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08/11/2022 | FRANCE | N°21/01110

France | France, Cour d'appel de Poitiers, 1ère chambre, 08 novembre 2022, 21/01110


ARRÊT N°521



N° RG 21/01110



N° Portalis DBV5-V-B7F-GHS7













[M]



C/



S.A.S. TGS FRANCE













RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile



ARRÊT DU 08 NOVEMBRE 2022





Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 mars 2021 rendu par le Tribunal de Commerce de POITIERS





APPELANT :



M

onsieur [U] [M]

Entrepreneur en nom personnel

né le [Date naissance 3] 1950

[Adresse 8]



ayant pour avocat postulant Me Philippe MISSEREY de l'ASSOCIATION L.E.A - Avocats, avocat au barreau de POITIERS



ayant pour avocat plaidantt Me Lucile ASSELIN, avocat au barreau d...

ARRÊT N°521

N° RG 21/01110

N° Portalis DBV5-V-B7F-GHS7

[M]

C/

S.A.S. TGS FRANCE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 08 NOVEMBRE 2022

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 mars 2021 rendu par le Tribunal de Commerce de POITIERS

APPELANT :

Monsieur [U] [M]

Entrepreneur en nom personnel

né le [Date naissance 3] 1950

[Adresse 8]

ayant pour avocat postulant Me Philippe MISSEREY de l'ASSOCIATION L.E.A - Avocats, avocat au barreau de POITIERS

ayant pour avocat plaidantt Me Lucile ASSELIN, avocat au barreau de POITIERS

INTIMÉE :

S.A.S. TGS FRANCE

anciennement dénommée SOREGOR

N° SIRET : 069 200 210

[Adresse 4]

[Adresse 1]

ayant pour avocat postulant Me Marion LE LAIN de la SCP DROUINEAU-LE LAIN-VERGER-BERNARDEAU, avocat au barreau de POITIERS

ayant pour avocat plaidant Me Bérengère SOUBEILLE, avocat au barreau de NANTES

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 Septembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre

Madame Anne VERRIER, Conseiller

Monsieur Philippe MAURY, Conseiller qui a présenté son rapport

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT,

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

M. [U] [M] exploite à titre individuel 4 établissements dans le département de la [Localité 6] à savoir :

- un garage et une station essence à [Adresse 8],

- une activité de transport de voyageurs par taxi à [Localité 7],

- un garage à [Localité 5] : entretien et réparations de véhicules,

M. [U] [M] employait en qualité de comptable salariée, sa fille, Mme [L] [I], depuis le [Date décès 2] 2000.

Mme [L] [I] avait pour mission l'enregistrement comptable des opérations journalières de l'entreprise de M. [U] [M] au moyen d'un logiciel comptable propre à l'entreprise, conduisant à la production de la balance des comptes et du Grand livre avant révision à la date de clôture de l'exercice comptable, soit le 31 décembre de chaque année.

M. [U] [M] avait confié la mission de révision comptable et d'établissement des comptes annuels de son entreprise à la société SOREGOR (société d'expertise comptable) dénommée à ce jour TGS France.

Partant des documents comptables transmis par Mme [L] [I], la société SOREGOR procédait à la révision des comptes de l'entreprise de M. [M] et par suite, établissait les écritures de régularisation comptable et d'inventaire permettant l'établissement des comptes annuels de ladite entreprise.

Lors de l'établissement des comptes annuels de l'exercice 2017, des anomalies comptables ont été constatées et ont abouti, par suite d'investigations complémentaires, à la mise à jour de détournements opérés par Mme [L] [I], laquelle a fait l'objet d'une procédure de licenciement pour faute lourde.

M. [U] [M] a, en outre, déposé plainte contre Mme [L] [I], sa fille, en date du 22.02.2018.

Cette plainte a conduit à une saisine du tribunal correctionnel contre la comptable de l'entreprise et son mari et par suite, à la condamnation au titre de l'action civile, par jugement en date du 5 décembre 2019, de Mme [L] [I] à concurrence de 455.672,21 € dont 227.836,10 € solidairement avec son mari, faisant ainsi droit à la constitution de partie civile de M. [U] [M], et ce, pour des faits couvrant la période du 1er janvier 2013 au 2 août 2017, étant précisé que cette décision est devenue définitive.

M. [U] [M], considère que la société SOREGOR (TGS France) n'a pas exécuté correctement sa mission d'expert-comptable et entend engager la responsabilité civile professionnelle de cette dernière.

En l'absence de conciliation entre les parties, M. [U] [M] a saisi le tribunal de commerce de POITIERS par acte d'huissier en date du 14/06/2019.

Par ses dernières écritures, il demandait au tribunal de :

'- Dire et juger inopposable à M. [U] [M] la clause d'exonération de responsabilité soulevée par la société TGS France (ex SOREGOR)

- Dire et juger que la société TGS (ex SOREGOR) n'a pas correctement exécuté sa mission d'expert-comptable de M. [U] [M] et a engagé sa responsabilité civile professionnelle pour les exercices 2012 à ce jour ;

- Condamner la société TGS France (ex SOREGOR) à indemniser M. [U] [M] du préjudice subi pour les exercices 2012 à ce jour à concurrence d'une somme de 455.672 € sauf à modifier ou à parfaire en fonction des mesures d'exécution encore en cours et subsidiairement en deniers et quittances ;

- Dire et juger que ces sommes seront assorties des intérêts prévus à l'article L 441-6 du Code de Commerce capitalisés en application de l'article 1343-2 (ancien article 1154) du code civil, à compter de l'assignation délivrée le 14 juin 2019 ;

- Condamner la société TGS France (ex SOREGOR) à indemniser M. [U] [M] des frais mis en oeuvre pour la défense de ses intérêts et donc à 10.000 € d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

- Ordonner l'exécution provisoire.

En défense et par ses dernières conclusions, la société TGS demandait au tribunal de :

A titre principal :

- Débouter M. [U] [M] de l'intégralité de ses demandes, fins et

conclusions.

A titre subsidiaire, de :

- Réduire à de bien plus justes proportions les demandes indemnitaires de M.  [U] [M] en réparation de sa perte de chance.

- Condamner M. [U] [M] à régler à la société TGS France (ex- SOREGOR), la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner M. [U] [M] aux entiers dépens.

Par jugement contradictoire en date du 22/03/2021, le tribunal de commerce de POITIERS a statué comme suit :

'Dit :

- Que, la lettre de mission établie par la société SOREGOR ne saurait avoir un caractère contractuel entre les parties et n'est donc pas opposable à M. [U] [M] non signataire du document ;

Que par suite, les clauses exonératoires de responsabilité de la société SOREGOR, présentées audit document et soulevées par ladite société, ne sauraient être valablement opposables à M. [U] [M] ;

Que la mission accomplie par la société SOREGOR, est une mission de présentation des comptes annuels, et que par suite, la norme NP 2300 attachée à ladite mission est opposable par M. [U] [M] à la société TGS (ex- SOREGOR),

Que la société SOREGOR a conduit sa mission générale de révision comptable conformément aux règles et diligences prévues par la norme de présentation NP 2300, à l'exception toutefois des sondages dont la société SOREGOR ne rapporte pas la preuve qu'ils aient été réalisés, alors même qu'en raison des insuffisances relevées dans le cadre des travaux de révision comptable, ceux-ci s'avéraient nécessaires ;

- Que pour autant, il n'est pas démontré, que si le cabinet SOREGOR avait conduit des investigations complémentaires, cette démarche lui aurait permis de déceler les détournements opérés par Mme [I] ;

Qu'il appartenait à M. [U] [M], en sa qualité de chef d'entreprise

d'exercer un contrôle interne sur la comptabilité de son entreprise, lequel contrôle, s'il avait été effectué, n'aurait pas manqué de l'alerter, en effet, M. [U] [M], pouvait, sans difficultés particulières, apprécier la pertinence des prélèvements financiers qui lui étaient comptablement imputés;

- Qu'il y a cependant lieu de constater qu'en ne rapportant pas la preuve d'avoir effectué les démarches de contrôle par sondage sur les points faibles relevés dans la conduite de sa mission de révision comptable, la société SOREGOR n'a pas entièrement satisfait à l'ensemble des obligations attachées à la mission de présentation, entraînant, par suite, une perte de chance à l'égard de l'entreprise de M. [U] [M] ;

Dit :

- Que le montant du dommage causé au titre de la perte de chance est évalué, au vu des éléments examinés, à 5 % du montant net des détournements opérés par Mme [I], soit donc après déduction des remboursements qui seront effectués par M. et Mme [I] à M. [U] [M] en réparation du préjudice causé En l'absence totale de remboursement, le montant maximum de la condamnation s'élèverait à la somme de : (455.672.21 x 5 %) = 22.783,61€ ;

- Dans l'hypothèse d'un remboursement de 100.000 € par Mme ou M. [I] à M. [U] [M], le montant définitif de la condamnation, s'élèverait à : (455.672,21 - 100.000) x 5 % = 17.783,61 € ;

Condamne :

La société TGS France (ex-SOREGOR) à verser à M. [U] [M] à titre de provision, la somme de 12.800 €, ladite somme constituant un acompte à valoir sur le montant définitif, lequel montant, sera établi et liquidé après prise en compte des remboursements qui seront effectués par M. et Mme [I] à M. [U] [M] et ce, au plus tard au terme d'une période de 5 ans faisant suite à la signification du présent jugement ;

Dit :

Que la somme de 12.800 € sera assortie des intérêts prévus à l'article L 441-6 du code de commerce capitalisés en application de l'article 1343-2 (ancien article 1154) du code civil,

à compter de l'assignation délivrée le 14 juin 2019 ;

Condamne :

- La société TGS France (ex SOREGOR) à indemniser M. [U] [M] des frais mis en oeuvre pour la défense de ses intérêts et donc à 5.000 € d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit :

- Qu'il n'y a pas lieu à ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;

Condamne :

- La société TGS France (ex SOREGOR) qui succombe à l'instance, aux entiers dépens dont les frais de la présente instance liquidés à la somme de 73,24 € T.T.C.'.

Le premier juge a notamment retenu que :

- la lettre de mission proposée par la société SOREGOR à son client M. [U] [M] n'est signée que de M. [P] expert-comptable représentant la société SOREGOR. Elle ne saurait avoir un caractère contractuel établi entre les parties et elle n'est nullement opposable à M. [M] non signataire.

- les attestations émises par la société pour les exercices 2013 et 2015 engagent le professionnel signataire sur l'accomplissement des travaux normés par la profession comptable dans le cadre de la norme NP 2300, le professionnel de l'expertise-comptable vérifie l'existence et la mise à jour des livres comptables obligatoires prévus par le code de commerce et apprécie par des sondages appropriés la qualité des enregistrements comptables.

- les manoeuvres frauduleuses auxquelles s'est livrée Mme [I] ont conduit celle-ci et son conjoint à des détournements, en numéraire et par chèques, retenus par le tribunal correctionnel dans son jugement du 15-12-2019 à la somme de 455.672,21 €.

- le cabinet SOREGOR justifie des tâches et analyses permettant la justification des soldes des comptes de l'entreprise de M. [U] [M] à la clôture des exercices examinés, mais la société SOREGOR, qui a relevé dans ses notes de révision et de façon répétée pour chacun des exercices comptables de la période 2013 à 2016, de réelles difficultés dans l'analyse des comptes clients, ne démontre pas avoir effectué, plus avant, des investigations au moyen de sondages. En outre, l'enregistrement par le cabinet SOREGOR sur un journal d'opérations diverses, d'un complément de recettes de 11.000 € au titre de l'exercice 2014, constitue à l'évidence une faute professionnelle, l'enregistrement des ventes incombant à l'entreprise et les règles comptables ne peuvent admettre sans l'explication d'une erreur dénommée, la comptabilisation d'un complément de vente sur un journal comptable autre que celui ou ceux dédiés à l'enregistrement des ventes.

- un examen limité du compte de l'exploitant (compte 108), ainsi qu'un examen par sondage des enregistrements comptables attachés aux ventes, eût été judicieux de la part du réviseur du cabinet SOREGOR, sans assurance toutefois de permettre d'y déceler les prélèvements frauduleux.

- il n'est pas démontré, que si le cabinet SOREGOR avait conduit des investigations complémentaires sur les procédures comptables de l'entreprise de M. [U] [M] ou avait procédé à un examen des opérations comptables inscrites au débit du compte de l'exploitant (compte 108), cette démarche lui aurait permis de déceler les détournements opérés par Mme [I].

- il appartenait à M. [U] [M], en sa qualité de chef d'entreprise,

d'exercer un contrôle interne sur la comptabilité de son entreprise.

- néanmoins, en ne rapportant pas la preuve d'avoir effectué les démarches de contrôle par sondage sur les points faibles relevés dans la conduite de sa mission de révision comptable, la société SOREGOR n'a pas entièrement satisfait à l'ensemble des obligations attachées à la mission de présentation, entraînant, par suite, une perte de chance à l'égard de l'entreprise de M. [U] [M].

- la réalisation des investigations complémentaires qui auraient pu ou dû être réalisées, n'aurait apporté qu'une faible assurance quant à la possible découverte des détournements opérés, attendu que seule une mission d'audit aurait probablement permis de mettre à jour ces détournements, ce qui, en l'espèce, n'était pas la mission dévolue à la société SOREGOR

- la perte de chance est évaluée, au vu des éléments examinés, à 5 % du montant net des détournements opérés par Mme [I], après déduction des remboursements qui seront effectués par M. et Mme [I], une provision étant accordée à M [M] à hauteur de 12 800 € avec intérêt.

- le montant définitif sera établi et liquidé après prise en compte des remboursements qui seront effectués par M. et Mme [I] à M. [U] [M] et ce, au plus tard au terme d'une période de 5 ans faisant suite à la signification du jugement.

LA COUR

Vu l'appel en date du 16/02/2021 interjeté par M. [U] [M]

Vu l'article 954 du code de procédure civile

Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 24/12/2021, M. [U] [M] a présenté les demandes suivantes :

'Vu les articles 1147 (ancien) et 1231-1 du code civil

Réformer partiellement le jugement dont appel et statuant à nouveau,

Dire et juger que la société TGS France n'a pas correctement exécuté sa mission d'expert-comptable auprès de M. [M] et a engagé sa responsabilité civile professionnelle pour les exercices 2012 à ce jour.

Condamner la société TGS France à indemniser M. [M] du préjudice subi pour les exercices 2012 à ce jour à concurrence d'une somme de 455.672 € avec intérêts capitalisés en application de l'article 1343-2 (ancien article 1154) du code civil, à compter de l'assignation délivrée le 14 juin 2019.

Condamner la société TGS France à indemniser M. [M] des frais mis en oeuvre pour la défense de ses intérêts et donc à 10.000 € d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civil ainsi qu'aux entiers dépens.

Débouter purement et simplement la société TGS France de toutes demandes, fins et conclusions,

Confirmer le jugement pour le surplus.

A l'appui de ses prétentions, M. [U] [M] soutient notamment que :

-, la responsabilité de tout conseil et notamment d'un expert-comptable n'est pas subsidiaire et est indépendante de l'efficacité du recouvrement de dommages et intérêts contre le débiteur principal.

- Le tribunal devait donc statuer sur le principe de la responsabilité de la société TGS (ex SOREGOR) sans connaître le résultat des mesures d'exécution entreprises contre les époux [I] et en condamnant in solidum l'expert-comptable avec l'auteur des détournements, la question des sommes à recouvrer contre l'expert-comptable sera ensuite réglée par le juge de l'exécution.

- toutes mesures d'exécution sont arrêtées contre les débiteurs qui bénéficient d'un plan de redressement dans le cadre d'une procédure de surendettement absorbant le produit de la vente de leur immeuble.

- il n'y a pas lieu à limitation de la responsabilité de la société TGS qui n'a pas rempli son obligation de conseil vis-à-vis de son client, et n'a pas mené sa mission conformément à la norme professionnelle applicable.

Investi d'une mission de tenue des journaux obligatoires et comptes auxiliaires et de présentation des comptes annuels, l'expert-comptable doit, selon la Cour de cassation, vérifier par sondage la vraisemblance et la cohérence des comptes de son client en procédant à des contrôles par sondages des pièces comptables, ce que SOREGOR n'a pas fait.

- le travail de pointage fait a posteriori par M. [M] démontre que TGS ne réalisait strictement aucun travail de vérification sur la comptabilité de son entreprise, puisque de nombreux constats d'irrégularités ont été faits.

L'expert-comptable se contentait de reprendre sans aucune vérification les écritures comptables qui lui étaient présentées. Il ne pratiquait aucun rapprochement bancaire, ne serait-ce que par sondage.

- selon le journal des écritures d'opérations diverses que la SOREGOR avait envoyé à son client pour l'exercice 2014 par mail du 4 juin 2015, SOREGOR faisait état d'un 'manque CA pour 11 000 €', ce qui démontre que TGS avait bien perçu, à l'époque des dysfonctionnements, dont elle n'a pas rendu compte à son client en l'alertant. TGS a préféré passer l'écriture au compte de l'exploitant.

- SOREGOR a fait de sa propre autorité des ajustements sans demander la moindre information à M. [M].

- il est incompréhensible que le tribunal n'ait retenu qu'une responsabilité limitée à concurrence de 5 %.

- l'expert-comptable aurait dû demander à son client, garagiste, de mettre en place des procédures de contrôle internes, et il a omis ainsi d'accomplir son obligation de conseil, au-delà des démarches de contrôle par sondages qui n'ont pas été faites.

- le tribunal correctionnel de Poitiers dans son jugement définitif du 5 décembre 2019 a reconnu la culpabilité de la comptable de l'époque et l'a condamnée à payer 455.672,21 € et cette somme est à retenir quant au préjudice réparable, alors que d'autres détournements antérieurs étaient prescrits.

- les mesures d'exécution entreprises ont permis de récupérer, à ce jour, la somme de 60.493,28 €

- la commission de surendettement des particuliers de la [Localité 6] a confirmé sa décision en imposant les mesures précédemment proposées par décision du 15 novembre 2021 et M. [M] a épuisé ses actions de recouvrement contre les époux [I].

- si l'expert-comptable avait relevé, par son sondage ou autrement, les défectuosités qui affectaient la comptabilité, ledit expert-comptable aurait alors, en bon professionnel qu'il doit être, diligenter des contrôles complémentaires tout en alertant son client, et sa responsabilité en termes de perte de chance ne peut être limitée à 5 % de son préjudice.

- le point de départ des intérêts doit être confirmé en ce qu'il compense la dévaluation de l'argent.

Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 29/09/2021, la société SAS TGS France (anciennement dénommée SOREGOR) a présenté les demandes suivantes :

'Vu l'article 1231-1 du code civil et les pièces communiquées,

- A titre principal,

' Accueillir la société TGS FRANCE en son appel incident y faisant droit,

' Réformer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a dit :

- Que la Société SOREGOR a conduit sa mission générale de révision comptable conforme aux diligences prévues par la norme de présentation NP 2300, à l'exception toutefois des sondages dont la Société SOREGOR ne rapporte pas la preuve qu'ils aient été réalisés, alors même qu'en raison des insuffisances relevées dans le cadre des travaux de révision comptable, ceux-ci s'avéraient nécessaires ;

- Qu'il y a cependant lieu de constater qu'en ne rapportant pas la preuve d'avoir effectué les démarches de contrôle par sondages sur les points faibles relevés dans la conduite de sa mission de révision comptable, la Société SOREGOR n'a pas entièrement satisfait à l'ensemble des obligations attachées à la mission de présentation, entraînant, par suite, une perte de chance à l'égard de l'entreprise de M. [U] [M] ;

- Condamne la Société TGS FRANCE à verser à M. [U] [M] à titre de provision, la somme de 12 800 €, ladite somme constituant un acompte à valoir sur le montant définitif, lequel montant sera établi et liquidé après prise en compte des remboursements qui seront effectués par M. et Mme [I] à M. [U] [M] et ce, au plus tard au terme d'une période de 5 ans, faisant suite à la signification du présent jugement ;

- Dit que la somme de 12 800 € sera assortie des intérêts prévus à l'article L441-6 du code de commerce, capitalisés en application de l'article 1343-2 du code civil à compter de l'assignation délivrée le 14 juin 2019 ;

- Condamne la Société TGS FRANCE à indemniser M. [U] [M] des frais mis en oeuvre pour sa défense à hauteur de 5 000 € et le condamne aux entiers dépens de l'instance.

Statuant à nouveau,

' Dire et juger que la société TGS FRANCE n'a pas commis de faute dans l'accomplissement de sa mission ;

' Débouter M. [U] [M] de toutes ses demandes fins et conclusions;

- A titre subsidiaire ,

' Confirmer le jugement en ce qu'il a dit :

- Que le montant du dommage causé au titre de la perte de chance est évalué, au vu des éléments examinés, à 5% du montant net des détournements opérés par Mme [I], soit après déduction des remboursements qui seront effectués par Mme [I] à M. [U] [M] en réparation du préjudice causé ;

' Infirmer le jugement en ce qu'il a fait courir les intérêts « prévus à l'article L441-6 du code de commerce » à compter de l'assignation délivrée le 14 juin 2019 ;

Statuant à nouveau,

' Dire que les intérêts au taux légal courront à compter de la décision de justice qui fixe le montant des dommages et intérêts alloués, en application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil ;

- Y ajoutant et en tout état de cause,

' Condamner M. [U] [M] à payer à la Société TGS FRANCE, la

somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

' Condamner M. [U] [M] aux entiers dépens'.

A l'appui de ses prétentions, la société SAS TGS France (anciennement dénommée SOREGOR) soutient notamment que :

- l'expert comptable est tenu dans l'accomplissement de ses missions, d'une obligation de moyens et non de résultat et, faute de pouvoir d'investigation, cette obligation de moyens s'analyse en une obligation générale de diligence qui a pour nécessaire corollaire le devoir de coopération et d'information du client, devoir qui doit être spontané et conduire à la fourniture de documents complets et d'informations exactes.

- sa mission ne peut avoir pour objectif de pallier l'absence ou l'insuffisance de contrôles internes, ni celui de rechercher si des fautes ont pu être commises par l'exploitant ou ses préposés, conformément à sa mettre de mission.

- au regard de la mission confiée au cabinet comptable, il apparaît que la Société SOREGOR n'a commis aucune faute.

- il lui a en effet été confié une mission annuelle de révision et d'arrêté des comptes.

Demeuraient à la charge de l'entreprise [M], la tenue des journaux d'achats, de ventes, de banque et de caisse ainsi que les rapprochements bancaires et les déclarations de TVA.

- au vu des manoeuvres utilisées par Mme [I] pour détourner des sommes à son profit et de la mission confiée à la société SOREGOR, il n'apparaît pas que ces manoeuvres aient pu être décelées dans le cadre d'une exécution normale de ladite mission de révision des comptes.

- l'expert comptable a pour mission de vérifier le caractère professionnel des charges d'exploitation mais n'a pas à investiguer pour vérifier que les sommes que le client déclare comme personnelles, le sont réellement.

- lors de ses contrôles, l'expert comptable doit s'assurer que les grands équilibres sont respectés, ce qui était le cas pour les prélèvements de l'exploitant qui étaient bien cohérents avec les résultats, et doit vérifier que les différents postes ne présentent pas de variations significatives à la hausse ou à la baisse, ce qui n'était pas le cas du compte 108.

- selon le jugement rendu par le tribunal correctionnel, Mme [L] [M] a « reconnu avoir remis des comptes erronés pour masquer ces encaissements de chèque sur son compte, en les comptabilisant sur le compte de l'exploitant.

- chaque année, le cabinet SOREGOR analysait le Grand livre des comptes clients en contrôlant l'ancienneté des factures (+/- 3 mois d'ancienneté) et en vérifiant l'apurement sur l'exercice suivant.

Ce contrôle était matérialisé dans la note du compte client concerné, sur le logiciel utilisé par la société SOREGOR.

Il n'est donc pas contestable que la société SOREGOR a effectué des contrôles sur les comptes clients.

- Mme [L] [I] a admis lors de l'enquête pénale qu'il lui arrivait également de ne pas comptabiliser la facture correspondante, de sorte qu'en l'absence, et de pièce comptable, et de chèque, l'expert comptable ne pouvait rien détecter.

- Si, a contrario, la facture des clients dont le chèque avait été encaissé par Mme [I], avait été comptabilisée, il en résultait une créance client qui n'était pas soldée.

Or, chaque année, lors de la remise du bilan, le Cabinet SOREGOR a attiré l'attention de son client sur le montant important « dû client », soulignant que ce point était à améliorer.

- cet arriéré était en partie justifié par le client par les délais de remboursement des ASSURANCES et il n'entre pas dans l'attribution de l'expert comptable d'effectuer les relances clients.

- s'agissant des comptes fournisseurs, les factures avaient été gonflées par Mme [I] qui encaissait la différence. Or, la Société SOREGOR procédait à des contrôles par sondages qui ne pouvaient, de fait, aboutir à une vérification systématique et exhaustive de toutes les factures émises

- le fait que certaines écritures inexactes aient pu échapper au contrôle du Cabinet SOREGOR ne peut donc être attribué à une défaillance fautive de celui-ci.

- au-delà de ces sondages, l'expert-comptable s'assure de la cohérence de l'ensemble des comptes. Or, en l'espèce, le taux de marge global a toujours été très stable, pour chacun des établissements dont les activités n'étaient pas semblables. Aucune rupture ni évolution significative n'a été relevée, à la hausse ou à la baisse, susceptible d'attirer l'attention de l'expert-comptable.

- en outre, la mission de la société SOREGOR était une mission de révision et d'arrêté des comptes et non, une mission d'enregistrement de la comptabilité.

S'agissant de l'application de la norme NP 2300, le cabinet SOREGOR contrôlait, en effet, les soldes bancaires avec recoupement des relevés bancaires mais pas l'exhaustivité des opérations, ce qui ne relevait pas de sa mission et aurait été matériellement impossible, plusieurs centaines d'écritures étant passées chaque mois.

- pour les comptes de trésorerie, selon la lettre de mission, il incombait à l'entreprise [M] de procéder au travail de rapprochement bancaire et non de l'expert-comptable.

- des travaux ont donc bien été effectué par l'expert-comptable en vue du contrôle du solde de caisse et de la correspondance entre les espèces encaissées et les espèces remises en banque.

- Le cabinet SOREGOR n'a ainsi commis aucune faute, accomplissant sa mission de manière sérieuse et loyale, laquelle mission ne permettait pas de détecter les manoeuvres délictueuses de Mme [I].

- dès qu'un écart a été constaté courant 2017, lors de l'arrêté des comptes de l'exercice 2016, l'expert-comptable en a alerté son client.

- s'agissant du compte « Personnel » et régularisation de TVA, SOREGOR a également accompli les diligences nécessaires.

- les sondages effectués étaient forcément aléatoires et par nature non-exhaustifs, et le fait qu'ils n'aient pas permis, avant 2017, de déceler les agissements malhonnêtes de Mme [I] ne signifient pas qu'ils aient été insuffisants.

- à titre subsidiaire, la perte de chance qui pourrait lui être imputée est particulièrement faible.

Or, en matière contractuelle, n'est indemnisable que le préjudice qui est la conséquence immédiate et directe d'un manquement au contrat, et le préjudice de la société résultant de la perte d'une chance est distinct de celui résultant des détournements eux-mêmes, lesquels n'ont pas été commis par l'expert comptable.

- en outre, la faute de la victime est également susceptible de limiter la responsabilité du professionnel, l'existence d'un compte caché ayant été évoqué par Mme [I], et il est par ailleurs surprenant que M. et Mme [M] ne se soient jamais interrogés sur le train de vie mené par leur fille.

M. [M] a fait preuve d'une totale légèreté qui a permis à sa fille, faute de contrôle hiérarchique, de continuer à détourner des sommes à son profit pendant plusieurs années, alors qu'elle avait la signature sur les comptes.

- l'expert-comptable, à l'occasion de la remise annuelle des comptes, attirait systématiquement l'attention de l'entreprise [M] sur l'importance des créances clients, rien n'a manifestement été mis en place en interne pour les vérifier.

M. [M] a nécessairement concouru à la réalisation de son propre dommage.

- en l'espèce, seule une perte de chance limitée de 5% pourrait être retenue.

- les intérêts courent à compter du prononcé de la décision qui alloue indemnité. Il ne s'agit pas de pénalités applicables en cas de retard de paiement d'un bien ou d'une prestation de service.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 27/06/2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la mission confiée à la société SOREGOR :

Au regard des attestations pour les exercices 2013 et 2015 présentées par la société SOREGOR portant la mention : « MISSION DE PRÉSENTATION DES COMPTES ANNUELS', et des dossiers de révisions pour les exercices 2012 à 2016, cette mission de présentation des comptes annuels était effectivement confiée par l'entreprise de M. [M] à la société SOREGOR.

Il appartenait dans ce cadre à cette société d'exprimer une opinion sur la cohérence et la vraisemblance des comptes pris dans leur ensemble et d'attester de leur régularité en la- forme au regard du référentiel comptable applicable au secteur de l'entreprise.

La norme NP 2300 relative à la mission de présentation des comptes prévoit au titre de la régularité en la forme de la comptabilité que 'lorsque la comptabilité est tenue par l'entité, le professionnel de l'expertise-comptable vérifie l'existence et la mise à jour des livres comptables obligatoires prévus par le code de commerce ; il apprécie par des sondages appropriés la qualité des enregistrements comptables'.

Le paragraphe A 8 de la norme précise :

'Le professionnel de l'expertise comptable effectue des contrôles par sondages sur les comptes de bilan et de résultat les plus significatifs de l'activité de l'entité : justification des soldes, rapprochement avec des pièces justificatives externes, recoupement avec des pièces justificatives internes.

Il prend en considération le caractère significatif des données, ce qui peut conduire à simplifier certaines opérations d'inventaire.

Ces contrôles peuvent être allégés lorsque les enregistrements comptables sont assurés par le professionnel de l'expertise comptable'.

Dans ce cadre, la mission de l'expert comptable ne comporte ni le contrôle de la matérialité des opérations, ni le contrôle de l'inventaire physique des actifs de l'entreprise à la clôture de l'exercice.

Sur l'engagement de la responsabilité de la société SOREGOR :

L'expert-comptable supporte la responsabilité de ses manquements dans le cadre d'une obligation de moyen, dès lors que ses manquements fautifs, notamment à son obligation de conseil, ont occasionné une perte de chance

pour le client d'éviter de supporter un préjudice né des agissements d'un tiers.

La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

Elle ne se confond donc pas avec la réparation du préjudice né pour M. [M] des agissements de M. et Mme [I], pénalement et civilement condamnés définitivement.

En l'espèce, il ressort du jugement rendu par le tribunal correctionnel de POITIERS le 5 décembre 2019, que la culpabilité de Mme [L] [M], fille de M. [U] [M], et de son mari M. [V] [I] a été retenue du fait de divers détournements.

Diverses malversations ont été caractérisées :

- lorsqu'un client se présentait à l'entreprise pour régler, en espèces, une facture

due, Mme [I] conservait le montant versé en espèces et passait une

écriture comptable pour annuler la dette du client. Ainsi, celui-ci était réputé

s'être acquitté de sa dette vis-à-vis de l'entreprise mais Mme [L] [M]

ne déposait pas sur le compte bancaire de l'entreprise ces espèces qu'elle utilisait à titre personnel ou les déposait sur son compte bancaire personnel.

- disposant de la signature du compte bancaire de l'entreprise, Mme [L] [M] rédigeait et signait des chèques libellés à son ordre personnel et les déposait sur un de ses comptes bancaires personnels.

Pour dissimuler ses prélèvements, elle ne comptabilisait pas la totalité des écritures de détournements par le journal de banque, mais les enregistrait dans le compte de l'exploitant, ou passait des écritures comptables en augmentant l'encours fournisseurs de sorte qu'ainsi les paiements effectués paraissaient justifiés par le dû fournisseur.

- sur le compte personnel (compte dit 108) de M. [U] [M],

Mme [I], qui n'avait pas la signature sur ce compte, rédigeait et signait

un certain nombre de chèques libellés à son ordre et qu'elle encaissait.

Ainsi, un préjudice indemnisable de 455 672,21 € a été retenu et Mme [L] [M] a été condamnée au titre des intérêts civils au paiement de cette somme dont 227.836,10 € solidairement avec son mari M. [V] [I].

M. [M] soutient dans ses écritures que son préjudice doit être retenu pour ce montant, et sollicite la condamnation de la société SAS TGS France (anciennement dénommée SOREGOR) au paiement de cette somme, avec intérêts à compter de l'assignation délivrée le 14 juin 2009, compte tenu selon lui de ses manquements.

La société SAS TGS France (anciennement dénommée SOREGOR) conteste l'engagement de sa responsabilité contractuelle, en l'absence de faute de sa part, et à titre subsidiaire soutient que la perte de chance subie par M. [M] ne saurait dépasser 5 % de son préjudice principal, avec intérêt à compter de la décision à rendre.

En l'espèce, la société SAS TGS France, dans les limites de sa mission de présentation des comptes annuels de l'entreprise, se devait de justifier de ses travaux et analyses, au regard de ses dossiers de révisions des exercices 2012 à 2016, dans le respect de la norme de présentation NP 2300.

Certes, l'expert-comptable était confronté à la présentation de documents non pas sincèrement établis, mais au contraire de dissimulations comptables destinées à tromper son analyse.

S'agissant notamment des comptes clients, Mme [I] pouvait ne pas comptabiliser la facture correspondante, de sorte qu'en l'absence de pièce comptable et de chèque, l'expert-comptable ne pouvait pas détecter le détournement.

Elle pouvait également, comme en 2012, annuler 36 factures sans justificatifs, en passant des écritures de compensation sur le compte de l'exploitant.

La société TGS a certes attiré l'attention de son client sur le montant important « dû client », soulignant que ce point était à améliorer, mais sans plus en expliciter la cause, et elle n'a pas décelé la moindre opération anormale alors qu'il en existait un très grand nombre, que la technique du sondage a précisément pour objet de se donner les chances de mettre au jour.

L'expert comptable était en effet tenu de procéder à des diligences particulières sous la forme de sondages aléatoires, tels que prévus par la norme, soit :

'effectuer des contrôles par sondages sur les comptes de bilan et de résultat les plus significatifs de l'activité de l'entité : justification des soldes, rapprochement avec des pièces justificatives externes, recoupement avec des pièces justificatives internes'

Or, la société TGS ne justifie pas aux débats avoir pratiqué des sondages aléatoires suffisants, notamment en ce qui concerne les comptes fournisseurs puisque de nombreuses factures n'ont pas été comptabilisées alors qu'elles ont été réglées, notamment en 2016.

Ainsi, le cabinet SOREGOR ne prouve pas avoir conduit des investigations complémentaires sur les procédures comptables de l'entreprise, ni avoir procédé à un examen des opérations comptables inscrites au débit du compte de l'exploitant (compte 108), utilisé frauduleusement par Mme [I].

De même, il n'est pas démontré qu'il ait été procédé à des pointages satisfaisants s'agissant des comptes clients. Il en est ainsi également des comptes de trésorerie (Crédit agricole, Crédit Lyonnais), la société TGS ne démontrant pas avoir procédé aux rapprochements nécessaires, même par sondages, alors que des écritures n'étaient pas saisies ou étaient saisies à tort.

Investi d'une mission de tenue des journaux obligatoires et comptes auxiliaires et de présentation des comptes annuels, l'expert-comptable se devait de vérifier par sondages la vraisemblance et la cohérence des comptes de son client.

Les éléments transmis par l'entreprise étaient insuffisants pour procéder aux vérifications qui s'imposaient, la société SAS TGS France s'étant abstenue fautivement de procéder en suffisance aux sondages prescrits par la norme, notamment par recoupement des relevés bancaires, perdant ainsi la possibilité de découvrir les malversations de Mme [I] et de son conjoint et, partant, de permettre au dirigeant d'y mettre un terme alors qu'elles se poursuivaient.

S'agissant en l'espèce de malversations très nombreuses commises continûment sur une période de temps de 5 ans, la probabilité que des sondages aient permis d'en déceler certaines et de susciter des vérifications approfondies qui eussent alors permis de révéler les détournement chroniques est significative, et cette insuffisance a généré une perte de chance pour M. [U] [M] d'éviter une partie du préjudice financier qu'il subit.

Cette perte de chance imputable à la société SAS TGS France sera fixée par infirmation sur ce point du jugement rendu, à 15 % du préjudice principal subi par M. [M].

Sur ce point, M. [M] justifie de la perception d'une somme totale de 60.493,28 € réglée à concurrence de 32.000 € par chèque AURIK du 20.08.2020, de 770 € par chèque AURIK du 21.11.2020, de 500,32 € par chèque AURIK du 3.11.2020, de 300,96 € par chèque AURIK du 21.12.2020 et de 26.922 € par virement AURIK du 26.01.2021.

M. et Mme [I] bénéficient désormais d'une procédure de surendettement des particuliers, selon mesures imposées du 15 novembre 2021.

Il résulte de ces éléments que le préjudice indemnisable de M. [M] au titre de la perte de chance subie s'établit à 455.672,21 € - 60.493,28 €

= 395 178,93€ X 15% = 59 276,84 €.

La société SAS TGS France (anciennement dénommée SOREGOR) sera condamnée au paiement de ce montant indemnitaire, sans qu'il y ai lieu à versement d'une provision ni à sursis à statuer, le préjudice indemnisable pouvant être d'ores-etdéjà déterminé.

Les intérêts au taux légal courront à compter de l'assignation en date du 14 juin 2019, tel que sollicité par application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil, au regard du temps écoulé et de la nécessaire valorisation de l'indemnité accordée.

Sur les dépens et l'application de l'article 699 du code de procédure civile:

Il résulte de l'article 696 du code de procédure civile que ' La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. (...).'

Compte tenu de la solution apportée au présent litige, les dépens d'appel seront fixés à la charge de la société SAS TGS France.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

Il est équitable de condamner la société SAS TGS France à payer à M. [U] [M] la somme fixée au dispositif du présent arrêt sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

La somme allouée au titre des frais de première instance a été justement appréciée, le jugement entrepris devant être confirmé sur ce point.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a :

- DIT qu'en l'absence totale de remboursement, le montant maximum de la condamnation s'élèverait à la somme de : (455.672.21 x 5 %) = 22.783,61€ ;

- DIT que dans l'hypothèse d'un remboursement de 100.000 € par Mme ou M. [I] à M. [U] [M], le montant définitif de la condamnation, s'élèverait à : (455.672,21 - 100.000) x 5 % = 17.783,61 € ;

- condamné la société TGS France (ex-SOREGOR) à verser à M. [U] [M] à titre de provision, la somme de 12.800 €, ladite somme constituant un acompte à valoir sur le montant définitif, lequel montant, sera établi et liquidé après prise en compte des remboursements qui seront effectués par M. et Mme [I] à M. [U] [M] et ce, au plus tard au terme d'une période de 5 ans faisant suite à la signification du présent jugement ;

- DIT que la somme de 12.800 € sera assortie des intérêts prévus à l'article L 441-6 du code de commerce capitalisés en application de l'article 1343-2 (ancien article 1154) du code civil, à compter de l'assignation délivrée le 14 juin 2019.

Statuant à nouveau de ces chefs,

CONDAMNE la société SAS TGS France à verser à M. [U] [M] la somme de 59 276,84 € au titre de l'indemnisation de sa perte de chance, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en date du 14 juin 2019.

Y ajoutant,

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires.

CONDAMNE la société SAS TGS France à payer à M. [U] [M] la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

CONDAMNE la société SAS TGS France aux dépens d'appel, étant rappelé que les dépens de première instance restent répartis ainsi que décidé par le premier juge.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/01110
Date de la décision : 08/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-08;21.01110 ?
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