ARRET N°
N° RG 21/01869 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GJPK
[B]
C/
[K]
[K]
[K]
S.A. ASSURANCE DU CREDIT MUTUEL VIE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 21 MARS 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01869 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GJPK
Décision déférée à la Cour : jugement du 21 mai 2021 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de SAINTES.
APPELANTE :
Madame [Y] [B]
née le 23 Octobre 1955 à [Localité 3]
[Adresse 8]
[Localité 3]
ayant pour avocat Me Francesca SATTA de la SELARL CABINET D'AVOCATS FRANCESCA SATTA, avocat au barreau de SAINTES
INTIMES :
Madame [C] [K]
née le 31 Mai 1961 à [Localité 11]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Madame [G] [K]
née le 21 Juin 1966 à [Localité 3]
[Adresse 7]
[Localité 10]
Monsieur [N] [K]
né le 12 Mars 1977 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Localité 4]
ayant tous les trois pour avocat Me Vincent HUBERDEAU de la SELARL ACTE JURIS, avocat au barreau de SAINTES
S.A. ASSURANCE DU CREDIT MUTUEL VIE
[Adresse 6]
[Localité 9]
ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS, et pour avocat plaidant Me Sophie ZIEGLER, avocat au barreau de STRASBOURG
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 09 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre
Madame Anne VERRIER, Conseiller
Monsieur Philippe MAURY, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,
ARRÊT :
- Contradictoire
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ :
[D] [K] est décédé le 29 janvier 2015 en laissant pour recueillir sa succession ses trois enfants [C], [G] et [N] [K].
Ayant découvert que leur père avait dans les mois précédant son décès, modifié la clause de bénéficiaire d'un important contrat d'assurance-vie souscrit auprès des assurances du Crédit Mutuel (les ACM) qui les désignait jusqu'alors comme les bénéficiaires, et d'autre part émis de nombreux chèques à l'ordre de sa compagne [Y] [B] dont un de 40.000 et un de 30.000 euros, alors qu'il présentait à cette époque des troubles du comportement, une confusion mentale et un important besoin d'assistance, qu'il avait fait l'objet dans les derniers mois de sa vie de nombreuses hospitalisations, et que l'équipe médicale avait initié des démarches pour provoquer l'ouverture d'une mesure de protection qui étaient en cours d'instruction au jour du décès, les consorts [K] ont obtenu du juge des référés du tribunal de grande instance de Saintes par ordonnance du 24 novembre 2018 l'institution d'une expertise médicale au contradictoire de Mme [B] et des ACM Vie.
Au vu du rapport déposé en date du 15 juillet 2017 par le technicien le docteur [U], expert commis en dernier lieu, [C], [G] et [N] [K] ont fait assigner [Y] [B], la société ACM Vie et l'agent judiciaire de l'État devant le tribunal de grande instance de Saintes aux fins de voir prononcer la nullité de la modification de la clause bénéficiaire et des dons manuels résultant des deux chèques respectivement émis les 28 août et 29 octobre 2014, et subsidiairement le rapport à la succession des sommes considérées, avec réduction en cas d'atteinte à la réserve héréditaire.
Le juge de la mise en état a :
.par ordonnance du 19 juin 2019 : constaté le désistement des demandeurs à l'égard de l'agent judiciaire de l'État
.par ordonnance du 27 mars 2030 : rejeté la demande de nouvelle expertise formulée par Mme [B].
Dans le dernier état de leurs prétentions, les consorts [K] soutenaient que la modification de la clause bénéficiaire et les deux chèques avaient été signés dans un état d'altération des capacités de jugement, et subsidiairement que le contrat d'assurance-vie avait perdu tout aléa lors de la modification de la clause et que l'insanité d'esprit impliquait la nullité des dons manuels.
Mme [B] concluait à titre principal au rejet de ces prétentions en soutenant qu'il n'était pas démontré avec certitude une altération des facultés à la date des actes litigieux, et elle demandait subsidiairement dans l'hypothèse d'une requalification en donation déguisée à pouvoir conserver une somme de 61.854,47 euros correspondant à la quotité disponible dont elle pouvait bénéficier.
Les ACM Vie s'en remettaient à prudence de justice en indiquant avoir réglé les droits au Trésor Public à la requête de Mme [B], bénéficiaire désignée par une modification de la clause bénéficiaire dont elle-même n'était pas juge de la validité.
Par jugement du 21 mai 2021, le tribunal -entre-temps devenu tribunal judiciaire- de Saintes a :
* prononcé la nullité de l'acte du 5 novembre 2014 emportant modification de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie 0Y11203821 souscrit le 30 novembre 2011 par M. [D] [K] auprès de la SA Assurances du Crédit Mutuel Vie
* condamné en conséquence [Y] [B] à restituer le montant du capital décès qu'elle a reçu de la SA Assurances du Crédit Mutuel, soit 390.402,88 euros, à [C] [K], [G] [K] et [N] [K] qui en sont bénéficiaires chacun pour un tiers, outre les intérêts au taux légal à compter du 29 novembre 2018
* prononcé la nullité du don manuel effectué par [D] [K] au profit de Mme [B] sous forme d'un chèque émis le 29 octobre 2014 pour un montant de 40.000 euros
* condamné en conséquence Mme [Y] [B] à restituer à la succession de [D] [B] la somme de 40.000 euros
* débouté les consorts [K] de leurs demandes au titre du don manuel effectué par [D] [K] au profit d'[Y] [B] sous forme d'un chèque émis le 28 août 2014 pour un montant de 32.000 euros
* condamné Mme [Y] [B] aux dépens comprenant ceux de référé et les frais d'expertise judiciaire
* condamné [Y] [B] à payer aux consorts [K], pris comme une seule partie, la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
* dit n'y avoir lieu à application de ces mêmes dispositions au profit de la SA Assurances du Crédit Mutuel Vie
* dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu, en substance :
.qu'il était démontré que contrairement à ce que soutenait Mme [B], une action aux fins d'ouverture d'une mesure de protection de [D] [K] avait été introduite avant son décès
.que la preuve de l'insanité d'esprit pouvait ainsi légalement être rapportée par tout moyen, comme en dispose l'article 414-2 du code civil
.qu'il ressortait de l'expertise et des productions que la modification de la clause bénéficiaire de l'assurance-vie était intervenue dans un contexte d'hospitalisations répétées au cours desquelles avait été diagnostiquée une démence vasculaire sévère et un état confusionnel ayant justifié que l'équipe médicale engage en septembre 2014 les démarches en vue de la mise en place d'une mesure de protection ; que l'apposition de sa seule signature au pied d'un document qu'il n'avait pas rédigé, que ses déficiences visuelles ne lui permettaient pas de lire, et que ses troubles cognitifs ne lui permettaient pas de comprendre ne traduisait pas l'expression d'une volonté certaine et non équivoque de modifier au détriment de ses trois enfants la clause du contrat d'assurance-vie dont il les avait institués bénéficiaires
.que Mme [B] devait donc restituer aux bénéficiaires l'intégralité du capital-décès, à charge pour elle de faire son affaire d'un éventuel remboursement de l'imposition dont elle s'était acquittée
.que le chèque signé le 29 octobre 2014 par M. [K] et qui constituait un don manuel avait été émis dans les mêmes conditions d'altération des facultés ; qu'il n'y avait pas à ordonner le rapport de cette somme, seuls les héritiers étant tenus de rapporter des sommes à la succession et Mme [B] n'ayant pas cette qualité d'héritière
.qu'en revanche, il n'était pas démontré que le chèque émis sous sa signature le 28 août 2014 ait quant à lui été signé dans des conditions propres à remettre en cause la validité e son consentement.
[Y] [B] a relevé appel le 15 juin 2021 de ce jugement en tous ses chefs de décision hormis celui qui déboute les consorts [K] de leurs demandes au titre du don manuel effectué par [D] [K] à son profit sous forme d'un chèque émis le 28 août 2014 pour un montant de 32.000 euros.
Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique :
* le 14 septembre 2021 par [Y] [B]
* le 8 décembre 2021 par les consorts [K]
* le 6 décembre 2021 par les assurances du Crédit Mutuel (ACM) Vie.
Mme [B] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de prononcer la validité de l'acte du 5 novembre 2014 emportant modification de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance vie OY11203821 souscrit le 30 novembre 2011 par [D] [K] auprès des ACM Vie ; de l'autoriser en conséquence à conserver le montant du capital-décès qu'elle a reçu des ACM soit 390.402,88 euros ; de prononcer la validité du don manuel effectué par [D] [K] à son profit sous forme d'un chèque émis le 29 octobre 2014 pour un montant de 40.000 euros et de l'autoriser en conséquence à conserver la somme de 40.000 euros ; et de condamner les consorts [K] aux dépens ainsi qu'à lui verser 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle indique avoir vécu en concubinage pendant 37 ans avec [D] [K].
Elle soutient que les relations entre celui-ci et ses trois enfants s'étant dégradées au fil du temps, il avait finalement décidé en novembre 2014 de la désigner à leur place comme bénéficiaire de la totalité de l'assurance-vie.
Elle fait valoir que les diverses opérations subies par son compagnon pendant l'été 2014 n'avaient pas de lien direct avec la lucidité ou l'insanité d'esprit au jour de la modification de la clause, un mois et demi plus tard ; qu'il n'est pas significatif qu'il ait été constaté à ces occasions un 'discours inadapté' alors qu'il venait de subir des interventions chirurgicales ; qu'il avait eu le temps de s'en remettre ; qu'il sortit sans avoir besoin d'un accompagnement du service de réadaptation où il avait ensuite été transféré en septembre ; que l'aide partielle dans les actes de la vie quotidienne dont il avait besoin ne concerne pas la rédaction d'une clause bénéficiaire ; qu'il n'est pas établi que l'état de confusion mentale parfois constaté ait été permanent, et ait existé le jour des deux actes litigieux ; que l'affaiblissement intellectuel auquel a conclu l'expert judiciaire n'équivaut pas à l'insanité d'esprit dont la loi requiert la démonstration pour annuler un acte ; qu'il en a été de même pour les hospitalisations de l'automne 2014, qui ont évidemment perturbé [D] [K], mais sans qu'il en résulte la preuve d'une insanité d'esprit au jour de la modification de la clause et de l'émission du chèque de 40.000 euros ; qu'en écrivant que 'le discours de M. [K] n'était pas toujours cohérent', l'auteur du compte-rendu dressé le 27 octobre 2014 exprimait que ce discours pouvait donc l'être aussi ; qu'il le confirmait également en écrivant 'le patient semble autonome grâce aux aides dont il bénéficie'.
Elle estime inopérant pour les consorts [K] de tirer argument des démarches initiées par l'hôpital auprès du juge des tutelles, dès lors qu'elles n'avaient pas abouti et qu'aucune mesure de protection ne fut décidée, et elle rappelle que l'ouverture d'une mesure de sauvegarde puis de curatelle ne fait pas présumer à elle seule le trouble mental.
Elle se prévaut d'une carte postale rédigée en juin 2004 par [D] [K] pour affirmer que la volonté de celui-ci était bien de la désigner bénéficiaire de l'assurance-vie et du don manuel.
Elle convient que la modification de la clause fut signée mais non rédigée par M. [K], mais rappelle que celui-ci était atteint d'un important déficit visuel.
Elle fait valoir que l'expert judiciaire ne retient qu'une probabilité de vulnérabilité psychologique, et indique qu'une simple probabilité ne constitue pas une preuve.
Elle soutient qu'une démence vasculaire pendant trois mois ne signifie pas que [D] [K] était atteint d'insanité totale d'esprit au jour où il signa la modification de la clause et le chèque.
Elle assure que s'il pouvait être désorienté, il avait aussi des périodes de lucidité, et que c'est pendant de telles périodes que les actes litigieux furent décidés.
Les consorts [K] sollicitent à titre principal la confirmation pure et simple du jugement en toutes ses dispositions.
À titre subsidiaire, ils demandent à la cour de requalifier l'assurance-vie en donation déguisée, d'ordonner le rapport à succession des sommes perçues par Mme [B] au titre dudit contrat soit 390.402,88 euros et 40.000 euros de manière à permettre la réduction de ces legs pour la partie excédant la réserve héréditaire.
En tout état de cause, ils sollicitent la condamnation de l'appelante aux dépens d'appel et à leur payer 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils récusent les affirmations de l'appelante sur une rupture des relations avec leur père, en indiquant que les liens n'étaient pas rompus, malgré la distance qui s'établit lorsqu'il partit aux Antilles. Ils produisent des courriers échangés entre eux et lui.
S'agissant de la modification de la clause bénéficiaire, ils font valoir que le courrier n'a pas été écrit par le défunt, qu'à sa date, le médecin coordonnateur du service de gériatrie prônait depuis des semaines l'ouverture d'une mesure de protection qui était en cours d'instruction par le juge des tutelles, et que l'expert judiciaire a conclu que les capacités de jugement de leur père étaient probablement altérées au début du moins de novembre 2014 et qu'il se trouvait à tout le mois en état de vulnérabilité psychique. Ils considèrent que ces conclusions sont en cohérence avec la teneur de la lettre adressée au médecin traitant de leur père par le médecin de l'équipe du centre de gériatrie le jour même de la modification de la clause, faisant état d'un état confusionnel, d'une démence vasculaire et proposant de mettre en place une mesure de protection judiciaire. Ils font observer que leur père fut de nouveau hospitalisé quelques jours plus tard.
S'agissant du don manuel, ils considèrent qu'à quelques jours d'écart, la situation était exactement la même.
Ils soutiennent à titre subsidiaire que lors de la modification de la clause bénéficiaire, le contrat avait perdu tout aléa, et que Mme [B] doit rapporter à la succession le capital décès et le don manuel.
La compagnie ACM Vie demande à la cour de statuer ce que de droit sur l'appel, et en conséquence de statuer ce que de droit sur la demande de nullité de l'avenant et de la requalification en donation du contrat d'assurance -vie, de constater qu'elle-même ne détient plus aucun fonds afférents à ce contrat, de constater que le capital décès s'élevait à 390.402,88 euros et que l'assureur a payé la somme de 175.417,88 euros à Mme [B] et celle de 214.985 euros au Trésor public pour le compte de Mme [B], et de condamner la partie succombante à lui verser 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle redit que le total des primes versées sur le contrat s'élevait à 430.500 euros et le total des rachats à 63.731 euros ; que c'est à la demande expresse de Mme [B] qu'elle a directement versé aux services fiscaux le montant des droits de mutation par prélèvement sur le capital, et qu'en cas d'annulation de l'avenant, il reviendrait à Mme [B] de restituer aux bénéficiaires l'intégralité du capital-décès et de demander au Trésor public de restituer les droits fiscaux que celle-ci a acquittés puisqu'ils devraient alors être supportés par chaque bénéficiaire en fonction de sa situation propre.
L'ordonnance de clôture est en date du 7 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
En l'état du caractère limité de l'appel principal, et de l'absence d'appel incident, la cour n'est pas saisie du chef de décision du jugement qui déboute les consorts [K] de leurs demandes au titre du don manuel effectué par [D] [K] au profit d'[Y] [B] sous forme d'un chèque émis le 28 août 2014 pour un montant de 32.000 euros.
Le litige porte sur la validité de l'acte du 5 novembre 2014 emportant modification de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie 0Y11203821 souscrit le 30 novembre 2011 par M. [D] [K] auprès de la SA Assurances du Crédit Mutuel Vie et sur celle du don manuel effectué par [D] [K] au profit de Mme [B] sous forme d'un chèque émis le 29 octobre 2014 pour un montant de 40.000 euros.
Les ayants-droit de l'auteur de ces deux actes invoquent leur nullité en raison de son insanité d'esprit.
Aux termes de l'article 414-1 du code civil, pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte.
Selon l'article 414-2 en sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n°2015-1288 du 15 octobre 2015, de son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé. Après sa mort, les actes faits par lui autres que la donation entre vifs et le testament ne peuvent être attaqués que par ses héritiers, pour insanité d'esprit, que dans les cas suivants :
1°) si l'acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental
2°) s'il a été fait alors que l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice
3°) si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou si effet a été donné au mandat de protection future.
Pour l'application de l'article 414-2, il suffit qu'une action en ouverture d'une mesure de protection ait été introduite avant le décès de la personne concernée.
Tel est le cas en l'espèce, où il est établi par un courrier du greffe du juge des tutelles de Saintes à [N] [K] (pièce n°8 des intimés) qu'une mesure de protection avait été demandée par le centre hospitalier de [Localité 3] à la fin du mois de septembre 2014, que le dossier avait ensuite été transmis au juge des tutelles courant décembre 2014, et que le décès de M. [K] a mis fin à la procédure de mesure de protection qui n'a, de ce fait, pas abouti.
Le médecin de l'équipe mobile de gériatrie du centre hospitalier Saintonge qui avait examiné M. [K] les 17, 18, 19, 22 et 24 septembre fait état d'un 'discours inadapté' et d''une démence vasculaire'.
Lorsque M. [K] a quitté l'établissement pour le centre de réadaptation '[13]' de [Localité 12], un compte-rendu d'infirmier établi dans cet établissement a consigné une désorientation temporo-spatiale et une réponse inadaptée quand on lui demandait son âge ('45 ans').
Un autre compte-rendu du mois d'octobre 2014 cité par l'expert judiciaire relate que M. [K] se trompe sur son âge et n'arrive pas à restituer les prénoms de ses enfants, que ses capacités de compréhension ne sont pas adaptées pour toutes les consignes, et que le bilan met en évidence la baisse significative de certaines fonctions cognitives, savoir capacités d'initiative verbale, praxie réflexive, idéatoire ; mémoire de travail ; capacités attentionnelles ; capacités d'initiative motrice ; capacités de conceptualisation : orientation temporospatiale , rappel en mémoire. Il y est aussi fait référence au déficit visuel du patient. Il est conclu que les éléments recueillis permettent d'appuyer l'hypothèse de la présence d'une pathologie dégénérative, qui évolue dans un lourd contexte cardio-vasculaire.
L'indication finale 'Cependant, le patient semble autonome grâce aux aides dont il bénéficie' porte sur l'aptitude de M. [K] à vivre chez lui, ou chez sa compagne, sans remettre en cause ni même relativiser le tableau péjoratif de ses facultés intellectuelles et de son état psychique.
Ce tableau a été dressé après les phases de déstabilisation inhérentes aux opérations.
Le 4 novembre 2014, soit quelques jours après l'émission du chèque litigieux et le jour même de la modification litigieuse de la clause bénéficiaire, le docteur [Z] adressait au médecin traitant un courrier énonçant que son évaluation avait mis en évidence une démence vasculaire et indiquait avoir proposé au patient de mettre en place une mesure de protection juridique.
L'expert judiciaire écrit que [D] [K] a été hospitalisé de manière quasi continue à partir du 30 août 2014 en service de cardiologie ou en service de suite et de réadaptation dans un contexte de nouvelle décompensation cardiaque et de dégradation de son état somatique et psychique.
Il considère que 'le diagnostic de démence vasculaire ne peut pas être raisonnablement mis en doute', précisant que dans le cas de M. [K], on peut retrouver cette symptomatologie de type démentiel dans les différents documents et courriers produits.
Il conclut en réponse aux questions qui lui étaient posées :
'Lorsqu'il a réalisé la modification du nom du bénéficiaire du contrat d'assurance-vie le 05 novembre 2014, et lorsqu'il a émis le chèque de 40.000 euros, M. [K] présentait à l'évidence un affaiblissement intellectuel en lien avec une décompensation cardio-vasculaire majeure, à l'origine des troubles psychiques relevés lors de la première hospitalisation du 30 août 2014 ('patient un peu désorienté' courrier du docteur [S]) et qui ont été confirmés par la suite par un examen neuropsychologique en octobre 2014 montrant la réalité des troubles cognitifs. Une mesure de protection a été demandée dès la fin du mois de septembre devant l'aggravation des déficits. Au regard des éléments cliniques, et tout en tenant compte des relations peut-être distendues depuis plusieurs années entre M. [K] et ses enfants (ce qui n'a pas empêché M. [D] [K] de désigner ses enfants en tant que bénéficiaires du contrat d'assurance-vie e 30 novembre 2011), il paraît dès lors probable que les capacités de jugement de M. [K] [D] étaient altérées au début du mois de novembre 2014 et que celui-ci se trouvait à tout le moins en état de vulnérabilité psychique.
Ces conclusions, circonstanciées et argumentées, ne sont pas contredites.
Elles s'appuient sur un diagnostic déjà posé à l'époque des deux actes litigieux d'une démence vasculaire sévère et d'un état confusionnel ayant justifié que l'équipe médicale, et sur une démarche alors en cours en vue de la mise en place d'une mesure de protection.
Elles n'évoquent pas la place pour la persistance d'intervalles lucides à l'automne 2014.
L'emploi par l'expert de la formule 'il paraît..probable' relève de la prudence intellectuelle et scientifique d'un médecin qui n'a pas personnellement rencontré ni a fortiori examiné la personne à l'époque considérée de la fin du mois d'octobre et du début du mois de novembre 2014, mais il ne peut être regardé comme affectant d'une dimension incertaine, ou hypothétique le diagnostic d'altération des facultés de jugement et de vulnérabilité psychique posé sur pièces après une étude attentive d'un dossier médical assez fourni et des pièces et explications communiquées par les parties.
Il résulte des productions et des explications des parties que [D] [K] n'avait lui-même rédigé ni la demande de modification de clause bénéficiaire, ni le chèque bancaire de 40.000 euros ; de son très grand déficit visuel qu'il ne pouvait pas lire ce qu'il a signé ; et des pièces médicales, et de l'expertise, qu'il ne pouvait avoir ni décidé librement, ni compris ces actes.
Les énonciations d'une carte postale reçue de [D] [K] dont l'appelante prétend tirer argument pour soutenir que celui-ci voulait la favoriser, sont d'autant plus dépourvues d'incidence sur ce constat d'une insanité d'esprit au 5 novembre 2014 lors de la signature de la demande de modification de la clause bénéficiaire, qu'elles n'avaient pas empêché leur auteur de décider en 2011 de désigner ses trois enfants, ou à défaut les héritiers de chacun d'eux, comme bénéficiaires du contrat d'assurance-vie, et d'annoncer la souscription de ce contrat dans les voeux qu'il adressa à l'un d'eux le 29 janvier 2012.
C'est donc à bon droit que les premiers juges ont prononcé la nullité de l'acte du 5 novembre 2014 emportant modification de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance-vie 0Y11203821 et condamné en conséquence [Y] [B] à restituer aux consorts [K] le montant du capital décès qu'elle a reçu des ACM Vie soit 390.402,88 euros en faisant son affaire de l'éventuelle récupération auprès des services fiscaux des droits qu'elle leur a versés à ce titre, et qu'ils ont prononcé la nullité du don manuel effectué par [D] [K] au profit de Mme [B] sous forme d'un chèque émis le 29 octobre 2014 pour un montant de 40.000 euros en condamnant en conséquence l'intéressée à restituer à la succession de [D] [B] la somme de 40.000 euros.
Le jugement sera ainsi confirmé.
Il le sera aussi en ses chefs de décision pertinents et adaptés, afférents aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de 'constat' formulées par les ACM, ne s'agissant pas de prétentions.
Madame [B] succombe devant la cour et supportera donc les dépens d'appel.
Elle versera aux consorts [K], ensemble, et à la compagnie ACM, une indemnité de procédure, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:
CONFIRME le jugement entrepris
ajoutant :
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres ou contraires
CONDAMNE Mme [Y] [B] aux dépens d'appel
CONDAMNE Mme [B] à payer en application de l'article 700 du code de procédure civile :
.3.000 euros aux consorts [C], [G] et [N] [K], ensemble
.1.200 euros à la SA Assurances du crédit Mutuel Vie
ACCORDE à Me CLERC, avocat, le bénéfice de la faculté prévue à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,