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14/03/2023 | FRANCE | N°21/01618

France | France, Cour d'appel de Poitiers, 1ère chambre, 14 mars 2023, 21/01618


ARRÊT N°117



N° RG 21/01618



N° Portalis DBV5-V-B7F-GI3Z













[D]



C/



[R]

S.A.R.L. AXIOM AUDIT

S.A.R.L. BLUE AUDIT















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile



ARRÊT DU 14 MARS 2023





Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 mai 2021 rendu par le Tribunal Judiciaire de LA ROCHELLE
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APPELANT :



Monsieur [J] [D]

né le [Date naissance 4] 1969 à [Localité 7] ([Adresse 6])

[Adresse 5]



ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS





INTIMÉS :



Monsieur [M] [R]

[Adress...

ARRÊT N°117

N° RG 21/01618

N° Portalis DBV5-V-B7F-GI3Z

[D]

C/

[R]

S.A.R.L. AXIOM AUDIT

S.A.R.L. BLUE AUDIT

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 14 MARS 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 mai 2021 rendu par le Tribunal Judiciaire de LA ROCHELLE

APPELANT :

Monsieur [J] [D]

né le [Date naissance 4] 1969 à [Localité 7] ([Adresse 6])

[Adresse 5]

ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS

INTIMÉS :

Monsieur [M] [R]

[Adresse 2]

[Localité 1]

S.A.R.L. @XIOM AUDIT

[Adresse 2]

[Localité 1]

S.A.R.L. BLUE AUDIT

venant aux droits de la Société @XIOM AUDIT

[Adresse 9]

[Adresse 3]

ayant pour avocat postulant Me Chloé LUCAS-VIGNER de la SELARL MANCEAU - LUCAS-VIGNER, avocat au barreau de POITIERS

ayant pour avocat plaidant Me LE TOUARIN-LAILLET Patricia, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre

qui a présenté son rapport

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Monsieur Philippe MAURY, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT,

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

EXPOSÉ :

Dans le cadre d'une reconversion professionnelle, [J] [D], ancien cadre de la Caisse des Dépôts et Consignations, s'est intéressé à la reprise d'un chantier nautique charentais exploité à [Localité 8] par la société Fora Marine qui concevait, fabriquait et commercialisait des voiliers de plaisance.

Il a constitué dans le but de reprendre cette entreprise une société holding dénommée Aime Mer dans laquelle il a personnellement apporté 550.000 euros et qui a acquis selon acte du 27 février 2017 l'intégralité des actions de la société Fora Marine, transformée pour l'occasion en société anonyme, moyennant un prix de 3 millions d'euros partiellement financé par d'autres associés minoritaires et au moyen de deux emprunts bancaires.

Il est alors devenu le président de la SAS Fora Marine.

Par deux jugements du 18 décembre 2019, le tribunal de commerce de Bordeaux ouvrait

-d'une part, une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Fora Marine en fixant provisoirement au 18 juin 2018 sa date de cessation des paiements

-d'autre part, une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Aime Mer, dont M. [D] avait entre-temps cédé pour l'euro symbolique l'intégralité des actions.

Ces procédures collectives ont ultérieurement été converties en liquidations judiciaires.

Soutenant qu'il avait été trompé par les comptes arrêtés au 31 août 2016 pour les besoins du projet de cession, et certifiés par la société @xiom Audit, commissaire aux comptes sous la signature de [M] [R], car ils ne reflétaient pas la situation réelle de trésorerie, et faisant valoir qu'il avait ainsi perdu les fonds investis dans l'affaire à la suite de la déconfiture rapide de l'entreprise et de la revente de ses titres pour l'euro symbolique, [J] [D] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de La Rochelle par actes du 13 décembre 2019 la SARL Blue Audit venant aux droits de la SARL @xiom Audit et [M] [R], pour voir juger qu'ils avaient engagé leur responsabilité à son égard et pour les entendre condamner solidairement à lui verser

.550.000 et 80.000 euros en réparation de son préjudice financier

. 30.000 euros en réparation de son préjudice moral

outre 5.000 euros d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Affirmant en réponse aux contestations adverses qu'il était habile à agir en réparation d'un préjudice personnel, et ce tant à l'encontre de la société que du commissaire aux comptes qui en était le représentant légal, il faisait valoir que le nouvel expert-comptable qu'il avait missionné sitôt devenu le dirigeant de l'entreprise avait mis en lumière l'irrégularité des comptes établis par son prédécesseur, non conformes à la norme comptable en ce qu'ils ne comptabilisaient pas dès leur émission les chèques émis par l'entreprise, ce qui avait eu pour conséquence de majorer faussement de 367.683,70 euros le solde créditeur de trésorerie affiché par les comptes certifiés par le commissaire aux comptes, et de le persuader à tort que la situation de trésorerie de l'entreprise à laquelle il s'intéressait était très bonne.

En réponse, les défendeurs arguaient cette action d'irrecevabilité au motif tiré de l'article L.622-20 du code de commerce que seul le liquidateur judiciaire des sociétés Fora Marine et/ou Aime Mer pouvait exercer pareille action fondée sur un préjudice collectif, et ils concluaient subsidiairement au rejet de toutes les demandes en contestant tant leur faute que la réalité des préjudices invoqués et que le lien de causalité entre eux.

Par jugement du 4 mai 2021, le tribunal, entre-temps devenu tribunal judiciaire, de La Rochelle a déclaré recevable l'action de [J] [D], l'a débouté de toutes ses demandes, y compris fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamné aux dépens.

Pour statuer ainsi, le premier juge a retenu, en substance,

* que l'action était personnelle à M. [D], celui-ci invoquant un préjudice propre distinct de celui des créanciers des sociétés Fora Marine et Aime Mer, et qu'elle était ainsi recevable

*que l'obligation pesant sur les commissaires aux comptes était une obligation de moyens

* qu'il était certes établi que l'expert-comptable en charge de la comptabilité de la SAS Fora Marine n'avait pas, contrairement à ce qu'il aurait dû faire, enregistré dès leur émission les chèques émis par la société au bénéfice de ses fournisseurs, de sorte que la trésorerie de l'entreprise à la date de l'arrêt des comptes préalable à son rachat apparaissait supérieure de 367.683,70 euros à ce qu'elle était réellement compte-tenu des chèques non encore encaissés

* que néanmoins, aucune faute dans la vérification des comptes ainsi déposés n'était démontrée à la charge de la société @xiom Audit et de M. [R], dans la mesure où d'une part, une telle anomalie ne révélait pas pour autant une absence de contrôle des comptes, et où d'autre part, l'erreur n'aurait pu être décelée qu'en reprenant totalement les comptes de l'expert-comptable, car le rapprochement des comptes bancaires dégageait une cohérence de la comptabilité

* que si les chèques émis mais non encore encaissés n'étaient pas déduits de la trésorerie, l'image de la société n'en était pas moins exacte, car symétriquement, les dettes ainsi réglées au moyen de ces chèques apparaissaient toujours en comptabilité

*qu'il n'existait aucun lien de causalité avéré entre le manquement imputé au commissaire aux comptes et le seul préjudice démontré, tenant à la perte de son investissement de 550.000 euros subie par M. [D], car la situation réelle de l'entreprise ressortait exactement des comptes, où les dettes étaient bien inscrites au bilan, et que la cause de la déconfiture des sociétés Fora Marine et Aime Mer n'est pas documentée ni explicitée.

[J] [D] a relevé appel le 21 mai 2021.

Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique

* le 28 juillet 2021 par M. [D]

* le 9 octobre 2021 par M. [R] et les SARL Blue Audit et @xiom Audit .

M. [D] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il l'a dit recevable en son action, de l'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau, de juger que la société @xiom Audit et M. [M] [R], commissaire aux comptes, ont engagé leur responsabilité à son égard et de les condamner ainsi que la société Blue Audit, tous trois solidairement, à lui payer

.550.000 et 80.000 euros soit 630.000 euros en réparation de son préjudice financier

.30.000 euros en réparation de son préjudice moral

outre 5.000 euros d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il relate les conditions dans lesquelles il acquit via sa holding les parts de la société Fora Marine, les difficultés de trésorerie qui apparurent dès les premières semaines, obligeant l'entreprise à négocier des moratoires avec ses fournisseurs et à demander des délais à l'administration des impôts, et l'empêchant de faire remonter à la holding les fonds nécessaires à celle-ci pour rembourser les emprunts bancaires qui avaient financé l'achat des actions.

Il indique que le nouvel expert-comptable décela tout de suite l'irrégularité des comptes.

Il expose avoir dû démissionner de ses fonctions de président pour raisons de santé dès l'année suivante, et avoir cédé en novembre 2018 ses actions dans la holding Aime Mer pour l'euro symbolique, perdant ainsi l'intégralité de son investissement et se retrouvant sans situation professionnelle.

Il rappelle que la responsabilité des commissaires aux comptes est régie par l'article L.822-17 du code de commerce, et indique agir en qualité de tiers dont les intérêts propres ont été malmenés.

Il maintient être recevable à exercer cette action.

Il indique avoir repris la société au vu d'un bilan vérifié et certifié par le commissaire aux comptes dans lequel il a eu toute confiance, et sans lequel il ne se serait pas engagé, alors qu'il est établi, et non discuté, que la comptabilisation de la trésorerie n'était pas faite conformément aux normes obligatoires applicables à la comptabilité d'engagement, puisque les chèques émis par l'entreprise n'y étaient pas enregistrés dès leur émission, et que la

trésorerie à la date de l'arrêté de comptes établi en vue de la cession des actions était en réalité de 307.732,50 euros et non pas du montant de 675.416,20 euros mentionné dans les comptes certifiés, soit un écart négatif de 367.683,70 euros, et le solde de trésorerie de 141.177,94 euros et non pas de 497.835 euros soit un écart négatif de 356.657,06 euros.

Il indique que le commissaire aux comptes ne se borne pas à vérifier l'exactitude mathématique des comptes sociaux mais a l'obligation légale de les examiner attentivement, de réaliser des sondages suffisants pour en contrôler la véracité, et de procéder à des rapprochements bancaires.

Il fait valoir qu'il est de jurisprudence assurée que le commissaire aux comptes ne peut se soustraire à sa responsabilité en se retranchant derrière le fait que la comptabilité était tenue par un expert-comptable.

Il observe que la négligence du commissaire aux comptes est ici d'autant plus inexcusable que le défaut de vérification porte sur les comptes de disponibilité alors qu'il savait que l'arrêté de comptes était établi en vue de la cession de l'entreprise, et que les comptes disponibilité/trésorerie sont extrêmement importants dans le cadre d'une acquisition de société, tant pour la valoriser que pour apprécier sa pérennité d'exploitation.

Il maintient que les intimés auraient pu et dû déceler l'erreur de méthodologie affectant la tenue de la comptabilité. Il observe qu'ils n'ont jamais produit leur dossier de travail.

Il récuse l'affirmation du premier juge selon laquelle le bilan montrait l'état réel de l'entreprise.

Il tient pour inopérant le grief des intimés de n'avoir point fait procéder à un audit avant d'acheter les actions.

Il rejette les affirmations sur sa mauvaise gestion en expliquant que l'entreprise était déjà proche de la cessation des paiements lors de sa reprise.

Il affirme que son préjudice en relation directe et certaine de causalité avec la faute du commissaire aux comptes est

.d'une part, financier, car il n'aurait jamais investi les 550.000 euros qu'il a déboursés pour acquérir 55% des actions de la holding s'il avait su que la trésorerie de l'entreprise était moindre de près de 400.000 euros, car cette situation dénotait une santé financière extrêmement fragile

.d'autre part constitué de la perte de chance d'avoir pu se servir une rémunération de dirigeant sur laquelle il tablait légitimement

.et aussi moral, au vu de l'atteinte à son honneur de dirigeant et à sa santé.

Il précise que la garantie de passif qui a été mobilisée l'a été au profit de la société Aime Mer, qui a pu ainsi faire un apport en compte courant d'associé au sein de Fora Marine.

M. [R] et la SARL Blue Audit venant aux droits de la SARL @xiom Audit demandent à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de prononcer leur mise hors de cause, et de condamner M. [D] aux dépens et à leur payer 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Ils indiquent que le mandat de commissariat aux comptes souscrit par la société Fora Marine l'a été auprès du Cabinet @xiom Audit, aujourd'hui dissoute après sa fusion-absorption par Blue Audit, et non pas auprès de Monsieur [R] personnellement. Ils conviennent toutefois que la responsabilité de M. [R] peut être recherchée en tant qu'il a signé la certification des comptes sociaux.

Ils contestent toute faute, en affirmant avoir procédé aux contrôles requis, sans que ceux-ci leur aient permis de constater le décalage de trésorerie et l'écart négatif de plus de 367.000 euros dont se plaint l'appelant.

Ils indiquent que les vérifications ont montré que les factures étaient correctement comptabilisées, seule la date d'enregistrement des chèques étant en cause, et ils soutiennent qu'il n'appartient pas au commissaire aux comptes d'effectuer les rapprochements bancaires mensuels, qui relèvent de la charge et des obligations de l'expert-comptable.

Ils assurent avoir effectivement et correctement réalisé les contrôles requis par la norme, en indiquant que les feuilles de travail du commissaire aux comptes relatives à la trésorerie font bien état du rapprochement entre la comptabilité et les relevés bancaires, et de la circularisation des banques.

Ils soutiennent ainsi que la faute n'est pas prouvée.

Ils contestent subsidiairement le préjudice, et son lien de causalité avec la faute alléguée, qu'ils récusent, et font valoir à cet égard que ce préjudice ne peut être qu'une perte de chance.

S'agissant du préjudice financier, ils soutiennent que l'écart de chèques non débités n'impactait pas la valeur des actions car si les chèques émis avant le 31 août 2016 et non encore débités avaient été correctement débités du compte de Fora Marine, le montant des dettes eût certes été inférieur mais corrélativement celui de la trésorerie disponible aurait été diminué d'autant, tandis qu'en l'espèce, la trésorerie disponible apparaissait certes plus importante mais le montant des dettes était lui aussi corrélativement plus important, de sorte que la situation s'équilibrait dans les deux cas et que l'appréciation de la solvabilité de l'affaire était la même, les comptes reflétant ainsi correctement la situation réelle de la société ; et ils ajoutent que la candidat à la reprise d'une entreprise ne considère évidemment pas que la situation à un instant mais l'évolution des choses, en général sur trois exercices. Ils ajoutent que le carnet de commandes était plein, et contestent l'existence même d'une perte de chance de n'avoir pas acquis les actions.

S'agissant de l'absence de rémunération, ils soutiennent que son unique cause tient aux problèmes de santé de M. [D].

S'agissant du préjudice moral, les intimés en récusent l'existence, et affirment que M. [D] a montré dès sa prise de fonction et jusqu'à son retrait qu'il n'avait pas les qualités pour diriger une telle affaire.

Ils contestent tout lien de causalité, en faisant état des mauvaises décisions prises dès son arrivée par M. [D], et des pertes abyssales qui en découlèrent rapidement.

L'ordonnance de clôture est en date du 10 novembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Le jugement n'est pas discuté en cause d'appel en ce qu'il a déclaré recevable l'action de [J] [D], contre lequel les intimés ne reprennent pas devant la cour leur moyen d'irrecevabilité tiré de l'article L.622- 20 du code de commerce.

Aux termes de l'article L.822-17, alinéa 1er, du code de commerce, les commissaires aux comptes sont responsables tant à l'égard de la personne ou de l'entité que des tiers, des conséquences dommageables des fautes et négligences par eux commises dans l'exercice de leurs fonctions.

Selon l'article L.823-9 du code de commerce, les commissaires aux comptes certifient, en justifiant de leur appréciation, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l'entité à la fin de l'exercice.

Il est établi par les productions (ainsi pièce n°3, 11 de l'appelant), et non discuté, que la société @xiom Audit, aujourd'hui absorbée par la société Blue Audit, était chargée par la SAS Fora Marine d'une mission de certification de ses comptes, et qu'aux termes d'un rapport en date du 16 janvier 2017 elle a certifié, sous la signature de [M] [R], les comptes de la société arrêtés au 31 août 2016 et ce, sans réserves.

Or il est constant aux débats, et en tant que de besoin démontré par la situation établie par le nouvel expert-comptable en juillet 2017 et la note de diagnostic du cabinet Lloyd (cf pièces n° 7 et 25 de l'appelant) que la comptabilité de la SAS Fora Marine n'était pas tenue selon les normes d'engagement, puisque tout chèque émis par l'entreprise était comptabilisé en trésorerie à la date de son encaissement, alors que les règles du Plan comptable général commandent que les chèques soient crédités dès leur émission au compte de banque par le débit du compte de tiers concerné.

M. [D] fait valoir que ces comptes ainsi certifiés, puis approuvés par l'assemblée générale des associés, ont servi de fondement à son appréciation de la situation de la SAS Fora Marine à laquelle il s'intéressait, et conséquemment à la négociation du prix des actions de sa maison mère qu'il a acquises par acte du 3 mars 2017.

La comptabilité de la société Fora Marine n'était ainsi pas régulière, puisque tenue d'une façon non conforme aux normes, et la société @xiom Audit et M. [R] ont néanmoins certifié sa régularité.

Le commissaire aux comptes doit, pour certifier les comptes sociaux, les examiner attentivement, et avoir réalisé des sondages suffisants pour en contrôler la véracité.

Les rapprochements bancaires constituent un outil pour opérer ce contrôle.

Les intimés ont manifestement été négligents dans la mise en oeuvre de ce contrôle.

@xiom Audit et M. [R] ne peuvent utilement contester leur faute en objectant que leur obligation n'était que de moyens et qu'ils n'avaient pas à procéder eux-mêmes aux rapprochements bancaires mensuels qui, seuls, auraient pu révéler cette non-conformité, alors que les rapprochements bancaires constituent l'un des outils du contrôle auquel le commissaire aux comptes doit procéder ; qu'il incombait aux intimés de réaliser des sondages; et que s'ils les avaient faits ou -puisqu'ils assurent y avoir procédé- s'ils les avaient correctement faits, ces sondages n'auraient pas manqué de leur révéler que la comptabilité tenue par l'expert-comptable ne l'était pas selon les normes d'engagement.

Tout chèque étant comptabilisé à une date autre que celle de son émission, ils n'auraient en effet pas manqué de le constater dès leurs premiers sondages et, poursuivant leur contrôle pour déterminer s'il s'agissait d'une erreur isolée, de constater alors que c'était le cas de tous les chèques émis par l'entreprise, étant ajouté qu'il entrait dans la mission du commissaire aux compte de consulter (cf point n°2 : pièce n°1), et dans ses pouvoirs de demander, les états de rapprochements bancaires.

Pour autant, la responsabilité des commissaires aux comptes recherchée par M. [D] suppose non seulement la preuve d'une faute, ici rapportée, mais également celle du lien de causalité entre cette faute et le préjudice invoqué.

Or l'appelant, qui indique lui-même (cf p.24 de ses conclusions) avoir été pendant près de dix ans investisseur au sein de la Caisse des Dépôts et Consignations sur d'importants projets industriels, ne peut prétendre avoir fondé essentiellement son appréciation de la situation de l'entreprise sur l'état des disponibilités/trésorerie arrêté au 31 août 2016 tel qu'il ressortait des comptes certifiés, et soutenir que l'écart de trésorerie négatif de 367.683,70 euros mis en lumière par le nouvel expert-comptable entre le solde créditeur certifié et le solde réel l'aurait induit en erreur sur l'aptitude de la société à

remonter des dividendes au profit de la holding permettant de rembourser les

emprunts à souscrire et à servir au dirigeant une rémunération, alors qu'il savait

parfaitement que la situation, la solvabilité, la santé, la rentabilité, d'une entreprise, s'apprécient de façon dynamique, au vu de ses derniers exercices et de données prévisionnelles, telles l'état du carnet de commandes et de la conjoncture, et en considération de toute une série de facteurs dont l'état arrêté de la trésorerie est loin d'être le seul, et le plus pertinent.

En outre, l'erreur de méthodologie non détectée par le commissaire aux comptes n'était pas de nature à masquer la situation financière réelle de la société Fora Marine, voire son prétendu quasi état de cessation des paiements tel qu'il est allégué, dès lors qu'ainsi que le font pertinemment valoir les intimés, les chèques émis mais non débités qui n'avaient pas été comptabilisés correspondaient pour la même somme à des dettes de l'entreprise inscrites au bilan, de sorte qu'une comptabilisation conforme aux normes eût entraîné la réduction dans les mêmes proportions du poste des dettes au bilan, lequel constitue également un élément d'appréciation de la situation de l'entreprise.

Ainsi, les comptes certifiés par la société @xiom Audit, s'ils n'étaient pas réguliers, étaient sincères, et ils donnaient une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé comme de la situation financière et du patrimoine de la société Fora Marine.

La faute commise par le commissaire aux comptes n'a pu fausser l'appréciation portée par M. [D] sur la situation de la société, laquelle n'était pas différente, qu'elle eût beaucoup de trésorerie disponible et beaucoup de dettes à payer, ou moins de trésorerie disponible mais moins de dettes en proportion.

De même, son appréciation de la valorisation de la société ne pouvait en être affectée, y compris au vu de ses grandes connaissances, compétence et expérience en la matière.

M [D] doit ainsi être regardé comme s'étant engagé pareillement s'il avait eu connaissance de l'erreur affectant les comptes de la SAS Fora Marine.

Aucune chance n'a été perdue de ne pas s'engager, ou de s'engager à d'autres conditions.

Il n'est ainsi pas démontré de lien de causalité entre la négligence du commissaire aux comptes dans l'accomplissement de sa mission et les préjudices tant financier que moral invoqués par [J] [D].

Le jugement déféré sera donc confirmé, et l'appelant débouté de tous ses chefs de prétentions.

M. [D] succombe en son recours et supportera les dépens d'appel.

L'équité justifie de ne pas mettre d'indemnité de procédure à sa charge en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

dans les limites de l'appel :

CONFIRME le jugement déféré

ajoutant :

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres ou contraires

CONDAMNE [J] [D] aux dépens d'appel

REJETTE les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile

ACCORDE à maître LUCAS-VIGNER, avocat, le bénéfice de la faculté prévue à l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/01618
Date de la décision : 14/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-14;21.01618 ?
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