ARRET N°
N° RG 21/01924 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GJT2
[R]
C/
Mutuelle LA MUTUELLE GENERALE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 21 MARS 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01924 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GJT2
Décision déférée à la Cour : jugement du 07 mai 2021 rendu par le Tribunal de Grande Instance de LA ROCHE SUR YON.
APPELANTE :
Madame [E] [R]
née le 24 Avril 1962 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 4]
ayant pour avocat Me Maxime BARRIERE de la SELAS ACTY, avocat au barreau de DEUX-SEVRES
INTIMEE :
LA MUTUELLE GENERALE
[Localité 3]
[Adresse 1]
[Localité 3]
ayant pour avocat postulant Me Bernard LAGRANGE de la SAS LAGRANGE & ASSOCIES, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON, et pour avocat plaidant Me Agnès JAMBON de la SELARL DUSAUSOY LEFEBVRE & Associé, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 09 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre
Madame Anne VERRIER, Conseiller
Monsieur Philippe MAURY, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,
ARRÊT :
- Contradictoire
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
)
EXPOSÉ :
[B] [W] est décédé le 1er juillet 2009. Il a été retrouvé mort en bas des escaliers menant à la cave de son domicile.
Il avait souscrit auprès de La Mutuelle Générale dont il était adhérent depuis 1975 une garantie décès intitulée 'option 2002' en désignant comme bénéficiaire sa compagne [E] [R].
Pour se conformer aux obligations mises à la charge des assureurs par la loi dite 'Eckert' du 13 juin 2014, La Mutuelle Générale, qui avait répondu en 2009 à [E] [R] qu'elle n'était pas la bénéficiaire du capital-décès, lui a versé en définitive le 10 août 2017 un capital décès de 60.152,62 euros augmenté d'une revalorisation de 2.472,57 euros.
[E] [R] s'étant heurtée au refus de La Mutuelle Générale de lui verser le doublement du capital décès prévu au contrat en cas de décès accidentel, elle l'a, après vaine mise en demeure, fait assigner à cette fin par acte du 3 juin 2019 devant le tribunal de grande instance de La-Roche-sur-Yon en sollicitant sa condamnation à lui verser sous un mois et à peine d'astreinte passé ce délai la somme de 60.152,62 euros au titre du doublement du capital décès revalorisé au jour du règlement et celle de 5.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, outre celle de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'assurance a maintenu son refus au motif que le décès n'était pas accidentel au sens de la définition du contrat.
Par jugement du 7 mai 2021, le tribunal entre-temps devenu judiciaire de La-Roche-sur-Yon a rejeté la demande de [E] [R] qu'elle a condamnée aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 1.000 euros.
Pour statuer ainsi le premier juge a retenu que la demanderesse ne rapportait pas la preuve lui incombant que le décès de [B] [W], dont elle était séparée, était au sens requis par l'article 82 du contrat, la conséquence de l'action soudaine et imprévisible d'une cause extérieure, alors qu'il ressortait de l'enquête de gendarmerie que le décès était survenu à la suite d'une chute dans les escaliers alors que l'assuré présentait un taux d'alcool dans le sang de 2,95 grammes par litres avec également présence de benzodiazépines, et qu'il était porteur d'une bouteille de vin et de deux canettes de bière, situation dont le légiste ayant pratiqué l'autopsie écrivait qu'elle avait réduit sa capacité à amortir la chute ; et alors que Mme [R] ne démontrait pas que le comportement imprudent de son ex-conjoint n'avait pas contribué à sa chute.
Madame [R] a relevé appel le 21 juin 2021.
Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique :
* le 22 septembre 2021 par [E] [R]
* le 10 février 2022 par La Mutuelle Générale.
[E] [R] demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau de condamner La Mutuelle Générale à lui verser le doublement du capital décès d'un montant de 60.152,62 euros revalorisé au jour du règlement dans le délai d'un mois et sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai, ainsi que la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral, outre celle de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle dit rapporter la preuve du caractère accidentel du décès puisqu'elle démontre par les procès-verbaux d'enquête et les pièces médicales que [B] [W] est mort des suites du grave traumatisme crânien faisant suite à sa chute dans l'escalier de son domicile conduisant à la cave, et que gendarmes, légiste et parquet ont conclu qu'il s'agissait d'un décès 'accidentel'.
Elle soutient que l'assureur confond cause extérieure au sens du contrat et cause de l'accident, en prétendant tirer argument du comportement de la victime, lequel est sans incidence sur la mobilisation de la garantie contractuellement due.
Elle se prévaut de jurisprudences ayant retenu qu'une chute dans un escalier même en état d'imprégnation alcoolique, était un décès accidentel au sens du contrat d'assurance.
Elle soutient que l'assureur devait stipuler une clause d'exclusion, ce qu'il n'a pas fait, s'il entendait faire de l'imprégnation alcoolique ou toxicologique de l'assuré lors de son décès un motif faisant obstacle à la mobilisation de la garantie.
Elle justifie sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive par l'attitude de la compagnie, qui a commencé par lui refuser tout capital-décès en 2009 en prétendant qu'elle n'était pas bénéficiaire de la garantie alors qu'elle lui avait transmis tous les documents demandés et les justificatifs nécessaires, et qui ne lui a versé le capital-décès neuf ans plus tard que pour déférer à la loi Eckert, et elle indique que la longueur de la procédure la contraint à se replonger sans cesse dans ce passé douloureux.
La Mutuelle Générale sollicite la confirmation pure et simple du jugement et 3.000 euros d'indemnité pour frais irrépétibles en cause d'appel.
Elle rappelle au visa de l'article L.114-1 du code de la mutualité applicable à la date des faits de l'espèce que ce sont les règlements qui définissent le contenu des engagements contractuels existant entre chaque membre participant et la mutuelle en ce qui concerne les prestations et les cotisations, et au visa de l'article L.114-7-1 dudit code et des articles 76 et 82 de son règlement que c'est aux bénéficiaires du capital décès de justifier du caractère accidentel du décès.
Elle indique que l'article 82 de son règlement définit l'accident comme toute atteinte corporelle non intentionnelle provenant de l'action soudaine et imprévisible d'une cause extérieure.
Elle soutient qu'il ne faut pas confondre le fait générateur des lésions ayant provoqué le décès, à savoir la chute, et la cause du fait générateur, qui doit être extérieure. Elle considère qu'il revient à la demanderesse de prouver que l'assuré ne présentait ni prédispositions pathologiques ou autres, ni n'a participé à l'accident.
Elle maintient qu'au vu des éléments tirés de l'enquête et de l'autopsie diligentées après le décès, celui-ci ne peut pas être qualifié d'accidentel au sens dudit article 82, dès lors que si l'enquête a exclu la piste du suicide ou de l'acte criminel, elle ne permet pas de démontrer le caractère accidentel du décès, les gendarmes ayant conclu que la chute avait eu lieu lors de l'ascension dans les escaliers, alors que la victime était sous l'emprise de l'alcool, de tranquillisants et porteuse d'une bouteille de vin et de deux cannettes de bière, situation réduisant sa capacité à amortir sa chute. Elle observe que la soeur de [B] [W] fait état d'un alcoolisme profond, d'une prise de médicaments. Elle estime que la cause de la chute demeure inconnue, et que le comportement imprudent de la victime est avéré.
L'ordonnance de clôture est en date du 9 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
* sur la demande de Mme [R] en paiement du doublement du capital-décès
[B] [W] est décédé le 1er juillet 2009.
Il avait souscrit le 29 janvier 1999 auprès de La Mutuelle Générale dont il était adhérent depuis 1975 une garantie décès intitulée 'option 2002' en désignant comme bénéficiaire sa compagne [E] [R].
Celle-ci ayant perçu le capital-décès, réclame le doublement de ce capital qui revient au bénéficiaire en cas de décès accidentel de l'assuré.
C'est sur le bénéficiaire de l'assurance que pèse la charge de la preuve de la réalisation des conditions auxquelles est subordonné l'octroi d'un supplément de capital en cas de décès accidentel, conformément à la définition de l'accident donnée au contrat.
L'accident est défini par l'article 82 du règlement de La Mutuelle Générale comme 'toute atteinte corporelle non intentionnelle provenant de l'action soudaine et imprévisible d'une cause extérieure'.
La charge pesant sur le bénéficiaire du capital décès en vertu de la loi et du règlement de La Mutuelle Générale de prouver le caractère accidentel du décès ne peut être celle, impossible, d'un fait négatif, et il revient à Mme [R] de prouver que [B] [W] est décédé d'une cause accidentelle et non pas qu'il n'est pas décédé d'une cause interne.
[E] [R] produit les procès-verbaux de l'enquête diligentée par la gendarmerie après la découverte du corps sans vie de [B] [W].
Le procès-verbal de synthèse établi à l'issue de l'enquête et connaissance prise de l'autopsie retient : 'cause du décès : après autopsie, le décès est consécutif aux conséquences hémorragiques directes d'un sévère traumatisme crânio-encéphallique faisant suite à une chute accidentelle dans les escaliers'.
Il relate que le corps a été trouvé en bas de l'escalier menant à la cave, couché sur le dos dans le couloir ; il consigne que l'escalier est droit dans sa première partie dans le sens descendant puis tourne un quart vers la droite dans sa dernière partie qui donne sur une porte en bois ouverte, que le corps a été découvert à l'angle de ce dernier endroit, et qu'à mi-chemin dans les escaliers a été constatée la présence d'une paire de chaussons positionnés dans le sens montant pour le chausson droit, perpendiculaire au premier et retourné pour l'autre.
Il énonce que 'la piste du suicide ou même criminelle sont à écarter'.
Le procès-verbal de transport, constatations et mesures prises énonce que '[W] [B] est décédé des conséquences hémorragiques d'un sévère traumatisme crânio-encéphallique, lequel fait suite à une chute accidentelle dans les escaliers alors que la victime était sous l'emprise de l'alcool, de tranquillisants et porteuse d'une bouteille de vin et de canettes de bières'.
Dans ces conditions, la preuve est rapportée que la cause du décès de [B] [W] est la survenance d'un traumatisme crânien avec impact postérieur consécutif à sa chute inopinée à son domicile, dont il gravissait l'escalier conduisant de la cave/garage aux pièces à vivre, ce qui constitue bien un événement soudain et imprévisible, non intentionnel et extérieur à sa personne.
Le caractère soudain de la chute est en tant que de besoin attesté par la présence des chaussons de M. [W] sur une marche à l'endroit où l'ouvrage oblique.
Si [B] [W] était certes alcoolisé, aucun élément ou indice n'établit un lien de causalité, qui n'est pas nécessaire, entre cet état et sa chute dans l'escalier.
Il en va de même du fait qu'il avait ingéré un ou des tranquillisants, dans une proportion que ni le légiste ni les enquêteurs n'ont qualifiée d'anormale.
Hors la démonstration d'un lien de causalité avec l'accident ici non établi, la seule présence d'alcool et de substances de la famille des benzodiazépines ne peut être regardée comme constituant par elle-même une cause d'origine interne de l'accident, et l'appelante objecte pertinemment que le rôle que leur attribue l'assureur revient, sans le dire, à en faire une cause d'exclusion de sa garantie qui n'est pas stipulée au règlement définissant le contenu de ses engagements contractuels et qui la ferait au demeurant obéir au régime légal des exclusions de garantie.
L'alcoolisme de M. [W] étant chronique depuis des années, ainsi qu'attesté par sa soeur, qui évoque une cure de désintoxication dix ans auparavant suivie de rechutes, sa chute à son domicile ne peut être regardée comme un événement prévisible au sens du contrat, l'excès de boisson n'ayant pas pour autant été à l'origine de précédentes chutes ou accidents avérés.
La circonstance qu'il était porteur d'une bouteille et de deux canettes ne caractérise pas de la part de l'assuré un comportement imprudent, ces objets, non encombrants, pouvant être tenus avec les deux mains, et la description de l'escalier faite par les enquêteurs établissant qu'il n'était pas doté d'une rampe à laquelle il aurait pu falloir se tenir, alors que ce même procès-verbal consigne la présence d'un garde-corps à l'étage.
Il est ainsi établi que le décès de M. [W] dû à l'hématome cérébral subi du fait de sa chute, résulte d'un choc extérieur et non d'une altération de son état de santé due à une cause interne, et procède de l'action soudaine et imprévisible d'une cause extérieure au sens du contrat.
Mme [R] est donc fondée à réclamer le doublement du capital décès que La Mutuelle Générale lui refuse, pour la somme nominale de 60.152,62 euros devant être revalorisée au jour du règlement.
* sur la demande d'astreinte
Le présent arrêt constitue un titre exécutoire, et il n'y a pas lieu d'assortir cette condamnation de l'astreinte sollicitée par la demanderesse.
* sur la demande de dommages et intérêts
La Mutuelle Générale a dénié par deux fois en 2009 à Mme [R], qui lui demandait le bénéfice du capital décès, la qualité de bénéficiaire du contrat qui était pourtant bien la sienne (cf pièce n°9 et 13).
Elle lui a ensuite refusé le doublement en invoquant un article du règlement, l'article 69 (cf pièce n°5) sans rapport avec la situation, qui relève ainsi qu'elle l'indique elle-même aujourd'hui de l'article 82.
Sa résistance opiniâtre à assumer ses obligations contractuelles a causé à Mme [R] un préjudice distinct de celui que réparera la revalorisation de la somme indûment refusée, et qui est d'ordre moral, tenant à ce qu'elle la contraint à se remémorer une époque douloureuse pour elle.
Ce préjudice sera réparé par l'allocation d'une somme de 3.000 euros.
* sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile
La Mutuelle Générale succombe au procès et supportera les dépens de première instance et les dépens d'appel.
Elle versera à Mme [R] une indemnité de procédure en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile/
PAR CES MOTIFS
la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:
INFIRME le jugement déféré
statuant à nouveau :
DIT [E] [R] fondée à obtenir le doublement du capital décès souscrit à son bénéfice par [B] [W] auprès de La Mutuelle Générale
CONDAMNE La Mutuelle Générale à payer à Mme [R] la somme de 60.152,62 euros devant être revalorisée au jour du règlement
REJETTE la demande visant à voir assortir d'une astreinte cette condamnation
CONDAMNE La Mutuelle Générale à payer à Mme [R] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres ou contraires
CONDAMNE La Mutuelle Générale aux dépens de première instance et d'appel
CONDAMNE La Mutuelle Générale à payer à Mme [R] la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,