ARRET N°128
FV/KP
N° RG 21/00886 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GHB2
S.A.S. ESPACE INVESTISSEMENT TRAVAUX
C/
SELARL ACTIS MANDATAIRES JUDICIAIRES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
2ème Chambre Civile
ARRÊT DU 21 MARS 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00886 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GHB2
Décision déférée à la Cour : ordonnance du 02 mars 2021 rendue par le Juge commissaire de NIORT.
APPELANTE :
S.A.S. ESPACE INVESTISSEMENT TRAVAUX, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 3]
[Localité 1]
Ayant pour avocat postulant Me Charlotte MARCOU LECLAINCHE, avocat au barreau de DEUX-SEVRES
Ayant pour avocat plaidant Me Julien MOUSSY, avocat au barreau de PARIS.
INTIMEE :
SELARL ACTIS MANDATAIRES JUDICIAIRES, prise en la personne de ses représentants légaux es qualité de mandataire liquidateur de la Sté SAINTE NEOMAYE CONSTRUCTION TE NEOMAYE
[Adresse 2]
[Localité 5]
Ayant pour avocat postulant Me Gabriel WAGNER de la SCP GALLET-ALLERIT-WAGNER, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me Frédéric MANGEL, avocat au barreau de PARIS.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 Janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Claude PASCOT, Président
Monsieur Fabrice VETU, Conseiller
Monsieur Cédric LECLER, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU,
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur Claude PASCOT, Président et par Madame Véronique DEDIEU, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
Par contrat du 4 octobre 2010 la société Sainte Néomaye Construction (SNC) s'est vu confier par la société Jad organisation (la société Jad), la sous-traitance du lot gros oeuvre sur un chantier de réhabilitation d'un ancien carmel et la création de 44 logements sur la commune de [Localité 6] (79).
La société SNC a été mise en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire les 10 octobre et 26 novembre 2012 ont été successivement désignés comme liquidateur, la SARL Romain Rabusseau puis la SELARL Actis.
Le chantier a été réceptionné avec réserves le 6 mars 2013.
Le 25 avril 2013, la société Jad a adressé au liquidateur de la société SNC un décompte général définitif faisant apparaître un solde négatif de 144.286,13 € TTC en défaveur de la société débitrice sous-traitante.
La société Jad, a conservé la retenue de garantie de 5 % au motif que cette somme avait servi à régler les entreprises qui étaient intervenues pour se substituer à la Société SNC.
Par acte du 23 juillet 2014, le liquidateur de la société SNC a assigné la société Jad pour obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 161.571,82 €correspondant à la retenue de garantie.
Par jugement en date du 1er avril 2015, le tribunal de commerce de Niort a notamment condamné la société Jad à payer au liquidateur de la société SNC la somme de 61.880 € TTC.
Par arrêt en date du 12 août 2016, la cour d'appel de Poitiers a infirmé ce jugement et débouté le liquidateur de la société SNC de ses demandes.
Par arrêt en date du 28 février 2018, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers au motif que si 'elle pouvait retenir le principe de la compensation, en raison de la vraisemblance de la créance connexe déclarée par la société Jad, la cour d'appel, qui ne devait ordonner la compensation qu'à concurrence du montant de cette créance à fixer par le juge commissaire, sans pouvoir, en l'état, rejeter la demande en paiement de la retenue de garantie du liquidateur, a violé les textes susvisés' (article 1289 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article L 622-7 I du code de commerce).
Sur renvoi de cassation, par arrêt en date du 11 mars 2019, la cour d'appel de Bordeaux a notamment :
-dit que la société Espace Investissement travaux (EIT), anciennement Jad Organisation reste devoir à la société Actis liquidateur de la société SNC la somme de 81.857,60 € TTC au titre de la retenue indûment conservée,
-prononcé le sursis à statuer sur la demande de compensation présentée par la société EIT, et renvoyé celle-ci à faire fixer sa créance invoquée par le juge commissaire compétent.
La société EIT a dès lors sollicité du juge-commissaire du tribunal de commerce de Niort, par requête en date du 12 juin 2020, de fixer définitivement la créance qu'elle détient à l'encontre de la SARL SNC.
Par ordonnance en date du 2 mars 2021, le juge commissaire du tribunal de commerce de Niort a statué ainsi :
- Constatons que la société JAD ORGANISATION devenue la SAS INVESTISSEMENT TRAVAUX ne figure pas dans la liste des créances déposée au greffe par le mandataire judiciaire le 21 octobre 2013 ;
- Constatons que la société JAD ORGANISATION devenue la SAS INVESTISSEMENT TRAVAUX n'a pas contesté la liste déposée au greffe le 21 octobre 2013 dans le délai d'un mois à compter de la date de publication au BODACC du 08 novembre 2013 ;
- Déclarons irrecevable la demande de fixation de la créance de la SAS ESPACE INVESTISSEMENT TRAVAUX ;
- Condamnons la SAS ESPACE INVESTISSEMENT TRAVAUX aux entiers dépens.
Pour statuer comme il l'a fait, le juge-commissaire, au visa des articles L. 622-17 et L. 641-13 du Code de commerce a considéré :
- que les travaux s'étant poursuivis au cours des périodes de sauvegarde et de redressement jusqu'à la date du jugement de conversion en liquidation judiciaire, la créance était née postérieurement au jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde ;
- qu'en application des articles L.641-13 et L. 622-17 du Code de commerce, la créance présentée au mandataire judiciaire le 25 avril 2013 aurait dû être payée à son échéance, deux mois après l'expiration du délai de contestation du décompte général définitif des travaux établi par la société JAD ORGANISATION ; que cependant, la SELARL ROMAIN RABUSSEAU n'ayant pas contesté le décompte, le mémoire, comme l'avait indiqué la Cour d'appel de Bordeaux était définitif ;
- que le fait que le mandataire judiciaire n'ait pas envoyé la lettre du 30 juillet 2013 par courrier avec accusé de réception pour informer la société JAD ORGANISATION du rejet des créances ne peut être retenu, l'article R.641-39 du Code de commerce ne prescrivant pas l'envoi de information selon cette modalité ;
- que la société EIT n'ayant pas contesté la liste des créances dans le délai d'un mois à compter de la publication au BODACC de l'avis en date du 08 novembre du dépôt au greffe de la liste des créances le 21 octobre 2013 comme le lui prescrivait cet article R. 641-39, il y avait lieu de rejeter sa demande d'admission de sa créance au passif de la SARL SNC.
Par déclaration du15 mars 2018, la société EIT a relevé appel de cette ordonnance en visant ses chefs expressément critiqués.
La société EIT, dans ses dernières conclusions RPVA du 05 juillet 2022, au visa des articles L.622-27, L.624-2, L.624-3-1 et R.624-1 du Code de commerce et les pièces versées aux débats, en ce compris la déclaration de créance du 08 mars 2013, sollicite de la cour de :
- Déclarer la société ESPACE INVESTISSEMENT TRAVAUX recevable et bien fondée en ses présentes écritures.
- Subsidiairement, pour le cas extraordinaire où la Cour devait néanmoins considérer qu'une difficulté de recevabilité existerait du chef de l'absence d'un « débiteur » à la procédure, rouvrir les débats afin de permettre à EIT de former régulièrement appel de l'ordonnance querellée à l'égard dudit « débiteur »
- Déclarer la société ESPACE INVESTISSEMENT TRAVAUX bien fondée en ses présentes écritures.
- Infirmer en toutes ses dispositions l'Ordonnance rendue par le Juge Commissaire près le Tribunal de Commerce de Niort le 2 mars 2021.
Et statuant à nouveau :
- Constater que la société ESPACE INVESTISSEMENT TRAVAUX a parfaitement déclaré sa créance au passif de la SARL SAINTE NEOMAYE CONSTRUCTION.
- Constater qu'il n'a jamais été statué sur le sort de cette créance non valablement vérifiée et/ou contestée par le Liquidateur.
En conséquence :
- Fixer/Admettre définitivement au passif de la SARL SAINTE NEOMAYE CONSTRUCTION la créance de la société ESPACE INVESTISSEMENT TRAVAUX à hauteur principalement de la somme de 211. 494,58 euros et subsidiairement de 144.268,13 euros.
- Condamner la SELARL ACTIS MANDATAIRES JUDICIAIRES à payer à la société ESPACE INVESTISSEMENT TRAVAUX la somme de 30.000 € au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La SELARL ACTIS ès qualité de liquidateur judiciaire de la société SNC, par conclusions RPVA du 9 décembre 2022, demande à la cour de :
Vu les dispositions des articles L. 622-24 et L. 622-26 du Code de commerce,
Vu les dispositions de l'article R. 624-2 et R. 627-4 du Code de commerce,
Vu les dispositions de l'article L. 641-9 du Code de commerce,
Vu l'article 553 du Code de procédure civile,
Vu les conclusions qui précèdent,
Vu les pièces produites,
Principalement
En l'absence de mise en cause du débiteur,
Déclarer l'appel irrecevable,
Confirmer la décision querellée,
Débouter la société EIT de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions.
Condamner l'appelante au paiement d'une indemnité de 10.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
La condamner aux entiers dépens,
Subsidiairement,
Constater que la société EIT n'établit pas de manière certaine la nature ou postérieure des créances dont elle revendique l'admission,
En conséquence, et en l'état,
Confirmer la décision querellée,
Rejeter la demande d'admission des créances formulée en ce qu'elle n'établit pas qu'elle résulte de créances antérieures ou postérieures au jour du jugement déclaratif et dont on sait que le régime de la déclaration est différent,
Débouter la société EIT de l'ensemble de ses demandes fins et prétentions.
Condamner l'appelante au paiement d'une indemnité de 10.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
La condamner aux entiers dépens,
Pour un plus ample exposé des faits, prétention et moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions récapitulatives conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Il convient de rappeler que préalablement à l'audience au fond, l'intimé avait saisi le conseiller de la mise en état d'une demande tendant à voir l'appel déclaré irrecevable. L'incident n'ayant pas été audiencé, la cour a sollicité l'avis des parties sur l'opportunité d'un renvoi. Les avocats de l'appelante et de l'intimée se sont opposés à ce renvoi en faisant valoir que la question de la recevabilité/irrecevabilité de l'appel était développée dans leurs conclusions respectives au fond et que la cour était à même de statuer sur ce point.
S'agissant précisément de ce point, les parties s'opposent dans les termes suivantes :
La SELARL Actis conclut à l'irrecevabilité de l'appel au motif :
-que le présent litige s'inscrit dans le processus de vérification des créances, la cour d'appel de Bordeaux ayant renvoyé la société EIT à faire fixer sa créance invoquée par le juge commissaire compétent,
-que la procédure de vérification des créances ne peut pas se dérouler sans le débiteur appelé pour exercer ses droits propres,
-qu'il existe un lien d'indivisibilité en matière de vérification de passif entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire,
-que dès lors, l'appel doit être déclaré irrecevable, à défaut d'intimation du débiteur, fut-il liquidé.
La société EIT répond :
-que son appel est recevable en ce que le présent contentieux a pour objet de faire fixer et admettre sa créance telle qu'arrêtée par la cour d'appel de Bordeaux et dont le montant n'a pas à être vérifié,
-que subsidiairement, si la cour devait considérer qu'une difficulté procédurale existait, il lui plairait de rouvrir les débats afin de permettre à la société EIT de former régulièrement appel à l'égard du débiteur, comme le permet l'article 552 alinéa 2 du code de procédure civile.
Ces moyens appellent les observations suivantes.
L'article R 624-1 du code de commerce (applicable par renvois des articles R 631-29 et R 641-28 au redressement judiciaire et à la liquidation judiciaire) dispose : 'La vérification des créances est faite par le mandataire judiciaire, le débiteur et, le cas échéant, les contrôleurs désignés, présents ou dûment appelés'. Il en résulte qu'en matière d'admission des créances, il existe un lien d'indivisibilité de sorte que le créancier qui entend voir fixer sa créance au passif d'un débiteur doit attraire en la cause ce débiteur qui conserve un droit propre. Lorsque le débiteur est une société, c'est son représentant légal qui participe à la vérification des créances.
En l'espèce, le débat qui s'est déroulé devant le juge-commissaire avait bien pour objectif, comme le souligne la SELARL ACTIS, ès qualité, de faire admettre la créance de la société EIT, le mandataire judiciaire s'y étant opposé en proposant de déclarer irrecevable cette créance faute de l'avoir déclarée dans les délai requis par la loi.
La SELARL Actis justifie en outre :
-en pièce n° 7 que M. [R] [C], gérant de la société SNC a reçu un avis d'audience ayant pour objet notamment 'contestation de créance', et désignant ainsi le demandeur : 'ESPACE INVESTISSEMENT (SAS)',
-en pièce n° 8 que l'ordonnance du juge commissaire querellée prévoyait en sa page 3 qu'elle soit notifiée à 'M. [C] [R], [Adresse 4]'.
L'article 552 du Code de procédure civile dispose :
'En cas de solidarité ou d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel formé par l'une conserve le droit d'appel des autres, sauf à ces dernières à se joindre à l'instance.
Dans les mêmes cas, l'appel dirigé contre l'une des parties réserve à l'appelant la faculté d'appeler les autres à l'instance.
La cour peut ordonner d'office la mise en cause de tous les co-intéressés.'
L'article 553 du Code de procédure civile dispose :
'En cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel de l'une produit effet à l'égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l'instance ; l'appel formé contre l'une n'est recevable que si toutes sont appelées à l'instance'.
Il résulte de ces textes que l'appel, qui encourt l'irrecevabilité en raison de l'indivisibilité du litige faute pour l'appelant d'avoir intimé toutes les parties, peut être régularisé, par la réitération de l'appel contre l'ensemble des parties, tant que l'irrecevabilité du premier appel n'a pas été prononcée.
Tel est le cas en l'espèce.
C'est pourquoi la cour ordonnera le renvoi de l'affaire devant le conseiller de la mise en état aux fins de permettre à la société ESPACE INVESTISSEMENT TRAVAUX de mettre en cause le débiteur, à savoir la société SAINTE NÉOMAYE CONSTRUCTION prise en la personne de son représentant légal en interjetant appel contre lui.
L'examen des autres demandes sera réservé.
Il convient de réserver les dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant avant dire droit,
Ordonne la révocation de l'ordonnance de clôture,
Ordonne le renvoi de la procédure devant le conseiller de la mise en état aux fins de permettre à la SAS ESPACE INVESTISSEMENT TRAVAUX de mettre en cause le débiteur, à savoir la société SAINTE NÉOMAYE CONSTRUCTION prise en la personne de son représentant légal en interjetant appel contre lui.
Réserve les dépens.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,