ARRET N°504
N° RG 21/00870 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GHAJ
Société SOCIETE MUTUELLE D ASSURANCE DU BATIMENT ET DES TR AVAUX PUBLICS
C/
[L]
E.U.R.L. EURL [L] SEBASTIEN
S.E.L.A.R.L. SELARL FREDERIC BLANC - MJO - MANDATAIRES JUDICIAI RES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
1ère Chambre Civile
ARRÊT DU 25 OCTOBRE 2022
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00870 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GHAJ
Décision déférée à la Cour : jugement du 16 février 2021 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LA ROCHELLE.
APPELANTE :
SOCIETE MUTUELLE D ASSURANCE DU BATIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS
[Adresse 4]
[Adresse 4]
ayant pour avocat Me François MUSEREAU de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS
INTIMEES :
Madame [R] [L]
née le 07 Septembre 1987 à [Localité 5]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
ayant pour avocat Me Antoine GAIRE de la SELARL GAIRE - LANGLOIS, avocat au barreau de SAINTES
EURL [L] SEBASTIEN
[Adresse 1]
[Adresse 1]
à l'égard de laquelle une ordonnance de désistement partiel a été rendue le 25/05/2021
SELARL FREDERIC BLANC - MJO - MANDATAIRES JUDICIAI RES pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de l'EURL [L]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
à l'égard de laquelle une ordonnance de désistement partiel a été rendue le 25/05/2021
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 08 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Monsieur Philippe MAURY, Conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Thierry MONGE, Président de Chambre
Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller
Monsieur Philippe MAURY, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,
ARRÊT :
- Contradictoire
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
En raison de liens familiaux avec son cousin [M] [L], Mme [L] a confié à l'entreprise de celui-ci la construction de sa maison, sans qu'il soit prévu aucune mission pour réaliser les plans d'exécution.
Un devis de travaux n°2016-10/25-006 a été établi le 26 octobre 2016 entre Mme [L] et l'EARL [L] pour un montant de 41.428,30€.
Exposant que l'immeuble était inhabitable en raison des malfaçons et non-façons affectant l'ouvrage et que le chantier avait pris beaucoup de retard, Mme [L] a saisi le juge des référés du tribunal de LA ROCHELLE par acte du 29 janvier 2018 aux fins d'expertise.
Par ordonnance en date du 24 avril 2018, le juge des référés a ordonné une expertise confiée à M. [W] qui a déposé son rapport en l'état le 9 mars 2019.
L'EARL [L] Sebastien a été placée en liquidation judiciaire, la SELARL MJO étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par actes d'huissier délivrés les 28 juin, ler et 3 juillet 2019 Mme [R] [L] a fait assigner l'EARL [L] [M], la SELARL MJO ès qualités, la SMABTP, la S.A.R.L. AL COUVERTURE et la CBL INSURANCE EUROPE DESIGNATED ACTIVITY COMPANY devant le tribunal de grande instance de LA ROCHELLE.
Mme [R] [L] exposait que la maison d'habitation qu'elle a fait construire sur un terrain lui appartenant [Adresse 2] par l'intermédiaire de l'entreprise de son cousin [M] [L], gérant de l'EARL [L], est affectée de désordres tels qui justifient la démolition de l'ouvrage et sa reconstruction.
Par ses dernières conclusions, Mme [R] [L] demandait au tribunal de :
Vu les dispositions de l'article 1792 du code civil,
Vu l'article 1231-1 du code civil,
Vu les articles 1240 et 1241 du code civil,
Vu l'article L 124-3 du code des ASSURANCES,
Vu les éléments du dossier,
A titre principal,
- prononcer la réception des travaux de la maison par Mme [R] [L] et fixer la date à la date du rapport de l'expertise, soit le 9 mars 2019.
- ordonner la démolition de la maison de Mme [R] [L] aux frais et à la charge de l'EARL [L] et son assureur la SMABTP.
- condamner l'EARL [L] et son assureur SMABTP in solidum sur le fondement de la garantie décennale, ainsi que sur le fondement de l'article L 124-3 du code des assurances au paiement de la démolition de sa maison, ainsi qu'à la reconstruction de celle-ci sur le fondement de l'article 1792 du code civil.
Pour ce faire, s'appuyer sur le devis de la société AB RENOVATION pour 245000 € T.T.C.
A titre subsidiaire,
- dire et juger que L'EARL [L] engage sa responsabilité contractuelle sur le fondement des articles 1231-1 du code civil et suivants (anciennement 1134 et suivants du code civil)
- ordonner la démolition de la maison de Mme [R] [L] aux frais et à la charge de l'EARL [L] et son assureur SMABTP
- condamner l'EARL [L] et son assureur SMABTP in solidum au paiement de la démolition et de la reconstruction de la maison de Mme [R] [L] sur le fondement de la responsabilité contractuelle prévue à l'article 1231-1 du code civil, à proportion de son intervention, soit par rapport au devis de la société AB RENOVATION, tout ce qui touche à la toiture.
- dire, si le tribunal ne condamne pas l'EARL [L] du tout, que l'EARL [L] sera condamnée à 245 000 € - 15 004,84 € (fournitures et pose charpente fermettes sapin : 8 345,60 € + 2 209,60 € + 2 534,40 € + 770,04 + 1008,10 € +137,10 €) et ajouter une condamnation en parallèle de la société AB RENOVATION à payer cette somme portant sur la toiture.
- condamner la société AL COUVERTURE et son assureur CBL INSURANCES in solidum à la participation du paiement de la démolition et de la reconstruction de la maison de Mme [R] [L], sur le fondement de la responsabilité contractuelle prévue à l'article 1231-1 du code civil.
Pour ce faire, s'appuyer sur le devis de la société AB RENOVATION.
A titre infiniment subsidiaire,
- dire et juger que L'EARL [L] engage sa responsabilité délictuelle sur le fondement des articles 1240 et suivants du code civil (anciennement 1382 et suivants du code civil)
- ordonner la démolition de la maison de Mme [R] [L] et sa reconstruction
- condamner l'EARL [L] et son assureur SMABTP in solidum au paiement de la démolition et de la reconstruction de la maison de Mme [R] [L] sur le fondement de la responsabilité délictuelle prévue aux articles 1240 et 1241 du code civil.
Pour ce faire, s'appuyer sur le devis de la société AB RENOVATION.
En tout état de cause :
- condamner les mêmes à payer à Mme [L] les préjudices annexes à savoir :
- Perte de jouissance de son logement depuis la date de la lettre recommandée du 12 octobre 2017
soit pour mémoire : 800 (estimation immobilière pièce 24) x le nombre de mois jusqu'à la reconstruction de la maison
- Toute cause de préjudice confondue à l'exception du préjudice propre à la construction de la maison : 10 000 € toutes causes de préjudices confondues autres que sur la maison, en connexité avec le dommage sur la maison (moral, bancaire etc...)
- Intérêts légaux : à partir de la date de l'expertise
- condamner les mêmes à payer à Mme [L] 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre 10 000 € toutes causes de préjudices confondues autres que sur la maison, en connexité avec le dommage sur la maison (moral, bancaire etc...)
- condamner les mêmes aux entiers dépens, outre aux frais d'expertise et au coût du diagnostic étude de sol.
Selon ses dernières conclusions, la SMABTP demandait au tribunal de :
-Voir déclarer nulle et de nul effet l'assignation délivrée à la SMABTP par Mme [R] [L];
Subsidiairement,
-Voir débouter Mme [R] [L] de toutes ses demandes ;
-Voir condamner Mme [R] [L] au paiement à la SMABTP de la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- Voir condamner Mme [R] [L] aux dépens.
Par ses dernières conclusions, la S.A.R.L. AL COUVERTURE ET AMENAGEMENT demandait au tribunal de :
Vu l'assignation délivrée,
- Dire et juger que les prestations de la Société AL COUVERTURE ont été tacitement réceptionnées sans réserve en présence des dommages apparents que le maître d'ouvrage décrit et dont il sollicite réparation,
En conséquence,
- Dire et juger qu'aucune condamnation ne peut être prononcée à l'encontre de la Société AL COUVERTURE en présence d'une réception sans réserve purgeant les vices affectant l'ouvrage,
A titre subsidiaire,
- Dire et juger que la Société AL COUVERTURE n'a commis aucune faute,
- Dire et juger que la Société AL COUVERTURE n'a pas ailleurs commis aucune faute en lien de causalité direct avec les préjudices évoqués par le Maître d'ouvrage,
- Dire et juger que l'intervention de la Société AL COUVERTURE est sans lien avec la demande de démolition formulée par Mme [L],
En conséquence,
- Rejeter toutes demandes formulées à l'encontre de la Société AL COUVERTURE,
A titre très subsidiaire,
- Dire et juger que les demandes formulées à l'encontre de la concluante sont indéterminées et non chiffrées,
En conséquence,
- Les rejeter,
En tout état de cause,
- Dire et juger que le devis produit ne peut servir de base à une quelconque indemnisation en l'absence de possibilité de le comparer valablement aux prestations originellement commandées et financées par le maître d'ouvrage,
- Dire et juger que les demandes de préjudices de jouissance et moral devront être rejetées comme injustifiées et non chiffrées,
Ainsi,
- Rejeter toutes demandes indemnitaires telles que formulées à l'encontre de la Société AL COUVERTURE,
- Condamner Mme [L] à verser à la Société AL COUVERTURE la somme de 895.41 € au titre du solde de facturation restant dû augmenté de l'intérêt au taux légal à compter du 26 juillet 2017,
En tout état de cause,
-Dire et juger n'y avoir lieu à exécution provisoire de droit compte tenu de la particularité du litige,
- Débouter toutes parties de toutes demandes dirigées à l'encontre de la Société AL COUVERTURE au titre des frais irrépétibles,
- Dire et juger que la Société AL COUVERTURE ne saurait être tenue ni de ces frais, ni des dépens,
- Condamner Mme [L] à verser à la Société AL COUVERTURE la somme de 4 500 € au titre des frais irrépétibles par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris, les frais d'expertise et d'étude de sol.
La CBL INSURANCE EUROPE DESIGNATED ACTIVITY COMPANY et l'EARL [L] A constitué avocat en première instance mais n'a pas fait valoir de moyens de défense.
La SELARL MJO assignée en sa qualité de liquidateur judiciaire de l'EARL [L] n'a pas constitué avocat.
Par jugement contradictoire en date du 16/02/2021, le tribunal judiciaire de LA ROCHELLE a statué comme suit :
'REJETTE l'exception de nullité de l'assignation ;
FIXE la réception tacite de l'ouvrage à la date du 26 juillet 2017 ;
DIT que les désordres affectant 1'immeuble de Mme [L] sont de nature décennale ;
CONDAMNE la SMABTP à payer à Mme [R] [L] la somme de 136 660,80 € (cent trente six mille euros et quatre vingt centimes) au titre des travaux de démolition et de reconstruction de l'immeuble ;
DÉBOUTE Mme [R] [L] de l'ensemble des demandes aux fins de condamnation de l'EARL [L] en liquidation judiciaire :
DÉBOUTE Mme [R] [L] du surplus de ses demandes dirigées à l'encontre de la SMBTP et de la société AL COUVERTURE ;
DÉBOUTE la société AL COUVERTURE de sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 895,41 € au titre du solde des travaux de couverture;
CONDAMNE la SMABTP aux dépens de l'instance qui comprendront les frais de référé et d'expertise et à payer à Mme [R] [L], la somme de 3000 € (trois mille euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la société AL COUVERTURE de sa demande indemnitaire sur le même fondement'.
Le premier juge a notamment retenu que :
- le moyen de nullité de l'assignation relevait de la compétence exclusive du juge de la mise en état et est irrecevable devant le juge du fond, conformément aux dispositions de l'article 789 du code de procédure civile.
- l'expertise judiciaire clôturée en l'état le 9 mars 2019 a mis en exergue qu'aucune étude préalable de sol n'avait été engagée et demandée par le constructeur du gros oeuvre.
Selon le rapport d'expertise, divers travaux n'ont pas été réalisés.
- le travail effectué par l'EARL [L] est inachevé. De même, la charpente et la couverture réalisées par la S.A.R.L. AL COUVERTURE sont entachées de malfaçons et non façons.
- en conclusion de son pré -rapport, l'expert [W] a estimé que la démolition de la maison et du garage était à son avis inéluctable pour remédier aux désordres, non-façons et malfaçons existants.
Il ajoute qu'une reprise en sous-oeuvre très onéreuse des constructions pour assurer une stabilité pérenne des fondations ne peut être envisagée
- le coût des travaux de démolition et de reconstruction pour être conforme au permis de construire a été évalué à la somme de 250 000 €.
- Mme [L] argue d'une réception tacite aux motifs qu'elle est entrée en possession de l'ouvrage pour pouvoir vivre dedans et a presque intégralement payé le prix des prestations de la S.A.R.L. [L].
- Mme [L] a pris possession de sa maison, alors que de nombreux travaux ne sont pas réalisés. Toutefois, l'achèvement de la totalité de l'ouvrage n'est pas une condition de la prise de possession et de sa réception, associée au paiement de la facturation afférente.
- le devis de l'entreprise [L] pour un montant de 41 428,30 € T.T.C. désignait la construction du gros-oeuvre en maçonnerie de la maison avec le patio et la terrasse, laquelle n'a pas été réalisée.
Mme [L] a réglé la somme totale de 39 078,99 €, soit un solde non réglé de 2349,31 €.
La prise de possession de l'immeuble, même non fini, associé au paiement intégral des travaux effectivement réalisés caractérise la réception tacite de l'ouvrage à la date du 26 juillet 2017, correspondant à la pose de la charpente et de la couverture par la société AL COUVERTURE.
- le lot gros-oeuvre réalisé par l'entreprise [L] et à une moindre mesure, le lot couverture sont affectés de nombreux désordres, sur un sol de nature hétérogène, ne permettant pas de garantir la stabilité de l'ouvrage sur le long terme, d'autant que les armatures sont absentes ou irrégulières à certains endroits.
- enfin, l'immeuble n'est pas implanté strictement en limite de propriété et contrevient aux dispositions du PLU et du permis de construire.
- ces désordres sont de nature décennale en ce qu'ils rendront l'immeuble impropre à sa destination dans le délai de 10 ans de la garantie.
- il ne s'agit pas de désordres visibles, couverts par la réception sans réserve puisque des analyses complémentaires ont été nécessaires pour déterminer la nature du sol et l'inadaptation des fondations.
- l'EARL [L] était tenue de faire réaliser une étude préalable du sol et d'implanter l'immeuble conformément aux prescriptions du permis de construire.
- la responsabilité de plein droit de l'EARL [L] fondée sur les dispositions des articles 1792 et suivants du code civil doit être retenue, avec la garantie de son assureur décennal, la SMABTP.
- le principe de réparation intégrale impose de faire droit à la demande de Mme [L] tendant à la démolition puis reconstruction de son ouvrage, peu important à cet égard que la réparation du préjudice ait un coût supérieur au montant des travaux initialement payés.
- dans ce contexte de démolition puis de reconstruction de l'ouvrage, les désordres qui affectent la toiture mise en oeuvre par la société AL COUVERTURE sont sans incidence sur la responsabilité de plein droit du constructeur [L].
- toutefois, le constructeur défaillant ne peut être condamné à supporter des prestations ne correspondant pas à ses manquements contractuels.
Mme [R] [L] demande paiement de la somme de 244 928,86 € conformément au devis de la société AD RENOVATION qui comprend la démolition de l'existant et la reconstruction d'une maison entièrement finie par la société de construction.
- L'expert judiciaire a comptabilisé 78 186,39 € T.T.C. de factures payés par Mme [L] auxquelles il faut ajouter la facture CHAMPEAU de 3101,35 € soit un total de 81 287,74 €, sans tenir compte de l'investissement personnel de Mme [L] et de sa famille dans la réalisation de nombreux lots.
- le devis de l'entreprise 2M MAÇONNERIE (pièce n° 25) est comparable en termes de prestations à la convention initiale liant les parties.
Ainsi, le préjudice de Mme [R] [L], devant être indemnisé sans perte, ni profit, doit être arrêté à la somme de 136 660,80 € et mis à la charge de l'assureur décennal, étant rappelé qu'aucune condamnation ne peut être prononcée à l'encontre de l'EARL [L] en liquidation judiciaire.
- la demande relative au préjudice de jouissance sera rejetée alors que Mme [L] occupe la maison et que le point de départ du préjudice allégué n'est pas justifié.
- la demande indemnitaire formée toutes causes de préjudices confondues n'est pas étayée.
- la demande reconventionnelle en paiement de la société AL COUVERTURE doit être rejetée compte tenu des non façons relevées par l'expert et alors que ces travaux sont inutile dans la perspective de la démolition de l'ouvrage.
LA COUR
Vu l'appel en date du 15/03/2021 interjeté par la SOCIÉTÉ MUTUELLE D'ASSURANCE DU BÂTIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS (SMABTP) en ce que le jugement a :
- Rejeté l'exception du nullité de l'assignation ;
- fixé la réception tacite de l'ouvrage à la date du 26 juillet 2017 ;
- Dit que les désordres affectant l'immeuble de Mme [L] sont de
nature décennale ;
- Condamné la SMABTP à payer à Mme [R] [L] la somme de 136 660,80 € au titre des travaux de démolition et de reconstruction de l'immeuble;
- Condamné la SMABTP aux dépens de l'instance qui comprendront les frais de référé et d'expertise et à payer à Mme [R] [L] la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du CODE DE PROCÉDURE CIVILE.
Vu l'article 954 du code de procédure civile
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 07/06/2022, la SOCIÉTÉ MUTUELLE D'ASSURANCE DU BÂTIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS (SMABTP) a présenté les demandes suivantes :
'Déclarer la SMABTP recevable et bien fondée en son appel.
Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Débouter Mme [L] de son appel incident.
Débouter Mme [L] de toutes ses demandes, fins et prétentions dirigées contre la SMABTP.
Condamner Mme [L] à payer à la SMABTP la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamner Mme [L] aux entiers dépens d'instance, d'expertise et d'appel.
Autoriser Maître [G] [K], SELARL JURICA, avocats associés, à poursuivre directement le recouvrement des frais dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision, dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile'.
A l'appui de ses prétentions, la société SMABTP soutient notamment que:
- c'est à tort que le tribunal a fixé la réception tacite de l'ouvrage à la date du 26 juillet 2017.
Mme [L] n'a pas pris possession de l'ouvrage, alors que la réception tacite n'est pas prononcée par le juge mais résulte du comportement du maître de l'ouvrage.
Or, il résulte de l'assignation en référé que Mme [L] a elle-même fait délivrer pour solliciter une expertise, que l'ouvrage ne lui permettait pas « d'y vivre » et qu'elle « doit se loger à droite et à gauche avec son fils.
M. [S] atteste de ce que Mme [L] a vécu dans sa caravane du 9 mai 2017 jusqu'au 20 octobre 2017. L'ouvrage n'était tout simplement pas habitable compte tenu de son état d'inachèvement et du nombre de ses malfaçons.
- Mme [L] a manifesté son intention de ne pas réceptionner l'ouvrage, au contraire d'une volonté non équivoque d'accepter l'ouvrage inachevé en l'état.
Elle a écrit à la société [L] le 12 octobre 2017 pour lui signaler les nombreuses malfaçons et désordres affectant l'ouvrage et solliciter une réunion de chantier, signalant la situation à la SMABTP le même jour et faisant dresser un procès-verbal de constat d'huissier le 13 octobre 2017, pour faire constater l'inachèvement de l'immeuble et les nombreuses malfaçons qui l'affectent. La réception tacite ne peut donc être présumée.
- il ne peut être prononcé de réception judiciaire dès lors que l'ouvrage n'était pas en état d'être reçu ou habité.
- la responsabilité civile de la société [L] n'est garantie que pour les dommages à l'ouvrage ou aux travaux réalisés par l'assuré, exclusivement après réception quel que soit le fondement juridique retenu.
- en l'absence de réception, la garantie de la SMABTP ne peut pas être mobilisée.
- la responsabilité contractuelle de droit commun de la société [L] pour les dommages survenus avant réception n'est pas garantie.
- subsidiairement, la présomption de responsabilité épargne au maître de l'ouvrage la charge de prouver l'existence d'une faute du mais ne le dispense pas d'établir l'existence d'un lien de causalité entre l'intervention du constructeur sur le chantier et le dommage dont il est demandé réparation.
- la garantie décennale des constructeurs ne peut être engagée qu'en présence de désordres imputables aux travaux qu'il a réalisés.
- la société [L] n'a réalisé que les travaux de fondations, gros oeuvre et élévation à l'exception des travaux de second oeuvre, de charpente et de couverture, d'enduit.
Il n'est dès lors pas possible de mettre à la charge de la société [L] et par voie de conséquence de son assureur le coût intégral des travaux de démolition et de reconstruction afin de réparer d'autres dommages que ceux qui ont été causés par la réalisation imparfaite ou défectueuse des travaux qui lui ont été confiés.
- M. [L] n'a réalisé que les travaux figurant sur les factures versées aux débats qui ont été pointées par l'expert pour un montant total de 39 078,99 euros T.T.C.
Les autres factures émises par la société [L] intégrées par l'expert judiciaire dans son décompte des travaux réalisés par [L] concernent la fourniture de matériaux non mis en oeuvre par la société [L] et ne peuvent donc être pris en considération.
- il n'y a pas lieu non plus de faire supporter à la société [L] le coût de reprise des travaux de charpente et de couverture qui ont été réalisés par une autre entreprise.
- l'ensemble des travaux de second oeuvre qui n'ont pas été réalisées par la société [L] mais par Mme [L] elle-même et certains membres de sa famille n'ont pas à entrer dans le compte des travaux réalisés par la société [L].
- tout au plus la SMABTP n'aurait à supporter que le coût des travaux de reprise des ouvrages réalisés par la société [L] c'est-à-dire fondations, dallage et élévation.
- le tribunal ne pouvait retenir la somme de 136 660,80 euros qui excède très largement le coût des travaux réalisés par la société [L] et qui porte sur des postes de travaux non réalisés par la société [L].
- les seuls travaux facturés et payés à la société [L] s'élèvent à la
somme de 39 078,99 euros T.T.C. et diverses sommes n'ont pas à être prises en considération.
- le devis de la société 2M MAÇONNERIE retenu par le tribunal porte sur des travaux qui n'ont pas été réalisés par la société [L], pour 44 184 4€ T.T.C.
Le coût des travaux de reprise que la SMABTP serait susceptible de supporter ne saurait donc excéder 92 476,40 euros T.T.C.
- aucun contrat de maîtrise n'a été conclu avec la société [L], aucune mission de maîtrise d'oeuvre ne lui a été confiée non plus, ni rémunérée.
Le fait que la société [L] ait acheté des matériaux n'en fait pas un maître d'oeuvre.
Mme [L] a fait le choix, sans doute par souci d'économie, de ne pas faire appel à un maître d'oeuvre.
- la société [L] n'était pas assurée pour cette activité auprès de la SMABTP.
- sur les dommages immatériels, le préjudice de jouissance et le préjudice financier dont Mme [L] demande à être indemnisée est consécutif, au moins en partie, à son choix de ne pas souscrire d'assurance dommages ouvrage et elle doit être déboutée de ces demandes.
Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 09/12/2021, Mme [R] [L] a présenté les demandes suivantes:
'Vu les articles 1792 et 1792-6 du code civil,
Vu l'article 1231-1 du code civil,
Vu l'article L 124-3 du code des ASSURANCES,
Vu les éléments du dossier,
Vu la jurisprudence précitée,
Il est demandé à la cour de :
DÉCLARER recevable mais mal fondé l'appel principal interjeté par l'EARL [L];
DÉCLARER recevable et fondé l'appel incident formé par Mme [L];
A titre principal,
DÉBOUTER la SMABTP de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions dirigées contre Mme [R] [L],
CONFIRMER la décision déférée en ce qu'elle a :
- FIXE la date de réception tacite de l'ouvrage au 26 juillet 2017 ;
- DIT que les désordres affectant l'immeuble de Mme [L] sont de nature décennale.
REFORMER la décision entreprise en ce qu'elle a :
- DÉBOUTE Mme [L] du surplus de ses demandes dirigées contre la SMABTP ;
- CONDAMNE la SMABTP à payer à Mme [R] [L] la somme de
136.660,80 € (cent trente-six mille six-cent soixante euros et quatre-vingts centimes) au titre des travaux de démolition et de reconstruction de l'immeuble prévus au sein du devis n°1832 de la société 2M MAÇONNERIE en date du 29 janvier 2018 (pièce n° 25) ;
En conséquence,
CONFIRMER que la date de réception tacite de l'ouvrage doit être fixée au 26 juillet 2017,
DIRE que les désordres affectant l'immeuble de Mme [R] [L] sont de nature décennale,
CONDAMNER la SMABTP à payer à Mme [L] la somme de 244 928,86 € (deux cent quarante-quatre mille neuf cent vingt-huit euros et quatre-vingt-six centimes) au titre des travaux de démolition et de reconstruction de l'immeuble prévus au sein du devis n°447 de la société AD RENOVATION en date du 7 février 2018 (pièce n°26)
CONDAMNER la SMABTP à payer à Mme [L] diverses sommes au titre de ses préjudices annexes à savoir :
- La perte de jouissance de son logement depuis la date de réception de la lettre recommandée du 12 octobre 2017, soit 800 € multipliés par le nombre de mois jusqu'à la date de réception des travaux de reconstruction de la maison, outre les intérêts au taux légal ;
- Les frais de relogement de Mme [L] de novembre 2018 à août 2020, soit 10.500 € (500 € mensuels pendant 21 mois) ;
- Le préjudice financier de Mme [L] consécutif aux frais bancaires qu'elle a dû payer du fait de son surendettement, soit 254 € ;
- Le préjudice moral que Mme [L] a subi du fait de l'impossibilité d'habiter dans sa maison, à hauteur de 10 000 €.
A titre subsidiaire,
DÉBOUTER la SMABTP de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions dirigées contre Mme [R] [L],
CONFIRMER la décision déférée, sauf en ce qu'elle a DÉBOUTE Mme [L] du surplus de ses demandes dirigées contre la SMABTP,
En conséquence,
CONFIRMER que la date de réception tacite de l'ouvrage doit être fixée au 26 juillet 2017,
DIRE que les désordres affectant l'immeuble de Mme [R] [L] sont de nature décennale,
CONDAMNER la SMABTP à payer à Mme [R] [L] la somme de 136.660,80 € (cent trente-six mille six-cent soixante euros et quatre-vingts centimes) au titre des travaux de démolition et de reconstruction de l'immeuble prévus au sein du devis n°1832 de la société 2M MAÇONNERIE en date du 29 janvier 2018 (pièce n° 25) ;
CONDAMNER la SMABTP à payer à Mme [L] diverses sommes au titre de ses préjudices annexes à savoir :
- La perte de jouissance de son logement depuis la date de réception de la lettre recommandée du 12 octobre 2017, soit 800 € multipliés par le nombre de mois jusqu'à la date de réception des travaux de reconstruction de la maison, outre les intérêts au taux légal ;
- Les frais de relogement de Mme [L] de novembre 2018 à août 2020, soit 10.500 € (500 € mensuels pendant 21 mois) ;
- Le préjudice financier de Mme [L] consécutif aux frais bancaires qu'elle a dû payer du fait de son surendettement, soit 254 € ;
- Le préjudice moral que Mme [L] a subi du fait de l'impossibilité
d'habiter dans sa maison, à hauteur de 10 000 €.
En tout état de cause,
CONDAMNER la SMABTP à payer à Mme [L] la somme de 7.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNER la SMABTP aux entiers dépens, outre aux frais d'expertise et au coût du diagnostic étude de sol'.
A l'appui de ses prétentions, Mme [R] [L] soutient notamment que :
- comme l'atteste le devis n°2016-10/25-006 signé le 26/10/2016 et d'un montant de 41.428,30 €, Mme [L] confiait la construction de sa maison en maçonnerie à son cousin [M] [L], gérant de l'EARL [L].
- ce devis prévoyait la "construction d'une maison d'habitation".
- Mme [L] a réglé les factures inhérentes au devis initial à hauteur de 39 078, 99 € T.T.C., soit 2 349,31 € non réglés par rapport au devis.
- La charpente a été achetée par Mme [L] auprès du fournisseur CHAMPEAU (avec garantie SMABTP) et la pose a été réalisée par la société AL COUVERTURE que l'EARL [L] a fait intervenir.
- il était prévu entre l'EARL [L] et Mme [L] que cette dernière devait engager le lot de terrassement par elle-même. Ces travaux ont été réalisés avec des amis.
- il ressort des nombreux mails échangés entre les parties ainsi que des nombreuses factures établies par l'entreprise, que M. [L] s'est en réalité occupé de tout.
- notamment par mail envoyé le 1er février 2017 à 22h20, M. [M] [L], gérant, dit avoir commandé les menuiseries, la peinture et le parquet pour la maison.
- Mme [L] a réglé les factures de fournitures à l'EARL [L] en sus du devis initial. Elle a déboursé 70 406,39 € T.T.C., pour sa construction, alors que M. [L] en a oublié de réaliser le gros oeuvre dont il était chargé à l'origine.
- voyant que le chantier n'avançait plus, que l'EARL [L] était réticente et que des malfaçons étaient flagrantes, Mme [L] a préféré stopper et saisir le tribunal.
- elle a habité un temps avec son fils dans cette maison qui est loin d'être terminée y compris ses raccordements, terrasse et aménagement extérieur.
- il ressort de l'expertise judiciaire qu'aucune étude de sol n'a été engagée ni demandée par le constructeur du gros oeuvre, alors que la maison à bâtir se trouvait dans une zone de gonflement-retrait d'argile.
- Mme [L] a fait réaliser une étude de sol à ses frais par Compétence Géotechnique Atlantique, et le diagnostic géotechnique en déduisait que la présence de sols de nature hétérogène et aux comportements mécaniques contrastés sous les fondations, de surcroît si certains sont compressibles, sensibles à l'eau et sensibles au retrait-gonflement, ne permet pas de garantir la stabilité de l'ouvrage sur le long terme.
- l'expert judiciaire met en avant le fait que L'EARL [L], entreprise de maçonnerie, a commencé ses travaux de maçonnerie sans se préoccuper de l'étude de sol et de celle des structures béton armé dans une zone très argileuse et sismique, et dont l'EARL [L] avait connaissance.
- tous les travaux prévus dans le devis proposé par l'EARL [L] ne sont pas terminés et sont affectés de malfaçons.
- le rapport d'expertise constate des désordres qui nécessitent des reprises et des modifications importantes et qui en conséquence, permettent d'engager la responsabilité décennale de plein droit de l'EARL [L].
- au regard des différents devis et factures établis par l'EARL [L], l'expert judiciaire a pu établir dans son rapport du 24 avril 2018, que l'entreprise était intervenue sur le chantier dans les corps d'état suivants : le gros oeuvre, maçonnerie et chape, les menuiseries, la plomberie, la plâtrerie et l'isolation et l'électricité.
- il y a atteinte à la solidité de l'ouvrage, puisque l'expert judiciaire considère que « les désordres, les malfaçons et les non-façons ont une incidence sur la solidité de l'immeuble et de sa destination qui conduisent à préconiser la démolition de la maison et du garage et ensuite procéder à la reconstruction dans les règles de l'art.
- les dommages causés par l'EARL [L] rendant également l'immeuble impropre à sa destination en ce qu'elle n'a pas respecté le bornage, alors que les enduits ne sont pas réalisés.
- le rapport d'expertise précise que l'implantation de la maison et du garage ne respecte pas la réglementation de l'urbanisme, notamment l'application du PLU, rendant l'immeuble impropre à sa destination.
- sur la réception tacite, elle résulte d'un certain nombre d'indices constatés par le juge et permettant de caractériser la volonté du maître d'ouvrage d'accepter les travaux, mais il existe une présomption de réception tacite des travaux si le maître d'ouvrage a intégralement payé le prix et s'il est entré en possession de l'ouvrage, sans qu'il doive être constaté que l'immeuble était habitable.
- Mme [R] [L] est entrée en possession de l'ouvrage pour pouvoir y vivre et elle a presque intégralement payé le prix des prestations de l'EARL [L]. Elle a été dans l'obligation d'emménager dans son bien, faute de solution d'hébergement alternative.
- Elle n'imaginait pas que les graves désordres affectant son bien allaient finalement la contraindre à trouver en urgence des solutions d'hébergement alternatives.
- par ses courriers à l'EARL [L] le 12 octobre 2017, soit près de trois mois après la date de réception tacite, Mme [L] souhaitait simplement formuler des réserves.
- deux graves désordres de nature décennale et directement imputables à l'EARL [L], rendent l'immeuble impropre à sa destination et justifient à eux seuls la démolition et la reconstruction de la maison, soit les sols instables sous la construction, et l'implantation fautive de l'immeuble.
- s'agissant du coût des travaux de reprise imputables à la SMABTP, certains lots ont également été réalisés par Mme [L] et sa famille et que le détail des factures payées ne prend pas en compte cet investissement personnel.
- le devis de l'entreprise 2M MAÇONNERIE pour évaluer le préjudice de Mme [L] à hauteur de 136 660,80 € T.T.C. n'a pas pris en compte l'ensemble des factures de fourniture ainsi que les nombreux travaux réalisés à l'origine par l'EARL [L].
- la société AD RENOVATION a réalisé un devis n° 447 très complet qui reprend l'ensemble des travaux qui avaient été effectués par l'EARL [L], pour un montant total de 244 928,86 € T.T.C.
Seuls les travaux concernant le terrassement (2 760 € HT et 1 647,80 € HT) et la murette (12 467,89 €) pourraient être déduits par la Cour, ce qui porterait tout de même le montant de l'indemnisation due à Mme [L] à 228 053,17 € T.T.C.
- à titre subsidiaire, Mme [L] demande la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné la SMABTP à lui payer à la somme de 136 660,80 €.
- les dommages annexes suivent le même régime que les dommages à l'ouvrage et doivent donc être réparés par les constructeurs au titre de leur garantie décennale.
- le défaut de souscription de l'assurance obligatoire dommages-ouvrage par le maître de l'ouvrage ne constitue en lui-même ni une cause des désordres, ni une cause exonératoire de la responsabilité de plein droit des locateurs d'ouvrage.
- Mme [L] subit une perte de jouissance de son logement et devra être indemnisée.
- elle a ainsi multiplié les modes d'hébergement précaires puis a du prendre à bail un autre bien à compter de 2018 et son préjudice lié aux frais de relogement s'élève donc, a minima, à 10.500 €.
- son préjudice financier lié aux frais bancaires s'élève à 254 € alors que la suspension pendant six mois de son obligation de paiement des prêts immobiliers a été ordonnée par le tribunal de proximité de ROCHEFORT le 29 avril 2020.
- son préjudice moral est établi, un arrêt de travail ayant dû être prescrit, et il doit être indemnisé à hauteur de la somme de 10 000 €.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.
L'EARL [L] et son liquidateur judiciaire la SELARL Frédéric BLANC MJO mandataires judiciaires ont été régulièrement intimés mais n'ont pas constitué avocat en cause d'appel.
Par ordonnance rendue en date du 25/05/2021, lE conseiller de la mise en état a rendu la décision suivante :
'- Donnons acte à la partie appelante de son désistement d'appel à l'égard de l'EARL [L] et la SELARL Frédéric BLANC MJO mandataires judiciaires.
Constatons le désistement partiel et disons que la procédure doit se poursuivre à l'encontre de Mme [R] [L], intimée'.
Vu l'ordonnance de clôture en date du 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur la garantie décennale de l'EARL [L] :
L'article 1792 du code civil dispose que 'tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître de l'ouvrage ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère'.
La mise en oeuvre de la garantie décennale intervient alors dans trois séries d'hypothèses de dommages matériels à l'ouvrage construit :
- lorsque le dommage compromet la solidité de l'ouvrage.
- lorsque le dommage affectant l'un des éléments constitutifs de l'ouvrage ou l'un de ses éléments d'équipement le rend impropre à sa destination. Dans ce cas, le critère d'impropriété à destination doit être apprécié par rapport à l'ensemble de l'ouvrage au regard de la destination convenue à l'origine de la construction. L'impropriété à la destination de l'ouvrage peut être retenue, même en l'absence de dommage matériel à l'ouvrage et s'analyse notamment au regard de la dangerosité de l'immeuble ou de son inaptitude à remplir les fonctions auxquelles il était destiné.
- enfin, lorsque le dommage affecte la solidité d'un élément d'équipement indissociable des ouvrages de viabilité, de fondation, de clos et de couvert (code civil, art. 1792-2).
Toutefois, la garantie décennale ne s'applique que s'il y a eu réception.
L'article 1792-6 du code civil dispose que « La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit, à défaut, judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement ». '
Ces dispositions ne font pas obstacle à une réception tacite de l'ouvrage.
La réception tacite doit résulter d'une volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter les travaux et cette volonté s'apprécie au vu des circonstances de l'espèce.
A cet égard, peuvent être pris en considération notamment le paiement du prix et la prise de possession par le maître de l'ouvrage.
Or, cette prise de possession n'est pas soumise à la constatation que l'immeuble soit habitable ou en l'état d'être reçu, s'agissant d'une réception tacite.
En l'espèce, un devis de travaux n°2016-10/25-006 a été établi le 26/10/2016 entre Mme [L] et l'EARL [L] pour un montant de 41.428,30 €, prévoyant la réalisation des fondations, soubassements, dallage, élévation et divers patio/terrasse salon.
Mme [L] justifie avoir réglé les factures afférentes au devis initial à hauteur de 39 078, 99 € T.T.C., soit un solde de 2 349,31 € non réglés par rapport au devis.
L'expertise judiciaire clôturée en l'état le 9 mars 2019 permet de retenir que l'EARL [L] est également intervenue, sans qu'aucun contrat écrit ne soit signé avec l'intimée, sur les lots suivants : le gros oeuvre, maçonnerie et chape, les menuiseries, la plomberie, la plâtrerie et l'isolation et l'électricité.
Mme [L] justifie du paiement à l'EARL [L] de diverses factures, soit :
- Facture N° 2017-06/26-020 du 26/06/2017 d'un montant de 8 277,05€/T.T.C., correspondant à la fourniture des menuiseries uniquement sans la pose
- Facture N° 2017-07/31-024 du 31/07/2017 d'un montant de 13.768,99€/T.T.C. qui correspond à la fourniture sans la pose de la plâtrerie, de l'ossature et des plaques de BA13, des fixations pour les cloisons de doublage et des cloisons de galandage (distribution des pièces), de la laine de verre GR32 épaisseur 140 m pour l'isolation intérieure des murs périphériques, de la porte d'entrée, du matériel de plomberie, compris la baignoire, le meuble avec ses 2 vasques, le kit WC avec le meuble et sa vasque, évier de cuisine, une douche avec le "walk in" cabine vitrée, chauffe-eau électrique 200l, les robinets mitigeurs, le robinet de puisage extérieur, du matériel d'électricité pour toute l'installation de la maison compris la VMC.
Au surplus, par un mail envoyé le 1er février 2017 à 22h20, M. [M] [L], gérant, indiquait avoir commandé les menuiseries, la peinture et le parquet pour la maison.
Par un second mail du 10 février 2017 à 14h35, il écrivait concernant l'électricité et la plomberie que :
'Tout ce qui est chiffré est fourni et posé. Ils arrivent à 10.175 € avec la VMC, mais on arrivera à gratter pour descendre à 10.000 €, tout en bonne qualité pour la robinetterie et tout en LEGRAND pour l'électricité. »
L'expert judiciaire a ainsi justement retenu que Mme [L] a payé des factures d'un montant total de 78 186,39 €/T.T.C., dont 70 406,39 €/T.T.C. directement réglés à l'EARL [L], ces règlements caractérisant l'intervention du constructeur au-delà de son devis du 26/10/2016.
S'agissant de la réception, Mme [L] indique avoir pris possession de l'ouvrage, même non achevé et comportant des mal-façons, et la réalité de cette prise de possession n'est pas utilement contredite par la société appelante, dès lors que Mme [L] se retrouvait dans l'obligation de pourvoir à son logement, accompagnée de son fils âgé de 5 ans.
L'expert judiciaire a indiqué à son rapport : 'à ce jour Mme [L] habite avec son fils dans cette maison qui est loin d'être terminée, sans aménagement intérieur, sans enduit extérieur, sans raccordement, à l'exception de celui des eaux usées, sans terrasse et sans aménagement extérieur, sans mise en forme définitive du terrain'.
Nonobstant son relogement ultérieur en caravane, puis chez des amis et connaissances qui en attestent, enfin en location, Mme [L] démontre sa volonté non équivoque de prise de possession de son immeuble, même non achevé, à la pose de la charpente et de la couverture par la société AL COUVERTURE, soit le 26 juillet 2017.
Selon le rapport d'expertise, des travaux n'ont pas été réalisés en ce qui concerne :
- l'auvent et les murs de clôture.
- les tranchées et la pose de tous les fourreaux et réseaux des branchements nécessaires, de l'habitation aux raccordements des réseaux publics
- le dispositif de l'épandage des eaux pluviales avec la collecte des descentes d'eau par des regards béton au droit des façades et les regards de jonction
- la pose des menuiseries a été réalisée par l'EARL [L], sans devis, ni facturation, mais le rapport d'expertise constate de nombreux désordres et malfaçons de pose
- seuls les câbles électriques gainés et les canalisations de plomberie à l'intérieur de la maison ont été posés par l'EARL [L] pour réaliser la chape. Tous ces câbles électriques et canalisations sont en attente.
Toutefois, cet état d'inachèvement ne contredit pas la réalité d'une prise de possession contrainte, Mme [L] étant dans l'obligation d'emménager dans son bien, faute de solution d'hébergement alternative et n'imaginant pas alors les désordres auxquels elle allait être confrontée.
C'est dans un second temps que Mme [L] adressera à l'EARL [L] le 12 octobre 2017 un courrier, soit près de trois mois après sa prise de possession, afin de formuler des réserves et contraindre les entreprises concernées à reprendre les malfaçons.
De même, elle justifiera dans un second temps de sa nécessité de trouver en urgence des solutions d'hébergement alternatives.
Toutefois, ces évolutions postérieures ne retirent rien à la réalité d'une prise de possession, accompagnée du paiement de la quasi-totalité du prix du devis, signé ainsi que des factures venant en sus de la part de l'EARL [L].
Il résulte de ces éléments que la volonté non équivoque de Mme [L] de recevoir tacitement l'ouvrage est établie, et la présomption de réception tacite n'est pas utilement combattue par la société SMABTP, assureur décennal de l'EARL [L].
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu l'existence d'une réception tacite de l'ouvrage à la date du 26 juillet 2017.
Il en résulte que la garantie décennale de l'EARL [L], assurée à ce titre par la société SMABTP est susceptible d'être recherchée, dès lors que des désordres relevant des dispositions des articles 1792 et suivants du code civil pourraient être constatés.
En l'espèce, il résulte des conclusions du rapport d'expertise judiciaire que la démolition de la maison et du garage est à son avis inéluctable pour remédier aux désordres, non-façons et malfaçons existants.
En effet, une reprise en sous-oeuvre très onéreuse des constructions pour assurer une stabilité pérenne des fondations ne peut être envisagée du fait des nombreux désordres relevés, car beaucoup sont irréparables et ne permettraient pas de satisfaire à la réglementation de la construction en vigueur.
Outre que partie des travaux n'est pas achevé et comporte des malfaçons relevées par l'expert, la construction a été réalisée par l'EARL [L] sans que celle-ci fasse procéder à une étude de sol, pourtant indispensable au regard de sa propre mention au devis qui mentionnait au titre de la nature des travaux : "construction d'une maison d'habitation zone sismique 3 à [Localité 6]".
Or, l'étude du sol réalisée postérieurement fait mention de sols de nature hétérogène et aux comportements mécaniques contrastés sous les fondations, sensibles à l'eau et au retrait gonflement, qui ne permet pas de garantir la stabilité de l'ouvrage sur le long terme, d'autant que les armatures sont absentes ou irrégulières à certains endroits.
Il apparaît ainsi que l'EARL [L] a gravement manqué au respect des règles de l'art, adoptant des modes de constructions impropres à la nature du sol, l'ouvrage étant menacé dans sa solidité et impropre à sa destination, d'autant que l'immeuble n'est pas implanté strictement en limite de propriété et contrevient aux dispositions du PLU et du permis de construire.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que les désordres constatés sont de nature décennale, la responsabilité de l'EARL [L] devant être retenue à ce titre.
Sur la garantie de la société SMABTP :
La garantie décennale de l'EARL [L] est couverte par un contrat d'assurance « GLOBAL CONSTRUCTEUR 1244000/001 » souscrit le 7 novembre 2016 auprès de la compagnie d'assurance SMABTP.
Les désordres garantis doivent être indemnisés intégralement, à hauteur du coût des travaux de réparation de l'ouvrage, qui comprend également ' les travaux de démolition, déblaiement, dépose ou démontage éventuellement nécessaires' dès lors qu'il s'agit de désordres imputables aux travaux réalisés par la société [L].
Or, si celle-ci a réalisé selon devis des travaux de fondations, gros oeuvre et élévation sans étude de sol ni respect en conséquence des règles de l'art, elle a également réalisé sans aucun écrit, tel que le retient l'expert judiciaire, les travaux afférents aux menuiseries, à la plomberie, la plâtrerie, l'isolation et l'électricité.
Il y a lieu alors de considérer l'entier manquement contractuel de l'EARL [L], étant au surplus relevé que la destruction nécessaire de l'ouvrage est la conséquence directe des désordres du gros oeuvre réalisé par ce constructeur, indépendamment des autres lots, y compris de ceux réalisés par Mme [L] et ses amis.
Les désordres ne relèvent pas de prestations de maîtrise d'oeuvre, et il est inopérant, pour la compagnie SMABTP, de faire valoir que son assurée n'était pas couverte pour l'activité de maîtrise d'oeuvre.
En outre, le défaut de souscription de l'assurance obligatoire dommages-ouvrage par le maître de l'ouvrage ne constitue ni une cause des désordres, ni une faute exonératoire de la responsabilité de plein droit des locateurs d'ouvrage.
Par contre, le coût des travaux de démolition et de reconstruction jusqu'à achèvement, pour être conforme au permis de construire, était évalué par l'expert judiciaire à la somme de 250 000 €,tel que le prévoyait le devis n° 447 établi par la société AD, reprenant l'ensemble des travaux pour un montant total de 244 928,86 € T.T.C..
Néanmoins, Mme [L] ne peut prétendre obtenir sans enrichissement l'indemnisation des désordres au delà des conséquences des manquements de l'EARL [L], en tenant compte tant des paiements intervenus que de l'état d'inachèvement de son immeuble.
Il convient en conséquence de considérer en l'espèce le devis établi par la S.A.R.L. 2M MAÇONNERIE le 29/01/2018, pour un montant de 136 660,80 € T.T.C., comprenant les frais de démolition et de reconstruction du bâtiment jusqu'à un stade équivalent aux prévisions contractuelles.
Le surplus des demandes sera rejeté comme sans lien de causalité avec les malfaçons et non-façons, dont les conséquences serot entièrement réparées par la démolition de l'existant et l'allocation d'une somme correspondant à la reconstruction de l'ouvrage jusqu'à ce stade.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la SMABTP à payer à Mme [R] [L] la somme de 136 660,80 € au titre des travaux de démolition et de reconstruction de l'immeuble.
Sur les dommages immatériels :
Il est établi par l'ampleur des désordres subis et du fait de la nécessité de procéder à la destruction de l'ouvrage que Mme [L] subit une perte de jouissance conséquente de son logement, les désordres supportés ayant justifié son relogement du 17 novembre 2018 au 31 juillet 2019, à [Localité 7], puis 26 août 2019 au 1er août 2020 à [Localité 6].
Une somme de 300 € par mois du 01/11/2017 au 31/10/2022 sera accordée à Mme [L] au titre de son préjudice de jouissance, soit la somme de 18000 €, outre la somme de 8 000 € au titre de ses frais de relogement en location tels que justifiés par attestations MERLINO et LECAT-AUZANNEAU.
Le préjudice financier de Mme [L] consécutif aux frais bancaires qu'elle a dû payer du fait de son surendettement est avéré, et en lien de causalité avec les désordres, et il sera indemnisé comme sollicité à hauteur de la somme de 254 €.
En outre le préjudice moral de Mme [L] est établi, un arrêt de travail ayant dû être prescrit le 8 février 2018 par le Docteur [X] du fait de : 'troubles dépressifs sur étiologie réactionnelle', alors qu'elle était contrainte de rechercher son relogement et connaissait une situation financière particulièrement difficile.
Elle doit être indemnisée à ce titre à hauteur de la somme de 4 000 €.
La société SMABTP couvre les dommages immatériels consécutifs aux désordres décennaux et elle sera condamnée au paiement de ces sommes en vertu de son obligation de garantie, au titre du contrat souscrit.
Sur les dépens et l'application de l'article 699 du code de procédure civile:
Il résulte de l'article 696 du code de procédure civile que ' La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. (...).'
Compte tenu de la solution apportée au présent litige, les dépens d'appel seront fixés à la charge de la société SMABTP, le jugement devant être confirmé en ce qu'il a condamné la SMABTP aux dépens de l'instance qui comprendront les frais de référé et d'expertise.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
Il est équitable de condamner la société SMABTP à payer à Mme [R] [L] la somme fixée au dispositif du présent arrêt sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
La somme allouée au titre des frais de première instance a été justement appréciée, le jugement entrepris devant être confirmé sur ce point.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, et en dernier ressort,
Statuant dans les limites de l'appel,
CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a :
- débouté Mme [R] [L] du surplus de ses demandes dirigées à l'encontre de la SMABTP.
Statuant à nouveau de ces chefs,
CONDAMNE la SOCIÉTÉ MUTUELLE D'ASSURANCE DU BÂTIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS (SMABTP) à verser à Mme [R] [L] :
- la somme de 18 000€ au titre de l'indemnisation de son préjudice de jouissance.
- la somme de 8 000 € au titre de l'indemnisation de son relogement
- la somme de 4 000 € au titre de l'indemnisation de son préjudice moral.
- la somme de 254 € au titre de l'indemnisation de son préjudice financier.
Y ajoutant,
DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires.
CONDAMNE la SOCIÉTÉ MUTUELLE D'ASSURANCE DU BÂTIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS (SMABTP) à verser à Mme [R] [L] la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
CONDAMNE la SOCIÉTÉ MUTUELLE D'ASSURANCE DU BÂTIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS (SMABTP) aux dépens d'appel, étant rappelé que les dépens de première instance restent répartis ainsi que décidé par le premier juge.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,