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25/10/2022 | FRANCE | N°21/00787

France | France, Cour d'appel de Poitiers, 1ère chambre, 25 octobre 2022, 21/00787


ARRET N°510



N° RG 21/00787 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GG2V













S.A. MAAF ASSURANCES



C/



[O]

[M] EPOUSE [O]

Etablissement Public CPAM DES VOSGES

Mutuelle MUTUELLES DE LORRAINE















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS



1ère Chambre Civile



ARRÊT DU 25 OCTOBRE 2022



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG

21/00787 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GG2V



Décision déférée à la Cour : jugement du 14 décembre 2020 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Niort.





APPELANTE :



S.A. MAAF ASSURANCES

[Adresse 6]

[Adresse 6]



ayant pour avocat Me Sébast...

ARRET N°510

N° RG 21/00787 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GG2V

S.A. MAAF ASSURANCES

C/

[O]

[M] EPOUSE [O]

Etablissement Public CPAM DES VOSGES

Mutuelle MUTUELLES DE LORRAINE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 25 OCTOBRE 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00787 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GG2V

Décision déférée à la Cour : jugement du 14 décembre 2020 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Niort.

APPELANTE :

S.A. MAAF ASSURANCES

[Adresse 6]

[Adresse 6]

ayant pour avocat Me Sébastien FOUCHERAULT de la SAS AVODES, avocat au barreau de DEUX-SEVRES substitué par Me Céline LE DROGO, avocat au barreau des Deux-Sèvres

INTIMES :

Monsieur [Y] [O]

né le [Date naissance 4] 1962 à

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Madame [H] [M] épouse [O]

née le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 7] (PAYS BAS)

[Adresse 5]

[Adresse 5]

ayant tous les deux pour avocat postulant Me Guillaume GERMAIN de la SCP SCP AUXILIA AVOCATS, avocat au barreau de DEUX-SEVRES et pour avocat plaidant Me Frédéric LE BONNOIS, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me Judith RAFFY, avocat au barreau de BORDEAUX

Mutuelle MUTUELLES DE LORRAINE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

ayant pour avocat postulant Me Nicolas CHAN de la SELARL ELIGE DEUX-SEVRES, avocat au barreau de DEUX-SEVRES et pour avocat plaidant Me Raoul GOTTLICH, avocat au barreau de NANCY

CPAM DES VOSGES

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Défaillante

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 Septembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre qui a présenté son rapport

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Monsieur Philippe MAURY, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,

ARRÊT :

- Contradictoire

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ :

[Y] [O] a été victime d'un accident de la circulation le 6 octobre 2010, lorsque le véhicule qu'il conduisait a été percuté à l'arrière par un véhicule assuré auprès de la MAAF.

Se croyant d'abord indemne, il a ressenti le lendemain des douleurs qui l'ont amené à consulter.

Le 13 octobre, des examens radiographiques ont révélé un pincement dégénératif en C5-C6 avec un pli diastasis en C3-C4.

M. [O] a été placé en arrêt de travail le 14 octobre 2010.

Il a été licencié pour inaptitude le 1er avril 2011.

Il a obtenu le 2 octobre 2012 du juge des référés l'organisation au contradictoire de la MAAF d'une expertise médicale qui a été confiée au docteur [N], et l'allocation d'une provision de 2.000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice.

Le technicien a déposé son rapport définitif le 30 septembre 2014.

[Y] [O] et son épouse [H] née [M] ont fait assigner par actes du 22 janvier 2018 la société MAAF Assurances, les Mutuelles de Lorraine et la caisse primaire d'assurance maladie des Vosges (la CPAM 88) devant le tribunal judiciaire de Niort pour voir ordonner une contre expertise avec allocation d'une provision supplémentaire de 5.000 euros, et subsidiairement pour voir liquider

.le préjudice de M. [O] à

.178.841,69 euros au titre de ses préjudices extra-patrimoniaux

.26.320,50 euros au titre de ses préjudices patrimoniaux

.le préjudice sexuel de Mme [O] à 5.000 euros

outre capitalisation des intérêts et indemnité de procédure.

La MAAF s'est opposée à la demande de nouvelle expertise et a offert d'indemniser [Y] [O] à hauteur de 9.754,64 euros en indiquant lui avoir déjà versé 4.454,64 euros de provision.

Les Mutuelles de Lorraine ont réclamé 4.647,11 euros au titre de leurs débours.

La CPAM 88 n'a pas comparu.

Par jugement du 14 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Niort a :

* déclaré irrecevables les demandes des Mutuelles de Lorraine

* dit que la MAAF était tenue d'indemniser le préjudice subi par [Y] [O] du fait de l'accident survenu le 6 octobre 2010 à Briey

* déclaré sa décision commune à la CPAM 88

* fixé la créance définitive de la CPAM des Vosges à 15.480,74 euros

* fixé à 281,42 euros la créance définitive des Mutuelles de Lorraine

* liquidé ainsi le préjudice de [Y] [O] :

¿ Préjudices patrimoniaux :

* temporaires :

.dépenses de santé actuelles :

-CPAM 88 : 1.453,66 euros

-Mutuelles de Lorraine : 281,42 euros

.frais divers restés à charge de la victime : 5.952,32 euros

*permanents :

.dépenses de santé futures : créance CPAM 88 : 84,24 euros

.assistance par tierce personne : créance CPAM 88 : 3.301,76 euros

.perte de gains professionnels futurs : 62.854 euros

.incidence professionnelle : 17.131,20 euros

.¿ Préjudices extra patrimoniaux :

*temporaires :

.déficit fonctionnel temporaire (DFT) : 711,10 euros

.souffrances endurées : 4.000 euros

*permanents :

.déficit fonctionnel permanent (DFP) : 7.225 euros

.préjudice esthétique permanent : 1.500 euros

.préjudice d'agrément : 1.500 euros

.préjudice sexuel : 1.500 euros

* condamné la MAAF à payer à [Y] [O] la somme de 102.373,62 euros déduction faite des créances des organismes sociaux

*dit que les provisions versées, d'un montant de 5.300 euros, devaient venir en déduction

*condamné la MAAF à payer 1.000 euros à Mme [O] en réparation de son préjudice sexuel

*condamné la MAAF aux dépens

*condamné la MAAF à verser 2.550 euros d'indemnité de procédure à [Y] [O]

.ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu, en substance,

-qu'une nouvelle expertise était inutile, tous les éléments discutés étant déjà recensés

-que le licenciement devait être regardé comme en lien direct avec l'accident du 6 octobre 2010

-que M. [O] n'établissait pas les circonstances de sa chute dans un ravin le 6 avril 2011, qu'il attribue à une tentative de suicide au volant de son véhicule à la suite de l'annonce de son licenciement, et que ce second accident ne pouvait pas être regardé comme imputable au premier

-que les rechutes postérieures n'étaient pas non plus rattachables au premier accident

-que la consolidation de l'accident du 6 octobre 2010 devait ainsi être fixée au 5 avril 2011

-que l'ensemble des prétentions émises par Les Mutuelles de Lorraine portant sur l'accident du 6 avril 2011 étaient sans lien avec l'accident seul considéré, et donc irrecevables

-que l'incidence professionnelle était en lien avec l'accident d'octobre 2010.

La société MAAF Assurances a relevé appel le 9 mars 2021.

Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique :

* le 11 mars 2022 par la société MAAF Assurances

* le 2 septembre 2021 par les époux [O]

* le 9 juillet 2021 par les Mutuelles de Lorraine.

La société MAAF Assurances demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. [O] 102.373,62 euros déduction faite des créances des organismes sociaux et en ce qu'il a liquidé à 62.854 euros la perte de gains professionnels futurs et à 17.131,20 euros l'incidence professionnelle, et statuant à nouveau :

-de rejeter purement simplement la demande au titre de l'incidence professionnelle

.ou subsidiairement de fixer celle-ci à 5.000 euros avant déduction de la rente AT

-de la condamner à payer à [Y] [O] en réparation de son préjudice la somme totale de 22.388,42 euros déduction faite des créances des organismes sociaux et avant déduction des provisions versées pour 5.300 euros

-.de condamner les époux [O] aux dépens de première instance et à lui payer 3.500 euros d'indemnité de procédure de première instance

.ou très subsidiairement si les dépens étaient mis à sa charge de fixer à 2.000 euros l'indemnité de procédure mise à sa charge

-de condamner in solidum les époux [O] aux dépens d'appel et à lui verser 2.500 euros d'indemnité de procédure d'appel.

La MAAF soutient que le tribunal a inversé la charge de la preuve et méconnu les principes régissant le droit de la responsabilité en retenant que le syndrome dépressif post-traumatique de M. [O] était une conséquence de l'accident en l'absence d'explication le rattachant à une autre cause, alors que c'est à la victime alléguant un préjudice de démontrer qu'il est en lien de causalité avec l'accident. Elle fait valoir que si la cause de ce syndrome demeure certes inconnue, l'expert amiable [G] puis l'expert judiciaire [N] ont l'un comme l'autre exclu tout lien de causalité avéré entre le licenciement pour inaptitude et l'accident. Elle assure que le propre médecin traitant de M. [O] était de cet avis. Elle objecte que l'expert judiciaire, qui s'est entouré de deux psychiatres renommés, ne retient pas d'atteinte psychologique dans son évaluation du DFP à 5%.

Elle approuve les premiers juges d'avoir écarté tout lien de causalité entre l'accident du 6 octobre 2010 et la mise en invalidité 2ème catégorie de M. [O], en indiquant que celui-ci ne justifie nullement que la perte de son nouvel emploi d'horloger peut être rattachée de façon directe et certaine à cet accident.

Elle conteste les chefs d'appel incident des intimés.

M. et Mme [O] sollicitent la confirmation du jugement sauf pour les postes suivants, sur lesquels ils forment appel incident et demandent ainsi à la cour

* [Y] [O] :

¿ à titre principal : de liquider son préjudice

.de pertes de gains professionnels futurs à 149.143,72 euros

.d'incidence professionnelle à 32.131,20 euros

.de souffrances endurées à 6.000 euros

.d'agrément à 5.000 euros

.sexuel à 5.000 euros

et de condamner la MAAF à lui verser en deniers ou quittances 212.663,34 euros

¿ à titre subsidiaire :

.de confirmer les pertes de gains professionnels futurs à 62.854 euros

.de confirmer l'incidence professionnelle à 17.131,20 euros

.de liquider les souffrances endurées à 6.000 euros

.de liquider le préjudice d'agrément à 5.000 euros

.de liquider le préjudice sexuel à 5.000 euros

et de condamner la MAAF à lui verser en deniers ou quittances 110.373,62 euros

* [H] [O] : de liquider à 5.000 euros son préjudice sexuel et de condamner la MAAF à lui payer cette somme

* de condamner en toute hypothèse la MAAF aux dépens d'appel et à leur verser 5.000 euros d'indemnité de procédure.

Monsieur [O] indique ne pas remettre en cause le refus d'ordonner une nouvelle expertise, mais il demande à la cour d'apprécier les conclusions du rapport [N] avec les plus grandes réserves concernant les postes de préjudice contestés en cause d'appel. Il affirme que l'expert judiciaire l'a pris pour un simulateur, et n'a pas considéré son parcours médical avec avis d'inaptitude du médecin du travail, licenciement pour inaptitude, suivi psychiatrique continu, qui tous corroborent le lien de causalité entre l'accident du 6 octobre 2010 et son syndrome dépressif réactionnel.

Il maintient que la perte de l'emploi d'horloger est rattachable au premier accident, car elle avait pour cause un stress post-traumatique consécutif à cet accident.

Il rappelle être depuis en invalidité.

Il soutient que l'incidence professionnelle doit être indemnisée en retenant que sa mise en invalidité 2ème catégorie est liée à l'accident.

Il explicite ses différents postes de demande.

Mme [O] soutient quant à elle que son préjudice sexuel a été sous-évalué.

Les Mutuelles de Lorraine sollicitent la confirmation pure et simple du jugement en ce qu'il leur a alloué 281,42 euros. Elles concluent au partage des dépens.

La caisse primaire d'assurance maladie des Vosges (la CPAM 88) ne comparaît pas. Elle a été assignée par acte du 23 avril 2021 délivré à personne habilitée.

L'ordonnance de clôture est en date du 27 juin 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

[Y] [O], qui est né le [Date naissance 4] 1962, était âgé de 48 ans à l'époque de l'accident, où il travaillait depuis des années en contrat à durée indéterminée comme technicien en maintenance de systèmes d'impression numérique.

La MAAF a d'emblée, et constamment, admis son obligation de réparer intégralement les conséquences dommageables de l'accident.

M. [O] abandonne en cause d'appel sa demande, rejetée par le premier juge, de nouvelle expertise, et c'est au vu des conclusions du rapport d'expertise judiciaire du docteur [N] -dont certaines conclusions et analyses sont discutées- et des explications et pièces des parties qu'il y a lieu, dans la limite des appels respectifs, de liquider le préjudice de la victime, âgé de 48 ans lors de la consolidation, ainsi que d'apprécier la demande formulée par son épouse.

1. PRÉJUDICES PATRIMONIAUX

1.1. PRÉJUDICES PATRIMONIAUX TEMPORAIRES (avant consolidation)

1.1.1. : dépenses de santé actuelles

Il n'existe pas de discussion sur ce poste, constitué

* des débours de la CPAM 88, chiffrés à 1.453,66 euros

* de ceux supportés par les Mutuelles de Lorraine, chiffrés à 281,42 euros

soit au total 1.735,08 euros.

1.1.2. : frais divers

Le tribunal a alloué à ce titre à M. [O] au titre de frais déboursés lors de son hospitalisation, des honoraires des médecins l'ayant assisté durant les expertises et des dépenses de transport pour se rendre aux expertises, une somme totale de 5.952,32 euros qui n'est pas discutée.

1.1.3. : pertes de gains professionnels actuels

Il n'existe pas de discussion devant la cour sur l'évaluation de ce poste,

.pour lequel rien n'est sollicité par [F] [O], qui indique n'avoir pas subi de perte de revenus pour la période antérieure à la consolidation

.et au titre de laquelle le tribunal a retenu à bon droit la créance de la CPAM 88 au titre des indemnités journalières qu'elle a servies au blessé, pour un total de 10.641,08 euros.

1.2. PRÉJUDICES PATRIMONIAUX PERMANENTS

1.2.1. dépenses de santé futures

Il n'existe pas de discussion sur ce poste, chiffré par le premier juge à la créance pour frais pharmaceutiques futurs de la CPAM 88, de 84,24 euros.

1.2.2. : perte de gains professionnels futurs (PGPF)

Ce poste a pour objet d'indemniser la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus professionnels consécutive à l'incapacité permanente à laquelle elle est confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du dommage.

Il est discuté en cause d'appel.

[F] [O] sollicitait en première instance une somme de 142.889,37 euros correspondant selon lui à la perte de revenus subie du 2 avril 2011 au 30 avril 2019, et capitalisée ensuite, en raison de la différence entre la pension d'invalidité qu'il perçoit et les revenus professionnels qu'il percevait auparavant.

La MAAF concluait au rejet pur et simple de cette demande en soutenant qu'il n'existait pas de preuve du lien de causalité entre l'accident de M. [O] et son inaptitude au travail.

Le tribunal a chiffré ce poste à 66.155 euros dont il a déduit pour 3.301,76 euros le capital représentatif de la rente d'accident du travail servie par la CPAM 88 à M. [O], auquel il a donc alloué 62.854 euros. Il a retenu que la décision d'inaptitude médicale dont M. [O] avait fait l'objet après l'accident, puis son licenciement et sa reconversion dans l'horlogerie, résultaient d'un syndrome dépressif réactionnel avéré à l'accident.

La MAAF reprend en cause d'appel sa position de première instance.

Elle soutient que le tribunal a renversé la charge de la preuve et les principes régissant le droit de la responsabilité en retenant qu'elle n'établissait pas l'absence de lien de causalité entre l'accident et l'inaptitude médicale.

Elle fait valoir que le Dr [G], intervenu en 2012 à la demande d'AXA, excluait tout lien de causalité entre le licenciement pour inaptitude d'[F] [O] et l'accident ; que l'expert judiciaire [N] et son sapiteur psychiatre ont également écarté un tel lien ; que l'avis superficiel du médecin du travail ne prévaut pas sur ces conclusions ; que les psychopathologies alléguées par M. [O] n'ont pas d'origine objective et réelle.

Elle conclut au rejet de la demande d'indemnisation d'une perte de revenus futurs.

Devant la cour, [F] [O] sollicite par voie d'appel incident sur la base d'un revenu moyen professionnel de 1.941,11 euros :

.au titre de la période échue au 01.09.2021 : une somme de 242.574,38 moins celle de 120.178,67 euros correspondant aux revenus qu'il a perçus pendant sa reconversion en horloger puis durant la petite période où il a pu exercer ce nouveau métier, soit 122.395,38 euros

.à compter du 01.09.2021, par capitalisation des 757,40 euros représentant la différence entre le montant de sa pension d'invalidité et ce revenu moyen : 26.748,34 euros soit au total 149.143,72 euros.

À titre subsidiaire, il sollicite la confirmation des 62.854 euros alloués par le tribunal.

Il fait valoir que les conclusions de l'expert judiciaire et son sapiteur sont en totale contradiction avec les éléments du suivi médical dont il a fait l'objet ; que trois médecins ont clairement retenu que son licenciement était dû à un syndrome anxiodépressif lui-même en lien avec l'accident du 6 octobre 2010 ; qu'il ne présentait aucun état antérieur, ainsi que l'atteste son précédent médecin traitant ; .que le médecin-conseil de la CPAM a retenu que ce stress post-traumatique avait évolué ensuite en troubles somatoformes à l'origine de sa mise en invalidité ; que la perte du métier d'horloger dans lequel il s'était reconverti après la décision d'inaptitude au précédent emploi est donc bien en lien de causalité avec l'accident.

L'expert judiciaire, avec son sapiteur psychiatre, a conclu, et maintenu après deux dires de contestation, que la procédure de licenciement pour inaptitude n'était pas la conséquence directe et déterminante de l'accident du 6 octobre 2010 (rapport p.13/14) et que l'incidence professionnelle et notamment la nécessité de reclassement professionnel ainsi qu'une formation d'horloger n'était pas la conséquence directe et déterminante de l'accident initial (cf rapport p.16).

Il estime que les plaintes et doléances du registre psychique développées et exprimées lors de l'examen relevaient d'un registre factice (cf rapport p.15).

Il exclut la persistance d'un syndrome de stress post-traumatique, au double motif qu'un tel syndrome n'existe généralement que durant les 12 ou 18 mois suivant la survenue de l'accident, et d'autre part qu'il n'y a pas eu de suivi régulier par un psychiatre (cf rapport p.15).

Il qualifie de 'disproportionné' l'avis en faveur d'un reclassement professionnel donné assez vite après l'accident par le médecin-conseil de la caisse (cf rapport p.5).

Les conclusions de l'expert judiciaire, invoquées par la MAAF à l'appui de sa contestation du principe même d'un préjudice professionnel, ne sont pas convaincantes sur ce point.

Le docteur [N] consigne des certificats, ordonnances et courriers qui attestent la réalité d'un syndrome anxio-dépressif apparu dans les semaines suivant l'accident du 6 octobre 2010, puis sa persistance continue.

Il admet lui-même un syndrome réactionnel chronicisé (rapport p.10) et écrit que M. [O] a 'effectivement souffert de séquelles psychologiques et psychiatriques postérieurement à l'accident', pour en dire tout à la fois que ces séquelles ne sont pas en lien direct et suffisant avec cet accident mais qu'elles ne préexistaient pas non plus à l'accident (cf rapport p.11).

Il est pourtant de la nature d'un syndrome réactionnel d'être en relation avec ce à quoi il réagit, et de la nature de séquelles d'un accident d'être en lien de causalité avec lui.

L'expert judiciaire écarte l'existence d'une relation causale entre ce syndrome anxio-dépressif et l'inaptitude au poste occupé prononcée par le médecin du travail, et avec le licenciement qui s'en est suivi, pour des motifs hypothétiques et contradictoires, en considérant que 'si la stabilisation de l'état somatique à compter du 5 avril 2011 s'est doublée d'une atteinte psychologique et psychiatrique majeure sous forme d'un syndrome dépressif', celle-ci n'est 'manifestement pas en lien direct et déterminant avec l'accident initial du 6 octobre 2010' au motif que 'le lien exclusif avec l'accident du 6 octobre peut être sujet à discussion dans la mesure où d'autres événements sont intervenus pour précipiter ou aggraver le syndrome dépressif réactionnel qui a été décrit par la suite, et ainsi favoriser la chronicisation de cette souffrance globalisée (cf rapport p.10).

En réponse aux objections formulées sous forme de dire par le psychiatre assistant M. [O], l'expert judiciaire a indiqué 'en ce qui concerne sa décompensation psychologique postérieure, sur une forme dépressive, j'ai exprimé une hypothèse, à savoir la conjonction de différentes décisions médico-administratives et médico-professionnelles qui ont très rapidement abouti à un licenciement mais également à d'autres événements dont je n'aurais pu avoir connaissance et qui auraient été responsables de cette décompensation dépressive..' (rapport p.13).

Ainsi, l'expert judiciaire, après avoir retenu l'existence d'un syndrome dépressif réactionnel, et sa chronicisation, exclut d'en faire une séquelle de l'accident du 6 octobre 2010 et une cause de l'inaptitude médicale ultérieurement prononcée, et donc du licenciement que celle-ci a impliqué,

-en se fondant sur un critère d'exclusivité ou de caractère déterminant du lien causal qui n'est pas requis, un lien avéré suffisant à établir une relation de causalité, tel celui qu'il trouve dans les décisions du médecin-conseil et du médecin du travail, lesquelles étaient pleinement en relation avec l'accident du 6 octobre 2010

-et en asseyant sa position sur ce qu'il qualifie lui-même 'd'hypothèses' et qu'il évoque au conditionnel, en reconnaissant qu'elles reposeraient sur des événements dont il n'a pas eu connaissance, ce qui désarme la discussion.

[F] [O] ne présentait aucun trouble psychologique ni antécédent psychiatrique avant l'accident, comme l'ont attesté les deux généralistes l'ayant successivement suivi (ses pièces n°9 et 12) et le psychothérapeute qu'il a par la suite consulté (pièce n°10).

L'expert judiciaire retient lui-même l'absence de troubles psychopathologiques antérieurs à l'accident du 6 octobre 2010 (cf rapport p.13).

Le médecin-conseil de la CPAM 88 a rapidement conclu à la nécessité d'un reclassement professionnel.

Le médecin traitant de M. [O] l'a adressé en février 2011 à un neurologue qui lui a prescrit un traitement à base de Laroxyl pour un syndrome subjectif post-traumatique (pièce n°8); le médecin du travail qui l'a examiné le 23 février 2011 s'est alarmé de son état et l'a déclaré inapte à reprendre son poste compte-tenu du danger immédiat pour sa sécurité, alors que le médecin-traitant n'avait pas renouvelé l'arrêt de travail en considérant qu'il était consolidé de ses séquelles cervicales ; en l'absence de poste adapté dans l'entreprise, il a fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude médicale le 1er avril 2011.

Il résulte de ces éléments, ainsi sans inversion de la charge de la démonstration, que la perte par [F] [O] de son emploi de technicien en maintenance de systèmes d'impression numérique pour cause d'inaptitude médicale est en lien avéré de causalité direct et suffisant avec l'accident dont il a été victime le 6 octobre 2010.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu l'existence de pertes de gains professionnels futurs indemnisables à ce titre.

Il le sera aussi en ce qu'il a rejeté en revanche la part des demandes tirées d'un préjudice professionnel résultant de l'interruption rapide de l'exercice du métier d'horloger-réparateur dans lequel la victime s'était reconvertie en 2015 après deux années de formation, ainsi que de son placement en invalidité, dès lors que M. [O] a subi le 6 avril 2011, postérieurement à la date non contestée de sa consolidation au 5 avril 2011, un second accident dans lequel il a été blessé, avec un pneumothorax et des fractures des côtes, pour lequel il n'existe pas -y compris en cause d'appel- d'élément probant en faveur d'un rattachement au premier accident et au syndrome dépressif réactionnel qu'en gardait l'intéressé, cet accident ayant ainsi rompu le lien de causalité des préjudices avec l'accident du 6 octobre 2010.

Le premier juge a chiffré les gains professionnels futurs à 62.854 euros par un calcul pertinent, conforme aux productions, qui n'est pas réfuté en cause d'appel et que la cour adopte, comme le demande subsidiairement M. [O]. Ce chef de décision est ainsi confirmé.

1.2.3. incidence professionnelle

L'incidence professionnelle correspond au préjudice que subit la victime en raison de la plus grande pénibilité de l'exercice d'une activité professionnelle du fait des séquelles de l'accident, de sa dévalorisation sur le marché du travail, de la nécessité de subir un reclassement; il peut recouvrir aussi la perte de chance d'obtenir un emploi ou une promotion ou de réaliser un projet professionnel.

En première instance, la victime réclamait 30.000 euros à ce titre.

La MAAF concluait au principal à l'absence d'incidence professionnelle pour les motifs précédemment exposés au titre de la perte de gains professionnels futurs, et estimait subsidiairement que ce poste ne pouvait excéder 5.000 euros.

Les plaideurs reprennent ces prétentions en cause d'appel.

Les premiers juges ont retenu l'existence d'une incidence professionnelle avérée et l'ont indemnisée par l'allocation d'une somme de 15.000 euros en raison de la nécessité pour M. [O] d'avoir dû se reconvertir, et de la pénibilité et de la fatigabilité accrues de l'exercice d'une activité objectivées par l'expert.

De fait, l'expert judiciaire indique (cf rapport p.11) que compte-tenu du handicap cervical, il pourrait y avoir une certaine pénibilité, peu important qu'il ajoute qu'il conviendrait de réévaluer cette pénibilité après que la victime aura fini sa formation et intégré une activité professionnelle, ce poste s'appréciant de façon générique, et non pas en seule considération d'un poste de travail déterminé.

La nécessité d'un reclassement pour la victime est, elle aussi, avérée (cf rapport p.11).

L'indemnisation de ce poste a été fixée de façon adaptée à 15.000 euros, auxquels le tribunal a ajouté à bon droit pour 2.131,20 euros le coût du reclassement personnellement supporté par M. [O], et le jugement qui a liquidé ce poste à 17.131,20 euros sera ainsi également confirmé de ce chef.

2. PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX

2.1. PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX TEMPORAIRES

2.1.1. déficit fonctionnel temporaire (DFT)

Il n'existe pas de discussion devant la cour sur l'évaluation de ce poste à 711,10 euros par le tribunal, dont ce chef de décision n'est pas frappé d'appel.

2.1.2. souffrances endurées

L'expert judiciaire a quantifié ce poste à 2,5/7 sur le barème de référence au vu des souffrances physiques, psychiques et morales de la victime.

Le premier juge a alloué à ce titre à M. [O] 4.000 euros.

Devant la cour, M. [O] réclame par voie d'appel incident 6.000 euros.

La MAAF sollicite la confirmation du jugement.

L'évaluation du premier juge de ce poste à 4.000 euros est adaptée, et sera confirmée.

2.2. PRÉJUDICES EXTRA-PATRIMONIAUX PERMANENTS

2.2.1. déficit fonctionnel permanent (DFP)

L'expert a chiffré sans contestation le DFP à 5%.

Il n'existe pas de discussion devant la cour sur l'évaluation de ce poste à 7.225 euros par le tribunal, dont ce chef de décision n'est pas frappé d'appel.

2.2.2 préjudice esthétique permanent

L'expert a fixé sans contestation ce poste à 1/7 en référence au barème usuel.

Il n'existe pas de discussion devant la cour sur l'évaluation de ce poste à 1.500 euros par le tribunal, dont ce chef de décision n'est pas frappé d'appel.

2.2.3 préjudice sexuel

L'expert judiciaire a consigné (p.11) que M. [O] et son épouse faisaient état de difficultés tant sur le plan technique que sur l'altération profonde de la libido chez la victime.

Il conclut sans réfutation que l'accident a eu un retentissement notable sur la vie sexuelle de M. [O] (cf rapport p.17).

Le tribunal a alloué à ce titre une indemnité de 1.500 euros.

M. [O] sollicite par voie d'appel incident 5.000 euros.

La MAAF conclut à la confirmation de la décision.

L'importance du préjudice justifie, par infirmation, d'en fixer l'indemnisation à 4.000 euros.

2.2.3 préjudice d'agrément

L'expert judiciaire retient l'existence d'un préjudice d'agrément tenant à ce que les séquelles qu'il conserve de l'accident empêchent M. [O] de faire son bois alors que sa maison de montagne est chauffée au bois, et de poursuivre la pratique de la moto dont il était féru.

Ces conclusions ne sont pas contestées, et les justificatifs produits par M. [O] à l'appui de sa demande confirment la réalité de ces pratiques auxquelles l'accident l'a contraint de renoncer.

Le tribunal a chiffré ce poste à 1.500 euros.

M. [O] réclame par voie d'appel incident 5.000 euros.

La MAAF sollicite la confirmation du jugement.

L'évaluation par le premier juge de ce poste à 1.500 euros est adaptée, et sera confirmée.

Le préjudice d'[F] [O] consécutif à l'accident du 6 octobre 2010 s'établit ainsi à (5.952,32 + 62.854 + 17.131,20 + 711,10 + 4.000 + 7.225 + 1.500 + 4.000 + 1.500) = 104.873,62 euros.

S'agissant du préjudice sexuel subi par l'épouse de la victime, [H] [O] née [M], il a été pertinemment évalué par le tribunal à 1.000 euros, et le jugement sera confirmé de ce chef.

Les chefs de décision du jugement afférents à la créance des organismes sociaux ne sont pas remis en cause devant la cour.

Le jugement déféré a pertinemment condamné la MAAF aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure dont le montant est adapté.

Au vu du sens du présent arrêt, qui ne fait pas droit aux contestations de la MAAF et alloue à la victime une somme supérieure à celle fixée en première instance, la MAAF est la partie qui succombe devant la cour.

Elle supportera donc les dépens d'appel et versera une indemnité de procédure de 4.000 euros à [F] [O].

Le présent arrêt est commun à la CPAM 88.

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, dans la limite des appels :

CONFIRME le jugement déféré sauf en son évaluation à 1.500 euros du préjudice sexuel d'[F] [O] et conséquemment en ce qu'il condamne la MAAF à lui payer 102.373,62 euros en réparation de son préjudice déduction à faire des provisions versées

statuant à nouveau de ces chefs :

FIXE à la somme de 4.000 euros l'indemnisation du préjudice sexuel subi par [F] [O] consécutivement à l'accident du 6 octobre 2010

CONDAMNE la MAAF à payer en deniers ou quittances à [F] [O] la somme de 104.873,62 euros déduction faite de la créance des organismes sociaux et déduction à faire des provisions versées d'un montant de 5.300 euros

DIT que les indemnités dues à M. [O] produisent intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence des sommes qu'il alloue et qui sont confirmées, et de l'arrêt pour le surplus

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres ou contraires

DÉCLARE le présent arrêt commun à la CPAM des Vosges

CONDAMNE la MAAF aux dépens d'appel

LA CONDAMNE à payer une indemnité de 4.000 euros à [F] [O] en application de l'article 700 du code de procédure civile

ACCORDE à Me Guillaume GERMAIN, avocat, le bénéfice de la faculté prévue à l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/00787
Date de la décision : 25/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-25;21.00787 ?
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