme [T] a souffert d'une entorse qui a été médicalement constatée par son médecin alors que le Dr [P], médecin conseil de l'employeur, se borne à affirmer, sans avoir examiné l'assurée, qu'il n'y avait pas d'entorse. Elle ajoute que le médecin traitant de Mme [T] n'a jamais évoqué un état antérieur à type de chondropathie fémoro-patellaire ou féméro-tibiale. Elle estime que l'employeur ne rapporte nullement la preuve d'un état antérieur à l'accident et que la mise en oeuvre d'une expertise n'est pas justifiée à défaut de tout commencement de preuve.
A l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe à la date du 23 mars 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il résulte des articles 1315, devenu 1353, du code civil et L. 411-1 du code de la sécurité sociale que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail, s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime, et il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire. Il doit alors établir l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l'accident, ou d'une cause postérieure totalement étrangère, auxquels les soins et arrêts de travail contestés se rattacheraient. Pour ce faire, l'employeur peut solliciter une mesure d'expertise judiciaire.
En l'espèce, le certificat médical initial daté du 21 février 2019 est assorti d'un arrêt de travail jusqu'au 28 février 2019 qui a ensuite été prolongé jusqu'au 24 mai 2019 inclus, les soins étant eux-mêmes poursuivis jusqu'au 6 septembre 2019.
L'ensemble des soins et arrêts de travail prescrits à compter du 21 février 2019 est donc présumé imputable à l'accident du travail du 21 février 2019.
Pour contester cette présomption, la société [6] produit un avis du 24 mars 2020 établi par le Dr [P] qui, après avoir rappelé les différents certificats médicaux concernant Mme [T] depuis le 21 février 2019, indique 'le compte employeur comptabilise 93 jours d'arrêt de travail. La société [6] note dans sa lettre de réserve que Mme [T] était sujette à plusieurs entorses de genou gauche depuis 5 ans. L'enquête pour les risques professionnels renseigne sur l'antériorité de douleurs des genoux et que Mme [T] n'avait pas avisé la société [6] de ses antécédents'. Le Dr. [P] poursuit en affirmant : 'le 21 février 2019, il se produit un choc direct au niveau du genou gauche. La lésion directement imputable est une contusion de genou. Nous n'avons pas de signe clinique d'entorse de ligament collatéral (LLE, LLI), d'entorse du pivot central (LCA, LCP), de signe méniscal, d'épanchement articulaire et aucune lésion osseuse post-traumatique. Compte tenu des antécédents douloureux au genou gauche (de 5 ans), nous considérons qu'il existe un état antérieur qui interfère avec cet accident de travail de type chondropathie fémoro-patellaire ou fémoro-tibiale'. Il conclut en mentionnant son avis de la manière suivante : 'Le 21 février 2019, la lésion imputable est une contusion de genou gauche survenant dans un contexte d'état antérieur non dévoilé par le médecin traitant. Le médecin traitant n'apporte pas de document sérieux radio-clinique mettant en évidence une quelconque lésion post-traumatique conséquente. Nous sommes en désaccord avec l'analyse du médecin conseil CPAM. En conséquence, une expertise médicale judiciaire sur pièces s'impose...'.
Cet avis médical est toutefois largement insuffisant pour remettre en cause la présomption d'imputabilité des arrêts et des soins dès lors que :
- le Dr. [P] n'a pas examiné Mme [T] et ne peut donc sérieusement affirmer qu'il n'y avait pas de signe clinique d'entorse alors que tant le médecin urgentiste ayant rédigé le certificat médical initial que le médecin traitant de Mme [T] ont procédé à l'examen clinique de cette dernière et ont pu, sans conteste, mentionner dans leurs certificats médicaux respectifs l'existence d'une entorse,
- le Dr. [P] s'est fondé, pour retenir l'existence d'un état antérieur, uniquement sur les déclarations de l'employeur dans sa lettre de réserves et sur 'l'enquête pour les risques professionnels' qui n'est pas produite dans le cadre de la présente instance,
- à supposer établie l'existence d'un état antérieur, les conclusions du Dr [P] ne permettent pas de retenir qu'il aurait évolué pour son propre compte et serait à l'origine exclusive des arrêts et soins de Mme [T] postérieurs au 21 février 2019.
La cour considère par ailleurs que la longueur de la durée de l'incapacité de travail prise en charge prétendument excessive n'est pas de nature à remettre en cause la présomption d'imputabilité, étant rappelé que les durées considérées comme 'normales' ne prennent nullement en compte les spécificités de chaque patient ni la nécessité de subir une 'rééducation' plus ou moins longue selon les individus.
Enfin, les seuls doutes émis par l'employeur en l'espèce ne peuvent être considérés comme étant suffisamment sérieux, à défaut d'être probants, pour justifier la mise en oeuvre d'une expertise médicale judiciaire qui n'a pas vocation à suppléer la carence des parties dans l'administration de la preuve.
Par conséquent, il y a lieu de déclarer opposable la prise en charge au titre de la législation professionnelle des arrêts et soins dont Mme [T] a fait l'objet consécutivement à son accident du travail survenu le 21 février 2019 et de confirmer le jugement entrepris.
La société [6] qui succombe doit supporter les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement rendu le 9 mars 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de La Roche-Sur-Yon en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la SAS [6] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,
D.LEYMONIS M-H.DIXIMIER