PC/LD
ARRET N° 802
N° RG 21/01032
N° Portalis DBV5-V-B7F-GHNN
S.A.S. ANEMONE FUNERAIRE 86 venant aux droits de la SARL POMPES FUNEBRES DE LA VIENNE
C/
[P]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 mars 2021 rendu par le Conseil de Prud'hommes de POITIERS
APPELANTE :
S.A.S. ANEMONE FUNERAIRE 86 venant aux droits de la SARL POMPES FUNEBRES DE LA VIENNE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Ayant pour avocat plaidant Me Pierre LEMAIRE, substitué par Me François-Xavier CHEDANEAU, tous deux de la SCP TEN FRANCE, avocats au barreau de POITIERS
INTIMÉE :
Madame [I] [P]
née le 17 Avril 1973 à [Localité 6]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Ayant pour avocat plaidant Me Stéphanie DUBIN-SAUVETRE de la SELARL GASTON - DUBIN SAUVETRE - DE LA ROCCA, avocat au barreau de POITIERS
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/004068 du 20/09/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de POITIERS)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 10 Octobre 2022, en audience publique, devant :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Valérie COLLET, Conseiller
Monsieur Jean-Michel AUGUSTIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Mme [I] [P] a été engagée le 23 juin 2017 par la S.A.R.L. Pompes Funèbres de la Vienne (aux droits de laquelle se trouve la S.A.S. Anémone Funéraire 86) en qualité d'employée de pompes funèbres, niveau IV, coefficient 4-1 de la classification professionnelle de la convention collective nationale des pompes funèbres.
Le 5 décembre 2017, Mme [P] a obtenu le diplôme national de conseillère funéraire, sans incidence en termes de classification, de fonctions et de rémunération.
Mme [P] s'est vue notifier une convocation à entretien préalable et une mise à pied conservatoire par une LRAR du 31 octobre 2018 ainsi rédigée :
Vous êtes employée dans notre structure en qualité de conseillère funéraire avec, notamment pour mission principale recevoir et organiser les obsèques.
Le lundi 29 octobre 2018, sans motif, vous vous êtes rendue à [Localité 3].
Or vous n'aviez pas demandé l'accord de la direction pour vous rendre là-bas et donc être absente toute la journée de l'agence de Poitiers.
Par ailleurs, vous avez laissé un collègue seul pour gérer l'établissement.
Vous n'êtes pas sans savoir que lorsqu'on gère un client, nous ne sommes pas disponibles pour en gérer un autre !
C'est dans ce cadre notamment que votre collègue a dû fermer l'établissement pendant 1 heure afin de réaliser des démarches administratives, refusant un client qui, par chance, nous connaissant, est revenu ultérieurement.
Ces faits sont d'une particulière gravité et contraires à vos obligations contractuelles et sont de nature à nuire à notre image.
Compte-tenu de ces éléments nous envisageons de prendre à votre égard une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à votre licenciement pour faute grave.
A cet effet nous vous convoquons à un entretien préalable qui aura lieu le 14 novembre 2018...
Compte-tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, nous vous notifions une mise à pied à titre conservatoire, sans salaire....
Mme [P] s'est vue notifier son licenciement pour faute grave par une LRAR du 20 novembre 2018 ainsi rédigée :
Vous êtes employée dans notre structure en qualité de conseillère funéraire avec, notamment pour mission principale recevoir et organiser les obsèques.
Le lundi 29 octobre 2018, sans motif, vous vous êtes rendue à [Localité 3].
Or vous n'aviez pas demandé l'accord de la direction pour vous rendre là-bas et donc être absente toute la journée de l'agence de Poitiers.
Par ailleurs, vous avez laissé un collègue seul pour gérer l'établissement.
Vous n'êtes pas sans savoir que lorsqu'on gère un client, nous ne sommes pas disponibles pour en gérer un autre !
C'est dans ce cadre notamment que votre collègue a dû fermer l'établissement pendant 1 heure afin de réaliser des démarches administratives, refusant un client qui, par chance, nous connaissant, est revenu ultérieurement.
Ces faits sont d'une particulière gravité et contraires à vos obligations contractuelles et sont de nature à nuire à notre image.
Des conséquences financières auraient pu en découler.
Votre départ inopiné, sans motif et sans autorisation, constitue un abandon de poste.
Compte-tenu de ces éléments, nous vous notifiions votre licenciement pour faute grave.
Par acte reçu le 4 février 2019, Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Poitiers d'une action en contestation de la mise à pied conservatoire et du licenciement.
Par jugement du 9 mars 2021, le conseil de prud'hommes de Poitiers a :
- jugé le licenciement de Mme [P] dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- condamné la S.A.S. Anémone Funéraire 86 à rembourser à Mme [P] le salaire retenu à la suite de la mise à pied, soit 869,69 € (articles 1153 du code civil et L1333-2 du code du travail),
- condamné la S.A.S. Anémone Funéraire 86 à payer à Mme [P] les sommes de :
$gt; 1 951,23 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
$gt; 86,46 € au titre des congés payés afférents,
$gt; 691,93 € à titre d'indemnité de licenciement,
$gt; 3 000 € à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive,
- ordonné à la S.A.S. Anémone Funéraire 86 de remettre les documents de fin de contrat rectifiés, sous astreinte de 15 jours à compter de la notification de la décision,
- débouté Mme [P] de sa demande tendant à voir assortir les sommes allouées des intérêts à compter de la demande prud'homale,
- condamné la S.A.S. Anémone Funéraire 86 à payer à Mme [P] la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du C.P.C. et aux entiers dépens,
- débouté la S.A.S. Anémone Funéraire 86 de ses demandes.
La S.A.S. Anémone Funéraire 86 a interjeté appel de cette décision, selon déclaration transmise au greffe de la cour le 29 mars 2021.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du magistrat de la mise en état en date du 12 septembre 2022.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 28 juin 2021, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé détaillé des éléments de droit et de fait, la S.A.S. Anémone Funéraire 86 demande à la cour, réformant le jugement entrepris, de débouter Mme [P] de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 3 500 € en application de l'article 700 du C.P.C., outre les entiers dépens.
Par conclusions remises et notifiées 27 septembre 2021, auxquelles il convient également de se référer pour l'exposé détaillé des éléments de droit et de fait, Mme [P], formant appel incident, demande à la cour, de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a limité le montant des dommages-intérêts à 3 000 €, l'a déboutée de sa demande en fixation d'intérêts dus au taux légal sur les sommes allouées à compter de la demande prud'homale et omis de fixer une indemnité de congés payés sur l'indemnité de préavis (195,12 €) et en conséquence :
- de juger injustifié et par conséquent sans cause réelle et sérieuse son licenciement,
- de prononcer l'annulation de la mise à pied conservatoire et de condamner la S.A.S. Anémone Funéraire 86 à lui payer les sommes de 864,40 € au titre du salaire non perçu et 84,46 € au titre des congés payés afférents,
- de condamner la S.A.S. Anémone Funéraire 86 à lui payer les sommes de :
$gt; 1 951,23 € à titre d'indemnité de préavis et 159,12 € au titre des congés payés afférents,
$gt; 691,93 € à titre d'indemnité de licenciement,
$gt; 4 000 € à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive ,
- de dire que les sommes allouées seront assorties des intérêts de droit à compter de la demande prud'homale,
- d'ordonner la remise des documents de fin de contrat rectifiés sous astreinte de 30 € par jour de retard, huit jours après la signification de la décision à intervenir, la cour se réservant le droit de liquider l'astreinte,
- de condamner la S.A.S. Anémone Funéraire 86 à lui payer la somme de 4 000 € en application de l'article 700 du C.P.C., outre les entiers dépens.
MOTIFS
Il doit être rappelé :
- que selon les articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, énoncée dans une lettre notifiée au salarié, que cette lettre, qui fixe les limites du litige doit exposer des motifs précis et matériellement vérifiables, permettant au juge d'en apprécier la réalité et le sérieux, que le juge ne peut pas examiner d'autres motifs que ceux évoqués dans la lettre de licenciement mais qu'il doit examiner tous les motifs invoqués, quand bien même ils n'auraient pas tous été évoqués dans les conclusions des parties,
- que la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement ne pèse sur aucune des parties en particulier, le juge formant sa conviction au vu des éléments produits par chacun, l'employeur étant en droit, en cas de contestation, d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier ce motif,
- que lorsque le licenciement est prononcé pour faute grave, il incombe à l'employeur de prouver la réalité de la faute grave, c'est-à-dire de prouver non seulement la réalité de la violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail mais aussi que cette faute est telle qu'elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis,
- qu'il appartient au juge d'apprécier la nature de la faute invoquée par l'employeur, que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, la gravité de la faute s'appréciant en tenant compte du contexte des faits, de l'ancienneté du salarié, des conséquences que peuvent avoir les agissements du salarié, de l'existence ou de l'absence de précédents disciplinaires,
- que la loi impose que l'employeur prenne rapidement une décision après la découverte des faits et l'article L.1332-4 du code du travail indique qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales,
- que cependant, s'agissant de la faute grave, celle-ci rendant, par définition, impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, l'employeur doit engager la procédure de licenciement dans un délai restreint après qu'il a eu une connaissance suffisante des faits allégués dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire, la tardiveté de la mise en oeuvre de la procédure de licenciement tendant à démontrer que la faute alléguée ne rendait pas impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et qu'elle n'était donc pas grave.
En l'espèce, la S.A.S. Anémone Funéraire 86 expose :
- que Mme [P] a été licenciée pour avoir quitté son poste, le 29 octobre 2018, sans l'autorisation et sans avoir informé son supérieur hiérarchique pour accompagner deux porteurs mis à disposition par la société pour des obsèques se déroulant à [Localité 3], organisées par une autre société qui, si elle possédait le même président, était totalement indépendante,
-que ces faits sont constitutifs d'un abandon de poste et que Mme [P] ne justifie d'aucun motif légitime à son comportement, étant considéré :
$gt; sur la prétendue 'invitation' faite par son collègue blésois :
* que Mme [P] ne justifie d'aucune 'invitation' à elle adressée par son homologue blésois (lequel le dément dans une attestation versée aux débats, pièce 14, corroborée par un message de Mme [P], pièce 27 et les factures établies au titre de la cérémonie dont s'agit, pièces 15 et 16) de participer à la cérémonie, alors même qu'elle affirmait dans ses écritures de première instance s'être rendue à [Localité 3] pour observer l'organisation de l'agence et de l'espace boutique,
* que l'attestation du conseiller funéraire de [Localité 3] est parfaitement recevable, nonobstant son lien de subordination avec le directeur de l'agence et qu'aucun élément objectif et vérifiable n'établit qu'elle ait été rédigée sous contrainte, l'attestation produite par Mme [P], émanant de son conjoint, ne constituant qu'un témoignage indirect, dénué de toute force probante,
$gt; sur l'existence prétendus précédents :
* que Mme [P] invoque un déplacement à [Localité 5] dont l'employeur n'a jamais été informé,
* que si Mme [P] a effectivement effectué un déplacement à [Localité 4] en accompagnement d'un collègue, ce déplacement avait été autorisé par l'employeur en raison de la complexité du dossier, le magasin ayant pendant cette absence été géré par la troisième employée et la directrice générale,
$gt; sur le prétendu accord d'un collègue pour rester seul à l'agence : que l'attestation du conjoint de l'intimée produite de ce chef est dénuée de force probante en ce qu'elle ne constitue qu'un témoignage indirect rapportant les propos de celle-ci,
$gt; sur la période de dix jours pendant laquelle Mme [P] aurait prétendument géré seule le magasin :
* que le tableau produit par Mme [P] est relatif aux astreintes des salariés et ne fait pas état de leurs plannings et ne peut justifier que l'intimée s'est retrouvée seule pendant dix jours consécutifs à gérer le magasin en journée, que Mme [P] ne s'est jamais retrouvée seule d'astreinte et qu'elle n'a jamais travaillé dix jours consécutifs en septembre 2018 ainsi qu'il résulte de son relevé d'heures (pièce 24) mais deux fois six jours,
$gt; que si compte-tenu de circonstances particulières liées à l'octroi de longue date de congés payés à l'un des salariés et à la démission inopinée d'une autre, Mme [P] s'est retrouvée seule au sein de l'établissement jusqu'au 22 septembre 2018, il a été procédé dès le 3 septembre 2018 au recrutement d'un intérimaire en qualité d'assistant funéraire (pièce 21),
$gt; s'agissant de l'organisation du travail pendant les week-ends : que les conseillers sont seuls le samedi afin qu'ils puissent bénéficier de week-ends complets régulièrement, étant considéré que les administrations sont fermées le samedi et qu'aucune démarche administrative extérieure n'est effectuée ce jour-là par les conseillers qui restent au magasin toute la journée.
Au soutien de son argumentation, elle verse aux débats :
- l'attestation de M. [J], conseiller funéraire à [Localité 3] (pièce 14) Le vendredi 26 octobre 2018, j'ai contacté les Pompes Funèbres de la Vienne pour savoir s'ils avaient deux porteurs de disponible pour venir faire du portage le lundi 29 octobre 2018 à [Localité 7]. J'ai eu Mme [P] qui m'a dit qu'après avoir contacté des porteurs que c'était d'accord. Elle me l'a confirmé par mail. Je n'ai jamais demandé 3 personnes et encore moins qu'elle accompagne les 2 porteurs. J'avais 2 porteurs de prévus et un maître de cérémonie de notre société ce qui fait cinq personnes au total, maximum prévu. Pour une cérémonie et ce que nous avons facturé.
- l'attestation de M. [R] [Y], collègue de Mme [P] (pièce 18) : le matin du 29 octobre 2018, Mme [P] m'a dit qu'elle partait avec les deux porteurs prévu à [Localité 3]. Je n'étais pas au courant et j'ai été surpris car nous devions être tous les deux ce jour là au magasin. En milieu de matinée, M. [D] a téléphoné pour parler à Mme [P], cette dernière n'étant pas là, j'ai dit qu'elle était partie en démarche sur [Localité 6] pour la couvrir. En fin de matinée, j'ai reçu une famille pour des obsèques et je suis allé faire mes démarches en mairie vers 14 h. Au moment où je pars du magasin, une autre famille arrive pour des obsèques mais étant tout seul, je leur ai dit de revenir vers 15h. Nous avons eu de la chance car la famille est revenue 1h plus tard car la famille avait déjà eu affaire à nos services. Vers 16h30, M. [D] a rappelé pour avoir Mme [P] et là je lui ai dit qu'elle était partie depuis le matin.
Mme [P] conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a constaté l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement en exposant :
1 - s'agissant du premier motif tiré d'un déplacement à [Localité 3] sans motif le 29 octobre 2018 :
- que son collègue de [Localité 7] lui a téléphoné le 26 octobre 2018 en lui indiquant qu'il avait besoin de deux porteurs, en l'invitant à les accompagner afin de voir l'organisation de l'agence et notamment l'espace boutique, ainsi que l'établit l'attestation de M. [M] [V], son conjoint, (pièce 15) qui indique qu'il était présent lorsque Mme [P] a appelé téléphoniquement M. [J] avec haut-parleur pour témoigner de la conversation pour savoir s'il pouvait confirmer qu'il l'avait invité à l'agence de [Localité 7] afin de voir l'organisation de l'agence et notamment l'espace boutique pour le mettre en place sur l'agence de [Localité 6], ce à quoi ce dernier lui a clairement dit que sa venue ne justifiait pas un licenciement et qu'il allait contacter la famille [D] pour voir avec eux ce qu'il en était,
- que c'est à la demande de son employeur que M. [J] a été contraint de témoigner à son encontre, que les factures produites sont sujettes à discussion, le conducteur de corbillard servant également de porteur, ce que l'employeur ne conteste pas,
- que l'attestation de M. [Y], également établie sous contrainte est tout aussi peu crédible, sachant qu'elle lui avait demandé le 29 octobre 2018 s'il ne voyait pas d'inconvénient à ce qu'elle parte à [Localité 3] avec les deux porteurs, sans opposition de sa part, ce que confirme l'attestation précitée de M. [V] (le soir du jour du 29/9/2018 lors du retour de [Localité 7], Mme [P] m'a dit que M. [Y] lui avait dit qu'il l'avait couvert auprès de M. [D] en indiquant qu'elle était partie en démarche administrative sans que Mme [P] ne lui ait demandé quoi que ce soit alors qu'au matin même ce dernier lui confiait qu'il pouvait rester seul à l'agence ce jour).
2 - s'agissant du second motif (absence d'accord de la direction) :
- que du fait de la nature de ses fonctions, elle état amenée à faire des déplacements professionnels sans demander forcément l'autorisation préalable
de son employeur, qu'elle ainsi été amenée à ramener avec l'aide d'un porteur un corps de la morgue de l'hôpital de [Localité 6] au funérarium de [Localité 5], sachant qu'il n'est jamais demandé une autorisation pour aller chercher des corps,
- qu'à la demande de son collègue poitevin, elle l'a accompagné à [Localité 4] pour rapatrier une défunte sur [Localité 6], sans demander l'autorisation de son employeur, lequel a sollicité son salarié pour établir une attestation conforme à ses intérêts indiquant qu'il avait demandé à M. [D] d'être accompagné,
- que lorsque son collègue de [Localité 7] l'a invitée à venir sur [Localité 3] avec deux porteurs supplémentaires, il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir sollicité l'accord préalable de la direction, compte-tenu de la nature de ses fonctions, sachant qu'au regard de ses obligations contractuelles, elle devait faire preuve de dévouement, de compétence et de disponibilité,
3 - s'agissant du troisième motif (avoir laissé son collègue seul à devoir gérer l'établissement) :
- qu'interrogé par elle à deux reprises, M. [Y] a indiqué ne voir aucun inconvénient à son déplacement,
- qu'il ne peut être soutenu que la présence d'un seul agent sur l'agence serait préjudiciable alors qu'elle a dû tenir seule l'agence pendant 10 jours consécutifs, du 10 au 21 septembre 2018, à la suite de la mutation d'une collègue et à l'absence pour congés de l'autre (tableau des astreintes de septembre 2018, pièce 7), le recrutement d'un porteur en intérim étant insuffisant au niveau de l'organisation de l'agence,
- que du 10 au 15 septembre 2018, elle a ainsi travaillé le jour et était de permanence la nuit et que si l'agence a été fermée le 16 septembre 2018, elle était de permanence toute la journée,
- que l'agence était régulièrement tenue par un seul conseiller funéraire le vendredi et le samedi, les deux conseillers funéraires de l'agence bénéficiant à tour de rôle d'un week-end chômé du vendredi au dimanche.
4 - qu'elle est ainsi en droit d'obtenir remboursement du salaire perdu suite à la mise à pied injustifiée et l'allocation, outre les indemnités dont elle a été privée par l'effet du licenciement litigieux, à une indemnisation du préjudice moral, professionnel et financier par elle subi dont elle justifie de l'existence et de l'ampleur par des arrêts de travail consécutifs à celui-ci et par ses difficultés à retrouver un emploi (pièces 10 à 12).
Sur ce,
Il est constant que le 29 octobre 2018, sans solliciter l'autorisation de son supérieur hiérarchique ni même l'en aviser, Mme [P] s'est rendue dans une agence funéraire de [Localité 3] (exploitée par une société ayant le même directeur que la S.A.R.L. Pompes Funèbres de la Vienne) en accompagnement de deux porteurs dont cette agence avait sollicité le renfort pour une cérémonie mortuaire et que, ce faisant, elle a laissé l'agence de [Localité 6] à la charge exclusive d'un collègue.
La discussion sur les conditions dans lesquelles s'est inscrit ce déplacement, sur invitation ou non de son homologue blésois, (ce que celui-ci conteste formellement dans une attestation dont aucun élément objectif et vérifiable - que ne peut constituer le compte-rendu d'une conversation téléphonique établi par le conjoint de l'intimée - ne permet de douter de l'authenticité et de la crédibilité) est sans incidence sur la solution du litige.
En effet, il est fait grief à Mme [P] de ne pas avoir sollicité l'autorisation de son employeur pour un déplacement, qu'il fût on non sur invitation, qui n'entrait pas dans le cadre de l'exécution de ses obligations professionnelles courantes et qui n'était pas justifié par des circonstances exceptionnelles (comme les deux précédents par elle invoqués).
Par ailleurs, il est justifié (cf. attestation de M. [Y]) que l'absence, non programmée, de Mme [P] a entraîné une désorganisation du service, contraignant l'unique salarié présent à fermer provisoirement le magasin pour l'accomplissement d'une démarche administrative pendant lequel une famille n'a pu être reçue.
Par ailleurs, il n'est pas démontré que le fonctionnement de l'établissement était régulièrement assuré par un seul conseiller funéraire, étant considéré :
- que si Mme [P] était la seule conseillère funéraire titulaire en poste en septembre 2018, du fait de circonstances particulières liées à des congés payés accordés de longue date à l'un des deux autres conseillers et à la démission de la troisième, l'employeur justifie (pièce 21) avoir procédé, pour cette période, à l'engagement d'un salarié intérimaire en qualité d'assistant funéraire dont les fonctions, à la différence de celles d'un porteur, sont administratives et commerciales, permettant de pallier temporairement l'absence des salariés titulaires,
- que l'employeur affirme, sans être efficacement objectivement contredit par Mme [P] que la présence d'un seul conseiller à l'agence le samedi était justifiée par la volonté de les faire successivement bénéficier de week-ends complets alors que, les administrations étant fermées le samedi, aucune démarche extérieure n'était effectuée, le conseiller restant au sein du magasin toute la journée.
Le grief d'abandon de poste visé dans la lettre de licenciement est ainsi matériellement établi et, s'il constitue certes un fait isolé dans l'historique de la relation de travail, présente un degré de gravité certain en ce qu'il a entraîné une désorganisation imprévue de l'établissement et porté atteinte à l'image commerciale de l'entreprise, justifiant la rupture immédiate du contrat de travail.
Il convient dès lors, réformant le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de juger bien fondé le licenciement pour faute grave de Mme [P] et de débouter celle-ci de l'intégralité de ses demandes.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du C.P.C. en faveur de l'une quelconque des parties, s'agissant tant des frais irrépétibles exposés en première instance que de ceux exposés en cause d'appel.
Mme [P] sera condamnée aux dépens d'appel et de première instance, lesquels seront recouvrés conformément aux textes sur l'aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Vu le jugement du conseil de prud'hommes de Poitiers en date du 9 mars 2021,
Réformant le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :
Juge bien fondé le licenciement pour faute grave de Mme [I] [P],
Déboute Mme [P] de toutes ses demandes contre la S.A.S. Anémone Funéraire 86 venant aux droits de la S.A.R.L. Pompes Funèbres de la Vienne,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du C.P.C. en faveur de l'une quelconque des parties s'agissant tant des frais irrépétibles exposés en première instance que de ceux exposés en cause d'appel,
Condamne Mme [P] aux dépens d'appel et de première instance, lesquels seront recouvrés conformément aux textes sur l'aide juridictionnelle.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,