ARRÊT N° 100
N° RG 21/01888
N° Portalis DBV5-V-B7F-GJQW
[D]
C/
[U]
S.A. SMA
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 07 MARS 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 février 2021 rendu par le Tribunal Judiciaire des SABLES D'OLONNE
APPELANT :
Monsieur [O] [D]
né le 12 Août 1973 à [Localité 6] (79)
[Adresse 3]
ayant pour avocat postulant Me François-Hugues CIRIER de la SCP CIRIER ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
INTIMÉS :
Monsieur [K] [U]
né le 12 Septembre 1955 à [Localité 8] (18)
[Adresse 1]
Madame [Z] [U]
née le 12 Septembre 1956 à [Localité 8] (18)
[Adresse 2]
ayant tous deux pour avocat postulant Me Annabelle TEXIER de la SELARL CNTD, avocat au barreau des SABLES D'OLONNE
S.A. SMA
[Adresse 4]
[Localité 5]
ayant pour avocat postulant Me François MUSEREAU de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS
ayant pour avocat plaidant Me Pascal TESSIER, avocat au barreau de la ROCHE SUR YON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 05 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre
qui a présenté son rapport
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre
Madame Anne VERRIER, Conseiller
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT,
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*****
EXPOSÉ :
[K] [U] a confié en 2015 à [O] [D] des travaux de rénovation et d'extension d'une maison d'habitation dont il est propriétaire indivis avec sa soeur [Adresse 7] pour un prix convenu de 49.306,80 euros TTC.
M. [D] a émis des factures de travaux pour un total de 50.041,70 euros TTC compte-tenu de quelques plus-values en cours de chantier.
Ses factures de décembre 2015 restant impayées, il a mis en demeure son client de les régler.
Faute de versement, il a fait assigner M. [U] devant le tribunal de grande instance des Sables-d'Olonne par acte du 31 août 2016 pour l'entendre condamner à lui payer la somme principale de 15.203,30 euros TTC avec intérêts à compter du 29 décembre 2015 en sollicitant aussi le prononcé de la réception judiciaire de ses travaux.
À la requête du défendeur, qui arguait les travaux de malfaçons, le juge de la mise en état a ordonné le 13 juin 2017 une expertise en désignant pour y procéder M. [F], qui a déposé son rapport définitif le 16 juillet 2018.
[K] [U] a alors sollicité à titre reconventionnel la condamnation de M. [W] à lui verser en application des articles 1147 et 1792 et suivants du code civil la somme principale de 12.921,31 euros correspondant au coût de
reprise des désordres subsistant après compensation avec le solde des factures, ainsi que 3.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son trouble de jouissance et une indemnité pour frais irrépétibles.
Il a appelé en intervention forcée par acte du 25 février 2019 la SMABTP recherchée en qualité d'assureur décennal de l'entrepreneur, et les deux instances ont été jointes.
[Z] [U], soeur de [K] [U], est volontairement intervenue à l'instance.
Dans le dernier état de leurs prétentions, les consorts [U] demandaient au tribunal de fixer la réception tacite au 21 novembre 2015 ; de dire que la responsabilité décennale de l'entreprise [D] était engagée du
chef des désordres numérotés par l'expert judiciaire 1, 6 et 14 et sa responsabilité contractuelle pour ceux numérotés 2,3, 4, 8, 9, 10 et 12; de juger que le solde restant dû à l'entrepreneur s'élevait à 13.203,30 euros TTC ; que le coût de reprise des désordres affectant ses prestations s'élevait à 21.422 euros TTC ; et de condamner [O] [D], solidairement ou in solidum avec son assureur la SMA pour ce qui est des désordres décennaux - d'un montant de 6.700 euros TTC- à leur régler 12.921,31 euros TTC après compensation ainsi que 3.000 euros de dommages et intérêts pour trouble de jouissance. Ils formulaient subsidiairement les mêmes demandes envers la seule entreprise [D] sur le fondement de sa responsabilité contractuelle.
[O] [D] sollicitait le prononcé de la réception judiciaire de l'ouvrage au 21 décembre 2015 et la condamnation de [K] [U] à lui payer la somme, déduction faite des non-façons, de 10.500,69 euros au titre du solde du prix de ses travaux, sous réserve de la signature de l'attestation fiscale permettant de bénéficier de la TVA au taux de 10% ; il concluait à l'irrecevabilité des demandes en paiement dirigées à son encontre en objectant que la créance alléguée au titre de désordres étant antérieure à l'ouverture de sa propre procédure collective en redressement judiciaire, le 20 janvier 2016, elle se heurtait à l'arrêt des poursuites individuelles et nécessitait une déclaration de créance dont il n'était pas justifié.
La SMABTP et la SMA, intervenante volontaire, demandaient la mise hors de cause de la SMABTP, soulevaient l'irrecevabilité des demandes formulées au nom de Mme [U] sur le fondement de l'article 1792 du code civil et concluaient au rejet de ses autres demandes et de celles de [K] [U] au motif que la police d'assurance décennale ne pouvait être mobilisée, les travaux litigieux n'ayant jamais été réceptionnés, et devant l'être par voie de réception avec réserve s'il était prononcé une réception judiciaire à laquelle elles s'opposaient à titre principal. Elles concluaient subsidiairement à la limitation de la garantie au seuls désordres de nature décennale, pour 6.000 euros TTC, et invoquaient les franchises et limites de la police.
Par jugement du 9 février 2021, le tribunal entre-temps devenu tribunal judiciaire des Sables-d'Olonne a :
*constaté qu'[Z] [U] et la SMA étaient intervenues volontairement à l'instance
*constaté que la SMABTP avait renoncé à son moyen d'irrecevabilité dirigé contre [K] [U] sur le fondement de l'article 815-3 du code civil
*débouté la SMABTP de sa prétention à être mise hors de cause
*prononcé la réception judiciaire avec les réserves listées par l'expert judiciaire, à la date du 21 décembre 2015
En conséquence :
*ordonné la mise hors de cause de la SMA
*condamné [K] [U] à payer à [O] [D] 10.500,69 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2015 au titre du solde des travaux
*ordonné la capitalisation des intérêts échus, dus par année entière
*dit n'y avoir lieu d'assortir cette condamnation d'une réserve de signature d'attestation fiscale conditionnant un taux de TVA de 10%
*rejeté les fins de non-recevoir soulevées par M. [D] tirées du principe d'interdiction des poursuites individuelles posé par l'article L.622-21 du code de commerce, et du défaut de déclaration de créance et d'action en relevé de forclusion
*fixé la créance de M. [U] sur M. [D] au titre des travaux de reprise des désordres et de remise en état à la somme totale de 21.422 euros TTC, et en tant que de besoin condamné M. [D] à lui payer cette somme
*condamné M. [D] à lui payer 500 euros pour son préjudice de jouissance
*ordonné la compensation entre les créances respectives des parties
*débouté les parties de leurs autres demandes
*dit n'y avoir lieu à exécution provisoire
*condamné MM [U] et [D] chacun pour moitié aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu, en substance, que
-que les polices d'assurance n'étant pas produites, la SMABTP devait rester en cause
-qu'il n'y avait pas eu réception tacite, M. [U] ayant refusé de recevoir l'ouvrage
-que la réception judiciaire pouvait et devait être prononcée au 21 décembre 2015 où M. [U] avait pu prendre possession du garage, avec les réserves portant sur les désordres listés dans son courrier du 6 janvier 2016 à l'entrepreneur
-que la garantie décennale de la SMA n'était pas mobilisable en l'état de ces réserves
-que l'entrepreneur avait droit au solde du prix de ses prestations chiffré par l'expert
-qu'il pouvait sans nécessité d'une déclaration de créance être condamné à payer au maître de l'ouvrage le coût à dire d'expert des désordres affectant ses travaux, s'agissant d'une créance ayant son origine postérieurement à l'adoption du plan de redressement puisque n'ayant pu être connue au plus tôt qu'à la date du rapport d'expertise, et connexe.
[O] [D] a relevé appel le 18 juin 2021 en intimant les consorts [U] et la société SMA.
Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique
* le 7 mars 2022 par M. [D]
* le 28 juillet 2022 par la SMA
* le 1er avril 2022 pour les consorts [U].
[O] [D] sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a rejeté ses fins de non-recevoir tirées du principe d'interdiction des poursuites individuelles posé par l'article L.622-21 du code de commerce et du défaut de déclaration de créance et d'action en relevé de forclusion, en ce qu'il a fixé la créance de M. [U] à son encontre à la somme totale de 21.422 euros TTC, et l'a condamné en tant que de besoin au paiement de cette somme ; en ce qu'il l'a condamné à payer 500 euros de dommages et intérêts à M. [U] ; ordonné la compensation ; rejeté ses demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ; débouté de ses autres demandes ; et condamné à la moitié des dépens.
Il demande à la cour :
.de juger que la créance alléguée par les consorts [U] est née antérieurement au jugement d'ouverture de son redressement judiciaire
.de juger irrecevables les demandes des consorts [U] comme se heurtant à la fin de non-recevoir d'ordre public tirée de la règle de l'interdiction des poursuites individuelles
.de constater qu'en tout état de cause, les consorts [U] n'ont pas déclaré leur créance ni exercé une action en relevé de forclusion dans les délais légaux
.de juger que la créance qu'ils allèguent lui est donc inopposable pendant l'exécution de son plan de redressement par voie de continuation, et après cette exécution si les engagements énoncés dans le plan ou décidés par le tribunal ont été tenus, même par voie de compensation
.de débouter en conséquence les consorts [U] de toutes leurs demandes
.et de les condamner aux dépens et à 6.000 euros d'indemnité de procédure.
Il approuve le prononcé de la réception judiciaire à la date d'émission de sa dernière facture, en faisant valoir que l'ouvrage était en état d'être reçu et en soutenant que c'est M. [U] qui refusa de recevoir l'ouvrage alors qu'il était en état d'être habité.
Il maintient être en droit d'obtenir paiement du solde de ses travaux, pour 15.203,30euros.
Il soutient que les travaux étant terminés, et sa dernière facture émise, le 21 décembre 2015, un mois avant l'ouverture de son redressement judiciaire, à la date de laquelle aucune instance n'était en cours, l'action de M. [U] en paiement de sommes d'argent méconnaît le principe d'ordre public d'interdiction des poursuites individuelles et est irrecevable.
Il ajoute qu'elle l'est aussi du fait que M. [U] n'a pas déclaré au mandataire judiciaire la créance, antérieure à l'ouverture de la procédure collective, qu'il allègue, au titre de désordres dont il arguait dès le 7 janvier 2016, ni ne s'est fait ensuite relever de la forclusion encourue faute de l'avoir fait, et il récuse la motivation des premiers juges en soutenant que la créance se rapportant à un contrat d'entreprise antérieur au redressement judiciaire, et à de prétendus désordres affectant des travaux eux-mêmes antérieurs audit redressement, la créance pouvait et devait être déclarée.
Il objecte qu'en l'absence de déclaration de la créance invoquée à son encontre, aucune compensation ne peut opérer avec sa propre créance.
Il fait valoir que [K] [U] avait toute latitude pour demander à être relevé de forclusion afin de pouvoir déclarer sa créance dans le délai légal de six mois à compter du jour où il en avait eu connaissance édicté à l'article L.622-26 du code de commerce.
La société SMA demande à la cour de :
-dire que le chantier de M. [U] n'a jamais été réceptionné
-juger que les conditions d'une réception judiciaire ne sont pas remplies
-dire qu'en tout état de cause, une réception judiciaire ne pourrait être prononcée qu'avec réserves, en l'état des désordres qui avaient été recensés par le maître de l'ouvrage
En conséquence :
* À titre principal : d'infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la réception judiciaire au 21 décembre 2015, de débouter M. [D] et les consorts [U] de leur demande au titre de la réception judiciaire, et de la mettre hors de cause
* À titre subsidiaire : de confirmer le jugement en ce qu'il a assorti la réception judiciaire du 21 décembre 2015 de réserves, et de confirmer sa propre mise hors de cause
* À titre infiniment subsidiaire : de limiter à la somme de 6.000 euros TTC le montant mis à sa charge
* En tout état de cause, de dire qu'elle est fondée à opposer à son assuré les limites contractuelles et les franchises prévues au contrat
* de condamner [K] et [Z] [U] aux dépens et à lui verser 4.000 euros d'indemnité de procédure.
Elle soutient que l'ouvrage n'était pas en état d'être reçu, le clos et le couvert n'étant pas assurés à la date d'interruption du chantier, où il fallut protéger par des bâches les objets conservés à l'intérieur du garage.
Elle fait valoir que si une réception judiciaire est néanmoins prononcée, elle ne pourra l'être qu'avec des réserves, qui excluent la mobilisation de la garantie décennale, M. [U] ayant listé dans son courrier du 6 janvier 2016 tous les désordres ensuite retenus par l'expert judiciaire, lequel indique dans son rapport qu'ils étaient apparus au fur-et-à-mesure de la construction.
À titre très subsidiaire, elle indique ne couvrir que les désordres présentant une nature décennale, soit uniquement les infiltrations d'eau à l'intérieur du garage d'une part, et par les appuis des deux fenêtres d'autre part.
Les consorts [U] demandent à la cour de confirmer le rejet des fins de non-recevoir tirées par M. [D] des règles de la procédure collective, la reconnaissance de sa responsabilité décennale pour les désordres 1,6,7 et 14 et contractuelle pour les autres, la condamnation de [K] [U] à payer 10.500,69 euros , la fixation de sa créance à 21.422 euros, et la compensation ordonnée.
Formant appel incident, ils poursuivent l'infirmation du surplus et demandent à la cour de fixer la réception tacite de l'ouvrage au 21 novembre 2015, sollicitant subsidiairement la confirmation du prononcé d'une réception judiciaire au 21 décembre 2015.
Ils demandent à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a retenu des réserves à la réception.
En tout état de cause, ils sollicitent la condamnation de la SMA à garantir l'entreprise [D] au titre des désordres décennaux chiffrables à 6.700 euros TTC, et la condamnation solidaire de M. [D] et de la SMA à payer à M. [U] 3.000 euros en réparation de son préjudice de jouissance, et 7.200 euros d'indemnité de procédure.
Ils relatent les déconvenues ayant accompagné le chantier.
Ils disent accepter l'évaluation par l'expert du coût des travaux de reprise des désordres.
Ils estiment sous-évalué par le premier juge le préjudice de jouissance subi par [K] [U].
Ils soutiennent que M. [U] n'est pas soumis à la règle de suspension des poursuites individuelles en faisant valoir qu'il n'est pas à l'origine de poursuites, ayant été assigné en paiement du solde du marché ; que lorsqu'il a formulé ses demandes reconventionnelles, l'entrepreneur était redevenu maître de ses biens puisque son plan de redressement judiciaire par voie de continuation avait été adopté ; et que le paiement par compensation est expressément autorisé par l'article L.622-17 du code de commerce.
Ils contestent que la créance ait dû faire l'objet d'une déclaration, en soutenant qu'elle est née postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, son fait générateur résidant dans le dépôt du rapport d'expertise qui a seul permis
à M. [U] de connaître son droit à réparation. Ils observent que M. [D] n'a pas lui-même déclaré de dette à ce titre dans la déclaration qu'il a faite auprès du mandataire judiciaire quant à son passif.
Ils maintiennent qu'une réception tacite était bien intervenue, en faisant valoir qu'au 21 novembre, M. [U] avait pris possession de l'immeuble et réglé près de 75% du prix, et même plus que ce qu'il devait si l'on considère le coût à compenser de reprise des désordres.
Subsidiairement, ils approuvent le prononcé d'une réception judiciaire au 21 décembre 2015 en faisant valoir que [K] [U] avait pris possession du garage, lequel était utilisable, seuls manquant encore le portail et une fenêtre, et qui fut de fait utilisé.
Ils considèrent que la SMA ne peut être mise hors de cause alors qu'il est démontré que certains désordres, d'un coût de reprise de 6.700 euros, sont de nature décennale, et que le courrier du 6 janvier 2016 dont il est fait grand cas est postérieur à la prise de possession, ce qui montre que les désordres signalés furent découverts après coup. Ils affirment que les désordres qui pouvaient être visibles ne se sont révélés dans leur ampleur qu'ultérieurement, au cours du délai d'épreuve.
Ils soutiennent que la SMA ne peut opposer sa franchise au maître de l'ouvrage.
Ils contestent que la condamnation prononcée contre [K] [U] au paiement du solde soit assortie des intérêts à compter du 29 décembre 2015 et de l'anatocisme, alors qu'il était fondé à se prévaloir d'une exception d'inexécution.
L'ordonnance de clôture est en date du 3 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
SUR LA DEMANDE DE PRONONCÉ DE LA RÉCEPTION JUDICIAIRE
Selon l'article 1792-6 du code civil, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.
La réception judiciaire est envisagée lorsqu'aucune réception amiable n'est intervenue, et qu'une partie demande à la juridiction de la prononcer.
Elle est fixée au moment où l'ouvrage est en état d'être reçu, ce qui correspond pour un ouvrage destiné à l'habitation au moment où il est habitable, et pour un local annexe à celui où il est en état de servir conformément à sa destination.
L'achèvement de l'ouvrage n'est pas une condition nécessaire de la réception.
La circonstance que des travaux de reprise restent à exécuter ne fait pas obstacle au prononcé de la réception judiciaire, qui est alors prononcée avec les réserves qu'appellent les désordres nécessitant ces reprises (Cass. 3° civ. 25.03.2015 P n°14-12875).
Aucun procès-verbal de réception n'a été établi entre les consorts [U] et M. [D].
Les consorts [U] soutiennent qu'une réception tacite serait intervenue, selon eux au 21 novembre 2015, date du dernier règlement opéré, ou subsidiairement au 21 décembre 2015, date d'envoi par l'entrepreneur de la dernière facture pour solde du marché, en faisant valoir qu'à l'une ou l'autre de ces dates, M. [U] avait pris possession de l'extension construite par M. [D] et payé quasiment 75% des factures.
La réception suppose la volonté de recevoir l'ouvrage.
La conjonction d'une prise de possession et du paiement du prix et de la quasi intégralité du prix la fait présumer.
En l'espèce, M. [U] a réglé en tout et pour tout ainsi qu'il l'indique lui-même 34.474 euros sur un total de travaux facturés de 50.041,70 euros, soit non seulement pas l'intégralité ni la quasi intégralité du prix, mais pas non plus les 'presque 75%' dont il fait état, alors que ces règlements correspondent au total à 68% du prix soit à peine plus des deux tiers.
Il ne prouve pas avoir pris possession de l'ouvrage au 21 novembre 2015, étant relevé qu'il demeure dans le Berry, à des centaines de kilomètres de l'ouvrage litigieux, et qu'il ressort de ses propres écrits (sa pièce n°14) qu'il s'est rendu sur le chantier le 12 novembre pour voir l'avancement des travaux, puis en décembre 2015 après avoir reçu une facture du 7 décembre 'pour la régler et voir l'avancement des travaux', puis que mécontent de leur état, il a pris contact avec son assureur, convenu avec M. [D] d'un rendez-vous le 6 février 2016 'pour reprendre la totalité de l'étanchéité ainsi que la réfection de l'allée de garage', et que cette reprise n'a pas eu lieu, un organisme de recouvrement de créance ayant mis en demeure fin décembre 2015 M. [U] de payer le solde des factures, et celui-ci ayant fait dresser constat par un huissier de justice le 22 décembre des malfaçons et non-façons qu'il déplorait.
De plus, sa volonté de recevoir l'ouvrage est contredite par son refus de répondre favorablement au courrier du 21 décembre 2015 par lequel M. [D] lui proposait de laisser le chantier en l'état, de payer le solde des factures et de participer à une expertise organisée par l'assureur de l'entreprise à l'issue de laquelle les malfaçons seraient reprises s'il s'en révélait (cf pièces n°13 et 14 des intimés) et par son refus de donner suite à la 'proposition amiable de réception du chantier' émise après discussions le 11 mars 2016 par M. [D] (cf pièce n°19).
C'est ainsi à bon droit que le tribunal a retenu l'absence de réception tacite de l'ouvrage.
C'est également à raison qu'il a prononcé sa réception judiciaire.
Une telle réception judiciaire est, en effet, demandée par l'une des parties, au sens de l'article 1792-6, en l'occurrence M. [D].
Et contrairement à ce que soutient la compagnie SMA, l'ouvrage était en état d'être reçu à la date retenue du 21 décembre 2015.
Si les travaux n'étaient certes pas entièrement terminés, il a été dit que l'achèvement de l'immeuble n'est pas une condition de sa réception, laquelle requiert qu'il soit en état d'être reçu, or les travaux objet du marché litigieux consistent en l'édification d'un mur de clôture, d'une terrasse du côté de l'habitation existante, et d'un garage avec cave adjoint à la maison existante, ainsi qu'une allée en béton pour relier le garage à l'entrée sur rue.
Or il ressort des productions -notamment constat du 22 décembre 2015- et du rapport d'expertise judiciaire, que le mur de clôture était monté, que la terrasse était réalisée y compris avec pose des dalles -dont le technicien consigne qu'elles
sonnent creux-, et que l'extension garage/cave était réalisée, les marches de l'escalier de la cave étant simplement tachées de résidus d'enduit de mortier et le garage n'ayant pas de porte et restant à recevoir une ouverture dans sa toiture.
Cette absence de porte du garage, lequel est situé dans une propriété close par un mur et un portail, n'empêchait pas d'en user selon sa fonction, qui est d'abriter un ou plusieurs véhicules et accessoirement quelques outils ou matériels et ce, quand bien même l'expertise judiciaire a montré que de l'eau peut pénétrer
sur le sol du garage en cas de fortes précipitations en raison d'un défaut de pente de l'allée en béton et de seuil à l'entrée, ce qui se borne selon l'expert à empêcher de stocker des cartons sur le sol du garage (cf rapport p.19).
De même, l'absence de réalisation de l'ouverture prévue sur le toit n'empêche pas d'utiliser le garage.
L'expert judiciaire note dans son rapport définitif (page 15) sans que cette indication ait été contredite, que 'M. [U] a pris possession du garage en décembre 2015'.
La réception judiciaire a donc été fixée à raison au 21 décembre 2015.
Elle a été pertinemment prononcée par le tribunal avec des réserves correspondant aux malfaçons et non-façons relevées par l'expert judiciaire [M] [F] dans son rapport définitif du 16 juillet 2018, le premier juge ayant retenu à bon droit, ainsi qu'il ressort du rapprochement de ces deux pièces, que ces désordres correspondaient en tous points à ceux que M. [K] [U] avait constatés à cette date et qu'il a décrits dans sa lettre du 6 janvier 2016, la situation du chantier, arrêté, étant restée la même entre ces deux dates.
Ce chef de décision sera ainsi confirmé.
SUR LA DEMANDE DE M. [D] EN PAIEMENT DU SOLDE DE SES FACTURES
[O] [D] a réclamé paiement à [K] [U] du solde resté impayé de ses factures, pour 10.569 euros TTC.
Cette somme correspond à la différence entre le montant du marché, à savoir 50.041,70 euros TTC, et le total des règlements avérés du maître de l'ouvrage s'élevant à 34.474 euros, soit 15.203,30 euros, après déduction des postes facturés mais dont l'expert a retenu sans contestation des parties qu'ils n'avaient pas été réalisés soit 4.702,61 euros au total.
Le tribunal a condamné [K] [U] au paiement de cette somme de 10.569 euros réclamée par le maçon, en ne retenant pas l'affirmation du maître de l'ouvrage selon laquelle les parties se seraient accordées sur une moins-value de 2.000 euros.
[O] [D] sollicite la confirmation de ce chef de décision.
[K] [U], qui ne reprend plus devant la cour son objection, en sollicite également la confirmation.
Ce chef de décision du jugement ne fait donc l'objet d'aucun appel, principal ni incident, et ne peut qu'être confirmé.
Il le sera également en ce qu'il a assorti cette somme d'intérêts, et accordé à M. [D] le bénéfice de la capitalisation des intérêts, laquelle est de droit lorsqu'elle est demandée en justice.
SUR LES DEMANDES DE M. [U] EN CONDAMNATION DE M. [D] À LUI PAYER LE COÛT DE REPRISE DES DÉSORDRES ET EN COMPENSATION ENTRE LES CRÉANCES RÉCIPROQUES
Le tribunal de commerce de La-Roche-sur-Yon a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de [O] [D] par jugement du 20 janvier 2016 (sa pièce n°11).
À compter du jugement d'ouverture de la procédure collective, l'article L.622-7-I du code de commerce interdit le paiement de toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, ou de toutes créances postérieures non utiles, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes.
Sont, notamment, connexes des créances dérivant de l'exécution ou de l'inexécution du même contrat, telle la créance du solde du prix de travaux invoquée par l'entreprise en procédure collective et la créance de dommages et intérêts invoquée par le maître de l'ouvrage en raison de désordres, malfaçons, non-façons affectant l'ouvrage exécuté par l'entreprise (cf Cass. com. 28.10.2008 P n°07-17301)
Il résulte dudit article L.622-7-I que lorsqu'un cocontractant défaillant a été mis en procédure collective, la créance née avant le jugement d'ouverture, de l'exécution défectueuse ou tardive des prestations convenues ne peut se compenser avec le prix des prestations dû par son cocontractant qu'à la condition que ce dernier ait déclaré cette créance de dommages et intérêts au passif de la procédure collective (cf Cass. Com. 20.10.2021 P n°20-13829 ou 09.12.2020 P n°19-18128).
Il est constant aux débats que M. [U] n'a pas déclaré de créance indemnitaire au passif du redressement judiciaire de M. [D].
Il y était pourtant tenu, contrairement à ce dont dont il a convaincu le premier juge, le critère de la nécessité d'une déclaration de créance étant celui de l'antériorité au jugement d'ouverture de son fait générateur, qui est ici l'exécution des travaux litigieux, nécessairement intervenue avant la date d'interruption définitive du chantier et donc avant la mi-décembre 2015.
Il est ainsi inopérant, pour M. [U], de faire valoir qu'il n'aurait découvert les désordres dans toute leurs ampleur et conséquences qu'après le jugement d'ouverture, grâce au rapport déposé par l'expert judiciaire, étant superfétatoirement ajouté qu'il ressort des productions que ce rapport ne lui a rien révélé qu'il ne sût déjà, l'expert concluant sans être contredit en réponse à la question portant sur la date d'apparition des désordres qu'ils étaient 'apparus au fur et à mesure de la construction' (cf rapport p.14) et M. [U] ayant déjà dénoncé de façon circonstanciée dans son courrier du 6 janvier 2016, antérieur à l'ouverture du redressement judiciaire, l'ensemble des désordres, malfaçons et non-façons décrits et retenus par l'expert judiciaire en 2018, dont il mesurait déjà, pour chacun, les manifestations et conséquences, de sorte qu'il pouvait, et devait, déclarer auprès du mandataire judiciaire dans le délai de la loi -voire, passé ce délai, à charge de se faire relever de la forclusion encourue- la créance qu'il entendait invoquer au titre du coût de reprise de ces désordres, en l'évaluant lui-même ou en tant que de besoin avec l'aide de tout conseil, le plan de redressement par voie de continuation entre-temps adopté par la juridiction consulaire pouvant parfaitement en ce cas intégrer une créance ainsi déclarée, même si elle était contestée en son montant voire en son principe, dans l'attente que la contestation fût tranchée.
La demande de condamnation au paiement d'une somme d'argent formulée par [K] [U] contre [O] [D] au titre du coût de reprise des désordres et au titre de l'indemnisation d'un préjudice de jouissance est ainsi irrecevable.
Sa demande tendant à voir prononcer la compensation entre cette créance et celle détenue par le maçon à son encontre au titre du solde du prix du marché ne peut donc qu'être rejetée.
Le jugement sera ainsi infirmé en ce qu'il a prononcé condamnation à l'encontre de M. [D] et ordonné la compensation entre créances réciproques.
SUR LES DEMANDES DIRIGÉES PAR M. [U] CONTRE LA COMPAGNIE SMA
La SMA assure M. [D] au titre de sa responsabilité décennale.
Celle-ci porte sur les désordres révélés après la réception, or les désordres invoqués par M. [U] étaient tous apparents à la date à laquelle la réception a été fixée ; l'expert judiciaire retient qu'ils étaient apparus au fur et à mesure de la construction ; et alors que le chantier était définitivement arrêté, ils ont été objectivés par un constat d'huissier du 22 décembre 2015 et décrits et dénoncés par le maître de l'ouvrage dans sa lettre du 6 janvier 2016.
La garantie décennale de la SMA n'est ainsi pas mobilisable, et le jugement sera confirmé de ce chef, sauf à dire non pas que la SMA est hors de cause mais que M. [U] doit être débouté des demandes qu'il formule envers cet assureur.
SUR LES DÉPENS ET L'APPLICATION DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
M. [U] est condamné au paiement du solde du marché et succombe en toutes ses demandes contre M. [D] et contre la SMA.
Il supportera en conséquence les dépens de première instance, incluant les dépens de référé et le coût de l'expertise judiciaire, et les dépens d'appel.
L'équité justifie de ne mettre aucune indemnité de procédure à sa charge.
PAR CES MOTIFS :
la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
CONFIRME le jugement en ce qu'il constate les interventions volontaires à l'instance, en ce qu'il déboute la SMABTP de sa mise hors de cause, en ce qu'il prononce la réception judiciaire à la date du 21 décembre 2015 avec les réserves listées dans son rapport par l'expert judiciaire [M] [F], en ce qu'il condamne [K] [U] à payer à [O] [D] la somme de 10.500,69 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2015 et capitalisation des intérêts, en ce qu'il dit n'y avoir lieu d'assortir cette condamnation d'une réserve de signature d'attestation fiscale conditionnant un taux de TVA de 10% et en ce qu'il rejette les demandes d'indemnité formes au titre de l'article 700 du code de procédure civile
L'INFIRME pour le surplus
statuant à nouveau des chefs infirmés :
DÉCLARE [K] [U] irrecevable en ses demandes en paiement dirigées contre [O] [D] faute de déclaration à la procédure collective de la créance qu'il invoque
REJETTE sa demande de compensation
DÉBOUTE [K] [U] de ses demandes dirigées contre la société SMA
REJETTE toute demande autre ou contraire
CONDAMNE [K] [U] aux dépens de première instance, incluant les dépens de référé et le coût de l'expertise judiciaire, et aux dépens d'appel
DIT n'y avoir lieu à indemnité de procédure en cause d'appel
ACCORDE à la SCP Cirier & associés et à la Selarl Jurica, avocats, le bénéfice de la faculté prévue à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,