PC/LD
ARRET N° 91
N° RG 20/02071
N° Portalis DBV5-V-B7E-GCSY
CPAM DE LA HAUTE-VIENNE
C/
Société [5]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 02 MARS 2023
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 septembre 2020 rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de LIMOGES
APPELANTE :
CPAM DE LA HAUTE-VIENNE
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Mme [X] [T], munie d'un pouvoir
INTIMÉE :
Société [5]
[Adresse 6]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Philippe BODIN de la SELARL ACSIAL AVOCATS, avocat au barreau de RENNES, substitué par Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, les parties ou leurs conseils ne s'y étant pas opposés, l'affaire a été débattue le 12 Décembre 2022, en audience publique, devant :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président qui a présenté son rapport
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Valérie COLLET, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 15 octobre 2015, la société [5] a établi une déclaration au titre d'un accident du travail dont l'une de ses salariés, Mme [E], agent de service, a été victime le 12 octobre 2015, dans des circonstances ainsi décrites : En réalisant les prestations de nettoyage des caisses, l'agent de service se serait abaissée pour ramasser un papier à terre. Elle aurait ressenti à ce moment-là une douleur dans le dos mais elle a tout de même continué ses prestations jusqu'au jeudi 15 octobre 2015.
Le certificat médical initial du 15 octobre 2015 faisait état d'un 'lumbago' et mentionne un date de première constatation au 15 octobre 2015.
L'employeur adressait à la caisse le 15 octobre 2015 une lettre de réserves (pièce 2 de l'organisme social) ainsi rédigée : Les réserves... portent sur la survenance au temps et au lieu de travail de cet accident.
En effet, aucune lésion corporelle n'a été constatée le 12 octobre 2015. Par ailleurs, nous précisons que Mme [E] a été en mesure de poursuivre son travail du lundi 12 octobre au jeudi 15 octobre matin, sans difficulté apparente et sans aucune manifestation d'une douleur à ce niveau.
De plus l'accident a été déclaré tardivement et la 1ère constatation médicale a été établie au 15 octobre 2015 alors que notre salariée nous a déclaré un accident du travail en date du 12 octobre 2015... Il s'ensuit que les lésions ne sont pas survenues dans un temps proche et ne doivent pas être rattachées à l'accident. Au regard de cette situation, nous considérons qu'il ne peut s'agir d'un accident du travail.
Par LRAR du 31 décembre 2015, la CPAM de Haute-Vienne a notifié à l'employeur sa décision de prise en charge de l'accident du 12 octobre 2015 au titre de la législation sur les risques professionnels.
Par décision du 26 avril 2016, la commission de recours amiable de la caisse a rejeté la contestation de l'employeur, lequel a saisi, par LRAR du 11 juillet 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Haute-Vienne.
L'état de santé Mme [E] a été déclaré consolidé au 2 juillet 2017.
Par jugement du 3 septembre 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Limoges a :
- annulé la décision de la commission de recours amiable de la CPAM de la Haute-Vienne du 26 avril 2016, notifiée à la S.A.S. [5] le 23 mai 2016,
- déclaré inopposable à la S.A.S. [5] la décision de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident déclaré par Mme [E],
- débouté la CPAM de Haute-Vienne de l'intégralité de ses demandes,
- condamné la CPAM de Haute-Vienne aux dépens.
Au soutien de sa décision, le tribunal a considéré en substance :
- que le dossier constitué par les services administratifs de la caisse doit comprendre, au titre des éléments médicaux relatifs à la victime qui doivent être mis à la disposition de l'employeur et doivent permettre à celui-ci, non destinataire des éléments du diagnostic, d'être suffisamment informé sur les conditions dans lesquelles la décision de prise en charge est intervenue, les divers certificats médicaux ainsi que l'avis du médecin-conseil,
- que l'absence, non contestée, de communication de ce dernier avis vicie la procédure d'instruction et fait nécessairement grief à l'employeur.
La CPAM de Haute-Vienne a interjeté appel de cette décision par LRAR du 25 septembre 2020.
L'affaire, initialement fixée à l'audience du 24 mai 2022, a été renvoyée à l'audience du 12 décembre 2012 à laquelle les parties ont développé oralement leurs conclusions déposées le 29 juillet 2022 (CPAM de Haute-Vienne) et le 24 mai 2022 (S.A.S. [5]).
La CPAM de Haute-Vienne demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau :
- de déclarer opposable à la S.A.S. [5] la décision de prise en charge de l'accident survenu le 12 octobre 2015 à Mme [E] au titre de la législation professionnelle,
- de déclarer opposables à la S.A.S. [5] les soins et arrêts de travail prescrits à Mme [E] consécutivement à l'accident du travail du 12 octobre 2015,
- de condamner la S.A.S. [5] aux dépens.
Elle soutient pour l'essentiel :
1 - sur la régularité de la procédure d'instruction :
- qu'elle n'avait aucune obligation de solliciter l'avis du médecin conseil avant de prendre une décision sur le caractère professionnel de l'accident, l'article R442-1 alinéa 1er du code de la sécurité sociale lui en offrant simplement la faculté mais ne lui en imposant pas l'obligation,
- que l'article R441-13 du code de la sécurité sociale ne subordonne pas la prise en charge d'un accident au titre de la législation professionnelle à l'avis du médecin conseil et que les articles D461-1 et suivants du code de la sécurité sociale ne concernent que les maladies professionnelles,
-qu'en l'espèce, elle n'a pas sollicité l'avis du médecin conseil au regard des éléments suffisants dont elle disposait pour se prononcer et qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir communiqué un élément qui ne figurait pas au dossier prévu par l'article R411-13 du code de la sécurité sociale et qui ne fait pas partie des pièces obligatoires énumérées par cet texte,
2 - sur la matérialité même de l'accident :
- qu'elle ne peut être contestée au regard de l'enquête administrative qui a établi que la salariée a avisé son chef d'équipe de la survenance d'un fait accidentel au 12 octobre 2015,
- que les lésions décrites dans le certificat médical initial sont compatibles avec le fait accidentel,
3 - sur la prise en charge des soins et arrêts de travail :
- qu'elle justifie de l'identité de l'affection et du siège des lésions ainsi que de la continuité des soins et arrêts de travail prescrits permettant la mise en oeuvre de la présomption d'imputabilité,
- que l'employeur n'apporte aucun élément de nature à combattre efficacement cette présomption, arguant d'un état antérieur dont il ne rapporte pas la preuve et qui serait, en toute hypothèse, sans incidence dès lors que l'accident aurait seulement précipité son évolution ou son aggravation, le propre médecin consultant de l'employeur précisant lui-même que le fait accidentel peut avoir
provoqué des phénomènes lombalgiques se majorant dans le temps justifiant un arrêt de travail,
- que la prétendue bénignité des lésions initialement constatées et la rupture dans la continuité de la cause médicale ne font pas obstacle à la présomption d'imputabilité.
La S.A.S. [5] demande à la cour :
- à titre principal, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il lui a déclaré inopposable la décision de prise en charge de l'accident déclaré par Mme [E] le 12 octobre 2015,
- subsidiairement, de lui déclarer inopposable l'ensemble des arrêts de travail postérieurs au 30 janvier 2016,
- très subsidiairement, sur le fondement de l'article 145 du C.P.C., d'ordonner une expertise médicale sur pièces avec mission précisée dans le dispositif de ses conclusions.
Elle soutient, pour l'essentiel :
1 - Sur l'inopposabilité de la décision de prise en charge de l'accident :
- sur l'absence d'avis du médecin-conseil, au visa des articles R441-13 et D461-1 et suivants du code de la sécurité sociale :
$gt; qu'en l'espèce, l'avis du médecin conseil n'a pas été sollicité et que cette absence de consultation du service médical justifie l'inopposabilité de la décision de prise en charge,
$gt; que les services administratifs de la caisse ont émis un avis sur l'imputabilité des lésions présentées à l'accident déclaré alors qu'ils n'avaient aucune compétence pour trancher en présence d'un événement dont la survenance au temps et lieu du travail n'était pas établie (discordance de dates trois jours) du fait accidentel entre la déclaration d'accident du travail et le certificat médical initial nécessitant à l'évidence un avis médical qui devait figurer au dossier constitué par la caisse,
$gt; qu'elle avait émis des réserves sur le caractère professionnel de l'accident déclaré mettant en doute le rattachement des lésions constatées à l'accident déclaré compte-tenu notamment d'une constatation médicale tardive,
- sur le défaut de matérialité de l'accident déclaré, au visa de l'article L411-1 du code de la sécurité sociale et après rappel du droit positif :
$gt; qu'aucun témoin direct de l'accident n'a été identifié, que le questionnaire renseigné par le responsable d'équipe (pièce 5 de la caisse) est illisible, s'agissant notamment de la date de survenance qu'il ne permet d'émettre aucune observation utile et que la caisse ne peut l'invoquer pour affirmer qu'il constitue la preuve de l'existence de l'accident du travail,
$gt; que la circonstance que Mme [E] a travaillé normalement pendant deux jours pleins après la date prétendue de survenance de l'accident fait naître un doute sur la nature réelle du fait traumatique et ne permet pas de caractériser des indices graves et concordants permettant de retenir l'existence d'un accident du travail survenu le 12 octobre 2015, alors même que l'employeur a accompagné la déclaration d'accident du travail d'un courrier de réserves circonstanciées,
2 - sur l'imputabilité des soins et arrêts de travail prescrits au titre de l'accident du travail du 12 octobre 2015 jusqu'à la consolidation du 2 juillet 2017 :
- qu'il existe des éléments objectifs de nature à justifier l'inopposabilité à l'employeur d'une partie des arrêts de travail prescrits à Mme [E] :
$gt; l'apparition, à compter du 2 janvier 2016, de nouvelles lésions, non instruites par la caisse (protusion discale L4L5 et arthrose postérieure, sciatalgie droite) ainsi que le relève son propre médecin consultant, la notion de 'lumbago' n'apparaissant plus sur les certificats postérieurs,
$gt; l'existence d'un état antérieur évoluant pour son propre compte objectivé par son médecin consultant à l'examen des certificats médicaux de prolongation qui retient que l'événement qui serait survenu a temporairement dolorisé le segment rachidien qui présentait plusieurs pathologies et qu'ensuite, l'arrêt de travail est justifié par l'état antérieur qui a évolué pour son propre compte,
$gt; l'absence de séquelles indemnisables après consolidation établissant que les séquelles présentées par l'assurée n'ont pas été considérées comme imputables au fait accidentel,
$gt; le caractère non probant des avis du médecin conseil de la caisse, étant considéré que si le service administratif ne saisit pas le service médical d'une demande portant sur l'imputabilité d'une lésion à un accident donné, alors même que la pathologie apparaît pour la première fois sur un certificat médical, de fait la caisse admet la nouvelle lésion comme imputable à l'accident et le médecin conseil, mis devant le fait accompli, ne peut qu'en valider la prise en charge.
MOTIFS
Sur la contestation de la décision de prise en charge même de l'accident du travail :
Sur le moyen tiré de l'absence (de communication) d'avis du médecin conseil :
Aucun texte et notamment les articles R442-1, R441-6 à R441-8 et R441-14 du code de la sécurité sociale n'impose à la caisse, même dans l'hypothèse d'une enquête ouverte en suite de réserves émises par l'employeur sur la matérialité même d'un accident du travail, de recueillir l'avis de son service médical, si elle estime, au vu des éléments par elle contradictoirement recueillis auprès de l'employeur et du salarié, que le caractère professionnel du sinistre déclaré est établi, sauf à l'employeur, comme en l'espèce, à contester la décision de prise en charge.
Il doit dès lors être considéré que l'absence de saisine du médecin conseil et celle, consécutive, de communication de son avis, dans le cadre de l'information préalable à la prise de décision, ne constituent pas une irrégularité de nature à justifier l'inopposabilité de la décision de prise en charge.
Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu'il a déclaré, pour ce motif, la décision de prise en charge de l'accident du travail du 12 octobre 2015 inopposable à la S.A.S. [5].
Sur la contestation de la matérialité même de l'accident :
La caisse expose en substance que sa décision de prise en charge de l'accident est justifiée au regard des éléments concordants par elle recueillis au cours de l'enquête par elle diligentée :
- déclarations de Mme [E] indiquant avoir ressenti le 12 octobre 2015 dans le magasin Cora une vive douleur au dos en ramassant un papier au sol et en avoir avisé son chef d'équipe, M. [B] (pièce 3),
- réponse du chef d'établissement (pièce 4) : lors d'une conversation avec son chef d'équipe, M. [B], elle aurait dit qu'elle s'était fait mal au dos en ramassant un papier quand elle faisait les caisses,
- réponse de M. [B] (pièce 5) dont la caisse indique qu'à la question 'avez-vous été avisé personnellement de cet accident '' il a répondu 'oui vers .. H ...' (la caisse précisant que l'heure est illisible).
Il doit être ici observé :
- d'une part, que la réponse de l'employeur n'emporte pas reconnaissance non équivoque par celui-ci du fait que Mme [E] a informé son chef d'équipe de l'accident, l'emploi du conditionnel par le chef d'établissement traduisant ses doutes sur la réalité de cette situation,
- que la réponse à 'demande de renseignements Première Personne avisée' établie par M. [B] versée aux débats (pièce 5) et communiquée à l'employeur est constituée par une copie dont les mentions manuscrites renseignées par M. [B] sont totalement illisibles, étant constaté :
$gt; que, nonobstant les remarques formalisées par la S.A.S. [5] dans ses dernières conclusions, la caisse n'en a pas produit un exemplaire exploitable,
$gt; la seule réponse lisible étant celle à la question 'avez vous été avisé personnellement de cet accident ' oui',
$gt; que sont illisibles et inexploitables les mentions relatives aux questions suivantes: date, heure, causes et circonstances de l'accident telles qu'il en a eu connaissance, identité de la personne l'en ayant informé, comment, à quelle date et à quelle heure, constatations personnelles, existence d'une plainte de la victime auprès de lui, parties du corps dont elle semblait souffrir, déclarations de la victime sur les date, heure, lieu et circonstances de l'accident,
$gt; que sont également illisibles les mentions relatives aux lieu et date d'établissement du document, aux nom, prénom et qualité du rédacteur ainsi que sa signature.
Il doit être considéré, demeurant la lettre de réserves établie par l'employeur, que les éléments ainsi produits par la caisse ne constituent pas des indices graves, précis et concordants établissant la matérialité même du fait traumatique dont elle accepté la prise en charge.
Le jugement déféré sera en conséquence, et pour ce motif, confirmé en ce qu'il déclaré inopposable à la S.A.S. [5] la décision de la CPAM de Haute-Vienne du 31 décembre 2015 portant prise en charge de l'accident du travail du 12 octobre 2015 au titre de la législation sur les risques professionnels.
La CPAM de Haute-Vienne sera condamnée aux dépens d'appel et de première instance.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Vu le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Limoges,
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
- déclaré inopposable à la S.A.S. [5] la décision de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident déclaré par Mme [E],
- débouté la CPAM de Haute-Vienne de l'intégralité de ses demandes,
- condamné la CPAM de Haute-Vienne aux dépens,
Ajoutant au jugement déféré : condamne la CPAM de Haute-Vienne aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,