MHD/PR
ARRET N° 818
N° RG 21/00025
N° Portalis DBV5-V-B7F-GFCF
[J]
C/
S.A. SPBI
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 décembre 2020 rendu par le Conseil de Prud'hommes de LA ROCHE SUR YON
APPELANT :
Monsieur [Z] [J]
né le 12 juin 1979 à [Localité 6] (22)
[Adresse 1]
[Localité 3]
Ayant pour avocat postulant Me Vincent FOURNIER, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me Xavier MATIGNON, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
S.A. SPBI
N° SIRET : 491 372 702
[Adresse 5]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Ayant pour avocat Me Nathalie HERMOUET de la SELAS NEOCIAL, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 05 octobre 2022, en audience publique, devant :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente qui a présenté son rapport
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Valérie COLLET, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIERE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, que l'arrêt serait rendu le 8 décembre 2022. A cette date le délibéré a été prorogé au 15 décembre.
- Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIERE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par contrat de travail à durée indéterminée à effet au 2 novembre 2004, soumis à la convention collective nationale de la navigation de plaisance, Monsieur [Z] [J] a été engagé par la société SPBI ' spécialisée dans une activité de production et commercialisation de bateaux de plaisance, faisant partie du groupe [O] leader mondial des industries nautiques ' en qualité de chargé des relations presse et évènementiel, statut cadre.
Après une expatriation au Brésil d'octobre 2012 à juillet 2017, il a été expatrié aux Etats-Unis à compter d'août 2017 - selon avenant d'expatriation à son contrat de travail - au sein de la société [O] America située à Annapolis pour y occuper les fonctions de directeur des ventes de voiliers 'Sailboat Sales Manager', chargé notamment de superviser la commercialisation des voiliers aux Etats-Unis au travers des concessionnaires locaux ; son contrat de travail français étant suspendu pendant la période d'expatriation.
Par courrier en date du 8 avril 2019, la société [O] America a rompu son contrat de travail local pour violation réitérée de la politique américaine de lutte contre toute forme de harcèlement.
Le 2 mai 2019, la société SPBI l'a convoqué à un entretien préalable en vue d'une éventuelle sanction pouvant aller jusqu'au licenciement.
Par courrier en date du 28 mai 2019, adressé au domicile nord américain du salarié, elle lui a notifié son licenciement pour faute grave caractérisée par l'atteinte à son renom et plus globalement à celui du groupe [O] dans son ensemble en raison des manquements qu'il avait commis au cours de son expatriation et par le préjudice financier en résultant.
Par acte en date du 4 juillet 2019, Monsieur [Z] [J] a saisi le conseil de Prud'hommes de La Roche-Sur-Yon aux fins de l'entendre dire que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et obtenir en conséquence les indemnités subséquentes.
Par jugement du 7 décembre 2020, le conseil de prud'hommes a :
- dit et jugé que le licenciement de Monsieur [J] repose sur une faute grave,
- débouté Monsieur [J] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions du chef de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- débouté Monsieur [J] et la société SPBI de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- laissé les dépens à la charge de Monsieur [J].
Par déclaration en date du 4 janvier 2021, Monsieur [J] a interjeté appel de cette décision.
***
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 septembre 2022.
PRETENTIONS DES PARTIES :
Par conclusions du 2 septembre 2022 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits moyens et prétentions, Monsieur [J] demande à la cour de :
- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il :
° a dit et jugé que son licenciement repose sur une faute grave
° l'a débouté en conséquence de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions du chef de licenciement sans cause réelle et sérieuse
° l'a débouté de sa demande de paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- a laissé les dépens à la charge de la partie demanderesse.
- et statuant à nouveau :
- dire et juger que son licenciement pour faute grave est dénué de cause réelle et sérieuse,
- fixer son salaire de référence à 6 581 € bruts.
- à titre subsidiaire, si le salaire américain devait constituer le salaire de référence, le fixer à la somme de 6 048,04 € bruts mensuels
- en conséquence,
- condamner la société SBPI à lui verser les sommes suivantes :
° le salaire de la mise à pied conservatoire : 658 € bruts
° les congés payés sur salaire de la mise à pied conservatoire : 658,10 € bruts
° l'indemnité compensatrice de préavis : 19 743 € bruts
° les congés payés sur préavis : 1 974,30 € bruts
° l'indemnité légale de licenciement : 26 872 €
° les dommages et intérêts :
¿ à titre principal, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 118 458 €
¿ à titre subsidiaire, si les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail devaient être appliquées :
. dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 78 972 €
. dommages et intérêts pour préjudice distinct : 39 486 €
* à titre subsidiaire, si le salaire américain devait constituer le salaire de référence,
* condamner la société SBPI à lui verser les sommes suivantes :
° le salaire de la mise à pied conservatoire : 6 048,04 € bruts
° congés payés sur salaire de la mise à pied conservatoire : 604,80 € bruts
° l'indemnité compensatrice de préavis : 18 144,12 € bruts
° les congés payés sur préavis : 1 814,41 € bruts
° l'indemnité légale de licenciement : 24 695,78 €
° les dommages et intérêts :
¿ à titre principal, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 108 864,72 €
¿ à titre subsidiaire, si les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail devaient être appliquées :
. dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 72 576,48 €
. dommages et intérêts pour préjudice distinct : 36 288,24 €
- en tout état de cause,
- débouter la société de l'ensemble de ses demandes ;
- dire et juger que les condamnations porteront intérêt aux taux légal avec anatocisme à compter du prononcé de la décision à intervenir ;
- condamner la société à lui remettre les documents rectifiés suivants :
° un bulletin de paie portant le montant des condamnations retenues sous astreinte de 80 € par jour ;
° l'attestation pôle emploi portant le montant des condamnations retenues sous astreinte de 100 € par jour.
° le certificat de travail mentionnant une ancienneté au 29 août 2011.
- Y ajoutant :
- condamner la société à lui verser la somme 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dans le cadre de la présente instance, en ce compris les dépens relatifs à l'exécution de la décision.
- débouter la société de l'ensemble de ses demandes contraires.
Par conclusions du 14 avril 2022 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, la société SPBI demande à la cour de :
- confirmer le jugement dont appel et, statuant à nouveau,
- dire et juger que le licenciement de Monsieur [Z] [J] repose sur une faute grave.
- rejeter toutes demandes, fins et conclusions du chef de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- subsidiairement, et si par extraordinaire la cour devait réformer le jugement entrepris et entrer en voie de condamnation, voir fixer comme suit les sommes auxquelles Monsieur [Z] [J] pourrait prétendre, au maximum :
- selon la contre-valeur en francs français (sic) au jour du prononcé de l'arrêt à intervenir :
° mise à pied conservatoire (2 au 28 mai 2020 - (26/31 salaire mensuel) 5 696,23 $ US bruts
° congés payés y afférents 569,62 $ US bruts
° indemnité compensatrice de préavis 20 374,98 $ US bruts
° congés payés y afférents 2 037,50 $ US bruts
° indemnité légale de licenciement (14 ans et 6 mois) 27 166,64 $ US nets
- selon la contre-valeur en francs français (sic) au jour du paiement à intervenir :
° D&I (sic) article L. 1235-3 du code du travail (3 mois) 20 374,98 $ US
- vu les dispositions des articles 696 et 700 du code de procédure civile,
- réformer les dispositions du jugement dont appel en ce qu'il l'a déboutée de la demande formulée à ce titre et, statuant à nouveau, condamner Monsieur [Z] [J] au paiement d'une somme de 2 000,00 € au titre des frais irrépétibles engagés en première instance,
- condamner Monsieur [Z] [J] au paiement d'une somme de 2 000,00 € au titre des frais irrépétibles engagés à hauteur d'appel, outre au paiement des entiers dépens de l'instance.
SUR QUOI,
I - SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL :
A - Sur l'existence de la faute grave :
Il ressort de l'article L. 1235-1 du code du travail qu'en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Quand le licenciement est prononcé pour faute grave, il incombe à l'employeur de prouver la réalité de la faute grave, c'est -à - dire de prouver non seulement la réalité de la violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail mais aussi que cette faute est telle qu'elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis.
Pour apprécier la gravité de la faute, les juges doivent tenir compte des circonstances qui l'ont entourée et qui peuvent atténuer la faute et la transformer en faute légère, ou qui peuvent l'aggraver.
L'employeur n'est pas obligé de dater les faits reprochés qui doivent seulement être précis et matériellement vérifiables (Cass. soc. 11/07/2012 n° 10-28.798).
En cas de contestation de la sanction disciplinaire, l'employeur est d'ailleurs en droit d'invoquer toutes les circonstances de fait qui permettent de justifier du motif énoncé dans la lettre de licenciement, même si ces circonstances de fait ne sont pas mentionnées dans celle-ci (Cass. soc. 15 octobre 2013, n°11- 18.977).
Il est acquis que dans le cas de licenciements successifs par la société filiale puis par la société mère :
- la cause du licenciement prononcé par cette dernière doit reposer sur des faits nécessairement distincts de ceux invoqués par la filiale étrangère (Cass. soc., 20 juin 2000, no 98-42.126 ; Cass. soc., 13 juin 2006, no 04-40.256),
- la faute grave invoquée par la société mère peut reposer sur l'atteinte à son renom dans ses rapports avec sa clientèle et son personnel en raison des manquements du salarié commis au cours de son détachement.
***
En l'espèce, il ressort de la lettre de licenciement du 28 mai 2019 que Monsieur [J] a été licencié pour les motifs suivants :
'Par email du 25 mars 2019, Madame [C] [S], cliente du Groupe [O] aux USA (achat avec son mari de deux First [O] d'occasion et d'un First [O] neuf comme elle l'indique dans son email), a informé l'équipe communication corporate au siège du Groupe [O] ([Localité 7], 85, France) qu'elle perçu de votre part des messages de sollicitation à caractère sexuel, via le réseau social Instagram.
Les renseignements fournis par Madame [S] montrent que vos messages ont été consécutifs à la venue de Madame [S] et son mari au salon nautique de Miami ('Miami Boat show') du 14 au 18 février 2019, sur lequel [O] America avait un stand d'exposition.
Lors de l'échange sur le réseau social, Madame [S] vous indiquait qu'elle trouvait vos propos déplacés et inconvenants («inappropriate») et vous a demandé de cesser de lui écrire, ce que vous n'avez pourtant pas fait.
En raison de vos messages sur Instagram, Madame [S] et son mari ont renoncé à l'acquisition d'un nouveau bateau [O] : un Océanis 62 pour lequel les discussions engagées ont été rompues.
Madame [S], personnalité connue du monde du nautisme notamment pour ses photographies publicitaires, vit et travaille à Miami (USA).
Votre comportement renvoie ainsi à une image gravement préjudiciable à votre groupe sur l'un de ses marchés stratégiques.
' Votre comportement est d'autant plus inexcusable que lors du salon d'annapolis, entre le 10 et le 14 octobre 2018, vous aviez fait l'objet d'un avertissement de votre manager local, Monsieur [L] [R], pour des faits de même nature, le 1 er septembre 2018 à l'égard d'une collaboratrice de LH Finance, le partenaire financier habituel de [O] America (financement pour l'acquisition de bateau). L'information nous avait été signalée par son manager Monsieur [B]
Dès lors, votre maintien dans l'entreprise n'est pas possible plus longtemps. La rupture de votre contrat de travail interviendra à la date de la présente lettre sans préavis ni indemnité autre que l'indemnité de congé payé'».
L'employeur explique :
- que les faits de harcèlement sexuel n'ont pas été contestés par le salarié auprès de son employeur américain ni même auprès des juridictions américaines, de sorte qu'ils sont réputés acquis, tant dans leur qualification que dans leur gravité,
- que la seule question qui se pose pour apprécier le bien-fondé du licenciement qu'elle a prononcé est de savoir si les faits de harcèlement sexuel commis par le salarié au cours de son détachement sont de nature à porter atteinte à l'image de la société SPBI et du groupe auquel elle appartient, de sorte qu'ils rendent impossibles son maintien dans l'entreprise.
Il soutient à ce titre :
- qu'à la suite des agissements de Monsieur [J] envers Madame [S], le couple [S] a mis un terme définitif aux discussions engagées avec [O] America pour conclure une vente à plus d'1 million d'euros,
- que de surcroît, plus globalement, ternir l'image du Groupe [O] en associant le nom [O] à des faits de harcèlement sexuel commis de l'autre côté de l'Atlantique, cause nécessairement un préjudice aux sites de fabrication de la société SPBI dès lors que toute baisse des ventes qui pourrait en résulter outre Atlantique a nécessairement des répercussions sur les plans de production des usines françaises,
- qu'en raison de la sensibilité des consommateurs américains pour les affaires de m'urs et plus précisément les atteintes aux droits des femmes, on peut aisément comprendre les répercussions engendrées par les révélations de faits de harcèlement sexuel commis par un cadre de haut niveau du groupe, laissé malgré tout en poste au sein de son employeur d'origine.
Pour étayer ses griefs, il verse :
- le 'Groupe [O] Handbook Acknowledgement' et sa traduction libre
- la fiche client [S] existant dans ses livres,
- les photographies de 3 modèles type de voiliers [O] dont les époux [S] sont propriétaires,
- l'attestation de Monsieur [L] [R] du 22 novembre 2019,
- la fiche commerciale du voilier Oceanis Yacht 62, l'extrait d'article du site ActuNautique.com : Construction et fiche technique de l'Océanis Yacht 62 de [O] et le relevé d'heures opérateur fabrication Océanis 62,
- les échanges e-mail entre le Groupe [O] et Madame [S] à la suite de son signalement et leur traduction libre,
- le plan de production du bateau,
- les courriels de [V] [Y], de Madame [A] [K] du 16 janvier 2022 accompagnés de leur traduction libre et les SMS adressés par Monsieur [J] à Madame [K].
***
Cela étant, contrairement à ce que soutient Monsieur [J], il a finalement reconnu les faits de harcèlement sexuel qui lui étaient reprochés dans la mesure où il n'a donné aucune suite à la lettre que son avocat américain avait adressée à la société [O] America le 8 avril 2019 à la suite de son licenciement.
Les explications qu'il fournit pour expliquer ce silence, ' à savoir son départ précipité des Etats-Unis et le coût excessiment élevé de toute procédure judiciaire engagée aux Etats-Unis qu'il n'était pas en mesure d'assumer - ne suffisent pas à elles seules - à défaut de tout autre élément - à établir que le premier choc passé, il a réellement contesté la mesure de licenciement prononcé par la société [O] America.
Les faits doivent donc être tenus pour acquis.
Il appartient en conséquence à l'employeur de démontrer :
- que ces faits ont été commis dans la sphère professionnelle et non dans la sphère privée,
- qu'ils ont porté atteinte à son image et lui ont causé un préjudice.
Or il est défaillant à ce titre.
En effet :
1 ) - d'une part, il ne rapporte aucun élément sérieux permettant d'établir que Monsieur [J] a rencontré Madame [S] dans un cadre professionnel dans la mesure où les courriels que celle-ci a pu envoyer à la société [O] America sont à ce propos ambigus puisqu'elle a déclaré :
- dans un mel du 25 mars 2019 qu'elle avait demandé à son mari de ne pas contacter les équipes commerciales de [O] à cause de Monsieur [J] et a expressément précisé 'pouvez-vous imaginer mon état d'esprit si j'ai besoin de le rencontrer en personne'' pouvant sous entendre ainsi que jusque-là, elle ne l'avait jamais rencontré,
- dans un mel en réponse du 26 mars 2019 que Monsieur [J] l'avait contactée pour la première fois quelques jours après le Miami Boat Show pouvant sous entendre que jusque - là elle ne l'avait jamais rencontré et qu'elle n'avait jamais eu de contact avec lui.
Cette ambiguité et cette équivoque se trouvent renforcées par le fait que la société, qui a la charge de la preuve, se garde de produire l'intégralité de la conversation intervenue entre Monsieur [J] et Madame [S] et se borne à ne verser qu'un extrait de ladite conversation constitué par la page 2 à l'exclusion de la page 1 qui aurait pu fournir des précisions sur les circonstances de la rencontre entre les deux interlocuteurs.
2 ) - d'autre part, il ne conteste pas que Monsieur [J] a conversé via Instagram avec Madame [S] de sa messagerie privée vers celle de cette dernière - en dehors de ses heures de travail et à l'aide d'un matériel informatique qui lui appartenait à titre personnel.
Ces échanges n'ont fait l'objet d'aucune publication publique.
La société [O] n'a donc souffert d'aucune altération de son image et de sa notoriété de ce fait.
La seule phrase du courriel que Madame [S] a adressé à la société filiale le 25 mars 2019 au terme de laquelle elle lui indique : 'Nous voulons seulement savoir quel est votre politique avant de rendre cela public' démontre que la conversation litigieuse n'avait pas encore été rendue publique.
3 ) - en outre, la société [O] n'établit absolument pas que des discussions avaient été ouvertes avec les époux [S] ou Madame [S] pour l'achat d'un bateau de luxe, notamment le plus onéreux des gammes fabriquées par la société, qu'un devis avait même été établi et que finalement la vente n'a pas été concrétisée en raison des faits commis par Monsieur [J] dès lors que le seul courriel de Madame [S] qui indique qu'elle a demandé à son mari de ne pas contacter la société est inopérant à lui seul pour ce faire, à défaut de tout autre élément - notamment le devis - pour le démontrer.
4 ) - enfin, la société SPBI n'établit pas davantage la réalité de l'atteinte à son image causés par les faits qu'elle reproche à Monsieur [J], caractérisés par son attitude à l'égard de Madame [N] qui lui aurait valu un avertissement de la part de son supérieur direct ; avertissement dont il n'a même pas été fait allusion dans son entretien d'évaluation annuel.
En conséquence, il résulte donc de l'ensemble de ces éléments que la société SPBI France n'établit pas l'existence de la faute grave qu'elle reproche au salarié, à savoir une atteinte à son image et un préjudice financier.
Le licenciement pour faute grave doit donc être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence, le jugement attaqué est infirmé de ce chef.
B - Sur les conséquences de la rupture :
1 - Sur les indemnités afférentes à la rupture :
Il est acquis :
- que les indemnités de rupture auxquelles peut prétendre le salarié au titre de son licenciement par la société mère, doivent être calculées par référence à son dernier emploi (Cass. soc., 27 oct. 2004, no 02-40.648) :
- que si le licenciement est prononcé peu après la rupture du contrat par la filiale étrangère, sans qu'il y ait travaillé en France, le salaire de référence pour le calcul des indemnités sera le salaire d'expatriation, puisqu'il s'agit du dernier emploi (Cass. soc., 6 avr. 2005, no 03-42.021; Cass. soc., 5 déc. 2007, no 06-40.787).
- que s'agissant de la contre-valeur en euros, d'une dette exprimée en monnaie étrangère, il convient de distinguer entre les sommes dues au salarié en exécution du contrat de travail et celles dues au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive.
En l'espèce, il en résulte que contrairement à ce que soutient Monsieur [J], la base de calcul retenue est constituée par le dernier salaire qui lui a été versé par la société filiale, avec application du taux de change au jour du prononcé de l'arrêt pour les sommes qui lui sont dues au titre des indemnités de licenciement, de préavis et de congés payés et avec application du taux de change au jour du paiement pour les dommages intérêts pour rupture abusive.
Il en résulte :
1 - qu'il convient donc de condamner la société à verser à l'appelant les contre valeurs en Euros au jour du prononcé de l'arrêt à venir des sommes suivantes :
- mise à pied conservatoire : 5 696,23 $ US bruts
- congés payés afférents : 569,62 $ US bruts
- indemnité compensatrice de préavis : 20 374,98 $ US bruts
- congés payés afférents : 2 037,50 $ US bruts
- indemnité légale de licenciement (14 ans et 6 mois) 27 166,64 $ US nets
En conséquence, le jugement attaqué doit être infirmé.
2 - Il est acquis que le barème d'indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse n'est pas contraire à l'article 10 de la convention n°158 de l'Organisation Internationale du Travail, que le juge français ne peut écarter, même au cas par cas, son application au regard de cette convention internationale et que la loi française ne peut faire l'objet d'un contrôle de conformité à l'article 24 de la Charte sociale européenne, qui n'est pas d'effet direct.
Il en résulte donc qu'en application de l'article L. 1235-3 du code du travail prévoyant pour un salarié présentant 14 années pleines d'ancienneté une indemnité entre 3 et 12 mois de salaire brut, il y a lieu de fixer à 10 mois de salaire le montant des dommages intérêts dus à Monsieur [J] pour son licenciement abusif, soit à la contre valeur en Euros de la somme de 101 250 $ US pour un salarié âgé au jour de son licenciement de près de 40 ans, qui n'a pu retrouver qu'un emploi - bien moins rémunéré - dans un secteur qui ne correspond pas à ses aspirations.
Il convient donc de condamner la société à verser cette somme à Monsieur [J].
En conséquence, le jugement doit être infirmé.
III - SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES :
Monsieur [J] sollicite des dommages intérêts à hauteur de la somme de 26 872 € en réparation du préjudice distinct que lui a causé - après son licenciement - la poursuite par la société de son dénigrement à son égard qui l'empêche absolument de retrouver un emploi dans le secteur du nautisme.
Cependant, il n'établit par aucun élément que c'est la société [O] qui est à l'origine des réponses négatives apportées à ses demandes d'emploi dans le secteur qu'il affectionne.
En conséquence, il convient de le débouter de sa demande de dommages intérêts au titre d'un préjudice distinct de celui causé par le licenciement.
***
Les sommes allouées à Monsieur [J] produiront intérêts au taux légal :
- s'agissant des créances indemnitaires à compter de la présente décision,
- s'agissant des créances salariales, à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation, avec capitalisation dans les conditions prévues par l'article 1342-2 du code civil.
***
Compte tenu des développements qui précèdent, la demande tendant à la remise de documents sociaux conformes est fondée et il convient d'y faire droit dans les termes du dispositif.
En l'état, il n'y a pas lieu d'assortir cette remise d'une astreinte en l'absence de la démonstration de la mauvaise volonté de l'employeur à s'exécuter.
***
Les dépens doivent être supportés par l'employeur.
***
La charge des frais d'exécution forcée est régie par les dispositions d'ordre public de l'article L. 111-8 du code de procédure civile d'exécution.
Le juge du fond ne peut donc pas statuer sur le sort de ces frais par avance.
En conséquence, Monsieur [J] doit être débouté de sa demande présentée de ce chef.
***
Il n'est pas inéquitable de condamner la société à verser à Monsieur [J] une somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile tout en la déboutant de sa propre demande présentée sur le fondement des mêmes dispositions au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort,
Confirme le jugement prononcé par le conseil de prud'hommes de La Roche-Sur-Yon le 7 décembre 2020 en ce qu'il a débouté Monsieur [J] de sa demande en dommages intérêts pour préjudice distinct,
Infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau,
Requalifie le licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de Monsieur [I] [J] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
Condamne la SA SPBI Etablissement [O] à payer à Monsieur [I] [J] selon la contre-valeur en Euros au jour du prononcé de l'arrêt à intervenir les sommes de :
- 5 696,23 $ US bruts au titre de la mise à pied conservatoire,
- 569,62 $ US bruts au titre des congés payés y afférents
- 20 374,98 $ US bruts au titre de l' indemnité compensatrice de préavis
- 2 037,50 $ US bruts au titre des congés payés y afférents
- 27 166,64 $ US nets au titre de l' indemnité légale de licenciement,
Condamne la SA SPBI Etablissement [O] à payer à Monsieur [I] [J] selon la contre-valeur en Euros au jour du paiement à intervenir la somme de 101 250 $ US,
Dit que les sommes allouées à Monsieur [J] produiront intérêts au taux légal :
- s'agissant des créances indemnitaires à compter de la présente décision,
- s'agissant des créances salariales, à compter de la date de réception par la SA SPBI Etablissement [O] de la convocation devant le bureau de conciliation, avec capitalisation à compter du prononcé de la présente décision,
Condamne la SA SPBI Etablissement [O] à remettre à Monsieur [J] dans un délai de 30 jours à compter de la signification de la présente décision les documents rectifiés, à savoir un certificat de travail, un solde de tout compte et une attestation destinée à Pôle Emploi conformes,
Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,
Condamne la SA SPBI Etablissement [O] à payer à Monsieur [I] [J] la somme 3 000 € en application de l'article 700 du code de la procédure civile,
Déboute la SA SPBI Etablissement [O] de ses demandes de remboursement de frais irrépétibles présentées en première instance et en appel,
Déboute Monsieur [J] de sa demande relative au sort des frais d'exécution forcée fixé par les dispositions de l'article L. 111-8 du code de procédure civile d'exécution,
Condamne la SA SPBI Etablissement [O] aux dépens
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,