R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
MINUTE N°2/2023
COUR D'APPEL DE POITIERS
N° RG : 21/00042
N° Portalis : DBV5-V-B7F-GKI5
REPARATION A RAISON D'UNE DETENTION
[K] [P]
Décision en premier ressort rendue publiquement le quatorze mars deux mille vingt trois, par Madame Isabelle LAUQUE, présidente de chambre, agissant sur délégation de Madame la première présidente de la cour d'appel de Poitiers, assistée lors des débats et du prononcé de la présente décision de Monsieur Damien LEYMONIS, greffier placé,
Après débats en audience publique le 24 janvier 2023 ;
Sur la requête en réparation de la détention fondée sur les articles 149 et suivants et R26 et suivants du code de procédure pénale présentée par :
REQUERANT :
Monsieur [K] [P]
né le [Date naissance 2] 1985 à [Localité 5] (86)
Elisant domicile au cabinet DENIZEAU GABORIT TAKHEDMIT & ASSOCIES
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Maître Lee TAKHEDMIT, de la SCP DENIZEAU GABORIT TAKHEDMIT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, substitué par Maître Alexandre BARBIER, avocat au barreau de POITIERS,
EN PRESENCE DE :
Monsieur l'agent judiciaire de l'Etat
Sous-direction du droit privé
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représenté par Maître Patrick ARZEL substitué par Maître Renaud BOUYSSI, avocat au barreau de Poitiers,
ET :
Monsieur le procureur général près la cour d'appel de Poitiers
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté par Madame Carole WOJTAS, substitute générale,
Dans le cadre d'une information judiciaire ouverte du chef de vols et tentatives de vols aggravés, de recels de vols aggravés et d'association de malfaiteurs, [K] [P] a été mis en examen et placé en détention provisoire du 8 mars au 21 juin 2016 puis libéré et placé sous contrôle judiciaire.
Il a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Poitiers des chefs de recel et de participation à une association de malfaiteurs.
Par jugement du 7 janvier 2021, le Tribunal correctionnel de Poitiers l'a renvoyé des fins de la poursuite.
Par requête reçue au greffe le 2 juillet 2021, Monsieur [K] [P] a saisi Madame la première présidente de la cour d'appel de Poitiers d'une demande d'indemnisation suite à la détention subie du 8 mars au 21 juin 2016.
Dans ses écritures, il demande à Madame la première présidente de la cour d'appel de Poitiers de lui allouer la somme de 18.819,84 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice soit 14.000 euros au titre de son préjudice moral et 4.819,84 euros au titre de la perte de revenus. Il sollicite enfin la somme de 2.000 euros au titre de sa défense pénale.
Il fait valoir que la détention l'a privé de son emploi de chauffeur-livreur durant toute la durée de sa détention et des salaires y afférents. Il réclame à ce titre 4 mois de salaire mensuel chiffré à 1.204,96 euros.
Par ailleurs il invoque le préjudice moral résultant de sa séparation durant cette période d'avec sa compagne et ses deux enfants.
Par conclusions reçues au greffe le 12 janvier 2022, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président d'allouer à Monsieur [K] [P] la somme de 7.000 euros constituant la juste réparation de son préjudice moral , la somme de 4.217,36 correspondant à la perte de ses salaires sur la période exacte de détention de 3 mois et 13 jours et enfin de ramener à de plus justes proportions la somme de 2.000 euros réclamée au titre de ses frais irrépétibles.
Il se réfère à la jurisprudence habituelle en la matière et au passé carcéral du requérant s'agissant de l'évaluation du préjudice moral.
Par conclusions reçues au greffe le 10 octobre 2022, le ministère public a conclu à la recevabilité de la requête et à la limitation de l'indemnisation du préjudice matériel et moral aux sommes de 5.000 euros au titre du préjudice moral, de 4.217,36 euros au titre du préjudice matériel. Il conclut enfin au rejet de la demande formée au titre de la défense pénale .
Il avance que le préjudice matériel doit être calculé sur la seule durée de détention. S'agissant du préjudice moral, il avance qu'il n'est pas justifié que [K] [P] est le père de l'enfant [Y] et que par ailleurs il a bénéficié de parloir très réguliers sur toute la période de détention.
A l'audience de la cour, le conseil de Monsieur [P], l'Agent Judiciaire de l'Etat et le ministère public ont développé oralement leurs conclusions écrites, le conseil de Monsieur [P], ayant eu la parole en dernier.
Le conseil de Monsieur [P] a versé aux débats ses bulletins de salaire d'août 2015 à janvier 2016 ainsi que la copie de son livret de famille.
MOTIFS DE LA DÉCISION
-Sur la recevabilité de la demande d'indemnisation :
Aux termes des articles 149 et 150 du code de procédure pénale, une indemnité est accordée, à sa demande, à la personne ayant fait l'objet d'une détention provisoire, au cours d'une procédure terminée à son égard, par une décision de non-lieu, de relaxe, ou d'acquittement devenue définitive ; cette indemnité est allouée en vue de réparer intégralement le préjudice personnel, matériel et moral, directement causé par la privation de liberté ;
Il ressort des pièces du dossier que la requête a été présentée dans le délai de l'article 149-2 du code de procédure pénale, que la décision de relaxe est définitive, le ministère public n'ayant pas interjeté appel contre le jugement du tribunal correctionnel de Poitiers du 7 janvier 2021 et que le requérant n'a pas été détenu pour autre cause ;
Ainsi la requête en indemnisation de la détention provisoire de Monsieur [K] [P] est recevable.
-Sur la demande indemnitaire :
Lors de son incarcération [K] [P] était âgé de 41 ans.
Il travaillait depuis janvier 2015 en qualité de chauffeur livreur pour la SARL [7] à [Localité 6] et il percevait un salaire net moyen qu'il chiffre à 1.204,96 euros.
Il justifie de son emploi et de ses revenus.
Sur le plan familial , il était en couple avec [O] [L]. Le couple avait un enfant commun [E] née en 2006 et il élevait l'enfant [Y] [L] née en 1986 d'une première union de Mme [L].
Le requérant avait déjà été condamné à 3 reprises avant son incarcération.
Il avait déjà été incarcéré pendant 4 mois en 2005 et avait exécuté une peine de 2 ans d'emprisonnement dont un an d'emprisonnement assorti d'un sursis avec mise à l'épreuve pendant deux ans prononcée par le tribunal correctionnel de Limoges le 5 février 2013, dans le cadre d'une mesure de semi liberté.
Le ministère public produit l'historique des parloirs accordés à la compagne et aux enfants du couple.
Le préjudice économique du requérant s'entend de la perte de ses salaires sur la seule période de détention.
[K] [P] justifie de la réalité de son emploi et du montant de ses salaires au moment de son incarcération.
Il y a lieu de faire droit à sa demande formée au titre de son préjudice économique à hauteur de la somme de 4.217,36 euros correspondant au prorata des salaires perdus sur la seule période de détention.
S'il convient de rappeler que toute détention injustifiée cause nécessairement à celui qui l'a subie un préjudice moral évident, son évaluation s'apprécie au regard de la situation personnelle de la personne.
Il s'agit d'une appréciation in concreto.
En l'espèce, [K] [P] a été incarcéré pendant 3 mois et 13 jours.
Durant cette période, sa compagne et les deux enfants du couple ont bénéficié de parloirs très réguliers. Dés lors, la détention n'a pas été de nature à couper le requérant de ses relations affectives.
Par ailleurs, il convient d'observer que la détention subie par [K] [P] n'était pas la première, le requérant ayant déjà été incarcéré une première fois en 2005 pendant plus de 4 mois puis une seconde fois sous le régime de la semi-liberté en 2013.
Dans ces conditions, la proposition d'indemnisation de l'Agent judiciaire de l'Etat, évaluée au regard de la jurisprudence habituelle, apparaît satisfactoire, [K] [P] ne justifiant pas d'élément de nature à justifier d'un préjudice exceptionnel au regard de sa situation personnelle et des conditions de sa détention.
En conséquence, la cour fixe le préjudice économique de [K] [P] à la somme de 4.217,36 euros et son préjudice moral à la somme de 7.000 euros.
Enfin, l'équité commande d'accorder à [K] [P] la somme de 1.000 € au titre de ses frais irrépétibles exposés dans le cadre de la présente instance.
PAR CES MOTIFS :
La présidente de chambre déléguée par Madame la première présidente, statuant contradictoirement et publiquement, par décision susceptible de recours devant la Commission Nationale de Réparation des Détentions,
Déclare recevable la requête en indemnisation présentée par [K] [P] ;
Alloue à [K] [P] les sommes de :
' 4.217,36 (quatre mille deux cent dix sept euros et trente six centimes) en réparation de son préjudice économique,
' 7.000 € (sept mille euros) en réparation de son préjudice moral,
' 1.000€ (mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rappelle l'exécution provisoire de droit qui s'attache à la présente décision ;
Laisse les dépens à la charge de l'Etat ;
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par la présidente et le greffier.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,
D. LEYMONIS I. LAUQUE