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11/10/2022 | FRANCE | N°21/00065

France | France, Cour d'appel de Poitiers, 1ère chambre, 11 octobre 2022, 21/00065


ARRET N°475



N° RG 21/00065 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GFFE















COMMUNE DE [Localité 10]



C/



[M]



















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS



1ère Chambre Civile



ARRÊT DU 11 OCTOBRE 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00065 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GFFE



Décision dÃ

©férée à la Cour : jugement du 16 octobre 2020 rendu par le Tribunal de Grande Instance de SAINTES.





APPELANT :



COMMUNE DE [Localité 10]

[Adresse 4]

[Localité 10]



ayant pour avocat Me Philippe MOTTET, avocat au barreau de SAINTES





INTIME :



Monsieur [U] [M]

né...

ARRET N°475

N° RG 21/00065 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GFFE

COMMUNE DE [Localité 10]

C/

[M]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 11 OCTOBRE 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00065 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GFFE

Décision déférée à la Cour : jugement du 16 octobre 2020 rendu par le Tribunal de Grande Instance de SAINTES.

APPELANT :

COMMUNE DE [Localité 10]

[Adresse 4]

[Localité 10]

ayant pour avocat Me Philippe MOTTET, avocat au barreau de SAINTES

INTIME :

Monsieur [U] [M]

né le [Date naissance 2] 1948 à [Localité 10]

[Adresse 3]

[Localité 10]

ayant pour avocat postulant Me Bruno MAZAUDON de la SELARL JURICA, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Cécile BOULE, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 20 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Madame Anne VERRIER, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,

ARRÊT :

- Contradictoire

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par acte du 28 avril 1998, la commune de [Localité 10] (Charente-Maritime) a acquis des époux [Y] [M] et [D] [R], au prix de 199.800 F (30.459.31 €), un ancien garage automobile avec jardin situé [Adresse 6] afin d'y implanter la caserne des pompiers.

Courant 2013, un habitant de la commune a signalé à la direction départementale des territoires et de la mer une pollution par hydrocarbures de l'eau du puits de sa propriété. Les services de la préfecture et de la mairie ont après investigations suspecté que la pollution provenait très probablement de l'ancienne fosse d'aisance située sur le site de la caserne des pompiers, dans laquelle avaient été retrouvées diverses pièces de véhicules automobiles. Des opérations de dépollution de la fosse et du puits ont été financées par la commune de [Localité 10], de 2014 à 2018.

Par acte du 24 mars 2017, la commune de [Localité 10] a assigné [D] [R] veuve [M] et [U] [M] son fils devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Saintes. Par ordonnance du 4 juillet 2017, [G] [P] a été commis en qualité d'expert. Le rapport d'expertise est en date du 22 octobre 2018.

Par acte du 29 janvier 2019, la commune de [Localité 10] a assigné [U] [M] devant le tribunal de grande instance de Saintes. Se fondant sur les termes du rapport d'expertise, elle a demandé paiement à titre de dommages et intérêts de sommes de :

- 34.870,81 € correspondant au coût des opérations de dépollution supportées par la commune ;

- 200.000 € en réparation du préjudice écologique subi augmenté du coût des opérations de dépollution restant à réaliser.

Selon elle, [U] [M] qui avait exercé à la suite de son père, garagiste, une activité de vente et de location de véhicules pendant plusieurs années sur le site, avait été à l'origine de la pollution.

[U] [M] a soutenu irrecevable l'action de la commune, selon lui prescrite par application de l'article L 152-1 du code de l'environnement, le délai de 10 années ayant couru à compter de la date du fait générateur du dommage. Au fond, il a conclu au rejet des demandes formées à son encontre aux motifs que l'origine de la pollution n'avait pas été déterminée avec certitude, que l'activité qu'il avait exercée n'avait pas emporté d'opérations d'entretien des véhicules sur le site et qu'aucune pollution actuelle n'avait été constatée. Il a enfin conclu à la réduction des prétentions de la demanderesse.

Par jugement du 16 octobre 2020, le tribunal judiciaire (anciennement tribunal de grande instance) de Saintes a statué en ces termes :

'DÉBOUTE la COMMUNE DE TAIILLEBOURG de ses demandes,

CONDAMNE la COMMUNE DE [Localité 10] aux dépens de l'instance, comprenant ceux de référé et les frais d'expertise judiciaire,

CONDAMNE la COMMUNE DE [Localité 10] à payer à monsieur [U] [M] la somme de DEUX MILLE EUROS (2.000 €) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile'

Il a déclaré recevable l'action de la commune, non prescrite par application des articles L 152-1 du code de l'environnement et 2226-1 du code civil.

Au fond, il a considéré que la commune de [Localité 10] ne rapportait pas la preuve que la pollution était imputable à [U] [M].

Par déclaration reçue au greffe le 7 janvier 2021, la commune de [Localité 10] a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 7 avril 2021, elle a demandé de :

'Vu l'article 1240 du Code Civil

Vu l'article 2226-1 du Code Civil

Vu l'article L 211-5 du Code de l'environnement

Vu les articles 1246 et suivants du Code Civil

Vu l'article 700 du Code de Procédure Civile

REFORMER le jugement du Tribunal Judiciaire de SAINTES du 16 octobre 2020 en ce qu'il ne reconnaît pas la responsabilité de Monsieur [U] [M] dans la pollution de la fosse et des puits

CONSTATER que l'activité de garage et de location-vente de voitures exercée par Monsieur [M] est à l'origine de la pollution de la nappe et de plusieurs puits et citernes de la commune de [Localité 10]

DIRE ET JUGER que la responsabilité pour faute des anciens exploitants est engagée.

CONDAMNER Monsieur [U] [M] à verser à la commune de [Localité 10] la somme de 34 870,81 € TTC, au titre des opérations de dépollution réalisées et entièrement financées par la commune

CONDAMNER Monsieur [U] [M] à verser à la commune de [Localité 10] la somme de 200.000 € au titre du préjudice écologique et des opérations de dépollution à réaliser suivant les préconisations de l'expertise judiciaire

CONDAMNER Monsieur [U] [M] à verser à la commune de [Localité 10] la somme de 6000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens'.

Elle a indiqué ne pas avoir assigné sa venderesse en raison de son âge. Elle a soutenu qu'il résultait du rapport d'expertise que le déversement d'huiles usagées dans la fosse d'aisance avait été le fait de ses vendeurs puis de leur fils qui y avait exercé une activité de vente et de location d'automobiles ayant nécessité des opérations d'entretien. Elle a ajouté que [U] [M] ne justifiait pas avoir fait réaliser l'entretien de ses véhicules en un autre lieu et que le centre de secours communal n'avait pas fait procéder à l'entretien de ses véhicules sur ce site.

Elle a demandé à être indemnisée des frais de dépollution engagés et du préjudice écologique subi.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 1er juillet 2021, [U] [M] a demandé de :

'Vu l'article 117 du Code de Procédure Civile,

Vu l'article 122 du Code de Procédure Civile,

Vu l'article 237 du Code de Procédure Civile,

Vu l'acte notarié en date du 11 octobre 1957

Vu l'acte notarié en date du 28 avril 1998

Vu le jugement du tribunal judiciaire de Saintes du 16 octobre 2020

[...]

' DECLARER irrecevables et infondées les demandes de la Commune de [Localité 10] ;

' DECLARER les demandes de Monsieur [U] [M] recevables et bien fondées ;

' CONFIRMER le jugement du 16 octobre 2020 en ce qu'il a débouté la Commune de [Localité 10] de l'ensemble de ses demandes et en ce qu'il a condamné la Commune de [Localité 10] à verser à Monsieur [U] [M] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

' CONDAMNER la commune de [Localité 10] au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens'.

Il a soutenu que l'appelante ne justifiait pas que son activité avait été la cause de la pollution. Il a exposé avoir exercé son activité pendant 8 années et l'avoir cessée en 1993, qu'il ne pouvait pas lui être reproché de ne pas avoir conservé les justificatifs d'entretien de véhicules plus de 20 années après sa cessation d'activité et qu'il ne pouvait pas être rendu responsable des conséquences de l'activité qu'avait exercée son père. Il a ajouté que la preuve d'une pollution actuelle n'était pas rapportée.

Selon lui, la commune de [Localité 10] ne justifiait pas des dépenses engagées et du préjudice allégué.

L'ordonnance de clôture est du 25 avril 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LA RECEVABILITE

L'article L 152-1 du code de l'environnement dans sa version applicable en 2013, année de la découverte de la pollution, dispose que : 'Les obligations financières liées à la réparation des dommages causés à l'environnement par les installations, travaux, ouvrages et activités régis par le présent code se prescrivent par trente ans à compter du fait générateur du dommage'.

Cet article L 152-1, dans sa version issue de la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages dispose désormais que : 'Les obligations financières liées à la réparation des dommages causés à l'environnement par les installations, travaux, ouvrages et activités régis par le présent code se prescrivent par dix ans à compter du jour où le titulaire de l'action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du dommage'.

L'article 4 de la loi du 8 août 2016 précise notamment que :

'III. - Les articles 1386-19 à 1386-25 et 2226-1 du code civil sont applicables à la réparation des préjudices dont le fait générateur est antérieur à la publication de la présente loi. Ils ne sont pas applicables aux préjudices ayant donné lieu à une action en justice introduite avant cette publication.

IV. - A compter de l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, le titre IV ter du livre III du code civil est abrogé.

[..]

VIII. - Les articles 1246 à 1252 et 2226-1 du code civil, dans leur rédaction résultant du VI du présent article, sont applicables à la réparation des préjudices dont le fait générateur est antérieur au 1er octobre 2016. Ils ne sont pas applicables aux préjudices ayant donné lieu à une action en justice introduite avant cette date'.

L'article 2226-1 du code civil dans sa rédaction issue de la loi précitée dispose que : 'L'action en responsabilité tendant à la réparation du préjudice écologique réparable en application du chapitre III du sous-titre II du titre III du présent livre se prescrit par dix ans à compter du jour où le titulaire de l'action a connu ou aurait dû connaître la manifestation du préjudice écologique'.

Aux termes de l'article 2222 du code civil :

'La loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.

En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure'.

Par courrier en date du 11 octobre 2013, [K] [A] et [N] [I] ont dénoncé au maire de [Localité 10] la pollution de l'eau de leur puits. Ils ont précisé avoir déposé plainte et que : 'Cette audition a permis d'identifier l'origine de la pollution sous une emprise communale où est implantée le centre de secours de [Localité 10]. La source de la pollution y serait une fosse enterrée contenant des huiles de vidanges'.

Le fait générateur du dommage est selon l'appelante l'activité de [U] [M]. Il n'est pas contesté qu'elle a cessé en 1993. Le délai de prescription, alors de 30 années, a commencé à courir à compter de l'année 1993, à défaut d'autre indication à compter du 18 juin 1993 à laquelle [U] [M] a été placé sous mandat de dépôt. Le délai de prescription, ancien ou nouveau, n'était pas expiré en 2013, date de la dénonciation de la pollution, ni en 2017 lors de l'assignation en référé.

[U] [M] a été assigné par la commune de [Localité 10] par acte du 4 juillet 2017 devant le juges référés. Le délai de prescription a été interrompu par cette assignation, puis suspendu le temps des opérations d'expertise (articles 2239 et 2241 du code civil). Il n'a recommencé à courir que 6 mois après l'exécution de la mission d'expertise, soit au plus tôt le 22 avril 2019 (date du rapport : 22 octobre 2018 + 6 mois), pour une durée désormais de 10 années.

L'acte introductif d'instance a été délivré le 29 janvier 2019. A cette date, le délai de prescription qui n'avait pas recommencé à courir n'était pas expiré.

Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a déclaré recevable l'action de la commune de [Localité 10] représentée par son maire, autorisé à agir par délibération du conseil municipal du 12 janvier 2017.

SUR LA RESPONSABILITE

L'article 1240 (1382 à la date des faits de pollution) du code civil dispose que 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer' et l'article 1246 du même code applicable par application de l'article 4 de la loi du 8 août 2016 que : 'Toute personne responsable d'un préjudice écologique est tenue de le réparer'.

La charge de la preuve du fait générateur du dommage et de son imputabilité incombe à l'appelante.

La responsabilité de [U] [M] est recherchée, non en sa qualité d'ayant-cause de [Y] [M] son père qui avait exploité un garage automobile sur le fonds cédé à la commune de [Localité 10], mais en sa qualité d'exploitant à la suite de ses parents d'un établissement de vente et de location de véhicules automobiles. La commune de [Localité 10] doit rapporter la preuve que la pollution est imputable à [U] [M] dont l'activité en serait l'origine.

L'expert judiciaire a indiqué en pages 9 à 15 que son rapport que :

'Ce garage était antérieurement exploité par Monsieur [Y] [M], puis par son fils [U] [M].

[...]

Après cette acquisition, ce bâtiment a été mis à la disposition des pompiers par la Commune.

[...]

Il a été établi contradictoirement :

- Que les pompiers n'ont jamais effectués de travaux de mécanique et encore moins de vidange dans cet immeuble (Cf. Pièce n' 6.5.)

- Que la « fosse » utilisée par les exploitants du garage comme « capacité de collecte » des huiles usagées est en fait une « fosse d'aisance » : à l'ancienne mode, c'est-à-dire sans le moindre souci sanitaire et creusée à même la roche calcaire.

Les intervenants en dépollution ont estimé « probable » que la pollution ait pour origine le fait que le garage utilisé la fosse pour y vider les vidanges et diverses pièces automobiles : étant donné l'état de ladite fosse constaté par mes soins après les opérations de dépollution diligentées par la Commune, il ne fait aucun doute que celle-ci était bien utilisée comme déversoir des huiles noires par les occupants précédents.

1/ Or, Messieurs [M] père, puis fils, ont exercé leur métier de garagiste de 1957 à 1985 pour Monsieur [M] Père, et de 1985 à 1993 pour Monsieur [M] Fils.

Maître Cécile BOULE précise que si Monsieur [M] Père a bien exercé une activité de mécanicien garagiste, son fils aurait exercé une simple activité de location-vente de véhicules d'occasion.

S'il ne s'agissait que de vente, l'entretien des véhicules d'occasion pouvait ne pas s'effectuer sur place ; il en est autrement de la location qui impose que le véhicule loué est en bon état de fonctionnement et d'entretien... et donc que les vidanges des véhicules loués sont réalisées sur place !

2/ Or, les pompiers locaux. qui ont utilisé ce local pendant quelques années, ne procédaient pas eux-mêmes à l'entretien de leurs véhicules

[...]

Je ne peux qu'en déduire, au vu de la quantité d'huiles de vidange en jeu, que ce versement ne pouvait être le fait que d'un professionnel qui, seul, pouvait réunir de tels volumes (entre 4 et 7 litres par moteur, selon les cylindrées).

Le fait que cette pollution n'ait été découverte que vingt ans après la cessation d'activité des consorts [M] n'est pas une surprise pour deux raisons majeures :

- la progression des huiles noires, hydrophobes, dans un milieu hydrophile non saturé (en eau) est de faible vitesse ; ce n'est que lorsque ces huiles atteignent la zone saturée (la nappe) que leur progression est mécaniquement plus rapide. Mais une proportion non négligeable de ces produits reste fixée (adsorption et absorption) dans les argiles interstitielles des calcaires. Leur désorption est très lente et peut demander plusieurs dizaines d'années...

- La découverte de cette pollution provient surtout du souhait par un nouvel arrivant de vouloir remettre le puits commun en service'.

En page 16 de son rapport, il a ajouté que :

'Les désordres n'existaient pas avant la prise de possession des lieux par les consorts [M] ; ils sont nés de l'exercice de leur activité et en particulier à un manquement grave à leurs obligations professionnelles.

En tant que professionnels, ils avaient en effet l'obligation d'évacuer les déchets de leurs activités dans les filières agréées disponibles, notamment celle d'évacuer les huiles de vidanges vers les centres agréés a cet effet. Le schéma aurait dû être le suivant:

- pas de mélange des huiles de vidange avec de l'eau ou tout autre déchet huileux, étanchéité du stockage,

- remise des huiles usagées à des collecteurs agréés ou directement à des éliminateurs agréés ;

Il semble que l'on soit ici assez loin de ce schéma !'.

Dans un courrier en date du 16 mai 2014 adressé au maire de [Localité 10], le directeur d'agence de la société Snati Sarp Sud Ouest a attesté que :

'Lors de la dépollution de la fosse de la caserne des pompiers dans la période du 09/12/13 au 07/01/14

Nos opérateurs ont enlevé quelques pièces automobiles (roulements, pignons, axe d'entrainement) et quelques plaques d'immatriculation automobiles qui étaient présentes dans la fosse'.

Par courrier en date du 14 novembre 2014 adressé au maire de [Localité 10], le chef du centre première intervention (cpi) de [Localité 10] a attesté que : 'les vidanges des véhicules du centre de secours...durant les années 1998 à 2007...étaient pratiquées au garage automobile Audoux - Perrinaud situé [Adresse 7]', que : 'Depuis 2007 (intégration du centre au SDIS 17) les vidanges sont assurées par la plateforme logistique départementale basée à [Localité 9]' et que : 'En aucun cas des vidanges n'ont été effectuées sur le site du centre'. Par courrier en date du 27 novembre 2014 adressé au maire de [Localité 10], le chef du groupement Centre du service d'incendie et de secours de la Charente-Maritime a attesté que : 'l'entretien des matériels et des véhicules du CPI [Localité 10], notamment les vidanges, est pris en charge depuis le 1er janvier 2007 par l'atelier du groupement situé au centre de secours principal de [Localité 8] ou par la plate forme technique et logistique située à [Localité 9]'.

Ces constatations et indications ne sont pas réfutées.

[U] [M] soutient que la pollution ne lui est pas imputable, au motif que son activité ne nécessitait pas de réaliser sur place la vidange des véhicules qu'il vendait ou louait.

Il n'a produit aux débats aucun justificatif de son activité, ni de document permettant de laisser penser que l'entretien ou la préparation des véhicules étaient réalisés en un autre lieu. La date alléguée de cessation de l'activité peut justifier qu'il n'en ait pas conservé d'archive. Elle n'interdit toutefois pas la production d'un extrait du registre du commerce et des sociétés décrivant l'activité qui était exercée, ni celle d'attestations notamment.

Le rapport d'expertise établit que les déversements d'huile moteur usagée réalisés par les époux [Y] [M] et [D] [R] avaient été poursuivis par [U] [M]. Ces agissements constituent une faute à l'origine de la pollution constatée, engageant la responsabilité délictuelle de ce dernier.

SUR LE PREJUDICE

L'article 1247 du code civil dans rédaction issue de la loi du 8 août 2016 dispose que : 'Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement'.

L'article 1249 précise que :

'La réparation du préjudice écologique s'effectue par priorité en nature.

En cas d'impossibilité de droit ou de fait ou d'insuffisance des mesures de réparation, le juge condamne le responsable à verser des dommages et intérêts, affectés à la réparation de l'environnement, au demandeur ou, si celui-ci ne peut prendre les mesures utiles à cette fin, à l'Etat'.

La commune de [Localité 10] a produit un 'Etat récapitulatif des dépenses Pollution du puits [Localité 10] visé du comptable public et du maire de la commune, établissant que les frais de dépollution exposés avaient été de 29.059,02 € hors taxes, soit 34.870,81 €. Ces frais, d'un montant justifié, seront retenus.

En page 15 de son rapport, l'expert judiciaire a exposé que :

'Prétendre vouloir éradiquer cette pollution suppose des décaissements du sol et du sous-sol sur une profondeur pouvant excéder 10 mètres, ce sur la totalité du : « panache » de répartition per descendum des huiles noires, ce jusqu'à la Rutelière.

Les puits n'étant plus utilisés pour l'alimentation humaine ni pour l'abreuvement des animaux, et sachant que le sous-sol est contaminé pour plusieurs dizaines d'années, la solution pragmatique consiste à maintenir l'interdiction d'utilisation des puits et à installer une surveillance périodique de la qualité de la nappe.

Si l'on devait, pour quelque raison que ce soit, réutiliser cette nappe, la seule solution technique envisageable est la mise en place d'un déshuilage dynamique sur les points de prélèvement. Un tel procédé permettrait également d'écourter un peu le délai d'inutilisation de la nappe.

Le seul problème provient du coût de mise en place et surtout d'entretien d'un tel dispositif :

- Investissement : # 100 000 €

- Entretien: # 50 000 € par an

Au plan purement administratif, la pollution du site devra être identifiée sur la base de données gouvernementale BASIAS, répertoriant des sites ayant pu mettre en 'uvre des substances polluantes. Le cas échéant, une inscription du site sur la base BASOL pourra être nécessaire (recensant les sites et sols pollués ou potentiellement pollués appelant une action des pouvoirs publics, à titre préventif ou curatif)'.

Maître [Z] [T], huissier de justice associé à [Localité 8], a sur la requête de [U] [M] et avec l'accord de [X] [B], propriétaire d'un puits situé à une dizaine de mètres de l'ancien garage, prélevé le 4 septembre 2019 de l'eau de ce puits. Le prélèvement a été confié en analyse par cet huissier de justice au laboratoire Labo 17 Diagnostics et environnement de Rochefort-sur-Mer. Dans son relevé d'information en date du 18 septembre 2019, ce laboratoire a décrit le prélèvement remis comme étant incolore, limpide et inodore. L'analyse réalisée a mis en évidence un taux d'hydrocarbures inférieur à 100.00 µg. Il n'a pas été relevé de pollution de ce puits par des hydrocarbures.

Dans un courrier en date du 7 octobre 2013 adressé à la direction départementale des territoires et de la mer, le maire de [Localité 10] avait notamment indiqué :

'Vous trouverez ci-après le point des actions menées par la Mairie de [Localité 10] suite à cette pollution.

1/Recherche de pollution sur les puits situés en eval du puits pollué :

-14 courriers ont été distribués, 6 personnes n'ont pas répondu (2 maisons inoccupées de longue date et en mauvais état sur les 6)

- 4 parcelles ne possèdent pas de puits

- 1 puits est obturé dont (donc) incontrôlable

- 1 personne a répondu qu'elle avait un puits mais qu'elle ne fera pas le contrôle

- 2 puits ont été contrôlés non pollués

Un contrôle visuel a été réalisé sur deux puits situés au niveau de la route de l'Etang sur les parcelles D[Cadastre 1], D[Cadastre 5] (point le plus bas). Ces deux puits ne présentent pas de traces de pollution'.

La pollution, avérée, semble ainsi demeurer limitée.

La commune de [Localité 10] ne justifie pas qu'elle utilisait la nappe alimentant les puits affectés par la pollution.

Elle a toutefois dû interdire par arrêté du 25 juillet 2013 le puisage et l'utilisation de l'eau des puits de 28 parcelles en raison des risques de pollution. Elle est contrainte de faire procéder à une surveillance périodique de l'évolution de la pollution. La commune se trouve inscrite sur les bases de données des sites pollués.

Les frais exposés pour assurer la dépollution ont grevé le budget municipal. Le maire avait dans son courrier du 7 octobre 2013 indiqué que : 'Compte tenu du fait que l'assurance RC ne prend pas ce type de sinistre car il ne relève pas d'un accident, la Mairie de [Localité 10] ne peut que procéder par étape et en fonction de ses disponibilités financières'.

La réparation du préjudice écologique subi par la commune s'apprécie au vu des éléments produits aux débats par le versement à titre de dommages et intérêts par l'intimé de la somme de 10.000 €.

Il sera pour ces motifs fait droit pour ce montant à la demande de l'appelante d'indemnisation de son préjudice écologique.

SUR LES DEMANDES PRESENTEES SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

Il serait inéquitable et préjudiciable aux droits de l'appelante de laisser à sa charge les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens d'appel. Il sera pour ce motif fait droit à la demande formée de ce chef pour le montant ci-après précisé.

SUR LES DEPENS

La charge des dépens de première instance et d'appel incombe à l'intimé.

PAR CES MOTIFS

statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement du 16 octobre 2020 du tribunal judiciaire de Saintes ;

et statuant à nouveau,

DECLARE recevable l'action de la commune de [Localité 10] ;

DECLARE [U] [M] responsable de la pollution constatée sur le territoire de la commune de [Localité 10] en 2013 ;

CONDAMNE [U] [M] à payer à titre de dommages et intérêts à la commune de Tailebourg les sommes de :

- 34.870,81 € correspondant aux frais de dépollution exposés ;

- 10.000 € en réparation du préjudice écologique subi ;

CONDAMNE [U] [M] à payer à la commune de [Localité 10] la somme de 6.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE [U] [M] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/00065
Date de la décision : 11/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-11;21.00065 ?
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