ARRET N°537
N° RG 21/00452 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GGCH
[6]
C/
Etablissement Public [4]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 15 NOVEMBRE 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00452 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GGCH
Décision déférée à la Cour : jugement du 26 novembre 2020 rendue par le Tribunal de première instance de LA ROCHE SUR YON.
APPELANTE :
[6]
[Adresse 7]
[Localité 3]
ayant pour avocat postulant Me Marie-Odile FAUCONNEAU de la SCP EQUITALIA, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Jean-Charles LOISEAU, avocat au barreau d'ANGERS, substitué par Me Hortense DE BOUGLON, avocat au barreau d'ANGERS
INTIMEE :
CHAMBRE D'AGRICULTURE DE VENDEE
[Adresse 1]
[Localité 2]
ayant pour avocat Me Grégoire TERTRAIS de la SELARL ATLANTIC-JURIS, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON substitué par Me François CAPUL, avocat au barreau de LA ROCHE SUR YON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 26 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Madame Anne VERRIER, Conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
Madame Anne VERRIER, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,
ARRÊT :
- Contradictoire
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE, DES PRÉTENTIONS
Suivant contrat du 9 mai 2017 intitulé 'déclaration PAC 2017 ', la chambre d'agriculture de la Vendée s'est engagée à accompagner le gaec [6] (le gaec) dans 'la réalisation de la déclaration de son dossier Politique Agricole Commune (PAC)', prestation dont le coût s'élevait à la somme de 162 euros.
Le client s'engageait à fournir l'intégralité des informations exactes nécessaires au bon déroulement de la prestation.
Le contrat prévoyait une date limite de réalisation de la prestation, en l'espèce, le 15 mai 2017.
Par courrier du 27 mai 2019, le gaec a mis en demeure la chambre de l'indemniser de son préjudice après avoir constaté que le calcul de ses droits à paiement de base n'avait pas tenu compte de son agrandissement.
Par acte du 24 septembre 2020, le gaec a assigné la chambre d'agriculture devant le tribunal judiciaire de la Roche sur Yon aux fins d'indemnisation de son préjudice.
Il lui reprochait de ne pas avoir rempli la clause de transfert des droits à paiement de base qui accompagne un transfert de foncier, un défaut d'information.
Il chiffrait son préjudice à la somme de 9706,62 euros.
La chambre d'agriculture concluait au débouté, contestait avoir commis une faute.
Par jugement du 26 novembre 2020, le tribunal judiciaire de La Roche sur Yon a débouté le gaec [6] de sa demande d'indemnisation, l'a condamné aux dépens et à verser la somme de 800 euros à la chambre d'agriculture de la Vendée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le premier juge a notamment retenu que :
Le contrat conclu porte sur une prestation d'accompagnement de la déclaration du dossier PAC.
La procédure de transfert des droits à paiement de base (DPB) est distincte de la déclaration PAC.
Elle suppose une clause de transfert signée entre deux bénéficiaires de droits et une validation de la clause par la Direction Départementale du Territoire et de la Mer.
La chambre d'agriculture doit dans le cadre de sa mission d'accompagnement joindre la clause de transfert validée à la déclaration PAC, informer le déclarant, lui fournir les documents pertinents.
En l'espèce, il résulte de l'aide-mémoire produit établi le 9 mai 2017 et signé de l'agriculteur qu'ont été consignés les renseignements suivants :
'pièces à fournir, compléments d'information à transmettre pour finaliser le dossier : imprimer au bureau le RPG, transfert DPB à faire avec juriste.'
Il est évident que ces commentaires étaient destinés à l'agriculteur.
Il n'est pas démontré que ce document a été falsifié.
L'obligation d'information incombant à la chambre d'agriculture quant aux démarches nécessaires pour la prise en compte de droits nouvellement acquis ayant été remplie, le gaec sera débouté de ses demandes.
LA COUR
Vu l'appel en date du 10 février 2021 interjeté par le gaec
Vu l'article 954 du code de procédure civile
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 28 juillet 2021 , le gaec [6] a présenté les demandes suivantes :
Vu les dispositions de l'article 1103 du Code Civil,
Vu les dispositions de l'article 1231-1 du Code Civil.
- INFIRMER le jugement du Tribunal Judiciaire de LA ROCHE SUR YON en ce qu'il l'a :
-débouté de sa demande d'indemnisation,
-condamné à verser la somme de 800€ à la chambre d'agriculture de la Vendée sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
-condamné au entiers dépens.
En conséquence
- RECONNAITRE que la Chambre d'Agriculture a commis une faute dans l'exercice du contrat conclu avec le GAEC [6],
-RETENIR la responsabilité contractuelle de la Chambre d'Agriculture,
-DEBOUTER la Chambre d'Agriculture de l'intégralité de ses demandes
-CONDAMNER la Chambre d'Agriculture à procéder au versement de la somme de condamnera à indemniser le GAEC à hauteur de 9 706,62€ avec capitalisation des intérêts à compter du 21 mai 2018,
-CONDAMNER la CHAMBRE D'AGRICULTURE DE LA VENDEE à verser au GAEC [6] la somme de 5 000€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre les entiers dépens.
A l'appui de ses prétentions, le gaec soutient en substance que :
-Il existait un partenariat ancien entre le gaec et la chambre d'agriculture.
-La chambre avait été informée de l'agrandissement du gaec d'une superficie de33 ha 57a avec transfert de DBP portant sur des biens repris dans le cadre d'un bail rural.
-Elle avait accompagné le gaec notamment lors du dépôt d'une demande d'autorisation administrative d'exploiter.
-La chambre n'a pas complété les clauses de transfert relatives au transfert de droits intervenant au plus tard le 15 mai 2017.
-Les surfaces adjointes n'ont pas été prises en considération.
-Les fautes reprochées consistent à n'avoir pas effectué les démarches adéquates pour obtenir le transfert, à n' avoir pas informé clairement l'agriculteur.
-L'obligation de moyen admise par la chambre d'agriculture implique prudence et diligence.
-La chambre savait que le dossier était incomplet, que six jours séparaient la date butoir.
Si elle était incompétente, elle devait avertir le gaec clairement, le mettre en relation avec un professionnel compétent, s'assurer que cela avait été fait , ré-interroger le gaec.
-Elle a noté la nécessité d'un transfert sans proposer des moyens concrets d'accompagnement.
Elle s'était engagée à permettre le dépôt d'un dossier complet, soit une déclaration incluant les documents relatifs aux DPB. Elle a vendu une prestation technique.
Cette prestation est sans aléa, ni difficultés. L' obligation est de résultat.
Il y a eu une faute dans l'exécution du contrat.
-La déclaration des parcelles exploitées au titre de la PAC et celle du transfert des DPB forment un tout. Les dates de dépôt sont identiques.
-La case prévue pour la signature de l'agriculteur n'est pas signée.
-Nul ne peut se constituer une preuve à soi-même. Aucune copie n'a été remise à l'agriculteur.
-La mention litigieuse est équivoque. Elle ne signifie pas que le transfert ne sera pas fait par la chambre. Le gaec a cru que la chambre allait se rapprocher d'un juriste de la chambre.
-Le préjudice subi est certain.
-Un dépôt tardif était exclu dès lors que le gaec ne savait pas que son dossier était incomplet.
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 9 juin 2021, la chambre d'agriculture de Vendée a présenté les demandes suivantes :
Vu les article 1103,1231-1 du Code civil,
-Confirmer le jugement en date du 26 novembre 2020 rendu par le Tribunal Judiciaire de LA ROCHE SUR YON.
-Débouter le GAEC [6] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
-Condamner le GAEC [6] à verser à la Chambre d'agriculture de la Vendée la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
-Condamner le GAEC [6] aux entiers dépens.
A l'appui de ses prétentions, la chambre de l'agriculture soutient en substance que :
-La date limite de réalisation était prévue au 15 mai 2017, d'où la fixation d'un rendez-vous immédiat le jour même.
-Le bail rural à l'origine de l'augmentation des surfaces est daté du 12 janvier 2017.
-Elle conteste avoir accompagné le gaec dans le cadre de l'augmentation de surface.
-L'agriculteur doit actualiser son portefeuille de droits. La préfecture inscrit les droits transférés dans le portefeuille du bénéficiaire pour le paiement des aides.
-La chambre ne remplissait jamais les clauses de transfert avant 2018. Les clauses étaient remplies par les services juridiques de la [5]. Il n'y a pas de juriste à la chambre.
-Les baux sont très variés. Leur analyse est nécessaire pour choisir la clause de transfert pertinente.
-La démarche PAC et DPB est distincte même si les dates sont calées.
-La déclaration DPB n'est pas systématique.
-C'est la [5] qui suivait le gaec. Il devait se rapprocher d'un juriste de la fédération aux fins de rédaction du bail rural et des clauses de transfert.
-Le sujet du transfert a été abordé. C'est une question classique. Le gaec avait été invité à se rapprocher d'un juriste. Ce n'était pas de la compétence de la chambre.
La réponse qui lui a été donnée était la seule réponse possible.
-Le choix de la clause de transfert à mobiliser est complexe. La chambre n'avait ni les éléments ni les connaissances pour la renseigner. Il y a des vérifications à faire sur les conditions dans lesquelles le foncier a été transféré.
-La chambre a veillé à l'avertir que l'opération devait être 'finalisée'.
-Le manque à gagner subi n'est pas le fait de la chambre d'agriculture.
-Subsidiairement, le préjudice n'est pas démontré. Les dépôts tardifs sont acceptés avec pénalité. -Le préjudice est tout au plus une perte de chance qui ne peut équivaloir à l'intégralité du
manque à gagner.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 29 août 2022 .
SUR CE
-sur l'existence d'un manquement contractuel
L'article 1103 dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Le contrat comprend des conditions générales de vente qui figurent au verso.
Elles indiquent notamment :
'La chambre d'agriculture prestataire s'engage à réaliser la prestation, objet du présent contrat selon les règles de l'art et de la meilleure manière, dans le respect de la réglementation et des textes d'application en vigueur à la date de l'intervention.
Elle ne pourra être tenue responsable des conséquences résultant d'une interprétation ou d'une application erronée des conseils ou documents fournis.
La chambre n'est tenue qu'Ã une obligation de moyens.
Les conseils seront formulés sur la base des informations communiquées par le client.
La chambre n'est pas responsable d'informations inexactes ou incomplètes.
Le Client s'engage à fournir les éléments, les documents nécessaires à l'instruction de la demande et/ou sollicités par le conseiller.'
Il appartient à la chambre d'agriculture de démontrer qu'elle a rempli son obligation d'information et que l'information donnée était suffisante, pertinente, adaptée.
Il résulte de l'aide-mémoire PAC 2017 produit qu' un 'rendez-vous' a eu lieu le 9 mai 2017.
L'aide-mémoire recense les 'éléments vérifiés ' pendant le rendez-vous.
Deux colonnes sont prévues après chaque élément vérifié, le rédacteur devant opter entre : 'concerné , fait '.
L'élément transfert de DPB a fait l'objet d'une croix dans la colonne 'concerné '.
Les clauses A B C D E F qui correspondent aux différents types de transfert n'ont pas été renseignées.
Le document prévoit une rubrique intitulée : stade du dossier à l'issue du rendez-vous.
Est cochée la case 'signé électroniquement '.
Sous la rubrique commentaires (Pièces à fournir/ compléments d'information à transmettre pour finaliser le dossier), il est mentionné
'-Imprimer au bureau le RPG,
-Transfert de DPB Ã faire avec juriste.'
Deux emplacements sont réservés pour la signature de l'exploitant et celle du conseiller PAC.
Aucune signature n'y figure.
La chambre d'agriculture estime que ce commentaire démontre qu'elle a fait son travail, a invité l'agriculteur à se rapprocher d'un juriste qui devait transmettre les clauses de transfert à la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) avant le 15 mai 2017 pour permettre d'activer les DPB.
L'aide-mémoire produit a vraisemblablement été rédigé après le rendez-vous.
Il n'est pas établi, ni soutenu qu'un exemplaire de l'aide-mémoire ait été remis à l'exploitant.
En ne veillant pas à faire signer l'aide-mémoire, alors même que l'imprimé prévoit cette signature, il existe une incertitude sur la teneur des informations qui ont été données à l'exploitant lors du rendez-vous.
Même en retenant que l'information verbale donnée correspond à celle qui a été consignée, force est de relever que l'information donnée est elliptique, voire hermétique.
Il ne ressort pas du commentaire que la clause de transfert devait être adressée à la DDTM, ni que cette remise devait intervenir avant le 15 mai 2017, soit dans les six jours et donc en urgence.
S'il est bien fait référence au recours nécessaire à un juriste, la formulation choisie est incertaine.
Il n'est pas indiqué en particulier que le choix du juriste incombe à l'agriculteur qui doit donc le saisir.
Le gaec soutient avoir cru que la chambre d'agriculture s'en 'occupait'.
La chambre d'agriculture soutient que le juriste était forcément un juriste de la [5], ce que le gaec savait forcément mais ne démontre pas l' avoir indiqué ou rappelé à l'exploitant.
Ainsi que le conclut le gaec, si la rédaction de la clause de transfert n'était pas de la compétence de la chambre d'agriculture, l'information sur la procédure à respecter n'a pas été transmise clairement.
Il résulte donc des éléments précités que la chambre d'agriculture , bien qu'elle sache que le gaec entendait faire une demande de transfert de DPB, a donné des informations vagues, elliptiques, n'a pas suffisamment appelé l'attention de l'exploitant sur les délais très courts à respecter et les démarches précises qu'il devait effectuer.
Si la chambre d'agriculture produit en appel un fascicule portant sur la procédure à respecter campagne 2021, fascicule qui précise que la demande complète doit être réceptionnée par la DDTM avant le 17 mai 2021, qu'un formulaire spécifique de transfert de droits est à déposer à la DDTM au plus tard le 17 mai 2021, elle ne démontre pas que la procédure était la même en 2017, ni ne justifie avoir informé l'exploitant de la procédure alors en vigueur.
En revanche, contrairement à ce que le gaec soutient, les obligations de la chambre n'allaient pas au-delà de la réalisation de la déclaration du dossier PAC.
Il n'est ni démontré que ce soit la chambre qui devait à l'époque renseigner les clauses de transfert, ni qu'elle devait ensuite s'assurer de la bonne exécution des conseils donnés.
Les éléments précités caractérisent donc une faute de la chambre d'agriculture, faute qui a causé un préjudice au gaec.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a débouté le gaec de sa demande d'indemnisation.
-sur l'indemnisation du préjudice subi
Le manquement de la chambre d'agriculture est un manquement à son obligation d'information et de conseil.
Le préjudice subi ainsi que le rappelle la chambre d'agriculture est une perte de chance de n'avoir pu bénéficier de l'intégralité des droits à paiement de base.
Le gaec ne produit pas ses déclarations PAC ultérieures, ni ne justifie des DPB perçus après prise en compte du bail litigieux et rédaction des clauses de transfert.
Le gaec a donc perdu une chance limitée de percevoir des droits à paiement de base.
Le préjudice causé par cette perte de chance sera réparé par l'allocation d'une somme de 3000 euros.
-sur les autres demandes
Il résulte de l'article 696 du code de procédure civile que ' La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. (...).'
Compte tenu de la solution apportée au présent litige, les dépens de première instance et d'appel seront fixés à la charge de l'intimée.
Il est équitable de condamner la chambre d'agriculture de Vendée à payer au gaec la somme fixée au dispositif du présent arrêt sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort
-infirme le jugement entrepris
Statuant de nouveau :
-dit que la chambre d'agriculture de Vendée a manqué à ses obligations d'information et de conseil
-condamne la chambre d'agriculture de Vendée à payer au gaec [6] la somme de 3000 euros en réparation de son préjudice
-Y ajoutant :
-déboute les parties de leurs autres demandes
-condamne la chambre d'agriculture de la Vendée aux dépens de première instance et d'appel
-condamne la chambre d'agriculture de Vendée à payer au gaec [6] la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,