ARRÊT N°110
N° RG 21/01851
N° Portalis DBV5-V-B7F-GJN7
S.A.R.L. CGESTA
C/
CABINET [K]
ET ASSOCIES
S.A.R.L. [J] [K]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 14 MARS 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 juin 2021 rendu par le Tribunal de Commerce de SAINTES
APPELANTE :
S.A.R.L. CGESTA
N° SIRET : 439 928 979
[Adresse 1]
[Localité 2]
ayant pour avocat postulant Me Bruno MAZAUDON de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Christophe POUZIEUX, avocat au barreau de la CHARENTE
INTIMÉES :
S.A.R.L. CABINET [K] ET ASSOCIÉS
N° SIRET : 492 578 108
[Adresse 5] - [Localité 3]
S.A.R.L. [J] [K]
N° SIRET : 484 430 277
[Adresse 6] - [Localité 4]
ayant toutes deux pour avocat postulant et plaidant Me Romuald GERMAIN
de la SCP GERMAIN, avocat au barreau de SAINTES
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 16 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre
Madame Anne VERRIER, Conseiller
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT,
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
[J] [K] est expert-comptable et commissaire aux comptes. Il exerce en son nom personnel et au sein des sociétés [J] [K] et Cabinet [K] et Associés.
Il est l'expert-comptable de la société Cgesta qui exerce une activité de conseil en droit social et de gestion des payes.
Les sociétés [J] [K] et le Cabinet [K] et Associés ont sous-traité à la société Cgesta l'établissement de bulletins de paie.
Par courriers en date du 12 octobre 2017, la société Cgesta a notifié aux sociétés [J] [K] et Cabinet [K] et Associes la rupture de la relation contractuelle.
Par acte du 28 décembre 2018, elle a assigné ces deux sociétés et [J] [K] devant le tribunal de commerce de Saintes. Soutenant que les défendeurs avaient contracté à perte à ses dépens sans l'en informer en manquement à leurs obligations déontologiques, elle a demandé paiement de la somme de 201.000,10 € à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte selon elle subie et de son manque à gagner.
Les défendeurs ont conclu au rejet de ces demandes. Les sociétés [J] [K] et la Cabinet [K] et Associes ont reconventionnellement demandé paiement à titre de dommages et intérêts des sommes de 32.920 € et 40.740 € correspondant au coût de reprise des bulletins de l'année 2017 et de celle de 30.000 € en réparation l'atteinte portée à leur image.
Par jugement du 3 juin 2021, le tribunal de commerce de Saintes a statué en ces termes :
'Déboute la SARL CGESTA de l'ensemble de ses demandes,
Déboute la SARL CABINET [K] ET ASSOCIES et la SARL [J] [K] de l'ensemble de leurs demandes,
Déboute Monsieur [K] de sa demande,
Dit qu'il n'y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure civile,
Condamne d'une part la SARL CGESTA et d'autre part et solidairement la SARL CABINET [K] ET ASSOCIES, la SARL [J] [K] et Monsieur [K] à 50 % des entiers frais et dépens de l'instance et frais de greffe liquidés à la somme de 84,48 euros dont 14,08 euros de TVA'.
Il a considéré que :
- la mission confiée aux sociétés défenderesses n'incluait pas la détermination par prestations de leur coût de revient ;
- la société Cgesta ne justifiait pas de demandes et de relances adressées à l'expert-comptable relativement à son souhait exprimé par courriels en date des 20 novembre 2015, 16 juin 2016 et 3 février 2017 de détermination d'un prix plancher par bulletin ;
- le gérant de la société Cgesta, qui avait travaillé dans un cabinet d'expertise comptable avant de fonder sa société, détenait un diplôme d'études comptables, ne pouvait pas, de par sa formation, son expérience et sa position, ignorer le coût d'établissement d'un bulletin de paye ;
- que ce coût n'avait pas été source de litige entre l'année 2003, date de conclusion du contrat de sous-traitance et l'année 2015 ;
- le coût d'établissement de bulletins de salaire avaient été facturé par la société Cgesta à d'autres clients à des prix moindres que ceux sous-traités par les sociétés défenderesses ;
- la demanderesse n'apportait pas la preuve d'une gestion claire et précise des tarifs de ses prestations.
Il a pour ces motifs écarté la faute des défendeurs.
Il a rejeté les demandes reconventionnelles formées, le contrat ayant été dénoncé par la société Cgesta dans le respect des stipulations contractuelles et la preuve d'une atteinte l'image n'étant pas rapportée.
Par déclaration reçue au greffe le 14 juin 2021, la société Cgesta a interjeté appel de ce jugement, intimant les sociétés Cabinet [K] et Associés et [J] [K]. [J] [K] a postérieurement été assigné en appel provoqué.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 novembre 2022, la société Cgesta a demandé de :
'Vu les articles 145 et 150 du Code de déontologie des experts comptables,
Juger la SARL CGESTA recevable et bien fondée en son appel,
Juger la SARL [J] [K] et la SARL Cabinet [K] recevables mais mal fondées en leur appel incident
Juger Monsieur [J] [K] recevable mais mal fondé en son appel provoqué
En conséquence,
Réformer le jugement du 3 juin 2021 en ses chefs entrepris selon déclaration d'appel en date du 14 juin 2021,
Et statuant à nouveau,
Condamner solidairement la SARL [J] [K] et la SARL Cabinet [K] et associés à verser à la SARL CGESTA la somme de 201.000,10 €uros de dommages-intérêts.
A titre infiniment subsidiaire,
Juger que la SARL CGESTA n'est pas opposée à une mesure judiciaire afin de fixer définitivement le montant de son préjudice, l'expert désigné aura pour mission de :
' Convoquer les parties,
' Etudier les pièces produites aux débats par toutes les parties,
' Dire si la société CGESTA a travaillé à perte dans le cadre du contrat de prestations de services la liant avec les sociétés [J] [K] et SARL Cabinet [K] et Associés,
' Chiffrer le montant des préjudices subis par la SARL CGESTA en s'attachant à la seule part imputable aux faits causés par la responsabilité des SARL [J] [K] et Cabinet [K] ([K]) et Associés,
' S'adjoindre, s'il s'avère nécessaire, tout spécialiste de son choix, dans une autre spécialité que la sienne, pour mener à bien sa mission.
' Déterminer la date de leur apparition et leur origine,
En tout état de cause,
Rejeter les arguments de la SARL [J] [K] et de la SARL Cabinet [K] et associés visant à les faire échapper aux conséquences de leurs manquements délibérés et ce à des fins uniquement personnelles.
Débouter la SARL [J] [K], la SARL Cabinet [K] et associés et Monsieur [J] [K] de l'ensemble de leurs demandes.
Condamner solidairement la SARL [J] [K], la SARL Cabinet [K] et Associés et Monsieur [J] [K] à verser la somme de 7 000 €uros à la SARL CGESTA sur le fondement disposition l'article 700 du code de procédure civile.
Les condamner enfin aux entiers dépens'.
Elle a soutenu que les défendeurs avaient manqué à leurs obligations déontologiques en se plaçant dans une situation de conflit d'intérêts en :
- ne signalant pas, alors même qu'ils étaient l'expert-comptable de la société, le montant insuffisant du coût facturé d'établissement des bulletins de salaire ;
- les refacturant avec une marge très élevée ;
- ayant manqué à leur obligation de conseil, devant contractuellement procéder à l'élaboration de ratios et de commentaires de gestion, à l'établissement de tableaux de bord et à l'analyse de gestion.
Elle a calculé sa perte par référence à la différence entre le prix de revient des bulletins de paye et leur prix facturé, soit de 2013 à 2017 la somme de 132.654,50 € (hors taxes). Elle a estimé à 68.354,60 € son manque à gagner, ses prestations ayant été facturées à d'autres clients par référence aux prix consentis aux défendeurs. Elle a soutenu que des informations incomplètes lui ayant été transmises, elle avait dû régulièrement solliciter de sa cocontractante des renseignements complémentaires afin de pouvoir établir les bulletins de salaire.
Elle a contesté toute mauvaise gestion de la part, rappelant qu'il entrait dans les attributions de l'expert-comptable d'attirer son attention sur la faible rentabilité de certaines activités.
Elle a précisé qu'une procédure disciplinaire était en cours, appel ayant été interjeté à l'encontre de la décision de relaxe du conseil régional de discipline de l'ordre des experts-comptables.
Elle a conclu au rejet des demandes indemnitaires formées à son encontre, d'une part ayant dénoncé le contrat dans le délai stipulé, d'autre part la rupture d'un contrat à durée indéterminée n'étant pas indemnisable.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 5 juillet 2022, [J] [K], la société [J] [K] et la société Cabinet [K] et Associes ont demandé de :
'Confirmer partiellement le jugement du Tribunal de Commerce en date du 3 juin 2021 en ce qu'il a débouté la SARL CGESTA de l'ensemble de ses demandes,
Déclarer la SARL CABINET [K] ET ASSOCIES, la SARL JEROME [K] et Monsieur [J] [K] en son nom personnel recevables et bien fondées dans leur appel incident,
Infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de SAINTES du 3 juin 2021 en ce qu'il a débouté la SARL CABINET [K] ET ASSOCIES, la SARL JEROME [K] et Monsieur [J] [K] de leurs prétentions,
Statuant à nouveau,
Condamner la société CGESTA à verser à la SARL CABINET [K] ET ASSOCIES la somme de 32.920 euros au titre de la reprise des bulletins de paie de l'année 2017,
Condamner la société CGESTA à verser à la SARL JEROME [K] la somme de 40.740 euros au titre de la reprise des bulletins de paie de l'année 2017,
Condamner la SARL CGESTA à verser à la SARL CABINET [K] ET ASSOCIES et la SARL JEROME [K] la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de son atteinte à l'image,
Condamner la SARL CGESTA à verser à Monsieur [J] [K] la somme de 5.000 euros en indemnisation de son préjudice moral,
Condamner la SARL CGESTA à verser à la SARL CABINET [K] ET ASSOCIES, la SARL JEROME [K] et Monsieur [J] [K] la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Condamner la SARL CGESTA aux entiers dépens d'appel et de première instance'
Ils ont exposé que :
- le litige trouvait sa source dans la communication à l'appelante, à l'occasion d'un autre litige, de factures d'établissement des bulletins de paye faisant apparaître un prix supérieur à celui facturé par la société Cgesta ;
- cette société avait facturé à ses autres cocontractantes des prestations à des prix qui étaient parfois inférieurs à celui qui leur était facturé ;
- le conseil régional de discipline de l'ordre des experts-comptables les avaient relaxés des poursuites engagées à leur encontre sur dénonciation de l'appelante.
Ils ont soutenu que :
- la lettre de mission n'incluait pas le calcul des prix de revient ;
- le prix refacturé incluait des prestations qui n'incombaient pas à l'appelante ;
- la société Cgesta fixait librement le prix de ses prestations ;
- l'appelante n'était pas dans un lien de dépendance à leur égard ;
- l'activité qui lui était sous-traitée était bénéficiaire.
Ils ont ajouté que :
- les sociétés Cabinet [K] et Associés et [J] [K] avaient supporté des frais pour pallier la défection brutale de la société Cgesta, pour des montants respectivement de 32.920 € et 40.740 € en 2017 ;
- les poursuites engagées à leur encontre avaient été à l'origine d'une perte d'image et constitué une remise en cause de leur professionnalisme.
L'ordonnance de clôture est du 14 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A - SUR LES DEMANDES DE LA SOCIETE CGESTA
L'article 1134 du code civil dans sa version applicable antérieurement au 1er octobre 2016 dispose que :
'Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi'.
L'article 1103 du code civil dans sa version postérieure au 1er octobre 2016 dispose que : 'Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits'. L'article 1104 rappelle que : 'Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi' et que : 'Cette disposition est d'ordre public'.
Les articles 141 à 169 du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012 relatif à l'exercice de l'activité d'expertise comptable constituent le code de déontologie des professionnels de l'expertise comptable.
L'article 141 de ce décret dispose notamment que :
'Les personnes mentionnées à l'article 141 exercent leur activité avec compétence, conscience professionnelle et indépendance d'esprit. Elles s'abstiennent, en toutes circonstances, d'agissements contraires à la probité, l'honneur et la dignité.
Elles doivent en conséquence s'attacher :
[...]
5° A ne jamais se trouver en situation de conflit d'intérêts'.
L'article 155 de ce décret rappelle que : 'Dans la mise en 'uvre de chacune de leurs missions, les personnes mentionnées à l'article 141 sont tenues vis-à-vis de leur client ou adhérent à un devoir d'information et de conseil, qu'elles remplissent dans le respect des textes en vigueur'.
Aux termes de l'article 157 : 'Les personnes mentionnées à l'article 141 ont l'obligation de dénoncer le contrat qui les lie à leur client ou adhérent dès la survenance d'un événement susceptible de les placer dans une situation de conflit d'intérêts ou de porter atteinte à leur indépendance'.
La société Cgesta soutient que les intimés auraient manqué à leurs obligations déontologiques en raison d'un conflit d'intérêts et à leur obligation de conseil.
1 - sur le manquement aux obligations déontologiques
L'appelante a produit aux débats les lettres de mission afférentes aux exercices clos les 31 décembre 2002, 2003 et 2016.
Il a été stipulé à la première lettre de mission que :
'Cette lettre a pour objet de résumer l'entretien et de préciser d'un commun accord les conditions de notre collaboration.
Mes interventions porteront sur les points suivants :
' établissement de vos comptes annuels,
' établissement de vos déclarations fiscales,
' assistance téléphonique en matière fiscale et comptable.
La répartition détaillée des tâches est jointe à la présente lettre.
Nous vous rappelons que le bon exercice de notre mission implique de votre part l'acceptation des principes suivants :
' l'ensemble des pièces justificatives couvrant la totalité des opérations de l'entreprise sera mis à ma disposition lors de chacune de nos interventions,
' l'entreprise s'engage à mettre à la disposition du cabinet tous les documents justifiant quotidiennement les opérations de caisse,
' les pièces justificatives seront classées et conservées pendant un délai minimal de 10 ans,
' un inventaire physique de vos stocks sera effectué à une date aussi proche que possible de la date de clôture de votre exercice.
[...]
Je reste à votre disposition pour tous travaux que vous pourriez me confier en extension de la mission définie ci-dessus : par exemple, restructuration des services existants, évaluation des méthodes utilisées, assistance dans le choix du personnel administratif, conseil et assistance en relation humaines, ect...'.
A postérieurement été ajoutée la mission de : 'suivi de la comptabilité'.
La mission d'assistance en matière de gestion décrite au paragraphe 2.4 du document intitulé 'inventaire des tâches essentielles - répartition des tâches de base' annexé à la lettre de mission, incluait :
'- Situation intermédiaire
- Ratios et commentaires de gestion
- Prix de revient
- Etudes prévisionnelles
- Tableau de bord
- Analyse de gestion
- Evolution des ventes et ratios'.
Le calcul des prix de revient n'était pas inclus dans les honoraires de l'expert-comptable. Il s'en déduit que ce calcul n'était opéré que sur demande expresse de la société Cgesta et devait faire l'objet d'une facturation particulière.
Un premier contrat de prestation de services en date du 1er janvier 2003 a été conclu entre la société Cgesta et le cabinet d'expertise comptable [J] [K]. Il a été stipulé à l'article 1- définition du contrat que :
'Le Cabinet CGESTA s'engage à fournir un travail de prestation sociale qui comporte exclusivement les tâches suivantes :
Collecte des éléments variables de paie,
Réalisation des paies à une date déterminée avec votre cabinet,
Envoi des bulletins par Internet,
Fourniture des états de règlements par moyens de paiements (par chèque, virement, ...) par client,
Fourniture du livre de paie mensuel par client,
Assistance administrative en gestion du personnel (attestation d'embauche, maladie, maternité.),
Assistance approfondie en gestion du personnel (déclaration unique d'embauche, certificat de travail, reçu pour solde de tout compte, feuille jaune ASSEDIC),
Veille sociale vis-à-vis du Code du Travail et des Conventions Collectives,
Relevé individuel (fiche fiscale de fin d'année),
Réalisation de la DADS 1,
Rédaction des bordereaux de charges mensuels, trimestriels et annuels (URSSAF, ASSEDIC,
retraite, prévoyance, etc..) et envoi par télécopie de ceux-ci prêts à expédier'.
Ce contrat précise les renseignements qui doivent être communiqués à la société Cgesta.
L'article 5 du contrat relatif aux tarifs, facturations et règlements stipule que :
'Tous les travaux cités en article 1 sont facturés au coût unitaire de 6,10 € H.T. par bulletin réalisé.
Ce prix comprend tous les travaux désignés en article 1, à l'exclusion de tout autre. Tout bulletin modifié ultérieurement, à la suite de mauvaises informations venant de la société cliente est facturé comme un bulletin supplémentaire.
Par ailleurs, le tarif ci-dessus sera cependant révisable si une organisation future de la clientèle de Monsieur [J] [K] accroît de manière importante la masse de travaux à effectuer ou si des travaux supplémentaires à ceux mentionnés en article 1 viennent s'ajouter.
En tout état de cause, un avenant au présent contrat sera proposé avant l'application de toute nouvelle condition'.
Le prix de la prestation a été librement convenu entre les parties.
Aucun élément des débats n'établit que [J] [K], qui était depuis peu en charge de l'établissement des comptes annuels et des déclarations fiscales de la société Cgesta, a fait fixer au détriment de sa cocontractante un prix de la prestation convenue à un montant qu'il savait inférieur au prix de revient.
Le contrat a fait l'objet d'un avenant en date du 8 octobre 2003, ayant porté à 7 € hors taxes le prix du bulletin réalisé.
Un second avenant en date du 1er janvier 2006 est relatif à la 'prise en charge des procédures de ruptures de contrats de travail (économiques et pour toutes causes réelles et sérieuses)'. Il a été stipulé que :
'La procédure complète est facturée, dés l'engagement de celle-ci, au prix unitaire de 50 euro HT. Ce tarif intègre la rédaction de tous les courriers nécessaires au bon déroulement de la procédure, en conformité avec les dispositions légales et conventionnelles en vigueur.
La collecte et le remplissage de formulaires spécifiques liés au type de rupture est facturé en supplément 25 euro H.T.'..
Il n'a pas été soutenu que ces tarifs ont été fixés en manquement aux obligations déontologiques à un prix inférieur à leur coût de revient.
Par courriel en date du 20 novembre 2015, [N] [S], dirigeant de la société Cgesta, a exposé à [J] [K] les raisons pour lesquelles il avait 'appliqué les majorations forfaitaires sur les fiches mal renseignées'.
Un avenant en date du 27 novembre 2015 stipule que :
'Est actuellement en vigueur un contrat de mission sociale pour la réalisation des bulletins de salaire et toutes les prestations qui en découlent, telle que mentionné au contrat de prestation de service initial, au tarif actuel de 8,00 euros HT par bulletin de salaire.
Le présent contrat a pour objet l'ajout d'une prestation obligatoire lié à l'instauration de la DSN ainsi que la modification des tarifs de toutes les prestations juridiques :
En complément des prestations actuellement réalisées viendront donc s'ajouter les prestations suivantes, uniquement à la date de mise en place effective de la DSN :
Le forfait mensuel DSN applicable dès sa mise en place par le Cabinet : 2 euros HT par bulletin de salaire.
La DSN événementiel : facturation à 4.50 euros HT par DSN événementielle. Une réalisation sur 2 sera facturée par client.
Prestations juridiques complémentaires :
La réalisation d'un CDD ou CDI (temps partiel ou temps complet) : 30 euros HT,
La réalisation d'un avenant au contrat de travail: 20 euros HT,
La mise en place d'une procédure de rupture conventionnelle: 100 euros HT ;
Les autres procédures (mises à pied, licenciements économiques, inaptitudes professionnelles et non professionnelles, fautes, etc.) : 75 euros HT
1) La prestation concernant la réalisation des contrats de travail sera appliqué sous les conditions suivantes :
[...]
Toute anomalie sur la fiche d'identification impliquant le fait que la Cabinet CGESTA soit contraint d'interroger le Cabinet [K] ET ASSOCI3S (entraînant un temps de traitement supplémentaire) portera à facturation supplémentaire de 5 euros H.T par contrat'.
Comme précédemment, l'appelante n'a pas fait d'observation sur le prix des prestations autres que l'établissement du bulletins de paie.
Un projet d'avenant en date du 5 octobre 2017 établi par la société Cgesta, portant le prix de l'établissement du bulletin de paie à 12,50 € hors taxes, le prix de réalisation de la 'DSN' à 2,255 € hors taxes et fixant le prix de diverses prestations complémentaires, n'a pas été accepté par [J] [K].
Le prix d'établissement du bulletin de paie a ainsi régulièrement augmenté, passant sur la période litigieuse de 6 à 8 € hors taxes, hors déclaration 'dsn'.
Les intimés n'étaient pas en charge du calcul des prix de revient de chacune des prestations de la société Cgesta. Il ne se déduit pas des seuls termes de la lettre de mission qu'elle avait connaissance de l'ensemble des éléments comptables lui permettant de calculer le coût de revient de l'établissement d'un bulletin de paie, ni même de suspecter que le prix convenu y était inférieur.
Il n'est justifié d'aucune manoeuvre ou réticence des intimées destinée à faire fixer à un prix insuffisant la prestation convenue. La société d'expertise comptable Amb Audit & Conseil a sur la demande de la société Cgesta estimé le coût de revient de l'établissement des bulletins de paie sur l'exercice 2007. [X] [P], expert-comptable, a conclu sans son courrier en date du 11 septembre 2018 que :
'Analyse sectorielle des indicateurs clés :
1/ coût de la main d'oeuvre productive
40 000 € coût salarié moyen annuel / 4 200 bulletins (soit 350 bulletins * 12 mois) = 9.52 €
2/ frais de structure
D'après une étude présentée lors du congrès de l'Ordre des Experts-comptables, les frais de structure représentent en moyenne 21 % du chiffre d'affaires. Ce qui correspond à 3.32 € par bulletin ; contre 4,64 € par bulletin (cf. tableau ci-avant)'.
Cet expert-comptable a estimé à 84 % de l'activité de la société Cgesta l'activité paie.
Cette analyse a été établie non contradictoirement. L'activité paie a été unilatéralement estimée au sein de la société Cgesta. L'estimation du coût de revient n'est pas corroborée par la production des documents comptables des exercices litigieux. L'activité à perte alléguée n'est dès lors pas établie.
Aucun élément des débats n'établit que les intimés avaient sur la période en cause connaissance du prix de revient de la prestation sous-traitée à la société Cgesta, ni même pouvaient en faire une estimation.
Il ne se déduit pas du seul contrat de sous-traitance conclu entre les parties que les intimés, en charge d'une partie de la comptabilité de la société Cgesta, étaient dans une situation, même objective, de conflit d'intérêts. De plus, ainsi que le démontrent les avenants conclus à ce contrat, la société Cgesta demeurait libre de fixer le tarif de ses prestations, à charge pour l'autre partie d'y consentir.
Le prix auquel l'expert-comptable refacturait à ses clients les feuilles de paie, nécessairement supérieur à celui qu'il payait à la société Cgesta, et le profit ainsi retiré sont sans incidence sur la caractérisation d'une situation de conflit d'intérêts.
2 - sur un manquement au devoir de conseil
Le devoir d'information et de conseil de l'expert-comptable est rappelé à l'article 155 précité.
La société Cgesta n'a pas produit de documents comptables. Il n'est pas établi que ses activités, ou l'une d'entre elles, étaient déficitaires et que l'expert-comptable devait à ce titre attirer l'attention du dirigeant de la société CGesta sur ces difficultés.
Par courriel en date du 11 mars 2015, [N] [S], dirigeant de la société Cgesta, a indiqué à [J] [K] que :
' Il va vraiment falloir que nous parlions de la prestation juridique car [V] étant absent, je suis amené à travailler sur tes contrats de travail et comprends beaucoup mieux le temps astronomique qu'il y passe pour un coût de prestation ridicule.
Pourrais-tu à partir de mon compte de résultat prévisionnel mensuel ci-joint me calculer le seuil de rentabilité horaire ' sachant que 8 collaboratrices effectuent des prestations facturables 105 heures par mois, [V] effectue des prestations facturables que 110 heures par mois (puisqu'il passe 40 heures à faire de l'assistance juridique gratuite) et j'effectue 130 heures de travaux facturables'.
Dans un second courriel en date du 2 juin 2017, il a indiqué que :
'Nous n'avons encore jamais appliqué les majorations prévues en cas d'erreur sur les renseignements des fiches de contrats ou de procédure mais nous allons devoir y venir car nous passons vraiment trop de temps en collecte d'informations complémentaires et anomalies diverses sur le renseignements qui nous sont donnés.
A cet effet, j'aimerais vraiment que tu me fasse une étude du prix pour connaître celui au-dessous duquel je ne dois pas travailler car il semble qu'au-delà du problème des RTT qui compte tenu de la masse de travail que nous avons à traiter et des différents à côté (renseignements téléphoniques, contrôles des dossiers, ect...) ne peuvent pas être apurés, il est clair que mes tarifs ne sont pas assez élevés. Par exemple, il faut approximativement 45 minutes pour faire un contrat de travail que je facture au minimum 30 euros (pour toi) et au maximum 45 euros (pour le reste de mes clients). Avec une masse de charge mensuelle de plus de 68 000 euros et 1340 euros mensuelles facturables, je ne devrais normalement pas travailler au-dessous de 51.43 euros / heure ce qui est loin d'être le cas. Un de tes confrères ma par ailleurs confirmé qu'il fallait ne prendre que les heures de travail génératrices de C.A.'.
Il n'est pas justifié d'une réponse apportée à ces courriels.
La société Cgetsta n'a lors de la signature des lettres annuelles de mission toutefois pas demandé d'inclure le calcul des prix de revient dans la mission confiée à l'expert. Elle n'a pas, en cours d'exécution de la mission, expressément sollicité l'établissement d'un devis afin que le coût de leur calcul soit évalué.
Dès lors, le défaut de réponse de l'expert-comptable aux courriels précités, qui ne relevaient pas d'une mission contractuellement confiée et en l'absence de difficultés économiques rencontrées par la société Cgesta, ne caractérise pas un manquement au devoir de conseil et d'information.
Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a rejeté les prétentions de l'appelante.
B - SUR LES DEMANDES DES INTIMES
L'article 1214 du code civil dispose que :
'Le contrat à durée déterminée peut être renouvelé par l'effet de la loi ou par l'accord des parties.
Le renouvellement donne naissance à un nouveau contrat dont le contenu est identique au précédent mais dont la durée est indéterminée'.
Aux termes de l'article 1211 du même code : 'Lorsque le contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable'.
Le contrat de prestations de services en date du 1er janvier 2003 a été conclu entre 'le Cabinet d'Expertise Comptable [J] [K]' représenté par ce dernier. Le cachet apposé est celui de '[J] [K] expert-comptable'.
L'avenant en date du 8 octobre 2003 a été signé par [J] [K] pour le compte du 'Cabinet [K]'. Ce cabinet d'expertise comptable n'a pas apposé de cachet.
L'avenant en date du 1er janvier 2006 a été signé de même.
L'avenant du 27 novembre 2015 a été conclu entre 'Le Cabinet [K] et associés' représenté par [J] [K] en sa qualité de dirigeant, et la 'sarl Cabinet Cgesta'. La cachet apposé est celui de la 'sarl Cabinet [K] et associés'.
Le contrat initial stipulait que :
'Le présent contrat sera renouvelé par tacite reconduction tous les ans à partir de la date de prise en charge du dossier, soit le 01 janvier 2003. Il pourra cependant être rompu sur l'initiative de l'une ou l'autre des parties, avec un délai de prévenance de 1 mois (un mois)'.
L'avenant en date du 1er janvier 2006 stipule que :
'Le présent engagement sera renouvelé par tacite reconduction tous les ans à partir du 01 janvier 2006. Il pourra être rompu sur l'initiative de l'une ou l'autre des parties, avec un délai de prévenance de 2 mois (deux mois)'.
Par courrier recommandés en date du 12 octobre 2017 adressés à la 'sarl Cabinet [K] et associés, au 'Cabinet d'expertise comptable [K]' et à [J] [K], la société Cgesta a notifié la rupture de la relation contractuelle 'dont les différentes prestations cesseront dans les 60 jours suivant la date de 1ère présentation du présent courrier'.
Cette rupture, intervenue dans le respect des stipulations contractuelles, n'est pas fautive. Les intimés ne sont dès lors pas fondés à solliciter, en l'absence de faute, l'indemnisation d'un quelconque préjudice.
Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes des intimés.
C - SUR LES DEMANDES PRÉSENTÉES SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
Le premier juge a équitablement apprécié n'y avoir lieu de faire application de ces dispositions.
Les circonstances de l'espèce ne justifient de même pas de faire droit aux demandes présentées sur ce fondement devant la cour.
D - SUR LES DÉPENS
Le premier juge a exactement, au vu des circonstances de l'espèce, partagé également la charge des dépens.
La charge des dépens d'appel incombe à l'appelante.
PAR CES MOTIFS,
Statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement du 3 juin 2021 du tribunal de commerce de Saintes ;
REJETTE les demandes présentées en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Cgesta aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,