ARRET N°9
N° RG 21/01456 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GIPS
S.C.I. DU [Adresse 9]
C/
[S]
Organisme CPAM DE LA VENDEE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 17 JANVIER 2023
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/01456 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GIPS
Décision déférée à la Cour : jugement du 02 février 2021 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP des SABLES D'OLONNE.
APPELANTE :
S.C.I. DU [Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 3]
ayant pour avocat postulant Me Marion LE LAIN de la SCP DROUINEAU-LE LAIN-VERGER-BERNARDEAU, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Emilie BUTTIER, avocat au barreau de NANTES, substituée par Me Eloïse MAHU, avocat au barreau de NANTES
INTIMEES :
Madame [G] [S]
née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 8] (49)
[Adresse 4]
[Localité 3]
ayant pour avocat Me Jérôme DORA de la SELARL ARMEN, avocat au barreau des SABLES D'OLONNE
CPAM DE LA VENDEE
[Adresse 11]
[Localité 2]
défaillante
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 07 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
Madame Anne VERRIER, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,
ARRÊT :
- Réputé contradictoire
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ :
[D] [J], né le [Date naissance 5] 2004, a été blessé le 13 mai 2017 au [Localité 7] en chutant d'une hauteur de plus de 5 mètres dans les locaux d'une ancienne clinique désaffectée appartenant à la Sci du [Adresse 9] où il s'était rendu avec quelques camarades et qu'il tentait de quitter précipitamment.
Aussitôt transporté au CHU de [Localité 10], il présentait des fractures multiples du rein unique gauche avec complications, des contusions pulmonaires bilatérales, une fracture de l'aile iliaque gauche, et une incapacité totale de travail de plus de trois mois était retenue d'emblée.
Par acte signifié le 15 mai 2019, [G] [S] agissant en qualité de représentant légal de son fils mineur [D] [J], a fait assigner le Sci du [Adresse 9] devant le tribunal de grande instance des Sables-d'Olonne aux fins de l'entendre déclarer en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée (la CPAM 85) tenue de réparer intégralement les préjudices du jeune garçon, de voir ordonner une expertise médicale de la victime et d'obtenir l'allocation d'une provision de 5.000 euros à valoir sur son indemnisation.
La Sci du [Adresse 9] a conclu au rejet de ces demandes en contestant sa responsabilité.
La CPAM 85 n'a pas comparu.
Par jugement du 2 février 2021, le tribunal -entre-temps devenu tribunal judiciaire- des Sables-d'Olonne a :
* dit que la Sci du [Adresse 9] avait engagé sa responsabilité extra-contractuelle lors de l'accident survenu le 13 mai 2017 dont a été victime [D] [J]
* condamné la Sci du [Adresse 9] à réparer intégralement les conséquences dommageables de cet accident
* avant dire droit sur la réparation : ordonné une expertise médicale aux frais avancés de Mme [S] ès qualités
* condamné la Sci du [Adresse 9] à verser à Mme [S] agissant en qualité de représentant légal de son fils mineur [D] [J] la somme de 4.000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation du dommage corporel
* condamné la Sci du [Adresse 9] à verser à Mme [S] agissant en qualité de représentant légal de son fils mineur [D] [J], la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
* dit le jugement commun et opposable à la CPAM de la Vendée
* condamné la Sci du [Adresse 9] aux dépens de l'instance.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu, en substance,
-que la bâtisse, laissée à l'abandon depuis 2010, était devenue le terrain de jeu de jeunes
-qu'il n'était pas établi qu'elle disposât d'une clôture, ni que des moyens propres à en condamner l'accès ni à en assurer la sécurité aient été mis en oeuvre à l'époque de l'accident
-que la propriétaire avait engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1241 du code civil en ne prenant pas les précautions nécessaires à la prévention du dommage
-qu'aucune part de responsabilité dans son préjudice ne pouvait être imputée à la jeune victime, alors que rien n'empêchait d'entrer dans les lieux et qu'ils étaient dangereux
-qu'eu égard à la nature de l'affaire, il n'y avait pas lieu à exécution provisoire.
La Sci du [Adresse 9] a relevé appel le 5 mai 2021.
Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique :
* le 4 août 2021 par la Sci du [Adresse 9]
* le 22 octobre 2021 par Mme [S] représentante légale de [D] [J].
La Sci du [Adresse 9] demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter Mme [S] ès qualités de tous ses chefs de prétentions et de la condamner aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 2.000 euros.
Elle indique que les énonciations du jugement ne permettent pas de comprendre si elle a été condamnée au titre de la responsabilité du fait des choses ou de la responsabilité pour faute.
Elle conteste avoir engagé sa responsabilité en sa qualité de gardien d'un escalier, en faisant valoir au visa des articles 1242, alinéa 1 du code civil et 9 du code de procédure civile que la responsabilité du gardien d'une chose est subordonnée à la preuve par le demandeur que cette chose a été, en quelque manière, l'instrument du dommage, et elle soutient que cette preuve n'est pas rapportée par Mme [S] en l'espèce, où les circonstances exactes et la cause de la chute de la victime sont ignorées, les témoignages recueillis étant selon elle imprécis et divergents, au point qu'il est fait état d'une chute en descendant soit un escalier, soit des rampes, et l'explication qu'un escalier sans marches aurait été descendu 'comme une échelle' étant difficilement compréhensible.
Elle invoque subsidiairement l'exonération totale du gardien de la chose instrument du dommage en raison de la faute équipolente à un cas de force majeure commise par la victime, en ce que [D] [J] s'est introduit dans un immeuble situé sur une propriété privée dont l'accès au public était interdit, était conscient de faire quelque chose d'interdit puisqu'il a déclaré s'être sauvé 'de peur de se faire disputer' et a même demandé à ses compagnons après sa chute de le déplacer à l'extérieur de l'enceinte de la clinique.
Elle conteste aussi avoir engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1241 du code civil, en récusant toute négligence ou imprudence, indiquant avoir mis en place une surveillance du site, notamment électronique, pour éviter les intrusions, avoir fait assurer des rondes par des agents de sécurité, avoir fait retirer les échelles d'accès au toit afin d'éviter les risques de chute des squatteurs.
Mme [G] [S] prise en qualité de représentante légale de son fils mineur [D] [J], demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner l'appelante aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 3.500 euros.
Elle indique que le tribunal fonde clairement la responsabilité retenue sur la négligence fautive de la Sci du [Adresse 9], et elle indique invoquer en effet à titre principal ce fondement, tiré de l'article1241 du code civil, faisant valoir que les lieux étaient laissés à l'abandon depuis des années, qu'ils étaient dangereux, et librement accessibles ; que l'appelante le savait évidemment, mais n'a rien fait pour en interdire l'accès, notamment en posant une clôture. Elle relève que les rares pièces produites n'attestent de rondes de surveillance que de 2012 à 2015, et que rien n'est justifié pour l'époque de l'accident.
Elle conteste que les circonstances de l'accident soient imprécises, faisant valoir que les camarades de [D] [J] ont parlé de 'rampe' dans leur témoignage parce qu'ils ont toujours expliqué que tous essayaient de quitter les lieux en empruntant un escalier sans marches, en prenant appui avec leurs bras sur la rampe de cet escalier.
Elle récuse toute faute de son fils, en faisant valoir que le site était un terrain de jeu pour les enfants. A fortiori, elle conteste toute force majeure exonératoire.
Elle indique fonder subsidiairement son action sur la responsabilité du gardien de la chose prévue par l'article 1242, alinéa 1, du code civil, en soutenant que l'escalier incriminé a été l'instrument du dommage, puisqu'il était dépourvu de marches, et en mauvais état.
Elle en déduit qu'en toute hypothèse, la victime a droit à une réparation intégrale.
La CPAM de la Vendée ne comparaît pas. Elle a été assignée par acte du 15 juin 2021 délivré à personne habilitée.
L'ordonnance de clôture est en date du 12 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Il est constant, et établi par les productions -certificat médical, attestations de deux témoins, articles de presse- que le jeune [D] [J], alors âgé de 12 ans, s'est blessé le 13 mai 2017 en chutant de plus de cinq mètres de haut à l'intérieur des bâtiments désaffectés anciennement exploités comme clinique situés [Adresse 6] au [Localité 7], et appartenant à la Sci du [Adresse 9].
Les circonstances de cet accident sont précisément connues, notamment par la relation, non suspecte et non contredite, qu'en ont faite les deux camarades de la victime, [U] [P] et [O] [W] -dont l'un a assorti d'un croquis son attestation- dont il ressort que [D], ces deux témoins et un quatrième jeune écoutaient de la musique dans les locaux de cette ancienne clinique ; qu'alertés par le fort bruit de chute d'un bloc de métal qu'un autre groupe de jeunes avait fait tomber, et dans la croyance que la police arrivait, ils ont voulu quitter précipitamment les lieux, et ont pour ce faire emprunté un escalier dépourvu de marches qu'ils ont utilisé comme une échelle, en se tenant à ses rampes ; et que c'est dans cette manoeuvre que [D], en troisième position, a glissé et qu'il est tombé du deuxième étage.
Mme [S], représentante légale du mineur, fonde son action contre la Sci du [Adresse 9] sur l'article1241 du code civil, en lui reprochant une faute de négligence en lien de causalité avec l'accident, consistant à n'avoir pas sécurisé et/ou interdit d'accès ces bâtiments désaffectés que leur mauvais état rendait dangereux.
Il est exact qu'en dehors de toute obligation légale ou réglementaire, l'abstention d'une mesure de précaution utile engage la responsabilité de son auteur, lorsque le fait omis a eu pour effet de porter atteinte à la sécurité d'autrui (ainsi : Cass. Civ. 2° 06.10.1960 B n°551).
La faute consiste à ne pas conjurer le danger par une action matérielle personnelle ou par une information des tiers, victimes potentielles, en forme de mise en garde. Cette abstention fautive engage alors la responsabilité de son auteur.
Il ressort des productions, et des explications des parties, que l'immeuble dans lequel le jeune [D] a chuté était désaffecté depuis 2010, délabré et dangereux, comme en atteste l'absence des marches de l'escalier menant au second étage d'où la victime a chuté, ainsi d'ailleurs aussi que la présence de gros éléments métalliques non fixes tel celui dont le bruit de chute avait alerté le groupe dont [D] [J] faisait partie.
La Sci du [Adresse 9] indique elle-même avoir pris le parti de faire retirer des échelles ou escaliers d'accès aux parties hautes du bâtiment, pour conjurer les déplacements d'intrus.
Alors que de telles preuves étaient aisées, au moyen de factures, de clichés photographiques voire de témoignages, elle ne rapporte aucun élément de nature à démontrer la présence de dispositifs propres à interdire ou à tout le moins dissuader l'entrée sur ce site, à commencer par une clôture, et les photos illustrant un bulletin en ligne relayant la réprobation d'habitants de la commune face à l'abandon persistant du site ne montrent pas de clôture.
Tout persuade que les bâtiments n'étaient pas clos, l'article de presse de 2011 faisant déjà état de la présence de squatteurs, le bulletin de 2016 qualifiant l'ancienne clinique de 'ruine promise à la démolition', et les attestations des témoins faisant état de la présence de plusieurs groupes de jeunes dans l'enceinte même de l'ancienne clinique.
La Sci évoque une interdiction de pénétrer sur le site mais n'établit nullement la présence, contestée, de panneaux venant l'énoncer, ni a fortiori signalant la dangerosité des lieux, et elle se borne en réalité à inférer cette interdiction de ce qu'il s'agit d'une propriété privée.
Elle évoque une 'surveillance électronique' du site sans en justifier autrement que par la production d'un article de presse dans Ouest France et du susdit bulletin en ligne qui datent l'un de 2011 et l'autre de 2016, et rien ne démontre qu'une surveillance existait à l'époque de l'accident, au mois de mai 2017.
Elle produit des factures de rondes aléatoires émises par une société de surveillance qui portent sur des prestations exécutées uniquement entre 2012 et 2015, et en dépit de l'objection formulée à ce titre par Mme [S], elle n'a pas justifié de prestations de ce type au printemps 2017.
En sa qualité de propriétaire de l'immeuble, la Sci du [Adresse 9] devait prendre les précautions nécessaires pour empêcher la réalisation d'un risque créé par un état de chose dangereux, et elle est responsable du dommage que son bien cause à des tiers faute d'avoir pris de telles précautions.
Sa faute consiste à s'être abstenue de prendre des mesures suffisantes à s'assurer de la non-réalisation du dommage pourtant prévisible, en empêchant l'accès à sa propriété ou en signalant de façon visible et adéquate l'endroit dangereux, particulièrement en raison du mauvais état et de la vétusté du bâtiment, devenu une ruine.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a déclarée responsable du dommage subi par [D] [J], en lien direct de causalité avec cette faute.
Il le sera aussi en ce qu'il a dit que le droit à indemnisation du mineur n'était ni réduit, ni a fortiori supprimé, par une faute qu'il aurait commise.
L'entrée du jeune garçon dans ce bâtiment désaffecté ne revêt aucun des caractères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité de la force majeure propre à exonérer la Sci du [Adresse 9] de sa responsabilité.
Elle n'est pas non plus de nature à justifier de laisser à la charge de la victime une part de son préjudice, la présence de [D] [J] parmi un groupe de jeunes dans ce bâtiment ouvert, situé aux abords d'un rond-point urbain, et que rien -panneaux, dispositif de surveillance ou d'alarme- ne désignait comme un endroit interdit ni dangereux, pour un motif dépourvu de tout caractère illicite et même fautif, savoir y écouter de la musique, ainsi qu'il est établi, ne caractérisant de sa part aucune faute propre à réduire son droit à indemnisation.
Le jugement déféré sera donc également confirmé en ce qu'il a dit que la Sci du [Adresse 9] devait réparer intégralement le préjudice de la victime.
Il le sera aussi en ses autres chefs de disposition, pertinents et adaptés, ayant ordonné une expertise, alloué une provision de 4.000 euros à la victime ainsi qu'une indemnité de procédure.
La Sci du [Adresse 9], qui succombe devant la cour, supportera les dépens d'appel et versera une indemnité de procédure à l'intimée.
PAR CES MOTIFS
la cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort :
CONFIRME le jugement déféré
ajoutant :
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres ou contraires
CONDAMNE la Sci du [Adresse 9] aux dépens d'appel
LA CONDAMNE à verser 3.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à [G] [S] agissant en qualité de représentante légale de son fils mineur [D] [J]
ACCORDE à la Selarl Armen, avocat, le bénéfice de la faculté prévue à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,