PC/LD
ARRET N° 794
N° RG 20/01316
N° Portalis DBV5-V-B7E-GAZX
S.A.S.U. [6]
C/
CPAM DE LA VENDEE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 15 DECEMBRE 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 juin 2020 rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de LA ROCHE-SUR-YON
APPELANTE :
S.A.S.U. [6]
N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 2]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Gabriel RIGAL de la SELARL ONELAW, avocat au barreau de LYON, substitué par Me Pauline BRUGIER de la SELARL BRUGIER AVOCAT, avocat au barreau de POITIERS
INTIMÉE :
CPAM DE LA VENDEE
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représentée par Mme [O] [U], munie d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, les parties ou leurs conseils ne s'y étant pas opposés, l'affaire a été débattue le 10 Octobre 2022, en audience publique, devant :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président qui a présenté son rapport
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Valérie COLLET, Conseiller
Monsieur Jean-Michel AUGUSTIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Le 23 juillet 2018, la S.A.S.U. [6] (ci-après la société [6]) a établi une déclaration au titre d'un accident du travail dont a été victime le 18 juillet 2018 à 16 h 45 l'une de ses salariées, Mme [Z] [N] épouse [G], ouvrière en maroquinerie, ainsi renseignée :
- activité de la victime lors de l'accident : Mme [G] était au poste de l'astiquage ces dernières semaines,
- nature de l'accident : Mme [G] nous a averti en date du 20 juillet 2018 de douleurs apparues depuis plusieurs semaines à son bras droit,
- objet dont le contact a blessé la victime : mouvements répétitifs,
- éventuelles réserves : les douleurs de Mme [G] sont apparemment apparues de manière progressive et non accidentelle,
- siège des lésions : bras droit,
- nature des lésions : douleur
- accident connu par l'employeur le 20 juillet 2018 à 14h.
- le témoin ou la 1ère personne avisée (en cas d'absence de témoin) rubrique non renseignée.
A cette déclaration a été annexé un certificat médical initial daté du 18 juillet 2018 faisant état de 'douleurs permanentes du poignet et avant-bras droit (chez une droitière), hyperalgique en rotation externe avec des douleurs au niveau du canal carpien à l'extension du poignet et pendant une pression prolongée avec la main avec des fourmillements pouce, index et majeur droit.'
La CPAM de Vendée a adressé à l'assurée et à l'employeur un questionnaire. Mme [G] a complété le questionnaire le 14 août 2018 et la caisse a réceptionné celui de l'employeur le 7 septembre 2018.
Le 31 août 2018, la caisse a avisé les parties de la clôture de l'instruction et de la faculté de venir consulter les pièces du dossier préalablement à la prise de décision prévue pour le 18 septembre 2018.
Par courrier du 18 septembre 2018, la caisse a notifié aux parties sa décision de prise en charge de l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels.
La commission de recours amiable, saisie par l'employeur, a confirmé par décision du 13 juin 2019, l'opposabilité de la décision de la caisse à l'employeur qui, par acte du 8 août 2019, a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de la Roche-Sur-Yon d'un recours contre cette décision.
Par jugement du 23 juin 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de La Roche- Sur-Yon a :
- débouté la société [6] de son recours,
- déclaré opposable à la société [6] la décision de prise en charge, par la CPAM de la Vendée, de l'accident du travail dont Mme [G] a été victime le 18 juillet 2018 au titre de la législation professionnelle,
- condamné la société [6] aux dépens.
Au soutien de sa décision, le tribunal a considéré en substance, au visa de l'article L411-1 du code de la sécurité sociale :
- que Mme [G] a déclaré que le 18 juillet 2018, vers 9 h, elle avait d'abord ressenti une douleur au niveau de l'avant bras droit jusqu'au coude alors qu'elle tapait avec un marteau, puis une seconde douleur alors qu'elle exerçait une pression avec un fer pour fileter des pièces,
- que les constatations médicales effectuées le soir même sont cohérentes avec la douleur soudaine ressentie par l'assurée à l'occasion des manipulations du marteau et du fer qu'elle a effectuées, que si l'employeur indique avoir rédigé la déclaration d'accident du travail en reprenant les dires de l'intéressée, faisant état de 'douleurs apparues depuis plusieurs semaines à son bras droit', cette déclaration ne résulte que de la propre rédaction de l'employeur qui ne peut remettre en cause l'origine de la lésion par une simple affirmation sans apporter d'élément médical démontrant l'absence d'origine traumatique de la pathologie,
- que les circonstances de l'accident apparaissent compatibles avec l'activité professionnelle de l'intéressée et avec ses horaires de travail,
- que la lésion, médicalement constatée le soir même, est compatible avec le fait accidentel décrit par l'assurée,
- qu'il existe des présomptions précises, graves et concordantes permettant d'établir la matérialité de l'accident aux temps et lieu de travail, celles-ci ne résultant pas des seules déclarations de l'assurée, peu important l'absence ou la présence de témoins au moment des faits,
- que l'employeur se contente d'affirmer que les douleurs de Mme [G] sont apparues de manière progressive et non accidentelle, de sorte qu'il ne rapporte aucun élément susceptible de renverser la présomption d'imputabilité de la lésion au travail.
La S.A.S. [6] a interjeté appel de cette décision selon déclaration transmise au greffe par LRAR du 2 juillet 2020.
L'affaire a été fixée à l'audience du 10 octobre 2022 à laquelle les parties ont développé oralement leurs conclusions transmises les 25 juillet 2022 (appelante) et 26 août 2022 (intimée).
La S.A.S. [6] demande à la cour, réformant la décision entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de lui déclarer inopposable la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle de l'accident de Mme [G] du 18 juillet 2018 ainsi que toutes les conséquences financières afférentes à cette prise en charge et de condamner la CPAM de Vendée aux dépens, en soutenant, en substance, après rappel du droit positif en matière de caractérisation de la matérialité même d'un accident du travail :
- que la caisse a pris en charge l'accident sur la base des seules déclarations, au demeurant confuses et incohérentes de Mme [G],
- que la matérialité de l'accident défini comme un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci, n'est pas établie à la simple lecture de la déclaration d'accident et du certificat médical initial :
$gt; que Mme [G] ne fait état d'aucun événement accidentel, qu'elle se trouvait simplement en train d'effectuer ses tâches habituelles,
$gt; que si Mme [G] n'a mentionné la présence d'aucun témoin, la commission de recours amiable précise qu'elle aurait alerté son chef d'atelier avant de poursuivre son travail et qu'en contradiction avec ses propres déclarations relatées sur la déclaration d'accident du travail, elle aurait précisé à la caisse la présence de trois témoins et la survenance de l'accident à 9 heures, alors qu'elle avait indiqué à l'employeur que l'accident s'était produit à 16 h 45,
$gt; qu'on ne peut que s'interroger sur l'incompatibilité entre la survenance d'un fait soudain et précis et les faits tels que présentés par la salariée elle-même qui a fait état de deux horaires différents à deux personnes différentes,
$gt; que Mme [G] a terminé sa journée selon ses horaires habituels, continuant de travailler malgré la prétendue douleur alléguée et que le certificat médical n'est pas la preuve du temps et du lieu de survenance de la lésion constatée,
- que ces nombreuses incohérences auraient dû justifier une décision de refus de prise en charge et à tout le moins une orientation de la salariée vers une déclaration de maladie professionnelle dans la mesure où le certificat médical initial mentionne la présence de douleurs permanentes et d'un canal carpien, cette suspicion de maladie professionnelle ayant une évolution lente et progressive s'étant confirmée par la production d'un certificat de prolongation du 12 novembre 2018 faisant état d'une épicondylite droite hyperalgique.
La CPAM de Vendée conclut à la confirmation du jugement entrepris en exposant, pour l'essentiel, au visa de l'article L411-1 du code de la sécurité sociale :
- que si l'assuré doit rapporter la preuve, autrement que par ses propres affirmations, de la réalité du fait accidentel et de sa survenance aux temps et lieu du travail, cette preuve peut être rapportée par un faisceau de présomptions suffisamment précises et concordantes,
- qu'ainsi, une description précise détaillée des faits, compatible avec l'activité professionnelle exercée par l'assuré, liée à une constatation médicale des lésions dans un temps proche de l'accident permet de reconnaître le caractère professionnel de celui-ci,
- qu'en l'espèce, les circonstances de l'accident décrites par l'assurée sont compatibles avec son activité professionnelle, étant considéré :
$gt; que le fait accident peut être constitué par un simple effort ou un faux mouvement, une douleur survenue lors d'un travail exercé habituellement pouvant être constitutive d'un accident du travail,
$gt; que Mme [G] a déclaré avoir ressenti une douleur soudaine alors qu'elle réalisait une tâche identifiée,
$gt; que la déclaration d'accident du travail a été renseignée par l'employeur et non par Mme [G] qui n'est pas responsable des informations qui y sont portées, tant sur les circonstances de l'accident, l'heure de celui-ci ou la présence ou non de témoins, étant observé que la déclaration a été rédigée alors que Mme [G], en arrêt de travail, n'était pas présente dans l'entreprise et n'a pu contrôler les informations mentionnées par l'employeur, l'argument tiré de la prétendue contradiction des déclarations de Mme [G] étant dénué de fondement,
$gt; que la fiabilité des mentions portées dans la déclaration d'accident du travail par l'employeur est à cet égard tout autant relative, au regard des incohérences affectant la relation des faits par l'employeur, s'agissant de l'heure à laquelle il aurait été informé de l'accident (20 juillet 2018 14 h dans la déclaration, 8h dans le questionnaire alors qu'il précise que Mme [G] a fait constater ses blessures par les sauveteurs secouristes de l'entreprise le 19 juillet 2018 à 10 h, date à laquelle l'employeur a, au plus tard, eu connaissance de l'accident) ou de la date à laquelle serait apparue la douleur (l'employeur soutenant que Mme [G] a indiqué aux secouristes que la douleur serait apparue dans la nuit du 18 au 19 juillet alors que la lésion a été constatée médicalement le 18 juillet),
- que la lésion a été médicalement constatée dans un temps proche de l'accident et est compatible avec celui-ci :
$gt; qu'une douleur aiguë survenue lors d'une activité ou d'un geste précis est à elle seule constitutive d'une lésion, que la constatation médicale permet de diagnostiquer précisément la nature de cette douleur, en l'espèce une épicondylite droite hyperalgique occasionnant des douleurs irradiant à l'avant-bras droit,
$gt; qu'une tendinite peut survenir à l'occasion d'un fait précis qui provoque une inflammation soudaine du tendon, ce risque étant d'autant plus présent sur un membre fragilisé par des mouvements répétitifs,
$gt; qu'en l'espèce, le fait accidentel du 18 juillet 2018 a entraîné une inflammation du coude qui s'est manifestée par une douleur soudaine,
$gt; qu'aucun élément objectif et vérifiable ne caractérise l'existence de douleurs au niveau de l'avant-bras droit avant l'accident mentionnées par l'employeur dans la déclaration d'accident du travail par lui renseignée,
$gt; que seul un état pathologique antérieur de nature à exclure totalement le rôle causal de l'accident, non établi en l'espèce, permettrait d'en exclure le caractère professionnel.
MOTIFS
En vertu de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, « est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise ».
L'accident, événement soudain générateur d'une lésion, est présumé imputable au travail dès lors qu'il survient au temps et au lieu du travail, toute lésion apparue au temps et au lieu de travail constituant par elle-même un accident, présumé imputable au travail, quelle qu'en soit la cause, étant précisé que si l'origine de la lésion est indifférente, il est tout de même exigé qu'elle se manifeste immédiatement ou dans un temps voisin de l'événement générateur.
La caisse, subrogée dans les droits du salarié pris en charge, n'a pas à démontrer la relation entre l'accident et le travail, mais doit rapporter la preuve d'un accident survenu aux temps et lieu du travail et elle doit justifier de la manifestation subite d'une lésion de l'organisme sur le lieu et à l'heure de son travail. Il lui est ainsi demandé d'établir les circonstances exactes de l'accident, la réalité de la lésion, ainsi que sa survenance au temps et au lieu du travail.
Elle peut apporter cette preuve par tous moyens, étant précisé néanmoins que les seules affirmations du salarié ne sont pas suffisantes si elles ne sont pas corroborées par des éléments objectifs et qu'en l'absence de témoin, qui n'est pas exclusive de toute caractérisation d'un fait accidentel, la caisse doit justifier de présomptions sérieuses et concordantes corroborant les déclarations du salarié victime.
En l'espèce, après enquête justifiée par les réserves mentionnées dans la déclaration d'accident du travail, la caisse a fondé sa décision de prise en charge sur la concordance entre la description des faits par la victime dans sa réponse au questionnaire de la caisse (indiquant qu'elle tapait les piqûres de ses pièces et a ressenti une douleur dans l'avant bras droit puisqu'elle a fileté ses pièces et a ressenti une autre douleur dans l'intérieur du bras droit) et du certificat médical initial, daté du jour même de l'accident (douleurs permanentes du poignet et avant-bras droit (chez une droitière), hyperalgique en rotation externe avec des douleurs au niveau du canal carpien à l'extension du poignet et pendant une pression prolongée avec la main avec des fourmillements pouce, index et majeur droit).
En effet, le siège et la nature des lésions décrits par le médecin sont compatibles avec les gestes professionnels décrits par Mme [G] comme à l'origine immédiate de la douleur soudaine par elle invoquée.
Ces éléments constituent des présomptions sérieuses et concordantes corroborant les déclarations de l'assurée victime dans le cadre de l'enquête (étant considéré que la déclaration d'accident du travail a été rédigée par le seul employeur ne contient aucune description précise des faits du 18 juillet 2018) et sont suffisants à établir la matérialité même d'un fait accidentel et sa qualification professionnelle.
Il doit par ailleurs être considéré :
- s'agissant des prétendues incohérences dans les déclarations de la salariée invoquées par la S.A.S. [6] : que la déclaration d'accident du travail sur laquelle se fonde l'appelante a été rédigée par le seul employeur le 23 juillet 2018 alors que Mme [G], en arrêt de travail, n'a pu en contrôler le contenu, qu'elle est incomplète (pas de mention de l'identité de la première personne avisée qui aurait dû être renseignée en l'absence, comme soutenu par l'employeur, de témoins (dont Mme [G] a fourni à la caisse dans le cadre de l'instruction l'identité et les coordonnées téléphoniques) et en contradiction, s'agissant de l'heure à laquelle l'employeur a été informé par Mme [G], avec les indications portées dans le questionnaire employeur ; alors que, dans sa réponse au questionnaire de la caisse, Mme [G] a décrit un enchaînement de gestes compatible avec les constatations médicales effectuées le jour même,
- que l'existence d'un état antérieur, mentionnée par l'employeur dans la déclaration d'accident du travail, n'est pas objectivée, alors même que la caisse soutient exactement, sans être techniquement efficacement contredite, qu'une tendinite peut survenir consécutivement à un fait précis qui provoque une inflammation soudaine du tendon, le risque étant d'autant plus présent sur un membre fragilisé par des mouvements répétitifs,
- que la circonstance que la salariée a poursuivi son activité jusqu'à la fin de sa journée de travail n'est pas exclusive de l'existence d'un fait traumatique, au regard de la nature des lésions constatées dans le certificat médical initial.
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a déclaré opposable à la S.A.S. [6] la décision de la CPAM de Vendée du prise en charge de l'accident du travail dont Mme [G] a été victime le 18 juillet 2018, les premiers juges ayant exactement considéré qu'il existe des présomptions graves, précises et concordantes permettant d'établir la matérialité de l'accident aux temps et lieu du travail et que la preuve n'est pas rapportée de l'imputabilité des lésions à une cause totalement étrangère au travail.
La S.A.S. [6] sera condamnée aux dépens d'appel et de première instance.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Vu le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de La Roche-Sur-Yon en date du 23 juin 2020,
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,
Y ajoutant, condamne la S.A.S. [6] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,