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02/03/2023 | FRANCE | N°21/00050

France | France, Cour d'appel de Poitiers, Chambre sociale, 02 mars 2023, 21/00050


VC/PR































ARRET N° 98



N° RG 21/00050



N° Portalis DBV5-V-B7F-GFEB













CRCAM DE LA TOURAINE ET DU POITOU



C/



[J]





















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre sociale



ARRÊT DU 02 MARS 2023

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Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 novembre 2020 rendu par le Conseil de Prud'hommes de POITIERS





APPELANTE :



CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA TOURAINE ET DU POITOU

N° SIRET : 399 780 097

[Adresse 2]

[Localité 3]



Ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au...

VC/PR

ARRET N° 98

N° RG 21/00050

N° Portalis DBV5-V-B7F-GFEB

CRCAM DE LA TOURAINE ET DU POITOU

C/

[J]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre sociale

ARRÊT DU 02 MARS 2023

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 novembre 2020 rendu par le Conseil de Prud'hommes de POITIERS

APPELANTE :

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LA TOURAINE ET DU POITOU

N° SIRET : 399 780 097

[Adresse 2]

[Localité 3]

Ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS

Ayant pour avocat plaidant Me Anne-Sophie MEYZONNADE de la SCP FROMONT-BRIENS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Madame [N] [J]

née le 18 novembre 1980 à [Localité 11] (74)

[Adresse 1]

[Localité 4]

Ayant pour avocat Me Sylvie MARTIN de la SELARL SYLVIE MARTIN, avocat au barreau de POITIERS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 13 décembre 2022, en audience publique, devant :

Madame Valérie COLLET, Conseiller

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Valérie COLLET, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIÈRE

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant contrat de travail à durée indéterminée, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Touraine et du Poitou (ci-après désignée la CRCAM de la Touraine et du Poitou) a engagé Mme [N] [J] à compter du 25 octobre 2004 en qualité d'assistante commerciale au sein de l'agence de [Localité 10].

A partir du 3 octobre 2006, Mme [J] a occupé les fonctions de conseillère commerciale et a été affectée à compter du 17 avril 2012 au sein de l'agence de [Localité 7] dirigée par M. [MK] [M].

Mme [J] a été placée en arrêt maladie du 3 au 8 novembre 2015 puis du 17 au 22 novembre 2015 puis du 25 novembre au 19 décembre 2015 et enfin à compter du 2 février 2016.

Par jugement du 11 mai 2016, le tribunal correctionnel de Poitiers, a condamné M. [E] [X], collègue de travail de Mme [J], affecté à l'agence de [Localité 6], dans le cadre d'une comparution immédiate, à une peine de 3 ans d'emprisonnement dont 2 ans avec sursis et mise à l'épreuve pendant 3 ans, avec maintien en détention, pour avoir :

- du 15 septembre 2015 au 15 avril 2016, étant l'actuel ou l'ancien conjoint, concubin ou partenaire lié par un PACS de [N] [J], harcelé cette personne par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale en l'espèce en la suivant à son insu de façon répétée, en espionnant ses déplacements, en lui adressant de façon répétée des messages téléphoniques et des courriels, en pénétrant à son domicile, en endommageant son véhicule, ayant entraîné une ITT inférieure à 8 jours,

- le 14 avril 2016, soustrait frauduleusement en l'espèce une bombe de mousse expansive appartenant à Madame [J],

- courant octobre 2015 jusqu'au 14 avril 2016, effectué des envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques en vue de troubler la tranquillité de M. [XG] [W],

- courant octobre 2015 jusqu'au 14 avril 2016, effectué des envois réitérés de messages malveillants émis par la voie des communications électroniques en l'espèce en collectant et en traitant de façon informatique les données relatives aux déplacements de Mme [N] [J] au moyen d'un traceur GPS et d'un logiciel d'application,

- du 15 octobre 2015 au 10 décembre 2015, exercé volontairement et avec préméditation des violences, commis sur Mme [J] ayant entraîné une ITT de plus de 8 jours, en l'espèce 21 jours,

- du 15 octobre 2015 au 10 décembre 2015, envoyé des messages malveillants émis par la voie des communications électroniques en l'espèce l'envoi de messages électroniques et de SMS.

Le tribunal correctionnel a également déclaré recevable la constitution de partie civile de Mme [J] et a condamné M. [X] à lui payer la somme de 3.017,61 euros en réparation du préjudice matériel et la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral.

A sa sortie de détention, M. [X] a été réintégré par la CRCAM de la Touraine et du Poitou dans ses fonctions mais a été muté au sein de l'agence de [Localité 8].

Le 7 août 2018, le médecin du travail a déclaré Mme [J] inapte à son poste de travail.

Le 1er octobre 2018, la CRCAM de la Touraine et du Poitou a notifié à Mme [J] son licenciement pour inaptitude non professionnelle et impossibilité de reclassement.

Estimant que son inaptitude avait pour origine le harcèlement moral dont elle a été victime et un manquement de son employeur à son obligation de sécurité, Mme [J] a saisi le 10 septembre 2019 le conseil de prud'hommes de Poitiers afin de voir dire que son licenciement était nul et subsidiairement dépourvu de cause réelle et sérieuse et obtenir le paiement de diverses indemnités.

Par jugement du 5 novembre 2020, le conseil de prud'hommes a :

- constaté que Mme [J] avait été victime de harcèlement moral,

- condamné la CRCAM de la Touraine et du Poitou à payer à Mme [J] la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- constaté que la CRCAM de la Touraine et du Poitou avait manqué à son obligation de sécurité,

- condamné la CRCAM de la Touraine et du Poitou à payer à Mme [J] la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- dit que le licenciement de Mme [J] est nul,

- condamné la CRCAM de la Touraine et du Poitou à payer à Mme [J] la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- condamné la CRCAM de la Touraine et du Poitou à payer à Mme [J] la somme de 4.891,98 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 489,19 euros au titre des congés payés afférents,

- condamné la CRCAM de la Touraine et du Poitou à payer à Mme [J] la somme de 22.572,79 euros au titre du complément d'indemnité de licenciement,

- ordonné à la CRCAM de la Touraine et du Poitou de remettre à Mme [J] le bulletin de paie, l'attestation Pôle Emploi et le certificat de travail rectifiés, tenant compte de la période de préavis, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à partir du 4ème mois suivant la notification du jugement,

- dit qu'il se réservait le droit de liquider l'astreinte,

- rappelé que l'exécution provisoire était de droit,

- condamné la CRCAM de la Touraine et du Poitou à payer à Mme [J] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Le 6 janvier 2021, la CRCAM de la Touraine et du Poitou a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.

Par conclusions notifiées le 30 septembre 2021, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits et des moyens, la CRCAM de la Touraine et du Poitou demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de débouter Mme [J] de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui payer à la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Elle conteste toute complicité dans le harcèlement moral dont Mme [J] a été victime de la part de M. [X]. Elle affirme que les faits invoqués par Mme [J] relèvent exclusivement de la sphère privée pour avoir été commis en dehors du lieu de travail, pour n'avoir aucun rapport avec son activité professionnelle, ajoutant que les troubles ressentis par Mme [J] sont liés à la présence répétée de M. [X] aux abords de son domicile soit hors contexte professionnel. Elle déclare que les faits évoqués par Mme [J] ont été commis pour l'essentiel, en dehors du lieu de travail de M. [X] et en dehors des horaires de travail de ce dernier. Elle insiste sur le fait qu'elle ne peut être considérée comme complice de M. [X] pour la seule raison qu'il aurait utilisé les moyens de l'entreprise pour des agissements d'ordre privé. Elle affirme avoir pris les mesures nécessaires pour éviter que les agissements privés du salarié concerné ne puissent affecter les conditions de travail de Mme [J] et fait observer que le médecin du travail ne l'a jamais interpellée sur cette question. Elle en conclut qu'il n'existe aucun fait de harcèlement subi au sein de l'entreprise et souligne que Mme [J] ne justifie pas du préjudice allégué. Elle précise que le licenciement de Mme [J] ne trouve pas son origine dans les agissements de M. [X].

Elle prétend par ailleurs avoir satisfait à son obligation de sécurité en prenant toutes les mesures adéquates pour protéger Mme [J] dès l'alerte du 16 octobre 2015 ainsi qu'au retour de M. [X] après son arrêt maladie le 29 janvier 2016 et enfin à sa sortie de détention, en le mutant dans une agence à 50km de son ancien lieu de travail. Elle affirme qu'elle n'était pas en droit de prendre une sanction disciplinaire contre M. [X] en l'absence d'éléments probants et de trouble caractérisé au sein de l'entreprise. Elle indique enfin que l'origine de l'inaptitude de Mme [J] est non professionnelle de sorte que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.

Par conclusions notifiées le 30 juin 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits et des moyens, Mme [J] demande à la cour de :

- à titre principal, confirmer le jugement attaqué,

- à titre subsidiaire, de déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la CRCAM de la Touraine et du Poitou à lui payer les sommes :

* 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 4.891,98 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 489,19 euros brut au titre des congés payés afférents,

* 22.572,79 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement,

- à titre infiniment subsidiaire, condamner la CRCAM de la Touraine et du Poitou à lui payer les sommes de :

* 4.891,98 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 489,19 euros brut au titre des congés payés afférents,

* 22.572,79 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement,

- en tout état de cause, condamner la CRCAM de la Touraine et du Poitou à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel outre les dépens d'appel.

Elle fait valoir qu'elle a été victime de harcèlement moral de la part de M. [X], avec lequel elle a entretenu une relation de mai à septembre 2015. Elle soutient que M. [X] a utilisé les moyens mis à disposition par l'entreprise, boîte mail professionnelle et base de données, pour commettre des agissements répétés à son encontre ayant entraîné une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé. Elle considère que la CRCAM de la Touraine et du Poitou, pourtant informée du comportement de M. [X], s'est rendue complice en ce qu'elle n'a pas pris les mesures nécessaires pour éviter que les agissements de M. [X] ne lui portent atteinte.

Elle considère que son employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne sanctionnant pas M. [X] qui a usé des outils de l'entreprise pour des actes de harcèlement, en ne répondant pas à ses alertes et en réintégrant M. [X] à sa sortie de prison, insistant sur le fait que la mutation du salarié n'a pas empêché ce dernier de continuer à l'épier.

Elle affirme que c'est l'attitude de son employeur en se rendant complice de harcèlement moral qui a conduit à ce qu'elle soit déclarée inapte pour en conclure que son licenciement est entaché de nullité. Subsidiairement, elle prétend que c'est le manquement de son employeur à son obligation de sécurité qui a généré son inaptitude de sorte que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 septembre 2022 et l'affaire fixée à l'audience du 12 octobre 2022 lors de laquelle elle a été renvoyée à l'audience du 13 décembre 2022. Puis l'affaire a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe à la date du 2 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes de Mme [J] au titre du harcèlement moral

1. Il résulte de l'article L. 1154-1 du code du travail que, dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement (ou, depuis l'entrée en vigueur de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement), il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En vertu des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral (ou si le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement) au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail qui précise que 'Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [J] soutient qu'elle a été victime de harcèlement moral de la part d'un autre salarié de l'entreprise, M. [X] avec lequel elle avait entretenu une relation affective, et que par son inertie, la CRCAM de la Touraine et du Poitou s'est rendue complice de ce harcèlement moral. Elle explique que les agissements de M. [X] ont été commis aux lieu et temps de travail de ce dernier, précisant qu'elle a subi les faits suivants :

1°) le 16 octobre 2015 au matin, M. [X] lui a, depuis sa boîte mail professionnelle, transféré sur sa boîte mail professionnelle, un échange de mails qu'il a eu avec une autre salariée de la CRCAM de la Touraine et du Poitou dans lequel il l'insulte. Le 16 octobre 2015 dans l'après midi, elle s'est aperçue que M. [X] utilisait les moyens de l'entreprise pour espionner ses comptes bancaires. Elle a avisé son directeur d'agence, M. [M] du fait que M. [X] se servait des moyens de l'entreprise pour surveiller ses comptes et l'insulter auprès d'une collègue via sa boîte mail professionnelle. Elle a également avisé M. [O], directeur de l'agence de [Localité 6] qui a reçu M. [X] pour lui rappeler les règles déontologiques et l'usage des outils de communication professionnelle. Ce rendez-vous n'a entraîné aucune modification du comportement de M. [X] qui l'a menacée de révéler des informations personnelles à des connaissances professionnelles et personnelles. M. [X] a continué à se servir des moyens de l'entreprise pour obtenir les coordonnées de connaissances et a commencé à la harceler dans sa vie personnelle. Elle a demandé de l'aide le 5 novembre 2015 à Mme [Z], membre du service audit ressources humaines, en lui demandant d'intervenir.

Mme [J] produit :

- le mail du vendredi 16 octobre 2015 à 10h15 que M. [X] lui a adressé sur son adresse professionnelle en lui indiquant :

' je m'excuse pour tout le mal que je t'ai fait. Pour l'ensemble de mes propos, pour mon comportement, pour la personne que je suis. Tu sais pertinemment à quel point je souffre de cette situation. J'ai toujours été sincère avec toi et malgré ce que tu penses, oui je te croyais car je ne me serais pas autant investi si j'avais eu des doutes sur ce que tu me disais. [B] m'a réellement dit les saletés sur toi l'autre jour avec les propos que je t'ai relayé. Soit heureuse car moi je ne le serai plus jamais. Je craque. Tu m'as blessé depuis des jours avec tes propos, tu m'as blessé hier soir, tu représentait vrt plus que tu ne le penses. Mes lettres étaient au combien sincères et je te faisais une confiance telle. Tu es une fille bien. Changes pas de Cap. Bonne continuation à toi. Ma tristesse restera inconsolable. J'ai envi de partir',

et en lui transférant un échange de mails qu'il avait eu avec Mme [B] [S], collègue de travail de l'agence [Localité 6], entre le 15 et le 16 octobre 2015, faisant apparaître que M. [X] tout en s'épanchant, de manière très ambivalente, sur ses relations avec Mme [J] a pu insulter cette dernière en déclarant 'c'est typiquement le genre de personnes que j'aime pas. En gros une salope.'

- le mail du 29 janvier 2016 qu'elle a envoyé à M. [M] en lui transmettant l'ensemble des mails reçus de M. [X] le 16 octobre 2015 et lui en précisant 'je te laisses lire avant...',

- un mail du 16 octobre 2015 à 17h23 qu'elle a reçu de M. [X] faisant état d'un échange avec lui le même jour dont il ressort que M. [X] dit '[T] est remboursée' ce à quoi Mme [J] répond : 'Je ne sais pas de quel droit tu te permets de regarder mon compte lorsque tu reçois le remboursement que tu m'as demandé le matin même mais saches que la prochaine fois, je fais remonter ça plus haut',

- un mail du 16 octobre 2015 à 18h21 que M. [O] lui a envoyé pour lui indiquer qu'il venait d'avoir un entretien avec M. [X] afin de lui rappeler les règles de déontologie et l'usage des outils de communication personnelle ainsi que les conséquences encourues par son comportement, M. [O] demandant en outre à Mme [J] de le tenir informé si le comportement de M. [X] perdurait,

- un mail qu'elle a adressé le 5 novembre 2015 à M. [P] [U], dans lequel elle rappelle que M. [X] a consulté son compte courant à plusieurs reprises ce dont il lui avait part 'fin 2014, puis en juillet 2015 et récemment en octobre 2015', qu'il y a eu un échange de mails avec la messagerie interne et une autre collègue à son sujet dans lequel il l'a insultée, qu'elle a demandé à son directeur d'agence de faire un rappel de déontologie le 16 octobre 2015, que 'cependant, les agissements de Monsieur [X] en dehors du contexte professionnel sont allés beaucoup trop loin, j'ai appelé la protection juridique le 2/11/2015 qui m'a conseillé d'aller porter plainte. J'ai donc à cette même date, un dépôt de plainte à son encontre pour atteinte à la vie privée, dans lequel ses visites sur mon compte et ses insultes à mon égard ont été stipulées. Sur cet aspect interne à l'entreprise le commissariat ne peut pas intervenir, voilà donc l'objet de mon mail. L'intervention de [XH] le 16 octobre 2015 aura je l'espère été suffisante pour calmer ses excès de curiosité, cependant devant l'ampleur de la situation je me vois contrainte d'aller au bout de ma démarche. Je suis en arrêt depuis le 3/11/2015 jusqu'au 8/11/2015. Je peux si nécessaire, vous faire parvenir les links et le mail que j'ai conservés.'

Ces éléments suffisent à établir que :

- le 16 octobre 2015, M. [X] a utilisé sa boîte mail professionnelle pour envoyer à Mme [J] sur son émail professionnel, un échange insultant qu'il avait eu à son égard avec une autre collègue de travail,

- le même jour, un rappel déontologique a été fait à M. [X] par son directeur d'agence,

- Mme [J] a informé sa hiérarchie du comportement de M. [X] à son égard en mettant l'accent sur 'les agissements de M. [X] en dehors du contexte professionnel' justifiant sa plainte pénale.

2°) le 15 novembre 2015, M. [X] a récupéré dans les bases de données de l'entreprise les coordonnées de Mme [ME] qui était une de ses clientes et amie pour lui dire qu'elle aurait une liaison avec son mari. M. [X] a également envoyé un message à Mme [K] pour lui dire qu'elle (Mme [J]) avait une liaison avec son compagnon, M. [F], tous deux clients de la CRCAM de la Touraine et du Poitou. M. [X] avait pour unique objectif de lui nuire en tentant de porter le discrédit sur le professionnalisme dont elle a toujours su faire preuve. La CRCAM de la Touraine et du Poitou en avait connaissance mais aucune mesure n'a été prise. Les 17 et 28 novembre 2015, M. [X] a de nouveau récupéré les données clients dans les bases de données de l'entreprise pour leur envoyer par sms son adresse et prétendre qu'elle entretenait des liaisons avec leur mari.

Mme [J] produit :

- une capture d'écran de téléphone portable dans lequel figurent trois SMS avec '[D]' , le premier indiquant 'Salut [D], j'espère que tu vas bien. Désolée de te déranger un dimanche avec ça, mais as-tu reçu un autre message '', le deuxième daté du 15 novembre 2015 mentionnant 'VOUS AVEZ RECU 1 SMS ENVOYE depuis internet, la personne attend votre REPONSE. Pour lire le SMS et REPONDRE, cliquez ici : http://www.01sms.com/1447510930.html', et le troisième précisant 'j'ai reçu ça quand j'ai cliqué sur le lien sa dit '[A] à un plan cul que tu connais',

- une capture d'écran de téléphone portable dans lequel figurent plusieurs messages avec 'Le Tordu', où il est évoqué Mme [J] le 17 novembre 2015 et son adresse personnelle et plusieurs autres messages du 28 novembre 2015 avec une référence à '[N]'.

Mme [J] produit encore un mail du 17 novembre 2015, envoyé par M. [M] à M. [O] et M. [H] dans lequel il leur adresse le mail qu'il envisageait d'envoyer à 'l'audit+RH' ainsi rédigé :

'Je reviens vers vous concernant les agissements de [E] [X] ainsi que les conséquences qui en découlent : [N] [J] est à nouveau en arrêt maladie pour toute la semaine ;

Les principaux faits :

Consultations des comptes de [N] par [E] [Y] Jusqu'au 16/10/2015

à partir de cette date, [XH] [O] a reçu [E] pour un entretien de recadrage et un rappel de déontologie.

[N] : dépôt de plainte le 2/11 auprès du commissariat pour atteinte à la vie privée, insultes et consultations des comptes

Consécutivement, arrêt de travail de [N] du 3 au 8/11 avec Itt de 2 jours.

5/11, information auprès de l'audit et du RGA

[...]

14/11, [E] envoie un message à une cliente (coordonnées récupérées dans nos bases) pour dénoncer une relation entre [N] et son concubin (Mme [D] [ME] et M. [A] [R]) ainsi qu'à Mme [K] [V] et M. [F] [I] (Neveu du conseiller départemental)

16/11 dépôt de plainte pour harcèlement moral

17/11 arrêt maladie jusqu'au 22/11 dont 2 jours d'Itt.

[N] vit très mal cette situation, d'harcèlement, de difamation et d'intrusion dans sa vie privée. Il nous faut rapidement endiguer ce phénomène qui crée de grosses perturbations à l'intérieur de nos agences.'

Ces éléments suffisent à établir que M. [X] a pu consulter les comptes bancaires de Mme [J] et qu'il a utilisé les bases de données professionnelles pour en faire une utilisation inappropriée dans la sphère privée en mettant en cause Mme [J]. Il est également établi que la CRCAM de la Touraine et du Poitou était parfaitement informée du comportement de M. [X].

3°) M. [X] a également récupéré les coordonnées de ses collègues pour les contacter par téléphone en invoquant des informations personnelles et intimes sur elle. La CRCAM de la Touraine et du Poitou a fait preuve de passivité.

Mme [J] produit :

- l'attestation de M. [XG] [W], collègue de travail, datée du 24 novembre 2015, qui explique que :

* depuis la fin du mois de septembre 2015, il a reçu un grand nombre de SMS de la part de M. [X] contenant des 'informations personnelles et intimes sur Mlle [J]',

* Mme [J] vit dans la crainte et l'angoisse du fait de l'omniprésence de M. [X] devant ou aux alentours de chez elle,

* Mme [J] a pu constater à plusieurs endroits dans la ville de [Localité 4] que ses essuis glace étaient relevés,

- l'attestation de Mme [T] [G], collègue et amie de Mme [J], qui expose que :

* cette dernière et M. [X] ont eu une relation de quelques mois s'étant achevée en septembre 2015,

* 'cette histoire est avant tout une histoire de couple',

* avoir constaté l'inquiétude grandissante de Mme [J] face aux comportements de M. [X] qui était 'présent devant son domicile très souvent, grand nombre de sms ou mails',

* M. [X] l'a également contactée en lui parlant de la vie privée de Mme [J].

Ces éléments établissent que M. [X] a eu un comportement inadapté à l'égard de Mme [J] dans le cadre de la sphère privée et que les contacts qu'il a pris avec M. [W] et Mme [G] ont eu lieu en dehors de la sphère professionnelle, le seul fait que ces deux personnes soient également des collègues de travail ne permettant pas eux seuls de retenir que les agissements de M. [X] auraient eu lieu dans un contexte professionnel.

4°) A partir du mois de novembre 2015, M. [X] a utilisé son adresse professionnelle pour l'inscrire à des newsletters auprès de sites internet à connotations pornographies ou dégradants. Elle en a averti sa direction mais aucune action n'a été entreprise pour faire cesser ces messages intempestifs. M. [X] l'a suivie dans ses déplacements et l'a harcelée en lui signifiant sa connaissance de ses faits et gestes au moyen de mails adressés directement sur sa boîte mail.

Mme [J] produit des mails qu'elle a reçus sur son mail professionnel, les 24 et 25 novembre 2015, provenant de sites internet, à caractère sexuel ainsi que le mail de transmission à son supérieur hiérarchique.

Cependant, ces éléments ne permettent pas eux seuls d'affirmer, dans le cadre de la présente instance, que M. [X] serait à l'origine de la réception de tels courriels par Mme [J].

Cette dernière produit par ailleurs un mail que M. [X] lui aurait adressé, sous le pseudonyme 'toncda86', le 25 novembre 2015 à 8h20, sur sa boîte professionnelle, en lui indiquant 't'auras mis du temps à jeter..'. Ce seul courriel, à supposer qu'il émane effectivement de M. [X] et de sa boîte mail personnelle, ne permet pas de retenir que le 25 novembre 2015, M. [X] a suivi Mme [J] lorsqu'elle serait allée déposer des affaires de M. [X] à Emmaüs vers 8h du matin.

5°) En janvier 2016, M. [X] s'est servi de son accès aux agendas professionnels et aux dates de réunions et formations collectives programmées pour connaître tous ses déplacements. Alors que M. [X] était en arrêt maladie, il est venu l'observer pendant une réunion le 21 janvier 2016 et a retourné son rétroviseur pour lui signifier la connaissance de ses moindres déplacements. Elle a signalé cet événement à M. [M] mais l'entreprise n'a pris aucune mesure pour la protéger. Un entretien de recadrage a eu lieu sur l'usage des outils professionnels mais a été totalement insuffisant. Elle a transmis, le 30 janvier 2016, à M. [M] les plaintes qu'elle avait déposées contre M. [X]. Le 7 mars 2016, elle a de nouveau écrit à ses supérieurs pour leur rappeler les agissements de M. [X] et leur demander d'intervenir pour faire cesser ses agissements.

Mme [J] produit :

- le mail qu'elle a adressé le 30 janvier 2016 à M. [M] en lui indiquant que 'lors de la réunion annuelle de [Localité 5], du 21/01/2016, M. [X] s'est déplacé ce jour là, pendant son arrêt de travail, pour m'observé et retourné mon rétro comme à son habitude (signe de son passage et maintien de la tension). La mesure d'éloignement va être demandée par mon avocate au cours de l'audience',

- le mail de réponse de M. [M], deux minutes plus tard : 'j'en prend note et fais suivre',

Cependant ces deux mails ne permettent pas, à eux-seuls, d'établir avec certitude que M. [X] est bien à l'origine du fait que lui impute Mme [J] le 21 janvier 2016.

Mme [J] produit encore pour corroborer le surplus de ces allégations :

- le mail de Mme [XK], animatrice d'agence de [Localité 9], du 12 janvier 2016 indiquant à plusieurs salariés de cette agence : 'si vous avez un collègue de l'agence de [Localité 6] se nommant [E] [X] merci de ne donner aucun renseignement concernant des plannings d'agenda, de coordonnées personnelles de collègue...il est en arrêt et habitant de [Localité 9] donc s'il se présente, venez me voir',

- le mail du 30 janvier 2016 dans lequel a adressé à M. [M] la copie de ses dépôts de plainte contre M. [X],

- le mail du 7 mars 2016 qu'elle a envoyé, depuis son adresse personnelle, à M. [U] et M. [M], en leur communiquant l'avis à victime et la date d'audience pénale tout en les invitant à apporter une réponse disciplinaire au comportement dont M. [X] a fait preuve et plus précisément pour avoir consulté ses comptes bancaires, consulté son agenda professionnel, importuné des clients.

6°) L'inertie de la CRCAM de la Touraine et du Poitou l'a contrainte à agir contre M. [X] devant les instances pénales. Seules la détention provisoire puis la peine d'emprisonnement ont mis un terme aux agissements de M. [X]. Aucune sanction disciplinaire n'a été prononcée contre M. [X].

Mme [J] produit pour établir ce fait le jugement du tribunal correctionnel du 11 mai 2016 ayant condamné M. [X] notamment pour des faits de harcèlement moral à son encontre, mentionnant un mandat de dépôt le 20 avril 2016 et prononçant le maintien en détention.

7°) l'ensemble de ces agissements a détérioré ses conditions de travail, a porté atteinte à ses droits, à sa dignité, à sa santé physique ou mentale ou à son avenir professionnel.

Mme [J] produit l'ensemble de ses arrêts de travail à partir de novembre 2015, certains mentionnant 'anxiété-crises d'angoisses'. Son médecin traitant a établi un certificat médical le 29 avril 2016, rappelant l'ensemble des arrêts de travail de Mme [J] en indiquant la suivre pour 'un état réactionnel à une situation éprouvante.' Le 18 avril 2016, ce même médecin a indiqué que Mme [J] présentait 'des insomnies, une perte d'appétit, des crises d'angoisses répétées, une inhibition des activités psychique et physique' mentionnant une ITT de 3 jours.

Mme [J] produit également :

- l'attestation de Mme [L] [G], psychologue, établie le 21 novembre 2015 qui explique avoir reçu en consultation le fils de Mme [J] qui présentait des signes d'anxiété, en lien selon Mme [J], avec les agissements dont elle était victime de 'la part de la personne dont elle s'est séparée il y a deux mois', et qui indique que cet enfant est inquiet car l'homme rôde autour de la maison,

- l'attestation de Mme [L] [G], psychologue, établie le 30 mars 2016 qui explique avoir reçu en consultation l'autre fils de Mme [J] qui présentait des signes d'anxiété, en lien selon Mme [J], avec les agissements dont elle était victime de 'la part de la personne dont elle s'est séparée il y a quelques mois', et qui indique que cet enfant est en colère car cet homme rôde quotidiennement autour de leur maison et s'introduit dans leur espace privé,

- sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle dont la décision de refus par la CPAM a été contestée devant le tribunal,

- l'avis d'inaptitude du 7 août 2018 émis par la médecine du travail,

- le certificat médical du Docteur [CM], psychiatre, du 26 avril 2017 indiquant avoir reçu Mme [J] lors de 12 consultations puisque cette dernière 'a présenté un Etat dépressif majeur dans le cadre, selon ses dires, d'une souffrance morale due au 'harcèlement moral' d'un collègue de travail et ex-compagnon qui restait très amoureux de la patiente. La patiente disait redouter la sortie de prison de son ex-compagnon qui, selon ses dires, continuait à la 'harceler' par courriers. Compte tenu du contexte un retour au travail dans les mêmes conditions et surtout en présence de ce collègue paraissait contre-indiqué',

- un certificat médical établi le 25 janvier 2018 par le Docteur [C], psychiatre, attestant suivre régulièrement Mme [J] depuis le 9 mars 2017.

Il ressort de tous ces éléments que tous les faits présentés par Mme [J] ne sont pas établis et que ceux qui le sont, même pris dans leur ensemble, ne laissent pas présumer une situation de harcèlement moral dont l'employeur serait l'auteur.

En effet, il doit être rappelé que si M. [X] a effectivement été condamné par le tribunal correctionnel pour harcèlement moral, l'infraction qui a été retenue est celle prévue par l'article 222-33-2-1 du code pénal à savoir le harcèlement sur concubin ou ex-concubin ayant pour effet de dégrader les conditions de vie, ce qui diffère de l'infraction prévue par l'article 222-33-2 du code pénal qui réprime le harcèlement moral au travail. M. [X] n'a donc pas été condamné pour des faits de harcèlement moral altérant les conditions de travail de Mme [J], la lecture de la qualification pénale détaillée ne faisant d'ailleurs apparaître aucune notion professionnelle.

En outre, il est inopérant pour Mme [J] de soutenir que la CRCAM de la Touraine et du Poitou s'est rendue 'complice' de harcèlement moral dès lors que cette notion n'a aucune existence juridique en droit du travail et que l'employeur n'a fait l'objet d'aucune poursuite pénale de ce chef. A cet égard, il est rappelé que le fait pour l'employeur de ne pas prendre les mesures nécessaires pour prévenir et faire cesser un comportement inadapté et pour protéger la sécurité de ses salariés ne se confond pas avec le harcèlement moral dont un autre auteur a fait preuve dans le cadre de la sphère privée.

De même, le seul fait que M. [X] ait été le collègue de travail de Mme [J] et qu'il ait pu occasionnellement user et détourner ses outils de travail au détriment de Mme [J], ne suffit pas pour considérer qu'il a agi dans le cadre professionnel, dès lors que cet usage n'avait aucun objectif professionnel. Bien au contraire, la plupart des agissements répétés de M. [X] ont été commis dans le cadre de la sphère privée, dans un contexte de séparation de couple non acceptée par M. [X]. Certains faits ont de plus été commis alors qu'il était en arrêt de travail et/ou depuis son téléphone portable ou ordinateur personnel. Enfin, à supposer qu'il ait suivi Mme [J] comme elle le prétend dans la présente instance, cet agissement relevait de la sphère privée et non professionnelle.

Par conséquent, Mme [J] doit être déboutée de ses demandes au titre du harcèlement moral et plus précisément de sa demande de dommages et intérêts, de sa demande de nullité de son licenciement, de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul et d'infirmer le jugement entrepris sur tous ces points.

Sur les demandes indemnitaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

1. Il est constant que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité qui serait à l'origine de l'inaptitude du salarié, a pour conséquence de rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte de l'article L.4121-1 du code du travail et de l'article L. 4121-2 du même code est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l'article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle. L'obligation de prévention du harcèlement moral est ainsi une déclinaison de l'obligation de sécurité, résultant pour l'employeur des articles L.4121-1 et L.4121-2 du code du travail.

Ainsi, l'absence de harcèlement moral n'est pas de nature à exclure, en présence d'une souffrance morale en lien avec le travail, tout manquement de l'employeur à son obligation de sécurité , de sorte qu'il appartient à l'employeur de prendre des mesures de nature à prévenir mais également pour faire cesser ces agissements. L'employeur peut s'exonérer de sa responsabilité s'il démontre qu'il a pris toutes les mesures de préventions et toutes les mesures de nature à faire cesser le harcèlement moral dénoncé.

En l'espèce, il résulte des énonciations précédentes de l'arrêt que l'employeur de Mme [J] n'ignorait pas les agissements dont elle était victime de la part de M. [X], Mme [J] ayant régulièrement avisé la CRCAM de la Touraine et du Poitou de ses difficultés. Ainsi, elle a informé son employeur de ce qu'elle avait été victime d'insultes de la part de M. [X], de la consultation de ses comptes bancaires par M. [X], de l'envoi de messages de M. [X] à des clients, des plaintes déposées. La CRCAM de la Touraine et du Poitou avait également connaissance du fait que Mme [J] vivait 'très mal cette situation' et qu'il fallait 'rapidement endiguer ce phénomène qui crée de grosses perturbations à l'intérieur de nos agences' (pièce 7 de Mme [J]).

Il n'est pas contesté que dès le 16 octobre 2015, l'employeur a procédé auprès de M. [X] à un rappel des règles déontologiques et de l'usage de communication professionnelle. Cette première réaction était ainsi adaptée aux premiers faits dénoncés par Mme [J]. Si la CRCAM de la Touraine et du Poitou ne démontre pas qu'une enquête interne a réellement été menée du 5 novembre 2015 au 16 janvier 2016 comme elle prétend, elle justifie toutefois :

- des arrêts de travail de M. [X] du 17 novembre au 21 novembre 2015 puis du 1er décembre au 16 janvier 2016, pendant lesquels elle ne pouvait procéder à aucun entretien avec le salarié,

- par des échanges de mail entre les directeurs d'agences et M. [U], que la CRCAM de la Touraine et du Poitou a évoqué la situation en tenant compte de 'la fragilité psychologique de [E] [X]' et que M. [X] a été convoqué après sa reprise du travail le 29 janvier 2016, entretien au cours duquel un nouveau rappel de l'usage des outils professionnels a été réalisé.

La CRCAM de la Touraine et du Poitou produit enfin un mail du 12 avril 2016 par lequel le responsable du groupe d'agences, M. [H], a demandé à M. [U] d'effectuer des contrôles pour s'assurer de la réalité des engagements pris par M. [X].

La CRCAM de la Touraine et du Poitou n'a donc pas fait preuve d'une totale inertie face aux difficultés que rencontrait Mme [J] dans sa sphère privée en menant deux entretiens avec M. [X] pour lui rappeler ses obligations professionnelles. L'employeur n'a toutefois pas satisfait à son obligation de prévention des risques en ne prenant pas les mesures adaptées à la sortie de détention de M. [X] et alors même que Mme [J] n'avait pas été déclarée inapte par le médecin du travail. Il s'avère en effet que la seule mesure prise par la CRCAM de la Touraine et du Poitou a été de réintégrer M. [X] dans un poste similaire, situé certes à 50km, mais en lui permettant d'avoir accès à tous les outils professionnels qui lui avaient permis de harceler Mme [J] dans la sphère privée. La CRCAM de la Touraine et du Poitou ne justifie d'aucune autre mesure, d'aucune restriction de M. [X] dans ses accès professionnels, d'aucune mise en garde ou rappel des obligations du salarié postérieurs à sa réintégration. Or, Mme [J] avait rappelé, par l'intermédiaire de son avocat, le 1er avril 2017 à son employeur les faits dont elle avait été victime de la part de M. [X], en attirant son attention sur le fait que ce dernier était sorti de prison et qu'il lui était difficilement concevable de reprendre son activité professionnelle si M. [X] travaillait toujours pour le même employeur. Il n'est pas contesté que la CRCAM de la Touraine et du Poitou n'a pas souhaité prendre d'autre mesure de prévention du risque que le seul éloignement géographique de M. [X]. La cour observe toutefois qu'un fait tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier une mesure disciplinaire allant jusqu'au licenciement s'il se rattache à la vie de l'entreprise ou à la vie professionnelle. Ainsi, c'est tout à fait vainement que la CRCAM de la Touraine et du Poitou se retranche derrière le fait que M. [X] a été condamné pour un fait relevant de sa vie personnelle alors que certains des faits ont été commis en utilisant des moyens mis à sa disposition dans le cadre professionnel au préjudice de son ex-compagne qui était également salariée du même employeur. Il appartenait dès lors à la CRCAM de la Touraine et du Poitou de prendre les mesures adaptées pour permettre à sa salariée, Mme [J], de reprendre son travail à l'issue de son arrêt de travail dans des conditions de sécurité que ne permettaient pas la réintégration de M. [X] dans un poste similaire éloigné de quelques dizaines de kilomètres. La CRCAM de la Touraine et du Poitou a donc manqué à son obligation de sécurité ce qui a causé un préjudice moral indéniable à Mme [J] qui a vu son employeur favoriser M. [X] en le réintégrant à son détriment. Il convient toutefois de minorer le montant alloué par les premiers juges qui est excessif au regard du préjudice réellement subi et de condamner la CRCAM de la Touraine et du Poitou à payer à Mme [J] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts. Le jugement est donc infirmé s'agissant du quantum des dommages et intérêts accordés.

2. Contrairement à ce que soutient la CRCAM de la Touraine et du Poitou, l'inaptitude de Mme [J] a pour origine le manquement de son employeur à son obligation de sécurité puisqu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour lui permettre de reprendre son emploi de sorte que le licenciement de Mme [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il s'ensuit que l'employeur ne pouvait ignorer l'origine professionnelle au moins partielle de la maladie ayant abouti à l'inaptitude de Mme [J].

Selon l'article L.1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié ayant une ancienneté de 13 ans survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge lui octroie une indemnité comprise entre 3 et 11,5 mois de salaire. Il est constant que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse mise à la charge de l'employeur ne peut excéder, au regard de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et au montant de son salaire brut , le montant maximal fixé par ce texte exprimé en mois de salaire brut (Soc., 15 décembre 2021, pourvoi n° 20-18.782).

Au regard de l'ancienneté de la salariée, de son âge au jour de son licenciement (37 ans), du montant de son salaire brut mensuel et de sa capacité à retrouver un emploi, il est justifié de lui allouer une somme de 20.000 euros de nature à réparer le préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi, étant précisé que Mme [J] indique dans ses écritures avoir retrouvé un emploi sans toutefois justifier de la réalité de cet emploi, de sa date et du montant de son salaire. La CRCAM de la Touraine et du Poitou est en conséquence condamnée à payer cette somme à titre de dommages et intérêts à Mme [J].

3. Mme [J] sollicite le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis ainsi que les congés payés afférents sur le fondement de l'article L.1226-14 du code du travail.

Cet article dispose que « la rupture du code du travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 (...) ».

Il est toutefois constant que l'indemnité compensatrice de l'article L. 1226-14 du code du travail n'a pas la nature d'une indemnité de préavis de sorte qu'elle n'ouvre pas droit l'indemnité compensatrice de congés payés.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement ayant condamné la CRCAM de la Touraine et du Poitou à payer à Mme [J] la somme de 4.891,98 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis (2 mois de salaire brut) mais de débouter Mme [J] de sa demande au titre des congés payés afférents, le jugement étant infirmer sur ce point.

4. Selon l'article L.1226-14 du code du travail, en cas de licenciement pour inaptitude consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle et impossibilité de reclassement, le salarié peut prétendre à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9.

Il résulte de ces dispositions que si les dispositions conventionnelles fixent, en matière de licenciement pour motif personnel, une indemnité plus favorable que l'indemnité légale de licenciement prévu par l'article L.1234-9 du code du travail, le salarié licencié pour inaptitude résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ne peut, en l'absence de dispositions conventionnelles le prévoyant, bénéficier d'une indemnité spéciale correspondant au double de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

En l'espèce, l'employeur indique avoir versé à Mme [J] une indemnité conventionnelle de licenciement d'un montant de 22.572,79 euros brut, ce que la salariée reconnaît dans ses écritures en page 42 et en page 44. Mme [J] ne justifie d'aucune disposition conventionnelle prévoyant qu'en cas d'inaptitude, elle pourrait bénéficier d'une indemnité spéciale correspondant au double de l'indemnité conventionnelle de licenciement. En outre, l'employeur justifie que le montant qu'il a versé au titre de l'indemnité conventionnelle était plus favorable que le double du montant de l'indemnité légale de licenciement (pièce 16 de la CRCAM). Dès lors, la cour rejette la demande de Mme [J] et infirme le jugement entrepris de ce chef.

5. Selon l'article L.1235-4 du code du travail dans sa version applicable :

'Dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.'

Le licenciement de Mme [J] ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu à l'application de l'article L.1235-4 du Code du travail. En conséquence la cour ordonne le remboursement par la CRCAM de la Touraine et du Poitou aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Mme [J], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.

Sur la demande de communication des documents de fin de contrat sous astreinte

Il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné à l'employeur de remettre à Mme [J] le bulletin de paie, l'attestation Pôle Emploi et le certificat de travail rectifiés tenant compte de la période de préavis, sans toutefois qu'il soit nécessaire à ce stade d'assortir cette condamnation d'une astreinte, le jugement étant infirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

Compte tenu de la solution du litige et du fait que la CRCAM de la Touraine et du Poitou succombe au moins partiellement, il y a lieu de lui faire supporter les dépens d'appel s'ajoutant à ceux de première instance. S'il était équitable de condamner en première instance l'employeur à payer à Mme [J] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, il n'apparaît pas inéquitable à hauteur d'appel de débouter les parties de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement rendu le 5 novembre 2020 par le conseil de prud'hommes de Poitiers en ce qu'il a :

- constaté que Mme [J] avait été victime de harcèlement moral,

- condamné la CRCAM de la Touraine et du Poitou à payer à Mme [J] la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- condamné la CRCAM de la Touraine et du Poitou à payer à Mme [J] la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- dit que le licenciement de Mme [J] est nul,

- condamné la CRCAM de la Touraine et du Poitou à payer à Mme [J] la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- condamné la CRCAM de la Touraine et du Poitou à payer à Mme [J] la somme de 22.572,79 euros au titre du complément d'indemnité de licenciement,

- condamné la CRCAM de la Touraine et du Poitou à payer à Mme [J] la somme 489,19 euros au titre des congés payés sur préavis,

- ordonné à la CRCAM de la Touraine et du Poitou de remettre à Mme [J] le bulletin de paie, l'attestation Pôle Emploi et le certificat de travail rectifiés, tenant compte de la période de préavis, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à partir du 4ème mois suivant la notification du jugement,

- décidé de se réserver le droit de liquider l'astreinte,

Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions,

Statuant à nouveau sur les chefs du jugement infirmés,

- Déboute Mme [N] [J] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- Déboute Mme [N] [J] de sa demande de nullité de son licenciement,

- Déboute Mme [N] [J] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Touraine et du Poitou à payer à Mme [N] [J] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- Déclare le licenciement de Mme [N] [J] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Touraine et du Poitou à payer à Mme [N] [J] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Déboute Mme [N] [J] de sa demande au titre du complément d'indemnité de licenciement,

- Déboute Mme [N] [J] de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

- Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Touraine et du Poitou à remettre à Mme [N] [J] un bulletin de paie, l'attestation Pôle Emploi et le certificat de travail rectifiés, tenant compte de la période de préavis,

- Déboute Mme [N] [J] de sa demande d'astreinte,

Y ajoutant,

- Ordonne le remboursement par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Touraine et du Poitou aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Mme [N] [J], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage

- Déboute la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Touraine et du Poitou et Mme [N] [J] de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel,

- Condamne la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de Touraine et du Poitou aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00050
Date de la décision : 02/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-02;21.00050 ?
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